Vendredi 29 septembre 2023, SMART BOURSE reçoit Michel Ruimy (Économiste, SPAK)
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00:00 (Générique)
00:10 Le dernier quart d'heure de Smartbourse, chaque dernier vendredi du mois,
00:13 c'est notre rendez-vous de décryptage économique avec Michel Rumi, économiste associé de SPAC.
00:19 Bonsoir Michel. - Bonsoir Grégoire.
00:21 - Merci beaucoup d'être avec nous. Rendez-vous de rentrée avec vous sur un sujet qui me paraît fondamental.
00:28 - Comment prévoit-on l'inflation ?
00:30 (Rires)
00:32 - Et ça c'est... Non mais c'est un vrai sujet. C'est-à-dire comment on construit une prévision d'inflation ?
00:37 On pourra revenir pourquoi tout le monde s'est trompé, etc.
00:40 Mais bon, il y a beaucoup de choses qui sont difficiles à prévoir.
00:43 La prévision de la conjoncture en général est difficile. Et là, on ne parle pas de la croissance.
00:49 On parle vraiment spécifiquement de l'inflation.
00:52 J'ai l'impression que c'est peut-être encore plus dur que la prévision de croissance, la prévision d'inflation.
00:56 Ça a été votre métier en partie. En tout cas, vous avez travaillé sur ce genre de prévision, Michel.
01:02 - Oui, tout à fait. Alors, première des choses qu'il faut savoir, c'est que les projections d'inflation sont faites par des prévisionnistes.
01:07 Et non pas par, on va dire, le commun des mortels. On va dire ça comme ça. Ce sont des experts, au priori.
01:13 Et donc, on va utiliser une palette d'outils dont notamment un modèle d'analyse de projection d'inflation.
01:20 Alors, ce qui est important, c'est de construire un modèle qui soit robuste et cohérent.
01:24 Qu'est-ce que ça veut dire ? Robuste, ça veut dire qu'on va s'appuyer sur des relations théoriques.
01:29 On va dire robuste, c'est le lien entre salaire et les services. D'accord ? Première des choses.
01:34 Et cohérent, c'est qu'on ne va pas lier le pétrole, par exemple, avec le prix des services. Du moins, ce n'est pas si évident que ça.
01:40 Et donc, ce modèle va, dans un premier temps, prévoir, à l'horizon d'un an, en fait, l'évolution des prix de 4 grands, on va dire, agrégats.
01:52 L'alimentation, les besoins industriels, l'énergie et les services. Ce modèle, en fait, il s'appuie sur une certaine régularité historique.
02:01 Donc, c'est pas mal. Mais ce n'est pas tout. Parce qu'en fait, il faut tenir compte de, on va dire, l'économie, la spécificité de l'économie.
02:10 Et pour cela, on va s'appuyer sur ce qu'on appelle des jugements d'experts. Ça veut dire quoi ?
02:14 C'est que, d'une certaine manière, on va tenir compte des événements de la vie réelle, d'une certaine manière.
02:20 Et donc, par exemple, on va tenir compte des chocs qui ont été un peu spécifiques d'une période.
02:26 Par exemple, les problèmes d'approvisionnement à la suite de la crise du Covid ou, par exemple, des politiques économiques mises en place pour, on va dire, palier ces difficultés.
02:35 Et donc, c'est par exemple le bouclier tarifaire énergétique. Et donc, tout cela fait qu'on va y arriver.
02:41 Et on fait des prévisions. Alors, soit on est optimiste, subjectif. Parce que ça aussi, il y a aussi un phénomène là-dessus.
02:46 Puis, on va arriver à un scénario et on va essayer de faire le plus vraisemblable possible. Bien sûr, il est révisable.
02:52 La période... Alors, ça restera peut-être dans les livres d'histoire comme la période moderne, en tout cas, où les erreurs de prévision d'inflation ont été les plus massives.
03:03 Bon, souvent, on les met sur le dos des banques centrales. Tout le monde fait des prévisions d'inflation.
03:08 Tous les économistes de banque, tous les économistes de marché. Bref. Alors, c'est toujours facile de faire du backtrading, de dire "Non, mais moi, je le savais".
03:16 En septembre 2021, je savais que l'inflation serait à plus de 10% en zone euro un an et demi plus tard. Bien sûr.
03:23 Ça reste quand même intéressant de s'interroger sur l'ampleur des erreurs qui ont pu être commises dans les prévisions, avec des chocs exogènes, effectivement,
03:35 dont les conséquences ont été très compliquées à anticiper, à imaginer.
03:39 Tout à fait. C'est qu'en fait, avec la crise du Covid, on a eu un choc désinflationnaire, c'est-à-dire un ralentissement de la croissance.
03:47 Et comme on avait prévu sur, on va dire, une plus longue période, on a eu, on va dire, une erreur entre les deux.
03:54 À la sortie de la crise du Covid et en même temps avec la crise de l'Ukraine, au contraire, on n'a pas vu la flambée des prix.
04:01 Donc l'inflation était très basse. Donc c'est vrai que l'erreur. Mais ce qui est très important dans l'exercice de la prévision, c'est de se dire où et pourquoi on a fait les erreurs.
04:10 Bien sûr. Et c'est ça qui est très important parce qu'on va essayer à chaque fois d'améliorer le diagnostic des experts.
04:15 Bien sûr. Et bien sûr du modèle. Mais c'est ça qui est très important. On apprendra de cette période. Vous dites les experts, les prévisionnistes d'inflation vont avoir beaucoup d'apprentissage à tirer de cette période.
04:25 Tout à fait. Et on prend d'autres nouveaux éléments pour être le plus précis possible, on va dire.
04:30 Si je reviens à la prévision même d'inflation, on fait une prévision sur un horizon de temps.
04:37 Tout à fait.
04:38 Donc il faut déjà calibrer son horizon de temps. Ce n'est pas la même chose de faire une prévision de moyen long terme ou de court terme.
04:46 Court terme, c'est quoi pour un prévisionniste en matière d'inflation ?
04:50 C'est 3 mois. En fait, ce qu'il faut dire, c'est qu'on ne court pas de la même manière un 100 mètres qu'un marathon.
04:57 Donc ce qui fait que c'est pareil. En fait, on a un court terme qui va se situer aux alentours de 3 mois.
05:02 Et du coup, on va faire des projections d'inflation sur une vingtaine de produits.
05:07 Ça passe par les fruits, par les transports ferroviaires ou aériens, éventuellement les carburants.
05:13 Et comment fait-on ça ? Donc première des choses, comme c'est relativement à court terme, on va beaucoup s'appuyer sur la documentation existante.
05:22 Ça veut dire qu'on va avoir les documents budgétaires, les revues professionnelles.
05:29 Puis en même temps, à partir de là, on va avoir pas mal de choses, d'informations.
05:34 Et on va essayer de transformer. Par exemple, on s'est aperçu des aléas climatiques.
05:38 Et donc, qu'est-ce qu'il faut voir ? C'est des aléas climatiques et leur évolution.
05:43 Par exemple, on a eu 7 ans de El Niño qui a modéré les températures.
05:49 Et là, on risque de rentrer dans El Niño qui va augmenter les températures.
05:52 Donc ça va changer les conditions de l'exercice et donc les prévisions.
05:56 Il y a aussi les révisions de tarifs publics, des taxes, etc.
05:59 Et puis également des négociations entre les producteurs et les distributeurs, par exemple, comme dans l'agro-alimentaire.
06:04 Et donc ça, ça permet déjà d'avoir une première impression.
06:08 Mais en même temps, il faut tenir compte aussi de la saisonnalité.
06:11 Par exemple, on s'aperçoit que dans le transport, notamment aérien,
06:15 les prix sont plus élevés en été ou pendant les fêtes de fin d'année.
06:19 Et donc, c'est une certaine saisonnalité.
06:22 Et donc, du coup, on s'aperçoit qu'il faut aussi tenir compte de l'évolution du prix du pétrole et des carburants
06:26 pour justement ajuster ces prévisions-là.
06:30 Et c'est ça qui est important de bien voir, qu'en fait, il y a beaucoup d'analyse, on va dire, technique, c'est-à-dire le modèle,
06:38 mais qui est souvent aussi bien réajustée par le sentiment.
06:42 Oui, on a beaucoup de statistiques corrigées des variations saisonnières.
06:45 C'est toujours le CVS qu'on met après différentes statistiques.
06:49 Quand on veut réaliser une prévision d'inflation sur du plus long terme, alors on parle quoi ? D'un an ?
06:56 Un an, c'est long déjà pour essayer d'anticiper l'inflation dans un an.
07:00 Tout le monde se casse les dents en ce moment. C'est déjà un horizon de long terme.
07:03 Tout à fait. En fait, l'idée, ce qu'il faut bien voir, c'est qu'un économiste prévisionniste va donner la tendance.
07:08 On ne peut pas... C'est un coup de bol.
07:10 Au point près, à la virgule près.
07:12 Non, mais ça, il faut le mettre parce qu'il faut bien rendre une copie.
07:14 Mais c'est la tendance qui compte.
07:16 Voilà, exactement. Et donc, pour cela, on va s'intéresser à peu près à une douzaine de gros agrégats,
07:23 notamment les produits manufacturés ou les services.
07:27 Donc ça, déjà, on va avoir une première des choses.
07:29 Et puis, on va s'appuyer, par contre, sur justement ce modèle.
07:32 Ce modèle qui a une certaine régularité historique, etc.
07:36 Mais ça va donner, on va dire, le ciment, en fait.
07:40 Mais à côté de cela, au-delà des aspects, on va dire, d'autres informations,
07:44 on va tenir compte du commerce international.
07:46 Et notamment, les anticipations des matières premières, du prix des matières premières,
07:50 des produits énergétiques, de l'alimentaire.
07:53 Et là, on va remodeler, sachant que, de toute façon, on va essayer de donner une tendance, on va dire, à un an.
08:00 Mais on va remodeler toutes les prévisions tous les trois mois.
08:03 De manière qu'on essaye d'ajuster un peu.
08:06 Faire en mesure.
08:07 Faire en mesure, parce que c'est compliqué.
08:09 Personne n'a prévu la guerre en Ukraine et donc les conséquences.
08:12 L'IA va renforcer considérablement les modèles de prévision d'inflation et les modèles statistiques en général ?
08:18 Oui, il ne faut pas rater.
08:21 On va dire, l'IA, ça va accompagner aujourd'hui le monde, on va dire, en général.
08:26 D'autant plus qu'on s'est trompé dans cette période-là.
08:30 On peut se tromper avec l'IA aussi.
08:32 Oui, oui.
08:33 Ce que je comprends à ce stade de ma petite lucarde,
08:35 je comprends qu'on peut mettre les mauvaises données dans un modèle
08:39 et ressortir des mauvais résultats sur la base des mauvaises données.
08:42 Non, non, non.
08:43 L'idée, c'est que ça va, on est en phase, on va dire, de production, d'amélioration.
08:48 En fait, on teste, on ne pourra jamais dire, tiens, l'IA donné, on est tranquille.
08:52 On teste les modèles et l'idée, c'est notamment de voir qu'au Canada,
08:58 on a déjà essayé de tester certains modèles.
09:01 Et alors, cette particulière idée, c'est qu'ils se sont appuyés sur les données américaines
09:04 parce que les États-Unis collectent tout et donc il y avait une grande profondeur de données.
09:10 Et donc, ces modèles IA s'appuient très peu sur la théorie.
09:15 Donc, ils donnent beaucoup, on va dire, à l'empirique, en fait.
09:19 Et ça permet de discerner concrètement plusieurs choses, notamment,
09:23 c'est les pressions à la hausse, si elles sont transitoires ou, on va dire, plus long terme,
09:29 ou d'extraire les attentes inflationnistes de la population,
09:32 puis éventuellement les écarts entre la demande et la production,
09:35 qui sont des données essentielles pour la politique monétaire.
09:38 Et donc, tout cela, en fait, ils permettent de prévoir,
09:41 mais aussi de comprendre les causes de l'inflation.
09:44 Et c'est ça qui permet en même temps d'essayer de voir comment ça fonctionne.
09:48 Et le modèle canadien dont j'ai en tête, en fait, lui, par exemple,
09:51 n'a pas à bien cerner, on va dire, l'inflation de 2021,
09:55 parce qu'il a dit que c'est en fait un écart entre la demande et l'offre,
09:59 alors que tout le monde faisait autre chose.
10:01 Mais le grand problème, c'est comme tout IA, c'est assez opaque,
10:05 et on ne connaît pas ce qu'il y a dans le moteur.
10:07 - On ne comprend pas pourquoi il sort ça.
10:09 - Voilà. La grande difficulté, c'est qu'après, on arrive à se dire,
10:12 le jugement d'expert qu'on remet en cause, en fait,
10:15 est parfois difficile à saisir.
10:17 - Votre jugement d'expert, Michel, c'est quoi la bonne inflation ?
10:21 Le bon niveau d'inflation, c'est quoi ?
10:23 - En fait, je ne sais pas tant. L'inflation, il faut qu'elle soit modérée et stable.
10:26 En fait, il faut qu'il y ait un niveau d'élévation de prix
10:29 qui ne perturbe pas l'économie, grandement l'économie.
10:32 Et donc, si je sais qu'il y a une inflation, mais qui est modérée et stable,
10:36 les chefs d'entreprise et même les ménages,
10:38 tout le monde peut faire des anticipations ou des prévisions
10:41 avec une certaine confiance.
10:43 Par exemple, le chef d'entreprise peut très bien anticiper ses coûts futurs.
10:47 Du coup, faire ses investissements, embaucher,
10:50 il y aura de la consommation et donc, finalement, de la croissance.
10:53 Donc, aujourd'hui, avec les révisions des politiques monétaires,
10:57 on avait dit 2 %, ces études nous avaient dit 2 %.
11:00 Aujourd'hui, peut-être, c'est peut-être 3.
11:02 La question qui se pose, c'est qu'il faut revenir
11:04 à une situation relativement stable pour arriver à un bon niveau.
11:07 - Mais modérée et stable. Si modérée, c'est 2,5 ou 3, pourquoi pas ?
11:10 Mais c'est la stabilité des prix. - Exactement.
11:14 - On le rend bas et on le traduit par...
11:16 Alors, avant, c'était proche, mais inférieur à 2 %, 2 %, etc.
11:19 Mais la notion de stabilité des prix est essentielle.
11:22 - C'est très important parce que c'est prévisible. - Bien sûr.
11:25 - Merci beaucoup, Michel. Merci pour ce décryptage économique
11:28 de rentrée sur un sujet ô combien sensible encore aujourd'hui,
11:31 l'inflation et la prévision d'inflation avec des années
11:34 qui seront riches d'enseignements pour tous les prévisionnistes
11:38 d'inflation dans les prochaines années.
11:40 - Surtout pour avoir dans un univers futur qui sera quand même inflationniste.
11:43 - Merci, Michel. Michel Rumi avec nous chaque dernier vendredi du mois
11:46 pour ce décryptage éco dans le dernier quart d'heure
11:48 de Smart Bourse, économiste associé de SPAC.
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