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00:00:00Depuis l'aube de l'humanité, les hommes ont dédié leurs plus beaux temples au soleil
00:00:07et à sa lumière divine.
00:00:08Cette folie créatrice a connu son apogée au Moyen-Âge avec les cathédrales gothiques
00:00:17et leur incroyable architecture en dentelle de pierre et de verre.
00:00:21En 150 ans, les bâtisseurs de cathédrales ont taillé, sculpté, entassé plus de pierre
00:00:28que les Égyptiens en mille ans.
00:00:30Voici les secrets de cette aventure humaine et architecturale hors normes.
00:00:35Une ère de tous les possibles, faite de compétition, d'innovation, d'intrigue, de lutte de pouvoir
00:00:41et de drame.
00:00:42Une ère qui nous a laissé les plus beaux chefs-d'œuvre de toute la chrétienté.
00:00:58Au XIIe siècle, une incroyable fièvre bâtisseuse déferle sur le royaume de France.
00:01:28En 150 ans, 81 cathédrales gothiques sortent de terre.
00:01:33Ces chefs-d'œuvre de la chrétienté sont des témoignages du génie architectural des
00:01:40hommes, mais aussi de la toute-puissance des évêques.
00:01:43L'évêque faisait partie de ces grands hommes de pouvoir.
00:01:46Et donc, il en va de son prestige que d'avoir une église à sa mesure.
00:01:52Nous l'avons oublié aujourd'hui, mais les somptueuses cathédrales dans lesquelles siègeaient
00:01:57ces évêques ont parfois été le théâtre d'une histoire secrète, inavouable.
00:02:02Tout le Moyen-Âge n'est qu'en fait qu'une longue succession de luttes entre le pape
00:02:08et les rois.
00:02:09Les évêques et leurs cathédrales ont joué un rôle essentiel dans ces affrontements
00:02:15permanents.
00:02:16Certains d'entre eux étaient prêts à tout pour parvenir à leur fin.
00:02:19Ils terrorisaient la population.
00:02:21Personne, évidemment, n'osait se dresser seul contre un évêque qui était capable
00:02:26de vous envoyer au fond d'un cachot d'où vous ne ressortiriez jamais.
00:02:30Au Moyen-Âge, la cathédrale est donc bien plus qu'un simple monument religieux édifié
00:02:36à la gloire de Dieu.
00:02:37Terreur, conspiration, manipulation, les murs de ces splendides vaisseaux de pierre et de
00:02:45verre ont tout vu, tout connu, y compris le pire.
00:02:48Commettre un meurtre dans une cathédrale, en plus, à l'encontre d'un seigneur, c'est
00:02:55le crime suprême.
00:02:57On ira même jusqu'à y perpétrer des massacres pour des raisons obscures ou insensées.
00:03:02Que les représentants du pape aient admis que de tels crimes soient commis par des chrétiens
00:03:10qui pusaient sur d'autres chrétiennes dans une ville chrétienne, c'est quelque chose
00:03:13de choquant, d'inimaginable.
00:03:14Combien d'intrigues, de complots et de conflits se sont-ils noués dans les coulisses de ces
00:03:22cathédrales ?
00:03:24Rien ni personne ne semble avoir été épargné, pas même les saintes reliques.
00:03:28L'Église a parfaitement compris le pouvoir des reliques et il n'est pas interdit de
00:03:33penser qu'elle s'est laissée parfois aller à des pratiques dangereuses, voire interdites.
00:03:39Ces reliques vont jouer un rôle considérable dans la construction des cathédrales et
00:03:44renforceront le pouvoir des évêques.
00:03:48On va organiser des cérémonies autour des reliques pour susciter les dons.
00:03:54Ça va attirer les pèlerins, ça va permettre de pouvoir récolter des dons et de remplir
00:04:00les caisses de l'Église.
00:04:01Vous allez découvrir certains épisodes parmi les plus sombres et les plus méconnus de
00:04:06l'âge d'or des cathédrales.
00:04:17À l'aube du XIIe siècle, le Royaume de France n'est que l'embryon de l'État
00:04:25que nous connaissons aujourd'hui.
00:04:26Il traverse alors l'une des plus graves crises de son histoire.
00:04:30Le territoire est morcelé, divisé en provinces dirigées par des seigneurs locaux, dont
00:04:35certains contestent l'autorité du jeune roi Louis VI, monté sur le trône en 1108.
00:04:40Dès qu'on utilise le terme de roi, on imagine tout de suite un pouvoir très puissant, un
00:04:46peu à la lumière de celui de Louis XIV, mais on est encore au tout début d'un pouvoir
00:04:51royal véritablement efficace.
00:04:53On est à une époque où le roi de France est l'autorité suprême, mais géographiquement,
00:04:58militairement et même pécunièrement, ça n'est pas lui forcément le plus riche.
00:05:04Il a des vassaux qui sont autrement plus riches que lui.
00:05:07Louis VI cherche à rassembler toutes les régions de France sous sa couronne et tente de faire
00:05:15plier par la force les suzerains récalcitrants.
00:05:18Nous sommes dans un climat de violence entre les petits seigneurs, les princes territoriaux
00:05:25qui cherchent à s'accaparer le pouvoir, le territoire, donc l'époque est extrêmement
00:05:30rude.
00:05:31Le royaume est donc régulièrement le théâtre de guerres sanglantes.
00:05:39Pour tenter de ramener la stabilité et d'unifier son royaume, Louis VI n'a pas le choix,
00:05:48il doit s'appuyer sur l'Église, une institution incontournable au Moyen-Âge.
00:05:54Car si le roi incarne le pouvoir politique et temporel, l'Église représente le pouvoir
00:05:59spirituel, dont l'influence est tout aussi considérable à cette époque et se matérialise
00:06:05par les cathédrales.
00:06:06L'homme du Moyen-Âge est un homme inquiet, c'est un homme qui pense non seulement à
00:06:15son avenir terrestre, mais à son avenir dans le ciel.
00:06:18De ce point de vue-là, il a une confiance absolue dans le message de l'Église.
00:06:26L'Église catholique romaine s'est imposée sur l'ensemble de l'Occident, c'est l'autorité
00:06:36suprême qui régit les âmes.
00:06:38Le pouvoir s'impose sur tous.
00:06:40Et pour faire rentrer dans le rang les seigneurs qui contestent l'autorité du roi, l'Église
00:06:50dispose d'une arme redoutable.
00:06:52Le pouvoir de l'Église n'est pas le pouvoir des armes, c'est la sanction.
00:06:59La pire des sanctions qu'il peut prendre, c'est de jeter l'interdit sur un fief.
00:07:03Ça veut dire que le fief ne bénéficie plus de la protection divine.
00:07:08Donc le pouvoir spirituel, religieux peut quand même vous faire changer d'avis.
00:07:17Le roi et le pape sont donc les deux faces d'une même médaille et règnent main dans
00:07:21la main sur le royaume.
00:07:26D'un côté, le roi s'appuie sur l'autorité morale incontestée de l'Église pour asseoir
00:07:31son pouvoir.
00:07:34De l'autre, le pape compte sur la force militaire du souverain pour étendre l'emprise spirituelle
00:07:40de la religion catholique.
00:07:41Mais derrière cette alliance de façade, les rivalités ne sont jamais loin.
00:07:47Des rivalités qui vont connaître leur paroxysme à partir du XIIe siècle.
00:07:52La papauté, plus le temps passe, plus elle tente d'imposer ce qu'on va appeler la théocratie.
00:07:57Cette théocratie dont rêvent les papes, c'est un monde entièrement gouverné par
00:08:03la religion où les rois seraient placés sous l'autorité du souverain pontife.
00:08:09Les rois sont rois en leur domaine, mais le roi vraiment de l'ensemble, c'est moi le pape.
00:08:25La sollicitation de Louis VI est donc une aubaine incroyable pour le pape.
00:08:30Il y voit l'occasion d'accroître davantage encore son emprise.
00:08:33Et pour y parvenir, il dispose d'un relais de poids au sein de la population.
00:08:39Ce relais indispensable, c'est l'évêque qui dirige une circonscription territoriale religieuse
00:08:44appelée diocèse.
00:08:46Dans la société profondément croyante de l'époque,
00:08:50l'évêque est une référence respectée par toute la communauté.
00:08:54L'évêque, pour l'homme du Moyen-Âge, représente l'autorité suprême.
00:09:01Beaucoup plus que le seigneur local.
00:09:04C'est une figure rassurante.
00:09:06Ce qu'il faut comprendre, c'est que les gens d'église exerçaient à la fois des
00:09:13fonctions religieuses, c'est-à-dire celles d'évêques, mais aussi des fonctions politiques.
00:09:18Donc l'évêque dans une cité était, si vous voulez, faisait partie de ces grands
00:09:23personnages publics et de ces grands hommes de pouvoir.
00:09:26Ce pouvoir à la fois religieux et administratif, les évêques l'exercent à partir du bâtiment
00:09:37le plus prestigieux et le plus imposant de leur diocèse, la cathédrale.
00:09:42La cathédrale, c'est un élan vers le ciel.
00:09:46Et cet élan témoigne bien sûr d'une ferveur religieuse en commune mesure, mais c'est
00:09:52aussi le signe d'une volonté de dominer la ville.
00:09:55Bien au-delà de sa vocation religieuse, la cathédrale est donc un haut lieu de pouvoir
00:10:02qui permet de s'assurer le contrôle de la population.
00:10:04Et c'est dans l'une de ces cathédrales, à Lens, une ville située à 140 kilomètres
00:10:12au nord de Paris, que va se jouer un des épisodes les plus sordides de cette sourde rivalité
00:10:17entre le roi de France et le pape.
00:10:19Nous sommes en 1106, un certain Gaudry vient d'être nommé évêque de Lens et cette nomination
00:10:29inquiète.
00:10:30Gaudry n'est pas quelqu'un qui est vraiment apprécié par les Lanois, il est réputé
00:10:36pour être agressif, belliqueux et les Lanois sentent bien que ça n'est pas un évêque
00:10:42qui va les protéger.
00:10:43Surtout qu'il est élu dans des conditions pas très nettes, il passe de diacre à directement
00:10:49évêque.
00:10:50Ça, ça choque beaucoup.
00:10:51En fait, c'est le pape lui-même qui est intrigué pour que Gaudry soit nommé évêque.
00:10:58Parce que l'aide spirituelle qu'il apporte au roi de France lui permet d'étendre son
00:11:06emprise sur son royaume.
00:11:08Le souverain pontife a tout intérêt à ce que ce royaume soit le plus étendu possible.
00:11:13Et pour ça, le passé de Gaudry est un atout précieux.
00:11:18Gaudry a combattu avec les Anglais qui ont du coup récupéré la Normandie.
00:11:24Or, le pape veut récupérer cette Normandie pour étendre son pouvoir sur le royaume de
00:11:28France.
00:11:29En nommant Gaudry évêque, il va en faire son agent de façon à influencer le roi d'Angleterre
00:11:35pour le conduire à lâcher la Normandie.
00:11:38Et ce n'est pas un hasard non plus si le pape choisit de l'installer à Lens.
00:11:43Cette vieille cité royale occupe une place de choix sur l'échiquier de la couronne.
00:11:47Après des années de guerre qui ont miné son économie, la ville se redresse doucement,
00:11:53notamment grâce au marché régional de sa cathédrale où vin, céréales et textiles
00:11:58se vendent et s'exportent bien.
00:12:00Une aubaine pour Gaudry qui va pouvoir profiter de revenus importants grâce à la DIME.
00:12:06La DIME est un impôt sur le revenu et c'est sans doute le plus vieil impôt de l'histoire
00:12:12de la planète.
00:12:13La DIME, le dixième, dixième des revenus, dixième des recoltes, c'est ce qui est dû
00:12:18à l'église.
00:12:19L'organisation qui a le pouvoir de prélever la DIME, c'est toujours le diocèse, donc
00:12:24l'évêque.
00:12:25Les évêques sont généralement issus de grandes familles de la noblesse et donc habitués
00:12:31à vivre dans le faste.
00:12:32Gaudry ne fait pas exception.
00:12:38Mais son goût immodéré de l'argent fait rapidement grincer des dents.
00:12:47On n'est pas content de l'évêque pour une raison extrêmement simple.
00:12:52C'est un homme de guerre, qui d'ailleurs est illettré, cupide, avare.
00:12:56En fait, ce qui compte, c'est qu'il n'accorde pas ce qu'il doit à la ville, c'est-à-dire
00:12:59la protection.
00:13:00Pour l'essentiel, donc, l'assurance de la fourniture en vivres, la protection contre
00:13:05éventuellement un assaillant d'un ennemi extérieur et la protection spirituelle, puisque
00:13:10l'évêque, c'est l'épiscopo, c'est le surveillant, celui qui doit surveiller le
00:13:13troupeau.
00:13:14Il ne le fait pas.
00:13:15C'est cela qu'on lui reproche.
00:13:16Loin de jouer le rôle rassurant d'un évêque, Gaudry ne fait donc aucun effort pour se faire
00:13:21adopter.
00:13:22Pire encore, il abuse d'une fiscalité arbitraire pour remplir ses caisses et refuse d'en faire
00:13:28profiter la communauté.
00:13:30Très vite, les Lanois comprennent que leur évêque est prêt à tout pour accroître
00:13:35sa fortune.
00:13:36Gaudry n'est pas seulement un homme cupide, assoiffé de pouvoir, c'est aussi un paranoïaque.
00:13:43C'est un esclave noir dont il se sert pour fouetter les bourgeois qui ne lui plaisent
00:13:48pas.
00:13:49Un esclave qu'il chargeait de tâches absolument effroyables, torturait jusqu'à la mort ses
00:13:55ennemis dans les cachots épiscopaux.
00:13:58En ce début de XIIe siècle, pratiquement personne n'a croisé d'homme noir dans les
00:14:03campagnes françaises.
00:14:04La seule présence de cet esclave impressionne et terrifie.
00:14:08Pour ne rien arranger, Gaudry, qui se sait protégé par le pape en personne, n'hésite
00:14:14pas à intimider ouvertement toute la population.
00:14:17Il fait irruption chez les gens de la ville avec cet esclave noir dont il se sert pour
00:14:25pouvoir sommer les gens de payer immédiatement leur dû.
00:14:28Il terrorisait la population.
00:14:31Personne, évidemment, n'osait se dresser seul contre un évêque qui était capable
00:14:36de vous envoyer au fond d'un cachot d'où vous ne ressortiriez jamais après avoir subi
00:14:40les pires traitements, les pires tortures de la part d'un homme qu'on supposait à
00:14:44l'époque privé d'âme.
00:14:45La tyrannie sans scrupule de Gaudry lui permet d'amasser une fortune considérable.
00:14:57Mais si les Lanois n'osent pas lui résister, l'évêque va bientôt se frotter un adversaire
00:15:05d'une toute autre envergure, le roi de France lui-même.
00:15:08Car le domaine de l'an joue d'un statut particulier, associé à un certain nombre
00:15:14d'obligations auxquelles Gaudry ne peut se s'ostraire.
00:15:17Lorsque l'adîme est prélevé, il est ensuite réparti entre le roi et les évêques, selon
00:15:25des pourcentages qui varient.
00:15:26Si une région appartient au roi de France, il y aura une majorité de ce pourcentage
00:15:32qui ira au roi.
00:15:33Il se trouve que l'an est domaine royal, donc de ce point de vue là, l'évêque doit
00:15:40une grosse partie de l'adîme au roi de France.
00:15:43Concrètement, Gaudry doit donc reverser une partie importante de ses revenus au percepteur
00:15:49du roi, un certain Gérard de Quierzy.
00:15:52Gérard de Quierzy, à l'époque, est le représentant de l'autre pouvoir, non pas
00:15:59l'église, mais la monarchie, donc nécessairement, il doit percevoir les impôts pour le compte
00:16:03du roi.
00:16:04Il les exige donc de l'évêque, lequel, fort mauvais payeur, s'indigne de ce qu'on
00:16:09Une fois de plus, Gaudry refuse de payer ce qu'il doit parce qu'il se sait protégé
00:16:19par le souverain pontife.
00:16:20L'évêque de l'an est persuadé que le roi, dont l'autorité est encore chancelante,
00:16:30n'osera jamais le forcer à remplir ses obligations, ce qui reviendrait à défier le pape en personne.
00:16:35Allons, on a donc un jeu à trois, il y a d'abord l'évêque, Gaudry, il y a ensuite
00:16:43Gérard de Quierzy, qui est le pouvoir féodal, représentant du roi, il y a les habitants
00:16:48de la commune et l'affaire va devenir explosive.
00:16:50Dans un premier temps, le roi se montre patient avec Gaudry pour ne surtout pas froisser l'église.
00:17:02Mais les années passent et les guerres incessantes de Louis VI pour pacifier son royaume lui
00:17:10coûtent très cher.
00:17:11Il ne peut donc pas se permettre de renoncer définitivement à la part qui lui revient
00:17:19sur les impôts prélevés par le diocèse de l'an.
00:17:22Les tensions entre Quierzy et Gaudry ne cessent de s'aggraver et en 1110, des récoltes catastrophiques
00:17:30vont tout faire basculer.
00:17:31L'époque est tout à fait catastrophique en ce qui concerne le climat.
00:17:38Une sécheresse réduit considérablement les récoltes, amégrit les réserves de céréales
00:17:44et favorise la propagation des épidémies.
00:17:47La population est durement touchée.
00:17:55Des dizaines de familles de paysans sombrent dans une extrême pauvreté.
00:18:00Théoriquement, dans de telles conditions, l'évêque est tenu de nourrir les plus démunis
00:18:04avec les réserves du diocèse.
00:18:06Mais Gaudry refuse.
00:18:12Il préfère spéculer sur la hausse des prix du grain.
00:18:15Ceux qui ont la possibilité de récolter quand même un peu de grains, eh bien vont
00:18:25faire comme on le fera dans toutes les économies du marché, c'est-à-dire qu'ils vont faire
00:18:30monter les prix en les stockant et en les mettant au compte-gouttes à la vente.
00:18:34Cette inflation fait monter la valeur des stocks de Gaudry, qui en interdit la distribution.
00:18:40Venu qu'émander de l'aide sur le parvis de sa cathédrale, les plus pauvres se voient
00:18:46ainsi refuser toute nourriture.
00:18:47Ils doivent se contenter de quelques litres de lait.
00:18:51Or, sans blé, pas de farine et sans farine, pas de pain.
00:18:56Jour après jour, la tension ne fait que monter entre les habitants en détresse et les chanoines
00:19:01chargées de la distribution.
00:19:04Et c'est dans ce contexte particulièrement électrique que le roi frappe du poing sur la table
00:19:09et renvoie son émissaire à l'an pour réclamer son dû.
00:19:13Gérard de Kerzy vient pour prélever l'impôt parce que les caisses de l'État sont au plus bas et
00:19:17c'est au diocèse de serrer la ceinture.
00:19:20Gaudry est furieux.
00:19:22L'évêque de Lens ne comprend pas comment le percepteur du roi ose lui réclamer de l'argent
00:19:26en pleine crise.
00:19:28Une première altercation très grave a lieu entre lui et Gérard de Kerzy dans la cathédrale
00:19:33de Lens. De son côté, Gérard de Kerzy a reçu des ordres très strictes.
00:19:38Il en va de l'autorité du roi.
00:19:42Gérard de Kerzy ordonne de faire vider intégralement le palais épiscopal de ses trésors,
00:19:47de ses joyaux.
00:19:50L'évêque est fou de rage.
00:19:52Fort de la protection du pape, il n'a pas l'intention de se laisser faire.
00:20:00Suite à cette ultime querelle, Gaudry décide de faire assassiner Gérard de Kerzy.
00:20:05Évidemment, on ne s'attendrait pas à ça de la part d'un évêque, mais à cette époque,
00:20:08la violence, ça peut être aussi une arme pastorale.
00:20:11Mais l'évêque de Lens n'est pas fou.
00:20:14Tout le monde sait qu'il déteste le percepteur du roi et tout le monde connaît sa violence
00:20:18d'anciens soldats.
00:20:20Gaudry doit donc se trouver un alibi solide.
00:20:25Pour qu'aucun soupçon ne soit porté sur sa personne, il part à Rome quelques jours
00:20:30avant l'exécution du meurtre.
00:20:34Gaudry veille à faire un maximum de publicité autour de ce voyage.
00:20:38S'il veut être certain d'être mis hors de cause du meurtre qui se prépare, le roi lui
00:20:42même doit être informé de son départ pour l'Italie.
00:20:45C'est donc au son des cloches de la cathédrale de Lens qu'il a ordonné de faire spécialement
00:20:49sonner pour l'occasion que l'évêque prend la route de Rome.
00:20:54Il quitte la ville de Lens, laissant Gérard tout content parce que ce dernier s'imagine
00:20:59que de l'absence de l'évêque, il va pouvoir profiter pour récupérer son dû.
00:21:03Il se présente donc au chapitre.
00:21:05Il rencontre les chanoines, lesquelles lui assurent qu'ils ne peuvent pas ouvrir les
00:21:08coffres en l'absence de l'évêque.
00:21:10Les chanoines ont pour instruction de ne rien lui donner.
00:21:13En revanche, ils vont l'inviter à se retirer pour prier.
00:21:16Pour le percepteur, les chanoines ne font que reculer pour mieux sauter.
00:21:21Dans l'espoir de les amadouer, il accepte néanmoins d'aller prier dans la cathédrale.
00:21:27Gérard de Kierzy traverse ainsi toute la nef et s'agenouille devant une statue du Christ
00:21:32en croix. Mais à peine a-t-il fermé les yeux pour entrer en prière, qu'une lame de
00:21:38fer lui tranche brutalement la gorge.
00:21:40Gérard de Kierzy est retrouvé gisant dans son sang.
00:21:48C'est un retentissement énorme.
00:21:56La cathédrale, c'est la maison de Dieu.
00:21:57La cathédrale, c'est l'endroit où on célèbre l'Eucharistie.
00:22:00Commettre un meurtre dans une cathédrale.
00:22:03En plus, à l'encontre d'un seigneur, c'est le crime suprême.
00:22:07Assassiner l'émissaire du roi, c'est commettre un incroyable affront contre le monarque lui-même.
00:22:14Pourtant, Louis VI ne prend aucune sanction contre cet évêque tyrannique suspecté d'être
00:22:19le commanditaire de ce meurtre.
00:22:24Il ne le condamne même pas publiquement.
00:22:27Une attitude incompréhensible qui scandalise les Lanois.
00:22:31Evidemment, personne n'est du pas lent.
00:22:33On se doute bien que c'est Godry qui a commandité le meurtre et que même s'il est à Rome,
00:22:39tout ça, c'est de sa faute.
00:22:43La fureur touche à flanc comble parce qu'enfin, Gérard de Kierzy a été assassiné par l'évêque.
00:22:49On attend donc que la justice du roi s'exerce.
00:22:51On s'attend que la justice pontificale exclue cet évêque qui ne mérite même pas de continuer
00:22:58à offrir son ordre.
00:22:59Le pape continue à officier et c'est tout le contraire.
00:23:04Mais rien n'y fait.
00:23:05Le roi reste muet.
00:23:08Louis VI ne veut pas prendre le risque de contrarier le pape.
00:23:11Il préfère parier sur le fait que les Lanois finiront tout ou tard par se venger de cet
00:23:16évêque démoniaque qui les terrorise et les accable d'impôts et refuse de distribuer ses
00:23:21stocks de nourriture malgré la famine.
00:23:24Le roi laisse donc Godry revenir en France sans être inquiété.
00:23:28Non seulement il revient et il en profite pour tenter de pressurer encore plus la population.
00:23:34La cupidité de Godry est sans limite.
00:23:37Persuadé d'être intouchable, il s'en prend alors aux finances de la commune, une nouvelle
00:23:42entité administrative qui vient de faire son apparition dans les villes les plus importantes
00:23:46du royaume. Au début du XIIe siècle, la commune apparaît comme le premier pouvoir
00:23:53populaire sous la tutelle d'un riche marchand qui est libre de l'emprise du roi et libre
00:23:59de l'emprise de l'église.
00:24:01Le roi octroie des privilèges.
00:24:04Vous avez le droit de construire des murailles, vous avez le droit de percevoir des taxes
00:24:09et donc ce sont les bourgeois qui administrent la ville.
00:24:11Quand on administre la ville, on tient les cordons de la bourse.
00:24:15Tant qu'il s'en prenait à des personnes ou des familles isolées, l'évêque de Lan
00:24:19avait l'avantage de la force.
00:24:20Mais cette fois, il se heurte à un collectif déterminé.
00:24:25Alors, lorsque Gaudry a le culot après les avoir pressurés d'en plus vouloir supprimer
00:24:31la commune, eh bien, on comprend que la fureur atteigne un sommet.
00:24:35Ces habitants vont se regrouper pour défendre leur droit face à l'évêque et vont même
00:24:41se regrouper sous serment, sous la forme d'une conjuration, pour mettre fin au pouvoir
00:24:46abusif de l'évêque.
00:24:48Après six années de persécution, les Lanois sont à bout.
00:24:52La peur cède brutalement la place à la rage.
00:24:56Il est temps de se débarrasser une bonne fois pour toutes de ce tyran sans scrupules.
00:25:01Au printemps 1112, ils passent à l'action.
00:25:07Le 25 avril, après une messe de Pâques, Gaudry dîne dans son palais et là, il entend
00:25:13des clameurs, une rumeur publique.
00:25:15C'est un groupe de gens qui arrivent armés devant son palais pour s'en prendre à lui.
00:25:26Ce qui se cache derrière la fureur du peuple de Lan, qui est une véritable folie, ils
00:25:30sont devenus fous, à proprement parler, ils ont perdu tout sens du sacré.
00:25:33C'est qu'on les a mis à bout et arrivés au bout, eh bien, ils ne raisonnent plus.
00:25:37Le groupe pénètre dans la cathédrale et se rend devant les portes qui communiquent
00:25:41avec le palais épiscopal.
00:25:43Il ne lui faut que quelques minutes pour les défoncer.
00:25:47Puis, le groupe se sépare, tandis que certains hommes bloquent toutes les issues.
00:25:52Les autres mettent le feu à une partie du bâtiment.
00:25:54Lorsqu'on vient lui dire que la population en fureur se presse aux portes du palais épiscopal.
00:26:00Dans un premier temps, il refuse de le croire.
00:26:02Il n'imagine pas qu'avec le système de terreur qu'il a imposé, on puisse se révolter.
00:26:05Puis, il prend vite conscience qu'il y a des hommes en armes qui entrent, qui saccagent
00:26:09les parties basses du palais.
00:26:11Il se met lui-même aux fenêtres, nous dit la chronique, il envoie des pierres, des flèches.
00:26:14Mais comme son courage n'est pas à la hauteur de ses autres qualités d'escroc, il finit
00:26:19par s'enfuir.
00:26:20Trop tard, les vêtements d'un domestique qu'il enfile en toute hâte pour tenter de
00:26:25tromper ses agresseurs ne le sauveront pas.
00:26:30Pas plus que le tonneau dans lequel il tente de se dissimuler au dernier moment.
00:26:35Le prélat est tiré par les cheveux hors du tonneau, frappé, battu.
00:26:40Il a beau supplier parce qu'il se montre d'une lâcheté lamentable, il promet qu'il
00:26:45perdra. Il promet qu'il ne sera plus évêque, qu'il s'en ira.
00:26:48Rien n'y fait. La fureur déborde.
00:26:51Ça fait trop d'années que la population de Lens subit ces outrages.
00:26:56Godry est traîné dans les rues comme un vulgaire bandit de grand chemin.
00:27:00Les quelques chanoines qui se portent courageusement à son secours sont massacrés
00:27:04sur place pendant le pillage du palais épiscopal.
00:27:08Des nobles tentent à leur tour d'intervenir pour que le prisonnier soit traduit devant
00:27:12une cour de justice officielle.
00:27:14Mais les forcenés sont déchaînés.
00:27:21C'est finalement un coup de hache, dit-on, qui lui fend le crâne, met fin à son
00:27:25existence terrestre et ensuite, il est complètement dépouillé, s'est habillé.
00:27:28Ça, c'est symptomatique parce que la nudité biblique est honteuse.
00:27:31C'est un châtiment épouvantable.
00:27:33La dépouille nue est traînée dans une ruelle, abandonnée aux chiens, aux corbeaux.
00:27:38En fait, elle sera inhumée un peu plus tard.
00:27:40Voilà la triste fin que méritait le soeur Godry.
00:27:47La mort de Godry sonne comme un avertissement pour le roi de France que le
00:27:51pape désigne comme seul responsable de cette tragédie.
00:27:55C'est uniquement parce que Louis VI n'a jamais désavoué l'évêque que l'affaire
00:27:59aurait dégénéré.
00:28:01En réalité, l'église profite de l'affaire pour affaiblir la couronne.
00:28:07Bientôt, une succession d'événements inattendus lui permettra d'accentuer son
00:28:12emprise sur le royaume.
00:28:14Des événements qui feront des cathédrales l'épicentre d'un nouveau pouvoir à la
00:28:19fois spirituel et politique.
00:28:24Nous sommes en 1137, 25 ans après le meurtre de l'évêque Godry.
00:28:30Malade, Louis VI vient de s'éteindre et c'est son fils Louis VII qui lui succède.
00:28:37Avec lui, les luttes de pouvoir entre l'église et la couronne de France vont
00:28:41encore s'intensifier.
00:28:44Louis VII est un roi complexe.
00:28:46Il a une brève occasion ecclésiastique.
00:28:48C'est un homme très, très pieux.
00:28:49Pas d'une maturité toujours suffisante pour affronter les énormes problèmes qui
00:28:55se posent au royaume de France.
00:28:57Louis VII n'est pas seulement immature, il est volontiers irascible, parfois victime
00:29:04de crises de folie d'une rare violence.
00:29:07Une violence qui oblige son entourage à le surveiller de près.
00:29:11Il a comme premier ministre l'abbé Sujet, qui est un homme extrêmement puissant,
00:29:16influent, intelligent.
00:29:19L'abbé Sujet dirige alors la plus puissante abbaye de France à Saint-Denis.
00:29:24C'était un ami d'enfance de Louis VI, dont il était devenu le plus proche conseiller.
00:29:31À la cour, on s'attend logiquement à ce que Sujet remplisse les mêmes fonctions
00:29:35auprès du jeune héritier.
00:29:39Mais depuis quelques années, l'abbé de Saint-Denis est obsédé par une autre
00:29:42mission encore plus importante à ses yeux.
00:29:45Faire de son abbatiale la plus belle et la plus grande des églises jamais construites.
00:29:51Sujet est hanté par l'idée de faire en sorte que son église ressemble à la
00:29:56Jérusalem céleste.
00:29:57C'est-à-dire qu'on ait une église dans laquelle la lumen, c'est-à-dire la lumière
00:30:01physique, coïncide avec la lux, la lumière spirituelle.
00:30:05Et pour Sujet, pour l'abbé Sujet, ça va être très, très difficile de canaliser
00:30:09ce roi.
00:30:12À l'époque, tout le monde pense que la piété de Louis VII sera un atout pour calmer
00:30:16les rivalités qui opposent l'église de Rome à la piété de Saint-Denis.
00:30:21A la royauté française qui se disputent parfois les mêmes territoires comme Alen.
00:30:27Mais très vite, Louis VII montre au contraire qu'il n'a pas du tout l'intention de
00:30:31partager son pouvoir avec l'église.
00:30:34Malgré les conseils avisés de Sujet à qui il est confié, Louis VII devient vite
00:30:38incontrôlable.
00:30:39Le roi a vraiment envie d'avoir de bonnes relations avec les évêques à condition
00:30:44de les nommer.
00:30:44Il va nommer ou inciter à la nomination des charges ecclésiastiques des individus
00:30:49qui déplaisent à la paupeté.
00:30:51Le plus dangereux dans cette histoire, c'est de se fâcher avec Rome qui, en
00:30:54dernière instance, a quand même l'autorité de sacrer les évêques.
00:31:00Les risques d'un conflit ouvert sont bien réels.
00:31:03Car à l'époque, deux écoles de pensée s'opposent au sein même de l'église de
00:31:07Rome et chacune d'entre elles est soutenue par un proche conseiller du pape.
00:31:13D'un côté, il y a les bénédictins, partisans de l'abbé Sujet, premier ministre
00:31:17du roi de France.
00:31:19De l'autre, il y a les cisterciens de Bernard de Clairvaux qui dirigent un
00:31:23mouvement réformateur en pleine ascension.
00:31:29Sujet, c'est la magnificence, c'est l'opulence, c'est le règne de Dieu qui
00:31:34se manifeste par la richesse.
00:31:36Bernard de Clairvaux, c'est la cèze, la pauvreté, le sacrifice.
00:31:40Ces deux courants de pensée bataillent pour convaincre le pape.
00:31:45Le pape, les uns veulent les cathédrales, c'est le courant de Sujet.
00:31:50Les autres veulent les croisades.
00:31:52C'est Bernard de Clairvaux.
00:31:53Le conflit est très subtil entre les intérêts bénédictins alliés à la
00:31:58couronne de France et les intérêts cisterciens alliés à Rome.
00:32:03Et donc, ça va chauffer évidemment très, très fort.
00:32:08Jusqu'à présent, le pape maintenait ce rapport de force à l'équilibre.
00:32:12Mais le comportement de Louis VII change la donne.
00:32:16Il n'est pas question de le laisser continuer à nommer ses propres évêques
00:32:20et bafouer ainsi l'autorité du Saint-Siège.
00:32:24L'équilibre est rompu.
00:32:26À Rome, les cisterciens sont en train de gagner la guerre de tranchée qui
00:32:30les opposait aux bénédictins.
00:32:34Et à Rome, ce sont les partisans de Clairvaux qui vont l'emporter sur
00:32:39les partisans de Sujet.
00:32:42En favorisant les thèses des cisterciens de Bernard de Clairvaux,
00:32:45le pape veut faire comprendre à Louis VII que c'est lui et lui seul qui
00:32:49préside à la destinée de l'Église.
00:32:53Le roi de France réalise ainsi qu'il n'a plus aucune influence sur la papauté.
00:32:58Furieux, il décide de se venger avec la plus grande cruauté.
00:33:03Le roi, de colère contre ses opposants cisterciens et romains,
00:33:08va massacrer toute une population enfermée dans une église.
00:33:13C'est le coup de folie d'un roi qui se sent bafoué par le pape et qui,
00:33:18du coup, va réagir avec la plus grande cruauté pour finalement imposer sa
00:33:24puissance dans des proportions qui sont effrayantes.
00:33:27Ces conflits entre l'Église et le pouvoir temporel traînent parfois une
00:33:31tournure très, très violente.
00:33:35Ce massacre se déroule en janvier 1143, six ans après son accession au trône.
00:33:40Pour affirmer son pouvoir, Louis VII vient d'envahir les terres du
00:33:44comté de Vitry-en-Pertois dans la Marne, qui appartiennent au pape.
00:33:49Le village compte environ 1500 âmes.
00:33:52Terrifié à l'annonce de son arrivée, toute la population s'est réfugiée dans l'Église.
00:33:58À cette époque, quand on est dans une église, on est normalement à l'abri de
00:34:01toute violence.
00:34:02Louis VII va commettre l'irréparable aux yeux de l'Église en mettant le feu à
00:34:08l'Église de Vitry-en-Pertois.
00:34:11Avec tous les habitants à l'intérieur.
00:34:16Hommes, femmes et enfants, tous périssent brûlés vifs.
00:34:21Il ne le sait pas encore, mais en perpétrant ce massacre, Louis VII vient de donner les
00:34:26clés du royaume de France à l'Église.
00:34:30Car lorsqu'il apprend la nouvelle, Bernard de Clairvaux somme le pape de réunir une
00:34:34assemblée extraordinaire pour châtier ce roi barbare.
00:34:38Cette assemblée lui inflige à l'unanimité la pire des sanctions pour un roi chrétien,
00:34:43l'excommunication.
00:34:46Autrement dit, une exclusion publique de la communauté chrétienne.
00:34:54Si le roi est excommunié, c'est très embêtant parce qu'il ne peut plus, d'une
00:34:58certaine manière, exercer son pouvoir sacré, qui dépend de l'Église.
00:35:02Il est sacré par l'Église.
00:35:03La cérémonie du sacre crée un lien particulier entre le roi et Dieu.
00:35:07Si le roi est excommunié, d'une certaine manière, ce lien est brisé.
00:35:12Sans compter le fait que cette excommunication met le roi en position, évidemment, de conflit
00:35:17avec la papauté, les brise des liens auxquels la population est sensible, car ce sont des
00:35:22liens qui sont réputés protecteurs pour elle et bénéfiques.
00:35:28Des moines cisterciens à la solde de Bernard de Clairvaux,
00:35:31organisent aussitôt des manifestations violentes devant la basilique Saint-Denis,
00:35:35symbole du pouvoir royal.
00:35:43Derrière les murs de son abbaye, l'abbé Suger comprend qu'il est urgent de trouver
00:35:48une solution pour faire lever cette terrible sanction.
00:35:53Lucette va profondément inquiéter l'abbé Suger.
00:35:56L'abbé Suger est un homme qui a été excommuniqué.
00:35:59L'abbé Suger est un homme qui a conscience de la réalité.
00:36:03C'est un homme qui a les pieds sur terre et il va interpeller Lucette pour lui dire
00:36:07fais attention, tu laisses la porte ouverte au chaos.
00:36:18Grâce à l'intercession de l'abbé Suger, qui a su conserver l'oreille du pape, un accord
00:36:23est enfin trouvé en 1144, un an après le massacre de Vitry en Pertois.
00:36:30Pour se racheter, Lucette doit faire pénitence et cette pénitence va le tenir à l'écart
00:36:36des affaires du royaume pendant très longtemps.
00:36:40Après une telle forfaiture comme le crime des fidèles dans l'église, eh bien, Lucette
00:36:44va demander pardon.
00:36:46Il va visiter les différentes églises.
00:36:49Il va donc faire amende honorable.
00:36:53On voit alors le roi pieds nus, vêtu d'une bure, marcher dans des cours de procession
00:37:00liturgique, chanter les psaumes, réciter les litanies.
00:37:04Il est confronté à des situations humainement très difficiles de santé.
00:37:10Il risque sa vie en permanence.
00:37:12C'est un pénitent, un pénitent sincère.
00:37:21Cette pénitence est une victoire éclatante pour Bernard de Clairvaux.
00:37:25Plus influent que jamais, il veut désormais convaincre le pape de repartir à la
00:37:29conquête de la Terre sainte.
00:37:3250 ans plus tôt, la première croisade a permis de reprendre Jérusalem aux musulmans.
00:37:38Mais depuis, l'armée turque bloque le passage.
00:37:42Les pèlerinages sont de nouveau impossibles.
00:37:46L'un des problèmes majeurs à cette époque, c'est le rapport avec les lieux saints.
00:37:50Jérusalem, bien sûr, est le lieu où le Christ est mort.
00:37:54Bethléem, là où il est né.
00:37:56Depuis l'époque constantinienne, des basiliques ont été construites et sont
00:37:59le lieu de pèlerinage très intense.
00:38:03Le pèlerinage à Jérusalem est tout d'un coup compromis par cette montée de
00:38:07l'islam qui occupe ces différents lieux.
00:38:11Et donc, l'Église a une obsession.
00:38:14Reprendre les lieux saints, c'est-à-dire les lieux où Jésus a enseigné, où il a
00:38:18souffert, où il est mort et qui maintenant sont la propriété des infidèles, des
00:38:23païens.
00:38:24Donc, c'est l'occasion pour le pape de lancer des croisades qui vont
00:38:29permettre de pouvoir ramener le troupeau dans le droit chemin.
00:38:35Sous l'impulsion de Bernard de Clairvaux, une deuxième croisade se prépare donc
00:38:39pour libérer les accès aux lieux saints.
00:38:42Mais qui devra en prendre la tête?
00:38:45Pour mobiliser les troupes de fidèles, il faut un homme de prestige.
00:38:50L'occasion est trop belle de se débarrasser complètement de Louis VII.
00:38:55Bernard de Clairvaux et Innocent III vont profiter de la faiblesse
00:39:00de Louis VII, qui est un homme très pieux, véléitaire, pour le convaincre
00:39:05de partir en croisade, de quitter le territoire de France, d'aller se
00:39:09battre à Jérusalem pour délivrer le tombeau du Christ.
00:39:13Et ça sera l'occasion pour le pape et pour Bernard de Clairvaux de dire à ce
00:39:17roi excommunié, va sauver ton âme, pars aux croisades et on lèvera
00:39:22l'excommunication.
00:39:24Persuadé que cette croisade lui permettra de redorer son blason, Louis VII
00:39:31ne voit pas le piège qui se referme sur son royaume.
00:39:34Car une fois le roi parti, l'Église pourra étendre son emprise sur la
00:39:38France en toute impunité.
00:39:42Il y a là une véritable et très intelligente stratégie.
00:39:46Ils savent très bien que le roi a intérêt à partir en croisade, mais que
00:39:50partant en croisade, il emmènera toutes les forces vives.
00:39:52Et ainsi, le roi ayant emmené tous les aristocrates, les guerriers, les
00:39:56bellatoraises donc, en Terre sainte, le royaume de France sera à la merci du
00:40:02pouvoir papal, du pouvoir clérical.
00:40:04Il pourra donc, pendant ces deux années, installer en paix ses évêques, ses
00:40:08surveillants qui, de chefs spirituels de la cité, deviendront les véritables
00:40:13chefs politiques.
00:40:14Les évêques de France vont pouvoir faire ce qu'ils veulent en n'ayant plus de
00:40:18compte à rendre qu'au pape.
00:40:19Mais il y a un inconvénient majeur.
00:40:21C'est que l'argent qui devait servir à la construction des cathédrales va être
00:40:26investi pour financer la croisade, parce qu'il faut payer les soldats.
00:40:30Il est donc impératif que cette croisade soit un succès et qu'elle
00:40:34rapporte de l'argent pour continuer à construire des cathédrales.
00:40:37C'est l'avenir des cathédrales qui est en jeu.
00:40:41Enfin politicien qu'il est, l'abbé Sujet a parfaitement compris la manœuvre.
00:40:46La longue pénitence de Louis VII a déjà beaucoup affaibli le pouvoir royal.
00:40:51Son départ avec ses meilleurs vassaux ne fera qu'empirer les choses.
00:40:55Malgré les conseils de Sujet qui lui dit de rester en France, de ne pas partir,
00:41:00Louis VII fait la sourde oreille.
00:41:01Pour lui, la priorité absolue, c'est de retrouver la plénitude de la grâce
00:41:07et de faire lever son excommunication.
00:41:15Nous sommes au mois de mars 1146.
00:41:18Les cloches des deux tours flambant neufs de la nouvelle basilique Saint-Denis,
00:41:21construite par l'abbé Sujet, sonnent le départ du roi,
00:41:25accompagné de son épouse, Aliénor d'Aquitaine.
00:41:31Ensemble, ils se rendent à Vézelay, en Bourgogne, où doit se tenir
00:41:35le grand rassemblement de cette deuxième croisade.
00:41:40Le rassemblement de Vézelay est sans doute une mise en scène,
00:41:43mais en tout cas, on garde ce souvenir d'une foule extrêmement nombreuse
00:41:47à tel point que, quelques temps après, sur le lieu même où Saint-Bernard
00:41:51a prêché, on va même construire une chapelle.
00:41:54On sent dès l'époque que cet événement est très, très fort et on le veut,
00:41:57on l'a organisé comme tel.
00:42:00Saint-Bernard, c'est bien sûr Bernard de Clairvaux qui appelle solennellement
00:42:04le roi Louis VII et tous ses chevaliers à rouvrir toutes les voies de pèlerinage
00:42:09jusqu'en Terre sainte.
00:42:11Symboliquement, le moine appose une grande croix de drap rouge
00:42:15sur la poitrine du souverain.
00:42:18Il joue de son charisme et de son poids politique pour réunir à Vézelay
00:42:23la cour, les grands seigneurs, le roi Louis VII
00:42:27et orchestrer complètement cet événement et avec aussi cette idée
00:42:32que puisque le roi de France, il est sacré, il est choisi par Dieu.
00:42:37Donc, c'est à lui, en quelque sorte, de prendre la tête de la croisade.
00:42:41Nous sommes le 11 mars 1146.
00:42:44La deuxième croisade vient de commencer.
00:42:48Bernard de Clairvaux et le pape ont réussi un coup magistral.
00:42:54Maintenant que le royaume de France est à leur merci, le moment est venu
00:42:58d'y appliquer la plus grande réforme que l'Église ait connue.
00:43:02Une réforme bien sûr destinée à renforcer davantage encore le pouvoir de l'Église.
00:43:11Depuis le milieu du 11e siècle, l'Église a entrepris une réforme.
00:43:15On l'appelle réforme grégorienne du nom du pape Grégoire VII, qui règne vers 1075.
00:43:20Et cette réforme consiste pour l'Église à reprendre une place centrale
00:43:23dans la société, dans la politique, dans l'économie de l'Occident médiéval
00:43:27au moment où celui-ci connaît une croissance remarquable.
00:43:30Et lorsque Louis VII part en croisade, c'est l'occasion de franchir une nouvelle étape
00:43:34et pour l'Église d'accroître encore son influence au sein des villes.
00:43:37Donc, pendant deux ans, la France, qui est régentée par un abbé,
00:43:40suggère qu'il est le conseiller du roi, mais qu'il y a des accointances avec le pape.
00:43:44Et en quelque sorte, livré au pouvoir grégorien, au pouvoir du pape,
00:43:48qui va en paix pouvoir installer ses évêques à la tête des cités.
00:43:54Isolé, sujet ne peut pas lutter pour défendre les prérogatives du roi.
00:44:01D'autant que la folie des grandeurs de l'abbé pour bâtir sa basilique
00:44:04d'une splendeur inégalée à Saint-Denis est de plus en plus contestée,
00:44:09notamment par Bernard de Clairvaux.
00:44:11En position de force, ce dernier ne se prive pas de placer tous ses fidèles
00:44:15dans les palais épiscopaux du royaume.
00:44:18En quelques mois, il se bâtit un réseau d'influence tentaculaire.
00:44:26Il faut se rappeler que l'épiscopos, c'est-à-dire en grec le surveillant,
00:44:30c'est un héritage de l'Antiquité grecque puis romaine.
00:44:33C'était en quelque sorte un super préfet et c'est ce que devient l'évêque.
00:44:37Bien sûr, il a la charge spirituelle chrétienne,
00:44:39mais il est avant tout le préfet, celui qui surveille.
00:44:42Il devient tout simplement le chef politique de la ville
00:44:45au cours de cette deuxième prophèse.
00:44:48Il est loin le temps où des évêques comme Gaudry et Alain
00:44:51devaient composer avec le roi de France.
00:44:54Désormais, ces nouveaux chefs n'obéissent plus qu'à eux-mêmes et au pape.
00:44:59Ils recrutent des agents dans toutes les villes,
00:45:01des hommes chargés de prélever l'impôt, surveiller la population
00:45:05et faire régner l'ordre.
00:45:07Symbole de leur toute-puissance, la cathédrale qui domine la cité.
00:45:12Au XIIe siècle, l'évêque, c'est un grand seigneur,
00:45:14un grand seigneur spirituel, un grand seigneur temporel.
00:45:17Et donc, il en va de son prestige que d'avoir une église à sa mesure.
00:45:23L'état d'esprit d'un évêque qui parvient dans une nouvelle cité,
00:45:26eh bien, il est assez simple à comprendre.
00:45:28Il lui faut gagner fortune et pouvoir, l'une dépendant de l'autre.
00:45:32Dans le même temps, c'est un homme politique,
00:45:33un homme qui doit signaler sa puissance et le symbole monumental,
00:45:38le signe sera évidemment la cathédrale.
00:45:42Partout dans le royaume de France,
00:45:44ces nouveaux évêques veulent ériger des églises plus hautes
00:45:47et plus belles encore que celles qui existent.
00:45:50Paradoxalement, ces chefs-d'œuvre n'auraient peut-être jamais vu le jour
00:45:54sans l'affaiblissement du pouvoir royal provoqué par Louis VII.
00:45:58Incontestablement, on observe, dans un espace assez réduit,
00:46:01du nord notamment du royaume de France, mais un peu plus loin aussi,
00:46:05on observe la floraison de toute une série d'églises
00:46:08avec une véritable émulation entre les cités,
00:46:11chacun voulant avoir l'église la plus moderne
00:46:15et éventuellement la plus haute aussi.
00:46:29Pour cela, les caisses des évêchés
00:46:31doivent impérativement être alimentées en continu.
00:46:34Mais les dons des habitants et les impôts prélevés par le clergé
00:46:37ne suffisent pas.
00:46:40Heureusement, l'église a une solution toute trouvée, les reliques.
00:46:45Entre le XIe et le XIIIe siècles, elles vont jouer un rôle primordial
00:46:50pour financer les projets de cathédrales les plus ambitieux.
00:46:53Une relique, c'est un objet qui a été en contact avec un sein
00:46:57ou bien un fragment du corps du sein.
00:46:59Et du coup, on va vénérer un os, un tibia, un crâne, une phalange
00:47:04qui vient d'un corps sain ou un vêtement qui a été en contact avec lui.
00:47:09Pour voir ou toucher une relique,
00:47:11les hommes et les femmes du Moyen Âge doivent payer.
00:47:15Et ils sont prêts à dépenser sans compter.
00:47:19Peut-être le plus difficile, c'est de voir
00:47:22le plus difficile pour un esprit contemporain relativement au Moyen Âge
00:47:26est-il de comprendre l'importance absolument gigantesque des reliques.
00:47:34Les reliques constituent une manne considérable pour l'église,
00:47:37qui l'a bien compris,
00:47:38et qui va parfois abuser de leur pouvoir de séduction.
00:47:44La relique, on la promène solennellement,
00:47:47on en fait payer chèrement l'accès quand il le faut,
00:47:50mais surtout, malgré tout, on la montre à tout le monde.
00:47:53Du plus vimble ferf jusqu'au roi de France,
00:47:55tout le monde doit voir, voir pour croire.
00:47:59L'église va même s'adonner à de troublantes dérives.
00:48:07L'église a parfaitement compris le pouvoir des reliques.
00:48:09Et il n'est pas interdit de penser qu'elle s'est laissée parfois aller
00:48:14à des pratiques dangereuses, voire interdites.
00:48:21Quelles pratiques ? Et pour quelles raisons ?
00:48:24Pour le comprendre,
00:48:25il faut déjà saisir l'aura des reliques auprès des fidèles.
00:48:30Tout commence par le pouvoir qu'il leur prête.
00:48:34L'évêque va en jouer de façon maximale,
00:48:38au point que pour construire une cathédrale, il faut une relique.
00:48:43Capable d'accomplir des miracles,
00:48:45elle garantirait également une vie meilleure dans l'au-delà.
00:48:48Embrasser une relique, ce n'est pas tant embrasser un objet,
00:48:52qu'embrasser le saint qui est derrière.
00:48:55Lui qui est à côté du trône du Père Céleste.
00:48:59Et donc, espérer profondément que ce saint
00:49:02va vous introduire plus facilement à l'éternité.
00:49:07L'homme du Moyen-Âge a des angoisses.
00:49:09Il est effrayé par la maladie, par la mort, par les guerres.
00:49:14Pour lui, toucher une relique, embrasser une relique,
00:49:18c'est pouvoir accéder à la possibilité d'être sauvé
00:49:23de ces maladies et de l'enfer.
00:49:31On peut imaginer ce que ressent un homme du XIIIe siècle
00:49:36si on n'a pas profondément à l'esprit, au cœur,
00:49:40le fait que sa vie est limitée.
00:49:42Qu'il est déjà en projection sur le delà.
00:49:46Qu'une de ses grandes angoisses et un de ses grands espoirs,
00:49:50c'est que la vie continue,
00:49:53que réellement l'éternité lui tente les bras.
00:49:57Le raisonnement des fidèles est simple.
00:50:00Si un saint peut faire des miracles,
00:50:03un fragment de son corps, de sa tunique
00:50:06ou même un simple objet qu'il utilisait peut le faire aussi.
00:50:08Alors, pour espérer en bénéficier,
00:50:11ils sont prêts à parcourir des centaines de kilomètres
00:50:14et à payer le prix fort.
00:50:17Et de son côté, l'Église fait tout pour satisfaire les pèlerins.
00:50:21On va organiser des cérémonies autour des reliques
00:50:24pour susciter les dons.
00:50:27Dans toutes les églises, on va voir apparaître des reliques
00:50:30qui seront savamment mises en scène, ça va attirer les pèlerins,
00:50:33ça va permettre de pouvoir récolter des dons
00:50:35et de remplir les caisses de l'Église.
00:50:38Ce pouvoir d'attraction est une véritable bénédiction.
00:50:41Et les évêques,
00:50:44quand ils projettent de construire une cathédrale,
00:50:47savent qu'ils ont la solution pour financer les chantiers.
00:50:50Pour les évêques, bâtisseurs de cathédrales,
00:50:53ces reliques sont une aubaine.
00:50:56Elles permettent de récolter un maximum d'argent
00:50:59pour la construction de l'édifice.
00:51:02Encore faut-il avoir la bonne relique.
00:51:05Ou plus exactement, celle qui fera venir le plus de monde.
00:51:08Car les reliques feraient l'objet d'une cotation officieuse
00:51:11selon la renommée du saint dont elles proviennent.
00:51:14Plus on approche du Christ, plus elles ont de valeur.
00:51:21Tout le monde a entendu parler naturellement du sassueur,
00:51:24puisque c'est le lâche qui entourait le corps du Christ au tombeau.
00:51:32Mais il en existe d'autres.
00:51:35Il y a la croix, des morceaux de la croix du Christ.
00:51:38Il y a la couronne d'épines du Christ.
00:51:41Il y a le linge de Véronique qui a été appliqué sur le visage de Jésus.
00:51:47Les reliques que les croisés ont rapportées
00:51:50de leur première expédition en Terre sainte, par exemple,
00:51:53sont particulièrement recherchées.
00:51:56C'est le cas notamment des reliques de la cathédrale d'Amiens.
00:51:59L'histoire de ces reliques est oréolée de gloire
00:52:02au travers des légendes qui peuvent être narrées
00:52:05quant à leur invention, puisque lorsqu'on découvre une relique,
00:52:08on parle de l'invention d'une relique.
00:52:11Et à Amiens, nous disposons de deux reliques
00:52:14que l'on appelle la couronne et la croix du paraclet,
00:52:17qui présentent notamment des morceaux de la vraie croix
00:52:20et de la couronne d'épines.
00:52:29Mais, curieusement, au Moyen-Âge,
00:52:32plus les projets de nouvelles cathédrales
00:52:35ou d'églises monumentales se multiplient,
00:52:38plus les reliques foisonnent pour les financer.
00:52:41Au point que certains commencent à se poser des questions
00:52:44sur leurs prétendues saintes origines.
00:52:50On n'a en fait aucune preuve de l'authenticité de ces reliques.
00:52:53Les reliques ont évidemment suffisamment d'histoires
00:52:55de l'authenticité de ces reliques.
00:52:58Les reliques ont évidemment suscité beaucoup d'adulation au Moyen-Âge,
00:53:01mais aussi pas mal de questions.
00:53:04Les reliques affluent partout, on ne sait souvent pas d'où elles viennent.
00:53:07Théoriquement, il est strictement interdit
00:53:10de déterrer le corps d'une personne canonisée
00:53:13pour se servir sur sa dépouille.
00:53:16Mais à Rome, les papes sont les premiers à enfreindre la règle
00:53:19pour alimenter le marché selon les besoins.
00:53:22Chaque église, à l'époque, veut sa relique.
00:53:25Donc il y aura le tibia, la tête, le cœur,
00:53:28un morceau de vêtement, et on va mettre en pièce
00:53:31le corps des saints ou prétendus saints.
00:53:37Ce trafic a commencé dès le IXe siècle
00:53:40et n'a cessé de se développer par la suite.
00:53:44À Rome, on ne compte plus les évêques ou les abbés
00:53:47qui pillent les catacombes pour se procurer les précieux restes,
00:53:50soit en les achetant, soit en les volant purement et simplement.
00:53:55Au XIIe siècle, le phénomène a pris une telle ampleur
00:53:58que certains esprits perspicaces se posent ouvertement des questions
00:54:01sur l'origine des reliques présentées en France et en Allemagne.
00:54:04Le plus célèbre d'entre eux est lui-même un homme d'église,
00:54:07Guybert de Nogent.
00:54:12Guybert de Nogent est un des premiers à s'interroger sur les reliques
00:54:15et à proposer une véritable enquête
00:54:18pour savoir si elles sont ou non historiquement authentiques.
00:54:21Il est interrogé, il est sollicité par le fait
00:54:23qu'on se prévaut de reliques
00:54:26dont l'origine lui semble extrêmement douteuse
00:54:29quand elle n'est pas parfaitement malhonnête.
00:54:32Au début des années 1100,
00:54:35en l'espace de quelques enquêtes retentissantes,
00:54:38Guybert de Nogent s'impose comme un spécialiste incontesté.
00:54:43Et tout est parti d'une minuscule relique exposée près de Soissons.
00:54:48Ce qui lui a mis la puce à l'oreille,
00:54:50c'est le voisinage de l'abbaye de Saint-Médard
00:54:53qui se flatte de posséder une dent du Christ
00:54:56sans en expliquer l'origine et sans pouvoir en justifier l'existence.
00:55:01En réalité, cette première énigme ne lui prend que très peu de temps.
00:55:05Pour un enquêteur de sa trempe, la tromperie est évidente.
00:55:09Il faisait très justement observer que, par exemple,
00:55:12le Christ, quand il est mort, n'avait pas du tout,
00:55:15au juste et contemporain, valeur divine,
00:55:17tout à fait exclu qu'on ait pu conserver son corps.
00:55:20Donc la dent que gardaient les abbés de Saint-Médard
00:55:23qui s'en flattaient pour faire venir des gens
00:55:26était tout simplement une dent, peut-être même pas d'homme.
00:55:29On a eu comme cela des exemples de reliques
00:55:32qui se sont révélées être des ossements d'animaux.
00:55:35Il y avait une gigantesque escroquerie.
00:55:38Le scandale est énorme et il est bientôt suivi
00:55:41d'une autre affaire encore plus embarrassante pour l'Église.
00:55:44Guybert de Nogent découvre également que certains saints sont suspects.
00:55:47L'abbé Piron.
00:55:50Le saint homme serait soi-disant mort en martyr.
00:55:53Mais personne ne se rappelle comment précisément.
00:55:56Et pour cause.
00:56:00Guybert de Nogent va découvrir que l'abbé Piron
00:56:03est en fait mort en tombant dans un puits
00:56:06et qui poussait, ivre.
00:56:09Il va alors s'exclamer, mais quel est ce saint
00:56:12que vous croyez vertueux et qui en fait est un ivrogne ?
00:56:14Et là, il va dire, mais ces gens que vous croyez ça ne le sont pas.
00:56:17C'est vrai que c'est assez amusant d'imaginer
00:56:20que des milliers de fidèles viennent se recueillir sur sa tombe
00:56:23en imaginant que c'est un saint martyr.
00:56:26Et Guybert de Nogent n'est pas au bout de ses surprises.
00:56:29Quelques temps plus tard,
00:56:32il réalise qu'une même relique est présentée simultanément
00:56:35à plusieurs endroits.
00:56:38Guybert de Nogent, dans son enquête,
00:56:41conclut qu'au Moyen-Âge, ce ne sont pas moins
00:56:44d'une centaine de saints baptistes qui sont vénérés.
00:56:47Amiens dispose d'une de ces reliques.
00:56:50On nous pose souvent la question
00:56:53qui est-elle authentique ?
00:56:56Il faut savoir qu'aujourd'hui, dans le monde,
00:56:59trois reliques du chef de saint Jean-Baptiste existent encore.
00:57:02L'une se trouvant à la Grande Mosquée des Omeyades à Damas
00:57:05et une autre à l'île de Saint-Yvan en Bulgarie,
00:57:08découverte en 2010 suite à des fouilles archéologiques.
00:57:11La question reste donc entière
00:57:15La découverte de Guybert de Nogent
00:57:18laisse entendre finalement que
00:57:21toutes ces affaires de vénération de reliques
00:57:24sont une véritable escroquerie.
00:57:27Des accusations évidemment très graves pour l'Église.
00:57:30Mais Guybert de Nogent est si réputé
00:57:33qu'il est intouchable, impossible de le faire taire.
00:57:36Ses découvertes représentent pourtant
00:57:39une menace directe pour les cathédrales en chantier.
00:57:41Si les fidèles perdaient la foi,
00:57:44les pèlerinages cesseraient et les caisses se videraient.
00:57:47Heureusement pour les évêques,
00:57:50cette accumulation de scandales autour des reliques
00:57:53n'aura paradoxalement aucun effet sur les processions.
00:57:56Si on prend l'exemple de la relique de la Sainte Face
00:57:59de Saint Jean-Baptiste à la cathédrale d'Amiens,
00:58:02la peau du visage de Saint Jean-Baptiste,
00:58:05pour les habitants d'Amiens au XIIIe siècle,
00:58:08l'essentiel c'est que cette relique soit efficace,
00:58:11soit un miracle, et que quand on la vénère,
00:58:14on puisse être exaucé dans ses prières.
00:58:17La question de savoir si c'est la vraie ou pas la vraie,
00:58:20elle ne se pose pas dans les mêmes termes qu'aujourd'hui.
00:58:23Même la découverte de plusieurs saints suaires,
00:58:26la relique la plus vénérée de toute la chrétienté,
00:58:29n'y changera rien.
00:58:32Le saint suaire est pourtant le linge traditionnel
00:58:35qui enveloppait le Christ dans sa tombe.
00:58:38Comme Guybert de Nogent ne manque pas de le relever,
00:58:41on a un cadouin, on a un saint suaire à Besançon,
00:58:44on a un saint suaire qui apparaît dans le cours du Moyen-Âge,
00:58:47en Savoie.
00:58:50Cette multiplication des saints suaires ne pose aucun problème,
00:58:53parce que ce qui compte pour l'Église,
00:58:56c'est qu'il y ait une dévotion authentique au Christ
00:58:59dans tous les endroits où on présente ce type de relique.
00:59:02La foi est aveugle, la foi a besoin d'un signe.
00:59:05Même si ce cheveu n'est pas de la Vierge,
00:59:08il suffit que je pense qu'il est de la Vierge, et je crois.
00:59:11Je crois qu'il est de la contingence.
00:59:14Il ne s'agit pas de prouver scientifiquement
00:59:17qu'il s'agit bien d'un morceau du corps de la personne.
00:59:20Il s'agit d'avoir un objet qui, spirituellement, soit efficace.
00:59:23Et cela, Guybert ne le conteste pas.
00:59:26Guybert pense que la foi, évidemment, transcende tout cela.
00:59:29Ce qu'il dénonce, c'est le pur matérialisme mercantile des moines
00:59:32qui, dit-il, eux qui savent que le cheveu n'est pas de la Vierge,
00:59:35alors sont blasphématoires.
00:59:38Un temps déstabilisé par les enquêtes de Guybert de Nogent.
00:59:41Les évêques bâtisseurs sont vite rassurés
00:59:44par cette crédulité généralisée.
00:59:47Certains hommes d'église commettent même les pires forfaits,
00:59:50encouragés par l'approbation silencieuse des pèlerins.
00:59:54Un très bon exemple est donné par Sainte-Foy-de-Conques,
00:59:57une petite fille de 13 à 15 ans qui a été martyrisée.
01:00:00Son crâne a été récupéré par l'église Sainte-Foy-d'Agin,
01:00:03et un abbé de Conques se flatte, se vante
01:00:06d'être allé la voler et de l'avoir rapporté à l'abbaye de Conques,
01:00:08qui devient un important centre de pèlerinage.
01:00:11La relique reste investie d'un pouvoir très fort,
01:00:14d'un pouvoir magique.
01:00:17Et quels que soient les avertissements de Guybert de Nogent,
01:00:20le fidèle va continuer à attribuer à la relique
01:00:23un pouvoir surnaturel.
01:00:26Un pouvoir surnaturel qui parfois dépasse l'entendement,
01:00:29comme à Chartres par exemple.
01:00:38Ici, la relique majeure, c'est bien sûr le voile de la Vierge.
01:00:41Ce tissu qu'aurait porté Marie sur elle
01:00:44au moment de la naissance de Jésus.
01:00:47Imaginez ce qu'elle représente pour ces pèlerins,
01:00:50qui viennent donc et offrent aussi quelque part,
01:00:53quelque chose de leur patrimoine.
01:00:57Le voile de la Vierge aurait permis
01:01:00l'accomplissement de nombreux miracles attestés par l'église.
01:01:03Mais en se replongeant dans l'histoire de cette relique,
01:01:05on peut découvrir que certains évêques peu scrupuleux
01:01:08étaient vraiment prêts à tout pour trouver de l'argent.
01:01:14Nous sommes en 1194.
01:01:17Comme ses pères avant lui,
01:01:20l'évêque Renaud de Barres veut une nouvelle cathédrale
01:01:23plus spacieuse, plus lumineuse et plus somptueuse
01:01:26que celle qui accueille alors le fameux voile.
01:01:29Son nouveau projet est si dispendieux
01:01:32que les habitants de la ville rechignent à le financer.
01:01:35C'est alors qu'un curieux incendie ravage
01:01:38complètement l'ancien édifice trois jours durant.
01:01:41L'incendie qui touche fin juin 1194,
01:01:44cette vieille cathédrale romane
01:01:47construite aux alentours de l'an 1000
01:01:50est un événement considérable.
01:01:53Tout l'Europe est au courant.
01:01:56Ce n'est pas la première fois qu'une cathédrale romane
01:01:59prend feu au moment où son évêque rêve justement
01:02:02de la remplacer par un nouveau monument gothique.
01:02:05Si l'Europe entière est au courant,
01:02:08c'est parce que le voile de la Vierge et les moines
01:02:11qui le protégeaient ont disparu dans le sinistre.
01:02:14Perdre une relique aussi importante,
01:02:17c'est une véritable catastrophe au Moyen-Âge.
01:02:20On perd la protection divine pour toute la ville.
01:02:23La première chose à faire est naturellement
01:02:26d'inspecter minutieusement toutes les ruines.
01:02:29Et quand au bout de trois jours,
01:02:32les flammes sont éteintes et qu'on vient
01:02:35de voir ce qu'il en est du sinistre,
01:02:38on constate d'abord que la vieille crypte,
01:02:41ce long parcours souterrain a été conservé.
01:02:47Après des fouilles minutieuses,
01:02:50aucun corps, même calciné, n'est retrouvé.
01:02:53Les moines qui surveillaient la relique
01:02:56auraient-ils survécu ? L'espoir en est.
01:02:59Ils ont peut-être pu sauver des flammes
01:03:02le voile de la Vierge. D'autant que
01:03:05les moines n'ont pas pu les combattre.
01:03:08Alors qu'on croit cette relique perdue,
01:03:11voilà que trois chanoines ont eu le temps
01:03:14de descendre par cet escalier et d'arriver ici,
01:03:17dans la crypte, et de se cacher.
01:03:20Et trois jours après, ils refont surface.
01:03:23En fait, ils s'étaient mis à l'abri ici,
01:03:26avec la relique. Vous imaginez bien
01:03:29que pour le peuple, si ces moines ont été sauvés,
01:03:32c'est grâce au voile de la Vierge.
01:03:35Un message divin qui se répand comme une traînée
01:03:38de poudre un peu partout en Europe.
01:03:41Grâce à cette publicité providentielle,
01:03:44les pèlerins affluent pour toucher la sainte relique
01:03:47sauvée des flammes, et s'acquittent ainsi du nobel.
01:03:50Pour l'évêque Renaud de Barres, c'est une aubaine.
01:03:53Il gagne sur tous les tableaux.
01:03:56Le voile de la Vierge, qui vient de produire
01:03:59un miracle que personne ne conteste,
01:04:02va lui permettre de pouvoir récolter les fonds
01:04:05et construire la cathédrale de ses rêves.
01:04:09Étonnamment, à l'époque,
01:04:12personne ne doute de la réalité de ce miracle.
01:04:15On aurait pourtant pu opter pour des explications
01:04:18plus rationnelles, voire plus machiavéliques.
01:04:21Et si les trois moines s'étaient enfuis
01:04:24pour ensuite aller se dissimuler dans la crypte
01:04:27et réapparaître après les ravages
01:04:30avec la sainte relique ?
01:04:36Une hypothèse pas totalement absurde
01:04:39si l'on en juge par la suite des événements.
01:04:45Dans la journée suivante,
01:04:48on décide de reconstruire.
01:04:51Alors bien sûr, il y a la foi.
01:04:54Bien sûr, il y a cette capacité à surmonter l'adversité
01:04:57parce qu'on a gardé l'essentiel, qui est la relique.
01:05:00Il reste que la vitesse de réaction
01:05:02est absolument stupéfiante.
01:05:05Elle laisse entendre que des choses sont déjà préparées,
01:05:08qu'une partie du financement est là,
01:05:11qu'on sait déjà aussi
01:05:14quelle cathédrale on va bâtir.
01:05:19Il est impensable que Renaud de Barre ait pu
01:05:22initier un chantier comme ça en une journée.
01:05:25A l'évidence, on a affaire à quelque chose
01:05:28qui était prémédité et à un incendie
01:05:30qui était préparé d'avance.
01:05:32Un coup monté.
01:05:35Autrement dit, Renaud de Barre avait probablement
01:05:38tout planifié depuis longtemps,
01:05:41jusqu'au pseudo-miracle de la réapparition du voile de la Vierge.
01:05:45Et de surcroît, il a vu juste.
01:05:48Après le sinistre, les pèlerins affluent plus nombreux que jamais
01:05:51et les caisses de l'évêché débordent.
01:05:55Renaud de Barre peut non seulement s'offrir l'une des plus belles
01:05:57et plus chères cathédrales de la chrétienté,
01:06:00mais il peut surtout la construire en un temps record.
01:06:05Nous avons des témoignages historiques.
01:06:08Du fait que dès 1220, les prêtres de la cathédrale
01:06:11sont sous les voûtes du chœur achevé,
01:06:14le gros œuvre serait terminé.
01:06:17Environ 25 ans de travaux, ce qui est un rythme fulgurant
01:06:20pour la construction d'une grande cathédrale.
01:06:23Chartres est donc une exception.
01:06:25A Chartres, le machiavélisme de Renaud de Barre
01:06:28a donc été payant.
01:06:31Le pouvoir de la Sainte Relique a produit l'effet désiré.
01:06:34Dans ce contexte, le retour de la croisade menée par Louis VII
01:06:37en Terre Sainte est attendu avec impatience.
01:06:41On espère de nouvelles reliques par dizaines
01:06:44qui devraient financer de nouveaux projets de cathédrales.
01:06:49Malheureusement pour l'Église et le Royaume de France,
01:06:52cette deuxième croisade est un cuisant échec.
01:06:56L'argent qu'on attendait n'est pas là.
01:06:59Donc on revient de croisade non seulement sans trésor,
01:07:02mais on a dilapidé la fortune du Royaume
01:07:05et la fortune de l'Église
01:07:08pour une expédition qui n'a servi à rien.
01:07:11N'ayant plus d'argent, les chantiers des cathédrales sont interrompus
01:07:14et on peut dire que ce retour d'expédition
01:07:17signe le début du déclin des cathédrales.
01:07:26S'il n'y a plus d'argent pour financer de nouveaux projets,
01:07:29de nombreux évêques se retrouvent avec des chantiers en cours à terminer.
01:07:35Pour cela, il n'est pas question de laisser leur grande œuvre inachevée.
01:07:39Il en va de leur prestige.
01:07:42Ils vont donc tout faire pour terminer coûte que coûte leur cathédrale
01:07:45jusqu'à contester ouvertement l'autorité du roi.
01:07:56Nous sommes en 1207 à Auxerre en Bourgogne,
01:07:59à 170 kilomètres au sud-est de Paris.
01:08:03Guillaume de Saignelay est un homme d'Église ambitieux.
01:08:08Guillaume de Saignelay est un excellent exemple
01:08:11de ces hommes qui connaissent une carrière
01:08:14les conduisant finalement au siège épiscopal.
01:08:17La sienne a été très rapide.
01:08:20C'est un homme très doué, il est très taudiacre, archidiacre.
01:08:23Après avoir gravi tous les échelons,
01:08:26cet homme issu d'une famille d'aristocrates
01:08:29vient d'être nommé évêque d'Auxerre.
01:08:33Donc, Guillaume de Saignelay est un homme évidemment
01:08:36dont la grande valeur intellectuelle, morale aussi,
01:08:39et religieuse est très vite reconnue.
01:08:42Le frère de Guillaume, Manassès, n'est pas moins doué.
01:08:48Il deviendra bientôt le roi d'Auxerre.
01:08:51Il deviendra bientôt évêque d'Orléans.
01:08:55La famille de Saignelay constitue donc
01:08:58un cas typique de seigneurs devenus évêques
01:09:01qui jouissent d'un pouvoir considérable dans leur diocèse.
01:09:10En 1207, Guillaume vient de lancer les travaux
01:09:13de sa future cathédrale à Auxerre.
01:09:16Il la souhaite aussi grande et lumineuse que celles
01:09:18identifiées un peu partout dans le royaume de France.
01:09:31C'est alors que le roi Philippe Auguste,
01:09:34qui a succédé à Louis VII, demande aux deux frères Saignelay
01:09:37de l'accompagner en Bretagne pour y assiéger une place forte
01:09:40qui conteste son autorité royale.
01:09:45Un ordre qui n'a rien d'extraordinaire à l'époque.
01:09:48Vassal doit répondre à l'appel du roi et doit payer l'armée.
01:09:51Il n'est vassal que pour cela. Il doit au roi.
01:09:54La guerre.
01:09:57Et c'est le devoir, c'est la fonction d'un noble.
01:10:00S'il ne répond pas à cet appel élémentaire, là il est dépossédé.
01:10:03Les frères Saignelay sont donc à la fois vassaux du roi
01:10:06et membres éminents du clergé.
01:10:12Bien sûr, ce sont les vassaux que Philippe Auguste sollicite.
01:10:15La plupart des évêques sont aussi seigneurs
01:10:18et de ce point de vue-là, ils ont un serment de fidélité au roi.
01:10:21Le devoir du noble, c'est de se battre.
01:10:24De se battre pour le roi.
01:10:27C'est pour ça qu'on l'a fait noble.
01:10:30Il jouit davantage, mais en contrepartie, il doit se battre pour le roi.
01:10:33Les évêques sont tous issus de la noblesse.
01:10:39Respectueux de leur statut d'homme d'église,
01:10:41Philippe Auguste n'attend pas d'eux qu'ils prennent l'épée.
01:10:44Le roi peut fort bien exiger des Saignelay
01:10:47qu'il l'aide à entretenir la guerre.
01:10:50Mais ça ne sera jamais à l'évêque d'aller se battre.
01:10:53Là, les choses sont claires, tu ne tueras point.
01:10:56On est dans un Occident chrétien.
01:10:59Vous ne verrez pas un évêque porter l'épée.
01:11:03La contribution des frères Saignelay sera donc financière.
01:11:12Pour remplir leurs obligations de vassaux,
01:11:15ils devront lever une armée pour le roi.
01:11:19Un investissement considérable
01:11:22qui risque de compromettre la future cathédrale d'Auxerre.
01:11:26Pour les deux frères Saignelay,
01:11:29abandonner Auxerre signifie abandonner le chantier de la cathédrale.
01:11:32Cette nouvelle cathédrale
01:11:35doit être la consécration de l'ascension fulgurante de Guillaume,
01:11:38le symbole de son pouvoir politique et spirituel.
01:11:42L'appel de Philippe Auguste
01:11:45est donc une catastrophe.
01:11:48Mais les deux frères obéissent.
01:11:51Et c'est la mort dans l'âme qu'ils se rendent à Mantes,
01:11:54au point de rendez-vous fixé par le roi.
01:11:58Mais ce dernier a commis une grave erreur.
01:12:01Mais ce jour-là,
01:12:04ce n'est pas Philippe Auguste qui est là,
01:12:07il a délégué des personnes à sa place.
01:12:09C'est Philippe Auguste.
01:12:12On a là un premier cas de rébellion ostensible
01:12:15contre l'autorité royale.
01:12:18Donc les deux frères, mécontents,
01:12:21estimant qu'on leur manque de respect,
01:12:24retournent dans leurs épiscopats respectifs.
01:12:27Les Saignelay bravent clairement l'autorité royale,
01:12:30au mépris d'éventuels représailles.
01:12:33Ce n'est pas parce que vous êtes obligés de faire quelque chose
01:12:36que vous obéissez.
01:12:39Vous êtes obligés de faire des politiques, peu importe.
01:12:42Mais attention, la chose se sait,
01:12:45elle est enregistrée et le roi saura son souvenir.
01:12:48Fureur de Philippe Auguste,
01:12:51qui ne supporte pas cette insubordination,
01:12:54immédiatement il fait confisquer les biens des deux frères,
01:12:57des deux évêques.
01:13:00Mais les Saignelay n'ont pas l'intention de se laisser faire.
01:13:03Un évêque mais aussi un petit seigneur
01:13:06ou même ne serait-ce qu'un bourgeois des villes
01:13:09n'est pas obligé d'obéir aux rois.
01:13:12Tout roi qu'il soit, tout puissant qu'il est,
01:13:15le roi de France ne peut pas tout se permettre,
01:13:18ça c'est une idée reçue.
01:13:21Il y a des coutumes, il y a des lois, il y a des droits,
01:13:24ils doivent être respectés.
01:13:27En l'occurrence, Philippe Auguste a dépassé ses prérogatives.
01:13:30Les Saignelay ripostent et s'emparent à leur tour
01:13:33des terres royales de leur diocèse.
01:13:36Dans la foulée,
01:13:39l'épée de Philippe Auguste.
01:13:47Enfin, les deux évêques exigent
01:13:50que leurs obligations religieuses priment désormais
01:13:53sur leurs obligations féodales.
01:13:56La crise est d'une extrême gravité.
01:13:59Les deux parties en appellent au pape.
01:14:02Sa décision sera lourde de conséquences.
01:14:05Tout le Moyen-Âge n'est qu'en fait
01:14:07qu'une longue succession de luttes
01:14:10entre le pape et les rois,
01:14:13à savoir les rois n'ont jamais voulu que des papes
01:14:16soient supérieurs en autorité,
01:14:19et le pape a toujours voulu s'imposer comme étant
01:14:22le pape de toute la chrétienté,
01:14:25donc merci de bien vouloir tous m'obéir, y compris vous, les rois.
01:14:28La crise couvre. Comment va réagir le roi ?
01:14:31Il faut d'urgence intervenir,
01:14:34on est en 1211,
01:14:37c'est là qu'il traît le conflit.
01:14:40Philippe s'apève, il accepte de rendre leurs biens aux frères,
01:14:43lesquels lui rendent ses biens et sont exemptés de guerre.
01:14:46S'il n'en montre rien,
01:14:49c'est un terrible camouflet pour Philippe Auguste.
01:14:52Le rapport de force qui opposait l'Église
01:14:55à la Couronne de France depuis le début du règne
01:14:58de son père Louis VII a définitivement basculé
01:15:01en faveur de Rome.
01:15:04Pourtant, la papauté doit beaucoup au roi de France.
01:15:08Il n'y aurait pas de papauté sans eux.
01:15:11Donc à chaque fois, le pape, qui n'a pas d'armée,
01:15:14ne peut se maintenir sur son trône pontifical
01:15:17que parce que des rois puissants
01:15:20ont bien voulu qu'il en soit ainsi.
01:15:23Les deux ont besoin l'un de l'autre
01:15:26et ne peuvent pas vivre l'un sans l'autre.
01:15:31Cette fois-ci, Philippe Auguste a cédé.
01:15:34Désormais, les évêques ne participent plus
01:15:37à l'effort de guerre royale.
01:15:40D'une certaine façon, la cathédrale d'Auxerre
01:15:43vient de terrasser l'autorité royale.
01:15:48Tout ça n'empêche pas Guillaume de Saignolet
01:15:51d'être un des grands évêques bâtisseurs
01:15:54du début du XIIIe siècle puisqu'il entreprend
01:15:57la cathédrale d'Auxerre sous sa forme actuelle
01:16:00et donc il manifeste, comme beaucoup de prélates
01:16:03de cette génération, que nous sommes au cœur
01:16:06Si la cathédrale d'Auxerre de Guillaume de Saignolet
01:16:09matérialisera à jamais une terrible défaite politique
01:16:12pour le roi de France, une autre lutte de pouvoir
01:16:15qui s'est jouée au même moment dans une autre cathédrale
01:16:18lui sera plus favorable.
01:16:22Nous sommes le 29 juillet 1209 à Béziers,
01:16:25dans le sud de la France.
01:16:29Berchée sur un promontoire qui domine toute la ville,
01:16:32la cathédrale vient d'être le théâtre
01:16:35de l'un des carnages les plus abominables
01:16:38de toute l'histoire des cathédrales.
01:16:41Ici nous sommes dans le cloître de la cathédrale
01:16:44Saint-Nazaire à Béziers et c'est ici même,
01:16:47dans cette cathédrale, qu'il y a eu un bûcher énorme
01:16:50où des flammes gigantesques sont venues lécher
01:16:53le plafond de la cathédrale.
01:16:56Le feu d'une telle intensité que l'église a éclaté
01:16:59ce qui laisse imaginer ce qu'a pu être l'incendie
01:17:02dans cette église.
01:17:05La cathédrale s'est effondrée.
01:17:09Alors que s'est-il vraiment passé à Béziers
01:17:12ce fameux 29 juillet 1209 ?
01:17:15Qui a ordonné ce massacre ?
01:17:18Et pourquoi avoir osé le perpétrer dans une cathédrale,
01:17:21le lieu le plus sacré de toute la chrétienté ?
01:17:24Enfin, quel a été le rôle du roi de France
01:17:27dans cette tragédie ?
01:17:30Que les représentants du pape aient admis,
01:17:32acceptés et même poussés
01:17:35à ce que de tels crimes soient commis
01:17:38par des chrétiens
01:17:41qui pusaient sur d'autres chrétiens
01:17:44dans une église chrétienne,
01:17:47c'est quelque chose de choquant, d'inimaginable.
01:17:50Voici l'histoire de l'une des pages
01:17:53les plus sombres de toute la chrétienté.
01:17:56Pour la comprendre,
01:17:59il faut remonter deux siècles plus tôt
01:18:02dans le sud de la France.
01:18:06Le catharisme est un mouvement spirituel
01:18:09qui apparaît dans le sud de la France au début du XIe siècle.
01:18:12Mais il a des origines beaucoup plus anciennes en Europe.
01:18:15Ces religieux cathares ont voulu revenir
01:18:18aux sources, aux origines du christianisme.
01:18:21La pauvreté, la simplicité,
01:18:24le prêche parmi les gens
01:18:27pour expliquer ce qu'était la parole du Christ,
01:18:29une religion d'amour, de tolérance,
01:18:32d'ouverture et de respect.
01:18:35Ils se pensent comme la suite des premiers disciples du Christ.
01:18:38Ils ne supportent pas la richesse
01:18:41exécrable et insolente de l'église.
01:18:44Les cathares sont donc
01:18:47une branche dissidente du catholicisme.
01:18:50Deux siècles plus tard,
01:18:53ils continuent de séduire de plus en plus d'adeptes,
01:18:56même si leur nombre reste encore limité.
01:18:59C'est de plus répandu.
01:19:02Peut-être que 7 à 8 % en certains endroits de la population
01:19:05a pu être plus ou moins touché par ce mouvement.
01:19:08Mais au début du XIIIe siècle,
01:19:11ce pourcentage, si faible soit-il,
01:19:14défie ouvertement l'autorité du pape Innocent III,
01:19:17qui vient justement de se faire élire
01:19:20sur la promesse d'éradiquer toutes les formes d'hérésie.
01:19:23Une hérésie,
01:19:26c'est un dogme qui contredit le dogme de l'église catholique.
01:19:29C'est un crime contre Dieu, l'hérésie.
01:19:32C'est bien pire qu'un meurtre.
01:19:35Pour le pape, pour la tête de l'église, c'est inacceptable.
01:19:38Quiconque tente de remettre en cause le dogme
01:19:41se pose en ennemi de l'église.
01:19:44Donc il faut le pourchasser.
01:19:47Et on va décider de liquider cette hérésie
01:19:50parce qu'elle représente une sorte de lèpre
01:19:53qui risque de gagner tout le royaume.
01:19:56Le temps presse.
01:19:59Le pape décide d'envoyer son albi.
01:20:02C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on les surnomme bientôt
01:20:05les albijouas.
01:20:08Après plusieurs tentatives pacifiques sans résultat
01:20:11pour les faire revenir dans le droit chemin,
01:20:14le pape décide de passer à la manière forte.
01:20:17Le nouveau pape, c'est lui
01:20:20qui va avoir cette idée de lancer
01:20:23ce que l'on va appeler la croisade des albijouas.
01:20:26C'est vraiment une vraie croisade avec des chevaliers croisés,
01:20:29du royaume le plus chrétien,
01:20:32puisque la fille est née de l'église, c'est le royaume de France.
01:20:35Pour le roi Philippe Auguste,
01:20:38cet appel du pape à la croisade sur ses propres terres
01:20:41est un vrai problème.
01:20:44Tous les seigneurs, petits ou grands,
01:20:47les rois chrétiens de l'Europe médiévale
01:20:50doivent répondre à l'appel du pape.
01:20:53Et si le pape a besoin d'une armée,
01:20:56les seigneurs, quels qu'ils soient,
01:20:59doivent répondre.
01:21:02Philippe Auguste hésite.
01:21:05Il ne veut pas être le bourreau de ses propres sujets.
01:21:08D'un autre côté,
01:21:11il ne peut pas non plus se mettre à dos le pape.
01:21:14Sommé de prendre une décision,
01:21:17il choisit le compromis.
01:21:20Il dit non, je n'irai pas.
01:21:23Il interdit aux grands seigneurs,
01:21:26et notamment à ses proches parents, d'y participer.
01:21:29Tous les autres barons qu'ils souhaiteront
01:21:32pourront effectivement partir en croisade.
01:21:35Philippe Auguste agit de manière très habile.
01:21:38En envoyant ses vassaux, il manifeste sa présence
01:21:41dans la croisade contre les albigeois,
01:21:44mais en étant absent en tant que personne,
01:21:47il laisse entendre aux gens du Sud
01:21:50que le roi dans cette histoire n'est pas appliqué
01:21:53et qu'il n'est pas contre eux.
01:21:56En cédant au pape,
01:21:59l'exercice du pouvoir au sein de la chrétienté
01:22:02a bientôt des répercussions considérables.
01:22:05Car la ville est l'une des toutes premières
01:22:08qui se dresse sur le chemin des croisés.
01:22:11Le légat du pape
01:22:14décide de mettre Béziers à sac.
01:22:17Parce que Béziers comporte plus de 10 % de cathares,
01:22:20et c'est un peu le foyer de l'infection.
01:22:23L'idée, c'est de faire un exemple qui puisse se propager
01:22:26et éradiquer l'hérésie.
01:22:29En juillet 1209,
01:22:32les croisés se présentent devant les portes de Béziers.
01:22:35Le sort en est jeté.
01:22:3820 000 hommes se précipitent dans la ville
01:22:41et vont massacrer la population.
01:22:44On massacre tout le monde, comme ça les suivants vont bien comprendre
01:22:47de quel bout on se chauffe.
01:22:50Dans les rues de la ville, la panique est totale.
01:22:53Personne ne s'attendait à un tel déferlement de violence.
01:22:56Les assaillants sont déchaînés.
01:22:59Les habitants ne savent plus comment faire pour leur échapper.
01:23:04La population de Béziers, épouvantée,
01:23:07va se réfugier dans l'église de la Madeleine,
01:23:10catholique comme hérétique.
01:23:13C'était vraiment l'endroit où on pouvait se réfugier sans craindre.
01:23:16C'était un lieu de culte, c'était un lieu religieux.
01:23:19C'était l'église qui avait valeur de symbole,
01:23:22là où étaient prêtés tous les sermons, etc.
01:23:25Ils se disent, dans cette église qui est une église catholique,
01:23:28mais les biterrois ont sous-estimé la détermination du pape,
01:23:32fermement décidé à imposer sa théocratie par la force.
01:23:37Placés sous les ordres de son légat,
01:23:40les croisés osent alors l'impensable.
01:23:44Ils vont entrer dans l'église,
01:23:47et ils vont passer tout le monde par le fil de l'épée.
01:23:50Et c'est là qu'on va avoir cette phrase terrible qui est prononcée,
01:23:53« Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ».
01:23:55C'est aussi ici qu'il s'est passé, en Occitan,
01:23:58le Grand Chaplet, ou le Maselle, c'est-à-dire la Grande Boucherie.
01:24:03Ici, il faut s'imaginer, dans cette grande église,
01:24:06les enfants, les femmes, les hommes,
01:24:11massacrés, mais vraiment massacrés.
01:24:15Aucune pitié.
01:24:17Le cri des enfants, le pleur des femmes,
01:24:20le hurlement des hommes, qui résonnait partout,
01:24:24et qui a donc résonné dans tout Béziers.
01:24:30Et le pire est à venir.
01:24:32Ceux qui n'ont pas eu le temps de se réfugier dans l'église de la Madeleine
01:24:36se précipitent jusqu'à la cathédrale Saint-Nazaire, au sommet de l'acropole.
01:24:42Les fuyards en sont persuadés,
01:24:44ce que les croisés ont osé faire à la Madeleine,
01:24:47ils ne le feront pas ici.
01:24:49Car la cathédrale, c'est le saint des saints,
01:24:52l'église de l'évêque,
01:24:54le personnage le plus puissant de la chrétienté après le pape,
01:24:57dont il tient son autorité.
01:25:01Mais une fois encore,
01:25:03ils n'ont pas compris que pour Rome,
01:25:05la lutte contre les hérétiques autorise désormais les pires abominations.
01:25:11Et là, l'expédient sera encore plus épouvantable,
01:25:15on va mettre le feu à la cathédrale.
01:25:16Le brasier est si intense dans la cathédrale de Saint-Nazaire
01:25:20que la toiture, en s'affaissant,
01:25:23va provoquer l'effondrement des murs
01:25:25et que la cathédrale va véritablement s'ouvrir comme une boîte.
01:25:28Finalement, on commence la croisade par
01:25:30brûler vif de bons chrétiens
01:25:33dans une cathédrale
01:25:35sous l'autorité du légat du pape.
01:25:37Une cathédrale !
01:25:39Là où la population chrétienne est venue demander asile,
01:25:43stratégiquement,
01:25:44stratégiquement, c'est déplorable.
01:25:47Donc, on sent tout de suite que la croisade est mal engagée.
01:25:52Les croisés sont allés trop loin.
01:25:54Au lieu de terroriser toutes les populations du sud,
01:25:57l'incendie de la cathédrale de Béziers
01:25:59contribuera au contraire à fédérer la résistance contre l'envahisseur.
01:26:05Alors qu'elle ne devait être qu'un raid éclair de quelques semaines,
01:26:08la croisade des Albigois s'enlise
01:26:11et mettra le pays à feu et à sang pendant plus de 20 ans.
01:26:15Lorsque Philippe Auguste apprend le sac de Béziers,
01:26:19naturellement, il pique une colère épouvantable
01:26:21parce qu'en tant que roi de France,
01:26:23il ne supporte pas qu'on puisse tuer ses sujets,
01:26:25hérétiques ou non, ça reste ses sujets.
01:26:27Mais malgré tout, il laisse faire
01:26:29parce qu'on peut supposer que le sud de la France
01:26:31est encore une région qui est échappée un petit peu au royaume de France.
01:26:34L'affaiblissement des autorités locales
01:26:36lui permet de pouvoir étendre son influence dans la région.
01:26:42Le cynisme de Philippe Auguste
01:26:44se révélera payant.
01:26:46Lorsque son successeur, Louis VIII,
01:26:48se résoudra enfin à se présenter dans le sud
01:26:51quelques années plus tard,
01:26:53les seigneurs locaux ne seront plus en état
01:26:55de lui opposer la moindre résistance.
01:26:58La croisade est spirituelle,
01:27:00mais comme elle s'émut à une véritable guerre de conquête,
01:27:02ça a ravagé une région qui s'achève par
01:27:05le rattachement direct du Languedoc
01:27:08à la couronne de France.
01:27:10Il n'y a plus rien, tout est dévasté.
01:27:11C'est comme un fruit mûr qu'il n'y a plus qu'à cueillir.
01:27:16Quant au pape, il a eu ce qu'il voulait.
01:27:19Son carnage a peut-être fait plusieurs milliers de victimes à Béziers,
01:27:23mais il a surtout inauguré un nouveau règne
01:27:26sans partage de l'Église.
01:27:30Le sac de Béziers est la première manifestation historique
01:27:33concrète du pouvoir politique de l'Église
01:27:36et de sa capacité à agir comme un pouvoir lambda non spirituel.
01:27:42Et bien sûr, c'est une fois de plus,
01:27:44à travers la construction d'une nouvelle cathédrale,
01:27:47que cet air se matérialise.
01:27:51L'effondrement de la cathédrale de Saint-Nazaire
01:27:54est une aubaine pour l'Église,
01:27:56parce qu'elle va pouvoir reconstruire une nouvelle cathédrale,
01:28:00gothique cette fois,
01:28:02qui va être l'expression du pouvoir de l'Église catholique
01:28:06dans cette région-là.
01:28:08Le gothique permet des ouvertures
01:28:10que l'on n'a pas percées,
01:28:12comme on les a percées dans le Nord.
01:28:14Les églises du Nord semblent être des églises de paix,
01:28:16alors que les cathédrales gothiques du Midi
01:28:19ont davantage l'air de cathédrales forteresses, protégées.
01:28:23Mais surtout, elles vont dire aux gens
01:28:25« Attendez, on ressemble aussi à un château,
01:28:27la foi, ça se protège. »
01:28:29C'est une façon de réaffirmer son pouvoir
01:28:31et de dire « Ici, c'est le catholicisme qui règne
01:28:34et qui est maître des lieux. »
01:28:36Les programmes architecturaux de l'époque
01:28:37sont des programmes religieux et politiques.
01:28:41Tout va de pair.
01:28:45Plus que toutes celles qui les ont précédées dans le Nord,
01:28:48les nouvelles cathédrales gothiques de Béziers ou d'Albi dans le Sud
01:28:52sont donc l'expression de la victoire totale
01:28:54du pouvoir spirituel de l'Église
01:28:56sur le pouvoir temporel de la royauté.
01:29:00Une victoire qui conclut plus de 150 années
01:29:03de luttes de pouvoir, de rivalités sournoises
01:29:06et de concurrences inavouées
01:29:08entre les papes et les rois de France.
01:29:11Un siècle et demi d'affrontements publics ou secrets,
01:29:14dont les cathédrales sont devenues bien malgré elles
01:29:17le symbole à coups d'intrigues sordides,
01:29:20de conspirations ignobles et de meurtres crapuleux.
01:29:25Comme en témoignent les 81 splendides vaisseaux
01:29:28de pierre et de verre sortis de terre
01:29:30au cours de l'âge d'or des cathédrales qui s'achèvent,
01:29:32l'Église de Rome ne sera jamais aussi puissante
01:29:35qu'en cette fin de XIIIe siècle.
01:29:40Après avoir séduit les fidèles
01:29:42en leur offrant des palais divins
01:29:44d'une somptuosité inégalable,
01:29:46elle gouvernera désormais leurs âmes
01:29:48en usant de cette nouvelle arme inaugurée à Béziers
01:29:51la terreur.
01:29:54Après le temps de la séduction architecturale
01:29:57viendra celui de la sinistre inquisition.
01:30:01Et à la plus belle page de l'histoire de la chrétienté
01:30:03succédera la plus sombre.
01:30:33Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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