Les visiteurs du soir du 22/04/2023

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Frédéric Taddeï et ses invités débattent des grandes questions du XXIe siècle dans les #VisiteursDuSoir

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00:00:00 Les 4 premiers visiteurs du soir sont déjà parmi nous.
00:00:06 L'émission commencera dans quelques instants, mais d'abord le rappel des titres. Isabelle Piboulot.
00:00:12 Dans le Tarn, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées à Saïs pour s'opposer au projet de l'A69 entre Castre et Toulouse.
00:00:23 4 500 selon la préfecture, 8 200 selon les organisateurs. 200 individus radicaux se sont mêlés aux manifestants.
00:00:30 Mais le préfet du Tarn salue le bon déroulement du rassemblement. Il appelle les participants à quitter les lieux demain soir comme ils s'y sont engagés.
00:00:39 Un gendarme très grièvement blessé le 15 mars dernier est décédé. Son pronostic vital était engagé après l'explosion d'une maison dans la commune de La Chapelle dans l'Allier.
00:00:50 Gérald Darmanin l'a annoncé sur Twitter, faisant part de sa profonde tristesse.
00:00:55 L'explosion avait été provoquée par un homme que le gendarme de 27 ans venait interpeller avec des collègues.
00:01:02 Et puis la joggeuse disparue hier à Adamartin en Guelle a été retrouvée saine et sauve dans la Marne.
00:01:08 Chloé, 20 ans, s'est rendue dans un camping de la commune de Larzicourt avec un homme.
00:01:13 Elle n'a plus donné signe de vie depuis hier matin. Etant majeure, la jeune femme supposait que le dispositif de recherche allait être levé.
00:01:34 Bonsoir, bienvenue sur le plateau des Visiteurs du Soir. On est samedi, il est 22h, l'heure de garder l'esprit ouvert et de se poser des questions sans idée préconçue avant de se faire une opinion.
00:01:45 La guerre économique que l'Occident livre à la Russie depuis le début de l'invasion de l'Ukraine, par exemple, est-ce que ça marche ?
00:01:52 Ou bien sommes-nous, nous, les Européens, ceux qui en souffrent le plus ?
00:01:55 On en parlera à 22h20 avec l'économiste Sylvie Macteli, à qui l'on doit une géopolitique de l'économie,
00:02:02 et l'avocat Olivier Attia, spécialisé dans les relations internationales.
00:02:06 Le ministre de l'Éducation nationale, Papen Diaille, en voulant favoriser la mixité sociale dans les établissements privés sous contrat,
00:02:13 risque-t-il de rallumer la guerre entre le public et le privé ?
00:02:17 Le secrétariat général de l'enseignement catholique a d'ores et déjà parlé de lignes rouges à ne pas franchir.
00:02:23 On en débattra à 23h avec la sociologue Agnès Van Zanten, qui a coécrit une sociologie de l'école.
00:02:30 L'ancien inspecteur d'académie Jean-Pierre Véran et Emery Patricot, qui est professeur de lettres, nous rejoindront à ce moment-là.
00:02:37 Et l'on commence tout de suite l'émission avec vous, Jean-Noël Fabiani-Salmon.
00:02:42 Vous avez été le chef du service de chirurgie cardiovasculaire de l'hôpital Pompidou à Paris jusqu'en 2018.
00:02:48 Vous avez également dirigé l'enseignement de l'histoire de la médecine à l'université.
00:02:53 Et c'est vrai qu'il n'y en a pas deux comme vous pour nous faire comprendre les progrès de la médecine grâce à l'histoire.
00:02:59 Vous venez de publier "30 nouvelles histoires insolites qui ont fait la médecine du Moyen-Âge à nos jours".
00:03:06 Une série que j'adore, dont je veux absolument faire profiter les téléspectateurs.
00:03:10 Alors ce nouveau volume permet en effet de voir la pandémie de Covid-19 sous un angle totalement nouveau.
00:03:17 Vous y racontez en effet que les Marseillais au tout début du 18e siècle, face à la grande peste,
00:03:23 ont connu des attestations de déplacement obligatoire, exactement comme nous pendant le Covid-19.
00:03:30 Sauf qu'eux, ils ne pouvaient pas les signer eux-mêmes. C'était le purée qui s'en chargeait.
00:03:34 Voilà, c'était bien réglé. On est en 1720. Il y a ce fameux bateau qui est arrivé à Marseille sans respecter la quarantaine.
00:03:41 L'épidémie part. Elle part en Provence. Et que va faire le pouvoir politique en quelque sorte,
00:03:47 qui n'a rien à voir avec celui que nous avons actuellement, puisque nous sommes en royauté.
00:03:51 Il y a l'armée qui est présente. Et on décide finalement de prendre des mesures qui, c'est assez drôle,
00:03:56 ressemblent bizarrement à celles qu'on vient de connaître il n'y a pas si longtemps.
00:03:59 C'est-à-dire confinement, autorisation de sortie à condition qu'on ait une autorisation signée.
00:04:04 Si jamais on est pris en train de sortir sans autorisation, on risque gros.
00:04:10 On dit qu'on risque jusqu'à la peine de mort. Je crois qu'il n'y a pas eu de peine de mort.
00:04:14 Mais enfin bon, on risque la peine de mort.
00:04:16 – Vous dire la grande peste, c'est quand même autre chose que le Covid.
00:04:19 – C'est très sérieux, bien entendu. Et c'est assez intéressant de voir que,
00:04:24 alors qu'on est à trois siècles de distance, qu'on a des systèmes complètement différents,
00:04:29 que la médecine n'a strictement rien à voir entre le 18e siècle et le 21e siècle.
00:04:36 Eh bien pourtant, on a fait exactement la même chose pendant les années.
00:04:40 – Ça prouve qu'on était dépassés par le Covid.
00:04:42 – Bien entendu, on a pris les vieilles règles qui viennent de très longtemps.
00:04:47 – Cela dit, vous dites "on restait confinés", on ne restait pas confinés chez soi.
00:04:51 La différence à l'époque.
00:04:53 – On était coincés, mais dans son village en particulier.
00:04:55 – Oui, on confine les villages, on confine les villes.
00:04:57 – On ne pouvait pas sortir. Et on a fait ce fameux mur de la peste.
00:05:01 – Ah oui, on va voir des photos d'ailleurs, parce qu'il en reste des ruines.
00:05:05 – Absolument, il en reste des ruines. Ce mur de la peste pour absolument confiner la Provence.
00:05:11 Alors il y a quand même eu beaucoup de morts en Provence.
00:05:13 Il y a eu un nombre de milliers de morts, des centaines de milliers de morts, impressionnants.
00:05:18 Mais ils ont réussi leur coup quand même.
00:05:20 Car cette peste n'est pas sortie en dehors des limites de la Provence.
00:05:25 Donc les mesures qui ont été prises ont été finalement efficaces.
00:05:29 – Mais alors là où j'ai été très étonné en vous lisant, c'est que,
00:05:31 Dieu sait si on a dit, et c'est le cas de dire Dieu sait,
00:05:34 pendant le confinement c'est la première fois qu'on empêche les gens d'aller prier à l'église.
00:05:39 Or non, à cette époque-là, vous dites, on ne pouvait pas aller se rendre dans les églises.
00:05:44 On était enterré seul, sans prêtre, exactement comme on l'a fait pendant le Covid.
00:05:49 On ne pouvait pas aller dans les parcs et jardins.
00:05:52 On ne pouvait pas se rendre dans les lieux publics, au fond,
00:05:55 exactement de la même manière que pour le Covid.
00:05:58 – On pourrait dire que c'était du copier-coller qui s'est passé.
00:06:01 – À part le fait que là on pouvait nous enfermer chez nous parce qu'on avait Internet.
00:06:04 – Exactement.
00:06:05 – Et à l'époque ça manquait éventuellement.
00:06:08 De même les anti-vax, vous le racontez, ça ne date pas du Covid, ça on le savait.
00:06:15 C'est aussi vieux que les vaccins en fait.
00:06:17 – C'est quand Jenner invente le vaccin,
00:06:20 le vaccin en utilisant la vaccine de la vache pour prémunir contre la variole,
00:06:25 qui est la plus grande teuse de l'histoire,
00:06:27 et bien immédiatement il déclenche un mouvement anti-vax,
00:06:31 avec quand même des gens assez toniques,
00:06:34 qui disaient que si jamais on se faisait vacciner, comme ça venait de la vache,
00:06:37 on risquait d'avoir des cornes qui vous poussent sur la tête.
00:06:39 – Cela dit, reconnaissez que pour les gens de l'époque,
00:06:41 l'idée qu'on va vous inoculer la maladie pour vous empêcher de l'avoir,
00:06:44 c'est quand même très bizarre.
00:06:46 – Oui, c'est bien entendu.
00:06:47 – Et le fait de se soigner avant même d'être malade, c'est bizarre aussi.
00:06:50 – Oui, bien entendu.
00:06:51 – On comprend que c'est…
00:06:52 – Bien entendu, mais quand même, en Angleterre à l'époque,
00:06:54 les gens meurent, on les voit mourir.
00:06:56 Et le génie de Jenner c'est de dire, tiens tout le monde meurt,
00:07:00 tout le monde a des pustules partout, sauf une catégorie de personnes,
00:07:03 les filles qui traient les vaches, jamais elles sont malades,
00:07:06 elles ont toujours une bonne mine, si tu veux te marier avec une belle fille,
00:07:09 épouse une vachère, pensait-on à l'époque.
00:07:11 Eh bien, il dit, et si c'était cette maladie qu'elles ont en trayant les vaches
00:07:16 qui les prémunit, en quelque sorte, contre la variole.
00:07:20 Idée de génie, idée de génie.
00:07:22 Et il fait ça chez un petit garçon de 8 ans, il prend le petit James Fipp,
00:07:26 il lui inocule le pus de qui l'a pris chez une vachère, Sarah Nelms,
00:07:30 il lui inocule. Et puis alors, bien sûr, il n'y a pas de comité d'éthique à l'époque,
00:07:35 il prend le petit gamin, il va le balader dans tous les endroits
00:07:38 où il y a des varioleux. Et le gamin, il n'attrape pas la variole.
00:07:41 Et voilà, j'ai démontré que c'est efficace.
00:07:44 Et il y en a un autre qui est très intéressé à l'époque, c'est Napoléon.
00:07:47 Pourquoi Napoléon ? Parce que Napoléon, il veut envers l'Angleterre.
00:07:50 Et il dit, je veux bien me battre contre les godons avec mes fusils,
00:07:55 mais il n'est pas question qu'on attrape le microbe.
00:07:58 Et il demande à la grande armée, 500 000 hommes quand même, de se faire vacciner.
00:08:02 Et la France est le premier pays, grâce à cette histoire,
00:08:05 qui va devenir en quelque sorte les premiers à faire la vaccination contre la variole,
00:08:11 grâce aussi à Guillotin, Guillotin qui a laissé son nom sur une machine particulière,
00:08:14 mais enfin qui était un grand médecin et qui a essayé de faire,
00:08:19 de prémunir la population française contre la variole.
00:08:21 Et d'ailleurs, Napoléon fait vacciner le roi de Rome.
00:08:24 Son fils. Son fils.
00:08:27 Et on verra que grâce à Napoléon, il y a eu d'autres inventions assez géniales.
00:08:31 L'ambulance militaire, mais vous nous raconterez ça tout à l'heure en fin d'émission.
00:08:34 Pour rester sur la vaccination et sur le Covid, l'ARN messager,
00:08:39 pourquoi ça a fait si peur ? Parce que c'était une des revendications,
00:08:43 enfin une des contestations plus exactement de la part des antivax,
00:08:47 c'était de dire, cet ARN messager, on ne le connaît pas, c'est trop récent, etc.
00:08:52 On ne va pas revenir sur la polémique elle-même.
00:08:55 Qu'est-ce qu'il a de particulier et qu'est-ce qu'on a pu mal interpréter sur l'ARN messager ?
00:09:01 D'abord, Cocorico. Parce que c'est les Français qui ont découvert l'ARN messager.
00:09:05 Autrement dit, ils ont trouvé le messager qui avait entre ce qui se passait dans le noyau
00:09:09 et ce qui se passait dans les cellules pour que ça fonctionne.
00:09:12 C'est eux qui l'ont démontré. Prix Nobel en 1965.
00:09:15 Donc c'est quand même...
00:09:17 Donc c'est plus vieux qu'on ne croit.
00:09:19 Et immédiatement, depuis 1965, il y a des tas de chercheurs dans le monde entier
00:09:23 qui se sont précipités sur cet ARN messager pour voir ce qu'il avait dans le ventre
00:09:26 et ce qu'on pouvait en tirer.
00:09:28 Alors on a tout de suite compris qu'il ne pouvait pas aller se mettre avec l'ADN
00:09:32 et changer le code génétique.
00:09:34 On a compris aussi que c'était une molécule relativement instable
00:09:37 et que finalement, elle n'avait pas une durée très forte.
00:09:40 Mais en revanche, elle avait des capacités sensationnelles
00:09:43 parce qu'elle était capable de copier une séquence génétique en quelque sorte,
00:09:48 mais où une séquence sur un virus,
00:09:51 et puis de s'en servir pour créer ce qui va être un vaccin,
00:09:55 c'est-à-dire de créer des anticorps qui vont permettre très rapidement
00:09:59 de faire ce que faisaient les vieux vaccins pastoriens avec d'autres méthodes.
00:10:03 C'est pour ça que ça a été aussi vite.
00:10:05 C'est parce qu'on avait l'ARN messager.
00:10:07 On n'aurait pas eu l'ARN messager, on n'aurait peut-être pas encore le vaccin contre la Covid.
00:10:12 - Et on n'aurait pas eu le QR code de la même manière.
00:10:15 - Tout à fait, exactement.
00:10:16 - Heureusement qu'on a eu tout ça, parce que sinon...
00:10:18 Mais peut-être que si on n'avait pas eu tout ça,
00:10:20 peut-être qu'au fond, on aurait lutté contre le Covid
00:10:22 comme on luttait à l'ancienne contre les épidémies,
00:10:25 avec moins de moyens spectaculaires.
00:10:28 On n'aurait peut-être pas vidé les villes.
00:10:30 - Ça serait traduit par quelques centaines de milliers de morts supplémentaires.
00:10:33 - Certainement.
00:10:34 - Tout simplement.
00:10:35 Regardez, la grande pandémie, c'est la grippe espagnole.
00:10:38 La grippe espagnole, c'est des millions et des millions de morts dans le monde.
00:10:44 Et personne n'en parle, surtout pas, parce que c'est la guerre.
00:10:47 - On en parle un peu. C'est pour ça qu'on l'appelle la grippe espagnole.
00:10:49 - Bien sûr, parce que les Français ne veulent pas en parler,
00:10:52 les Américains ne veulent pas en parler.
00:10:53 Ceux qui n'étaient pas dans le coup de la guerre, c'est les Espagnols.
00:10:55 Alors ils en parlent. On a appelé la grippe espagnole.
00:10:57 Rien à voir avec l'Espagne, la grippe.
00:10:59 Mais ça a fait quand même 50 millions de morts dans le monde.
00:11:01 C'est absolument énorme.
00:11:03 Donc tout ça, ce sont des choses qu'il faut bien prendre en considération.
00:11:08 Si on ne veut pas en parler, on ne peut pas en parler.
00:11:10 Mais il va y avoir beaucoup de morts.
00:11:12 - Une autre maladie qu'on s'est refilée les uns les autres,
00:11:15 le mâle français, le mâle espagnol, le mâle portugais, c'est la syphilis.
00:11:18 - Bien entendu.
00:11:19 - Dont le nom à l'époque, c'est...
00:11:21 - C'est la grosse vérole.
00:11:23 - La grosse vérole.
00:11:24 - C'est la grosse vérole.
00:11:25 - Elle n'est pas conforme avec la petite vérole.
00:11:26 - Oui, bien sûr, la petite vérole, c'est ce qu'amènent les conquistadors au Mexique.
00:11:31 Puisque c'est finalement la variole.
00:11:34 Alors ils ont fait des catombes chez les Aztecs à cause de la variole.
00:11:38 Et les femmes aztèques, pour se venger, elles leur mènent une maladie qui est une maladie vénérienne,
00:11:43 qu'on va appeler la grosse vérole, qui est en fait la syphilis,
00:11:46 qui existe uniquement au Mexique et qui n'existe pas dans nos pays.
00:11:49 - Et qui l'ont ramenée.
00:11:50 - Et qui l'ont ramenée.
00:11:51 Et ils l'ont ramenée d'abord en Espagne.
00:11:52 Alors ça, on ne le dit pas tout de suite.
00:11:54 Puis comme Naples est une possession espagnole,
00:11:57 rapidement la ville de Naples est pleine de syphilis.
00:12:00 Et comme Charles VIII décide d'emmener les Français pour conquérir Naples,
00:12:05 que se passe-t-il ?
00:12:07 Tous les Français attrapent la maladie à Naples.
00:12:09 Et bien entendu, ce mal napolitain pour les Français devient rapidement le mal français pour tous les autres
00:12:15 puisqu'ils reviennent en Europe et qu'ils la balancent partout.
00:12:17 Alors c'est toujours le mal des autres.
00:12:19 Pour les Anglais, c'est The French Box.
00:12:21 Pour les Japonais, ça va être le mal portugais.
00:12:24 - C'est normal puisque c'est les Portugais qui font le Japon.
00:12:28 - Absolument.
00:12:29 - Pas nous.
00:12:30 - Absolument.
00:12:31 Mais en fait, les responsables dans l'affaire, ce sont les Espagnols
00:12:33 qui eux, se cachent un petit peu dans cette histoire pour ne pas...
00:12:36 - Ou les femmes aztèques.
00:12:38 - Ah ben les femmes, bien sûr, les femmes mexicaines.
00:12:41 - Le Rondon, effectivement.
00:12:42 Et on en viendra à bout quand ?
00:12:44 Parce que quand on regarde les nécrologies de nos poètes, de nos peintres et de nos rois,
00:12:51 on a l'impression qu'ils sont tous morts de la syphilis.
00:12:53 - Pas tous morts de la syphilis, mais on en a eu beaucoup.
00:12:56 Et en particulier, comme elle touche très souvent des gens très intelligents,
00:13:00 des poètes, des découvreurs, et bien on pense qu'il y a un lien.
00:13:04 - Quel rapport ?
00:13:05 - C'est ça, on pense qu'il y a un lien entre le génie et la syphilis.
00:13:10 Par exemple, des gens comme Flaubert sont très contents d'avoir la syphilis,
00:13:14 et puis des gens comme Maupassant, là, on dit qu'il écrit le Horla sous une poussée de syphilis tertiaire.
00:13:22 Ce qui est d'ailleurs assez vraisemblable.
00:13:24 Mais alors, le fond du problème, c'est qu'on ne sait pas la soigner.
00:13:26 Et on la soigne avec quoi ? Avec du mercure.
00:13:29 Seulement le mercure, c'est plutôt plus dangereux que la syphilis elle-même.
00:13:33 Alors on vous tartine le mercure sur toutes les parties dites "honteuses",
00:13:37 on vous fait boire du mercure, on fumie le mercure partout,
00:13:40 les prostituées, il faut absolument qu'elles cachent leur lésion,
00:13:44 donc le mercure sert à cacher tout ça, et le mercure ne sert à rien,
00:13:49 sinon lui, en revanche, a tué un certain nombre de gens.
00:13:52 Finalement, la solution ne sera trouvée que lorsque va arriver la pénicilline.
00:13:56 Enfin, regardez, on était au 16e secte avec Charles VIII, la pénicilline, elle va arriver en 1945.
00:14:01 Donc, tant qu'il n'y a pas la pénicilline, on ne va pas guérir la syphilis.
00:14:05 - Et c'est fou d'ailleurs quand on lit votre livre,
00:14:07 et j'imagine que quand vous enseignez l'histoire de la médecine aux étudiants à l'université,
00:14:12 ça devait vous faire parler, en fait c'est souvent une histoire d'erreur.
00:14:15 Ce sont des histoires d'erreur.
00:14:17 - D'erreur, bien entendu, ou bien des hasards.
00:14:21 Des hasards qui sont vus par des gens qui ont le coup d'œil,
00:14:25 et qui prennent ce hasard et qui vont le transformer en une vérité.
00:14:28 - Pendant très longtemps, on a saigné les malades.
00:14:34 Et on voit ça dans toutes les pièces de Molière, on voit ça dans la plupart des romans d'ailleurs.
00:14:38 On veut toujours saigner les malades. Enfin, vous, les médecins, vous voulez toujours saigner les malades.
00:14:42 Est-ce que vous pouvez nous rappeler la théorie des humeurs d'Hippocrate ?
00:14:46 Parce que c'est l'explication que j'ai fini par découvrir du saignement.
00:14:51 - Ce pauvre Hippocrate... - De la saignée plus exactement.
00:14:54 - Ce pauvre Hippocrate, il ne sait pas ce qui se passe à l'intérieur du corps.
00:14:58 Il ne connaît pas l'anatomie. Comme il dit à ses élèves,
00:15:01 "Je fais la médecine des phénoménons", c'est-à-dire des choses extérieures.
00:15:04 Mais comment ça se passe à l'intérieur ? Il ne sait pas.
00:15:06 Il ne peut pas faire de la physiopathologie, ce n'est pas possible.
00:15:08 Mais il est grec. Donc, il va inventer une théorie.
00:15:11 Et il pense que l'homme, c'est finalement une traduction du macrocosme.
00:15:14 Alors le macrocosme, avec la terre, avec le feu, avec l'air, avec l'eau.
00:15:19 Et bien donc, il y a à l'intérieur du corps un certain nombre de liquides
00:15:23 qui correspondent à tout ça. Alors, il y a le sang, il y a la bile,
00:15:27 il y a la lymphe, et puis il en faudrait quatre.
00:15:30 Ah ben, il m'en manque une. Donc, j'en ai inventé une.
00:15:33 On va appeler ça la bile noire. La trabile. La bile noire.
00:15:36 Alors, c'est assez facile, mais c'est tellement entré en nous,
00:15:40 cette théorie des murs, qu'on ne se rend pas compte.
00:15:42 Par exemple, vous dites, celui-là, il est sanguin, cet homme, quand même.
00:15:46 Il est sanguin. Oui, sanguin, c'est le sang comme terrorisme.
00:15:49 Le celui-là, il se fait de la bile. Il se fait de la bile.
00:15:52 Qui n'a pas dit, je me fais de la bile.
00:15:54 Et bien, ça vient de la théorie des humeurs.
00:15:56 Il est attrabilaire aussi.
00:15:57 Alors, attrabilaire, ça, ça vient de la bile noire.
00:15:59 Mélanocollée, qui a donné mélancolique.
00:16:02 Ah oui.
00:16:03 Et puis le dernier, c'est lymphatique. Il est lymphatique.
00:16:06 Regardez ce pauvre type, il est lymphatique.
00:16:08 Alors, comment...
00:16:10 La santé, c'est quand tout ça s'est en équilibre.
00:16:13 Mais quand c'est pas en équilibre, il y a des mauvaises humeurs.
00:16:16 On appelle ça les humeurs péquantes. Je vous renvoie à Molière.
00:16:18 Les humeurs péquantes.
00:16:19 Donc, pour chasser les humeurs péquantes, il faut les chasser de deux façons.
00:16:23 Soit on fait une saignée pour enlever le mauvais sang,
00:16:25 soit on vous fait un lavement pour enlever les mauvaises matières.
00:16:28 Et donc, vous avez le traitement médical quasiment unique
00:16:32 pendant plus d'un millénaire, saignarer et purgarer.
00:16:36 Vous vous retrouvez avec Molière, le malade imaginaire, saignarer et purgarer.
00:16:41 Louis XIII a été saigné, je crois, une vingtaine ou une trentaine de fois.
00:16:44 À la fin, il en est mort.
00:16:46 Je crois pas qu'il en soit mort.
00:16:48 Mais enfin, il râlait en tout cas. Il n'était pas d'accord.
00:16:51 Et Louis XIV, en tout cas, a été, en effet, purgé 14 fois dans la journée.
00:16:55 Oui, c'est ça.
00:16:57 Beaucoup, quand même.
00:16:59 Et, en fait, le bilan de tout ça, ça ne servait strictement à rien.
00:17:02 Absolument à rien. Mais à rien du tout.
00:17:04 - Milan de médecine inutile. - Rien du tout.
00:17:07 Eh bien, vous nous raconterez encore des histoires merveilleuses comme celle-ci en fin d'émission.
00:17:12 Jean-Alpha et Fabien Ménis-Salmon.
00:17:14 On va d'abord faire une pause.
00:17:19 Et puis ensuite, on s'intéressera aux sanctions économiques.
00:17:22 Sacré mystère, les sanctions.
00:17:24 Nous sommes tous partie prenante, depuis l'invasion de l'Ukraine,
00:17:33 d'une guerre économique entre l'Occident et la Russie.
00:17:36 Mais quels sont les buts de cette guerre, qui tente à devenir mondiale ?
00:17:40 L'effondrement de l'économie russe, la chute du régime de Vladimir Poutine,
00:17:44 d'empêcher la Russie d'envahir l'Ukraine.
00:17:47 Et est-ce que c'est efficace ?
00:17:49 Pour nous éclairer sur ce sujet, nos visiteurs du soir sont Sylvie Matteli et Olivier Attias.
00:17:55 Sylvie Matteli, vous êtes économiste, directrice adjointe à l'IRIS,
00:17:59 l'Institut de relations internationales et stratégiques.
00:18:01 Vous êtes l'auteur d'une géopolitique de l'économie, parue il y a deux ans aux éditions Erol.
00:18:06 Olivier Attias, vous êtes avocat, spécialisé en droit international.
00:18:10 Vous êtes spécialiste des sanctions économiques.
00:18:13 La Russie n'a pas l'air de souffrir du tout des trains de sanctions successifs
00:18:19 que nous lui infligions depuis un an.
00:18:21 Le FMI lui prévoit 0,7% de croissance en 2023.
00:18:25 Je rappelle qu'il y a trois mois, le FMI tablait sur seulement 0,3% de croissance pour la Russie,
00:18:31 moins de la moitié.
00:18:33 Et il y a six mois, il parlait carrément d'une récession d'au moins 2,3%,
00:18:37 donc trois points de moins de ce qu'il annonce aujourd'hui.
00:18:40 Alors Sylvie Matteli, vous trouvez que c'est la bonne voie ?
00:18:44 La Russie avec 0,7% de croissance, c'est-à-dire comme la France en fait,
00:18:49 et beaucoup mieux que la Grande-Bretagne qui, elle, plonge à 0,3%.
00:18:53 Toujours dans les prévisions du FMI.
00:18:56 Bonne affaire ou pas ?
00:18:58 La question qu'on peut se poser, c'est d'où le FMI sort-il ces prévisions,
00:19:01 puisqu'on n'a aucune statistique économique en provenance de la Russie
00:19:04 depuis le début du conflit.
00:19:05 Et même les Russes, vraisemblablement, n'ont pas du tout accès à l'information.
00:19:09 Donc comment sont calculés ces chiffres-là ?
00:19:11 C'est compliqué, alors peut-être qu'ils sont calculés,
00:19:14 mais le FMI a été dans l'incapacité de répondre
00:19:16 et a justifié ce chiffre-là par le fait que le gaz et le pétrole se vendent très cher,
00:19:21 puisque les estimations ont été faites à la fin de l'année 2022.
00:19:25 Donc effectivement, on était encore sur une tendance de gaz et de pétrole assez cher,
00:19:29 même s'il commençait à baisser et si le gaz avait largement baissé.
00:19:32 Et puis, ils ont expliqué qu'il y avait peut-être une politique monétaire,
00:19:36 que les Russes avaient réorienté leurs flux commerciaux vers le reste du monde.
00:19:40 Sauf que les semaines passent et on se rend compte que ça n'est peut-être pas aussi simple que ça
00:19:45 et que les statistiques du FMI sont peut-être très discutables.
00:19:48 Et justement, on peut se demander qui a décidé aux fonds monétaires internationaux de sortir de tels chiffres ?
00:19:54 Le FMI, on se rappelle, c'est à Washington.
00:19:57 Washington, c'est quand même les États-Unis,
00:20:00 c'est quand même le pays qui est le plus engagé dans cette guerre contre la Russie.
00:20:04 C'est un organisme international aussi.
00:20:06 C'est un organisme international, mais clairement,
00:20:08 les statistiques dans ce type de situation sont aussi une arme de guerre.
00:20:12 Ah oui ?
00:20:13 C'est assez étonnant de voir qu'on puisse sortir des statistiques
00:20:17 aussi discutables et aussi favorables à la Russie.
00:20:20 Après, quel est l'impact des sanctions ?
00:20:22 On peut imaginer qu'elles pèsent parce qu'on a certains retours.
00:20:27 On voit le secteur de l'automobile qui s'est effondré, je crois que c'est…
00:20:30 On produit quasiment 90% de voitures en moins en Russie aujourd'hui qu'avant la guerre.
00:20:36 On sait qu'entre la mobilisation et le départ des jeunes Russes,
00:20:40 on a à peu près 2 à 3 millions de jeunes Russes qui ont quitté la Russie.
00:20:44 Donc on sait qu'il y a des choses qui sont inquiétantes
00:20:46 et qui justement font douter de ces statistiques.
00:20:48 Mais à part ces signaux, on n'a pas beaucoup plus d'informations en réalité.
00:20:53 Olivier, vous ne vous êtes pas économiste,
00:20:55 mais est-ce que d'après vous, pour l'instant, c'est une bonne opération ?
00:21:00 Je ne pense pas qu'on puisse dire bonne opération,
00:21:02 mais ce qu'on voit, et on le voit chez nos clients, par exemple,
00:21:05 qui sont des clients européens, on sait qu'ils ont été substitués.
00:21:08 Quand ils étaient clients de la Russie, on sait qu'ils ont été substitués par d'autres.
00:21:13 On sait que McDonald's n'est plus en Russie, mais les restaurants sont toujours là.
00:21:16 Les restaurants sont toujours ouverts,
00:21:17 mais on sait par exemple que quand les Russes trouvent des débouchés ailleurs,
00:21:20 alors avec l'inflation, les prix ont augmenté, donc c'est ce que vous disiez.
00:21:23 Donc quelque part, ils s'y retrouvent.
00:21:25 Après, ce qui est clair, je crois même que Poutine l'a reconnu la semaine dernière ou il y a 15 jours,
00:21:29 quand Poutine reconnaît que les sanctions ont un effet, c'est un doux euphémisme.
00:21:33 Donc a priori, c'est un signe que les sanctions ont un effet.
00:21:36 Ça peut aussi être une façon de demander à sa population de l'excuser.
00:21:41 Ce n'est pas de sa faute.
00:21:43 Oui, c'est aussi possible, mais il aurait pu choisir d'autres moyens
00:21:45 plutôt que de reconnaître l'effectivité des sanctions européennes et internationales.
00:21:49 Pendant 50 ans, à Cuba, on vous disait que tout est de la faute des Américains qui nous sanctionnent.
00:21:54 Oui, mais si on ne trouvait pas à manger, c'est de la faute des Américains.
00:21:57 Oui, il n'y avait que les Américains.
00:21:58 Là, c'est quand même la première fois qu'on a un système
00:22:00 où quasiment tout l'Occident a pris des sanctions contre un pays.
00:22:04 Alors justement, c'est là où moi j'en viens, c'est une guerre.
00:22:06 Est-ce que vous considérez que les sanctions économiques, c'est la guerre ?
00:22:10 Est-ce que la guerre économique, c'est la guerre ?
00:22:13 Et est-ce que ça n'est pas une guerre mondiale ?
00:22:15 Puisqu'on demande en fait à tout le monde de prendre parti.
00:22:18 On voudrait que tout le monde nous imite.
00:22:21 Alors, sur les sanctions économiques, ce qui a été annoncé quand elles ont été imposées,
00:22:28 mais dès 2014, c'était d'affaiblir le potentiel de guerre de Vladimir Poutine.
00:22:33 Et quand on voit comment ça se passe en Ukraine, on se dit que ça fonctionne relativement bien.
00:22:39 Est-ce qu'on est dans une logique, je crois qu'il y a eu des déclarations un peu intempestives
00:22:45 de certains de nos dirigeants politiques au début de la guerre,
00:22:47 qui ont consisté à dire "on va ruiner la Russie".
00:22:50 Ah oui, il y en a eu plus d'un, oui.
00:22:52 Est-ce que c'est véritablement l'objectif ?
00:22:55 Est-ce qu'on a véritablement intérêt, une fois ce conflit terminé,
00:22:58 à ce que la Russie soit un pays totalement laminé, totalement ruiné ?
00:23:02 J'en suis pas sûre.
00:23:04 Et ce qui me fait dire ça, c'est plutôt les exemples historiques en fait.
00:23:07 Rappelez-vous l'issue de la Première Guerre mondiale,
00:23:09 et c'est ces leçons de la Première Guerre mondiale qui ont fait qu'à l'issue de la Seconde Guerre mondiale,
00:23:14 on a pratiqué un petit peu différemment, et on s'est dit qu'il fallait que l'Allemagne et le Japon
00:23:19 se reconstruisent très rapidement pour éviter un nouveau conflit.
00:23:22 Donc vous voyez, il faut être très prudent avec les sanctions.
00:23:24 Est-ce que c'est une guerre mondiale ? Non, je ne crois pas.
00:23:27 Guerre économique.
00:23:28 Oui, une guerre économique.
00:23:30 Et encore une fois, si on est dans cette logique de se dire "on impose des sanctions
00:23:33 pour limiter l'effort de guerre des Russes", on est dans quelque chose d'assez logique,
00:23:38 d'assez rationnel si on considère qu'envahir un pays, ça ne se fait pas en réalité.
00:23:42 On fait une pause pour le rappel des titres par Isabelle Piboulot,
00:23:46 et on reprend évidemment cette discussion.
00:23:49 Gérard Larcher temporise et exprime sa réticence à engager une réforme des institutions,
00:23:58 comme le souhaite Emmanuel Macron.
00:24:00 Dans les colonnes du Parisien, le président du Sénat s'interroge sur l'opportunité
00:24:04 du moment quand les sujets d'inflation et de crise des services publics
00:24:08 semblent prioritaires.
00:24:09 Pour Gérard Larcher, l'urgence est de retrouver de la proximité avec les Français.
00:24:14 L'espérance de vie reste plus faible à la campagne qu'en ville.
00:24:18 C'est ce que constate l'Association des maires ruraux de France dans sa dernière étude.
00:24:22 Le manque de médecins et de soins de proximité dans les territoires ruraux
00:24:26 est une des raisons principales.
00:24:28 Au cours des 30 dernières années, l'espérance de vie s'est améliorée
00:24:32 deux fois plus vite en ville qu'à la campagne.
00:24:35 Une vingtaine de diplomates allemands expulsés de Russie
00:24:39 annoncent du ministère russe des Affaires étrangères en représailles,
00:24:43 selon lui, à une mesure similaire prise par Berlin
00:24:46 et condamnée fermement par la diplomatie russe.
00:24:49 De son côté, l'Allemagne évoque un vol au départ de sa capitale
00:24:53 avec des membres de l'ambassade russe à bord,
00:24:56 mais ne précise pas s'il s'agit de diplomates expulsés.
00:25:00 -Olivier Attias, c'était quoi le but des sanctions économiques contre la Russie ?
00:25:07 Je refaisais la liste tout à l'heure.
00:25:10 Est-ce que c'était l'effondrement de l'économie russe,
00:25:15 la chute du régime de Vladimir Poutine, que les gens se révoltent,
00:25:20 ou est-ce que c'était simplement, comme le disait Anne,
00:25:24 empêcher la Russie d'envahir l'Ukraine comme elle le souhaitait ?
00:25:29 -Je pense que c'était affaiblir clairement l'économie russe
00:25:33 et donc faire en sorte que le secteur privé en Russie fasse pression.
00:25:38 En tout cas, c'était l'espoir, fasse pression.
00:25:41 On rêvait que les oligarques russes se rebellent contre Vladimir Poutine
00:25:45 et l'excluent du pouvoir et qu'il n'y ait pas de guerre.
00:25:48 Je pense que c'était peut-être un petit peu un espoir déçu aujourd'hui,
00:25:52 si on peut dire.
00:25:53 Et je pense qu'il y avait aussi l'idée un petit peu psychologique
00:25:57 de montrer que le monde était en coordonnée.
00:26:00 C'est quand même la première fois, je le disais tout à l'heure,
00:26:02 qu'on a un effort aussi coordonné de sanctions économiques contre un État.
00:26:05 Même pour l'Iran, on n'avait pas atteint ce niveau de coordination
00:26:08 entre les États-Unis, l'Europe, le Royaume-Uni, l'Australie, le Canada,
00:26:11 donc le monde, grosso modo, occidental.
00:26:13 La difficulté, c'est que oui, c'est le monde occidental
00:26:16 qui a pris des sanctions coordonnées, massives,
00:26:18 parce qu'elles sont massives,
00:26:19 mais ce n'est qu'une partie du monde qui a pris ces sanctions.
00:26:22 Ce qui peut expliquer aujourd'hui qu'elles n'ont pas l'effet escompté.
00:26:26 C'est là où je disais, une guerre économique, c'est forcément mondial,
00:26:30 puisqu'on exige de tous les neutres, au fond, qu'ils soutiennent les sanctions
00:26:35 et donc qu'ils prennent partie.
00:26:37 Et en l'occurrence, il y en a beaucoup qui n'ont pas pris partie pour nous
00:26:40 et ça nous a beaucoup déçus.
00:26:42 Et ça, on pourrait dire que ça endommage une bonne partie des sanctions.
00:26:49 – Ça a clairement endommagé les effets des sanctions.
00:26:52 Juste revenir sur le mot "guerre",
00:26:53 ce n'est pas un mot que je considère comme étant approprié
00:26:56 parce qu'une guerre implique que les deux parties se fassent la guerre économique.
00:26:59 Là, c'est nous, les Européens, les Américains ou les Anglais
00:27:02 qui lançons des sanctions contre la Russie.
00:27:04 La Russie ne lance pas des sanctions économiques contre nous.
00:27:07 Elle n'en a pas forcément les moyens.
00:27:10 Donc, je pense que c'est plus le mot "guerre" ne me convient pas.
00:27:14 – On pourra en reparler, parce que la Russie,
00:27:17 en voulant par exemple dé-dollariser le monde,
00:27:20 en voulant s'entendre avec les Chinois ou d'autres partenaires
00:27:23 pour payer leurs échanges dans une autre monnaie que le dollar,
00:27:26 c'est une façon de répondre…
00:27:27 – C'est une façon de contourner les sanctions qu'on fait, mais pas de riposter.
00:27:30 – On en reparlera.
00:27:32 – Mais pour revenir à votre question, oui, c'est vrai que quand il y a la moitié du monde
00:27:37 qui ne lance pas des sanctions, le continent africain n'a pas lancé de sanctions contre la Russie.
00:27:42 Côté asiatique, il n'y a pas beaucoup de sanctions ou de pays
00:27:44 qui ont lancé des sanctions contre la Russie.
00:27:45 – L'Arabie Saoudite, mais on peut le suivi.
00:27:47 – On sait que les États-Unis font pression énormément sur certaines juridictions,
00:27:53 on pense aux Émirats Arabes Unis, on pense à d'autres pays,
00:27:55 pour que ces pays-là, qui ont une tendance naturelle à accueillir,
00:27:58 et ont accueilli beaucoup de Russes, ne les accueillent pas aussi amicalement.
00:28:05 – Sylvie Mathéli ?
00:28:06 – Oui, ce qui est intéressant au-delà des sanctions dans cette guerre,
00:28:10 c'est que ce n'est pas une guerre mondiale, encore une fois,
00:28:12 mais c'est probablement la première guerre qui se déroule dans un monde aussi globalisé,
00:28:16 et au fond aussi interdépendant.
00:28:18 Donc vous avez plusieurs choses dans ce monde globalisé.
00:28:21 Vous avez d'une part des Occidentaux qui ne souhaitant pas entrer en guerre,
00:28:25 imposent des sanctions, ça c'est un premier élément,
00:28:27 qui pour la première fois probablement dans l'histoire contemporaine,
00:28:31 ne sont pas suivis par le reste du monde et ne parviennent pas,
00:28:34 même en faisant pression sur ce reste du monde, à les convaincre de les suivre,
00:28:38 et pourquoi ils ne sont pas suivis ?
00:28:39 Parce que dans cette guerre globalisée, quand vous imposez des sanctions,
00:28:43 cette arme des sanctions a plus d'effet sur le reste du monde que la guerre en elle-même.
00:28:47 La guerre en Ukraine, au fond, c'est un conflit régional pour la plupart des régions du monde,
00:28:51 en Asie, en Afrique, c'est un conflit régional.
00:28:53 Nous, c'est notre guerre parce que c'est en Europe,
00:28:55 mais pour ces pays-là, c'est une guerre régionale.
00:28:58 Par contre, les conséquences économiques de cette guerre,
00:29:03 les conséquences économiques également des sanctions,
00:29:06 elles se sentent, elles se ressentent,
00:29:09 sous ces pays, dans toutes ces régions.
00:29:11 Alors en Asie, pour des raisons diverses,
00:29:13 mais en particulier parce que la Chine,
00:29:15 parce que l'alliance entre, pas une alliance,
00:29:17 mais en tout cas un rapprochement entre la Chine et la Russie,
00:29:19 la volonté de dédollariser,
00:29:21 toute cette fragmentation de la mondialisation,
00:29:26 dans l'affrontement Chine-États-Unis aussi.
00:29:28 En Afrique, c'est beaucoup plus prosaïque,
00:29:30 c'est les matières premières, c'est les produits agricoles
00:29:33 qui te coûtent plus cher, on a du mal à se payer à manger,
00:29:36 ça coûte plus cher, on n'a pas accès,
00:29:38 et donc forcément, on ne veut pas payer ce prix-là.
00:29:40 Donc il y a eu ces positionnements de chacun,
00:29:42 qui ont été en grande partie liés à cette globalisation du monde.
00:29:46 On avait vu la même chose avec la pandémie de Covid,
00:29:49 première pandémie dans un monde global.
00:29:50 Donc on répète à chaque nouvelle crise,
00:29:52 quelle que soit la nature de la crise,
00:29:54 on répète un petit peu les mêmes scénarios,
00:29:56 avec des pays qui commencent à comprendre
00:29:58 comment fonctionnent ces scénarios,
00:30:00 et qui défendent leurs intérêts, bien compris.
00:30:02 On l'a vu là, puisque étaient réunis au Japon
00:30:04 les ministres des Affaires étrangères du G7,
00:30:07 qui ont lancé un appel ferme,
00:30:09 visant les pays qui participent au contournement
00:30:12 des sanctions contre la Russie,
00:30:14 visant évidemment la Chine, mais pas seulement la Chine.
00:30:17 Est-ce que là aussi, ça peut marcher ?
00:30:21 Le fait que tout à coup, les ministres des Affaires étrangères
00:30:24 des 7 pays les plus riches du monde
00:30:26 viennent faire la leçon aux autres,
00:30:28 ça a de l'efficacité ?
00:30:30 Ça marche un peu.
00:30:31 Un peu ?
00:30:32 Ça marche un peu.
00:30:33 On le voit en tant qu'avocat,
00:30:35 représentant certains clients qui ne sont pas européens,
00:30:37 qui sont parfois en Afrique,
00:30:38 qui ne sont pas soumis, parce qu'ils ne sont pas en Europe,
00:30:40 donc ils ne sont pas soumis aux sanctions européennes.
00:30:43 Ils travaillent en direct avec la Russie
00:30:46 ou des entreprises russes,
00:30:48 et ils se retrouvent en fait de peur,
00:30:50 de peur de se faire taper sur les doigts
00:30:52 par les Américains, par les Européens,
00:30:55 et se retrouvent à devoir choisir
00:30:57 entre leur propre intérêt, l'intérêt économique,
00:31:00 et l'intérêt politique vis-à-vis de leurs alliés.
00:31:02 Donc aujourd'hui, oui, ces rappels à l'ordre
00:31:06 ont un effet, un effet global, non,
00:31:10 mais ont un effet, je pense que oui.
00:31:13 On le voit même sur la Chine.
00:31:15 La Chine qui soutient la Russie,
00:31:17 parce qu'elle a bien compris l'intérêt politique
00:31:19 de soutenir la Russie,
00:31:21 mais qui reste quand même relativement prudente
00:31:23 en son soutien économique
00:31:25 et dans le contournement des sanctions.
00:31:27 Elle profite du pétrole,
00:31:29 elle profite de ce gaz meilleur marché,
00:31:32 mais elle ne souhaite pas aller beaucoup plus loin
00:31:35 par peur des sanctions de ces premiers marchés.
00:31:37 Les États-Unis et l'Europe,
00:31:39 c'est les premiers débouchés de la Chine,
00:31:41 donc bien évidemment, il y a un intérêt économique
00:31:43 bien compris de ce pays.
00:31:44 Alors en France, mais pas seulement en France,
00:31:46 en Europe, on a parfois l'impression
00:31:48 qu'on est au fond, c'est nous qui sommes
00:31:50 les plus touchés par les sanctions,
00:31:52 parce que le gaz, puis le pétrole d'abord,
00:31:55 le gaz ensuite, ont considérablement augmenté.
00:31:58 Aujourd'hui, ça peut baisser, mais ça a beaucoup augmenté.
00:32:00 On s'est dit, c'est nous au fond
00:32:02 qui sommes les victimes des sanctions.
00:32:04 Très clairement, oui, très clairement.
00:32:06 Il y a forcément des conséquences,
00:32:08 on l'avait déjà vu avec les sanctions de 2014,
00:32:10 qui a fait fortement toucher les agriculteurs en Bretagne.
00:32:13 À l'époque déjà contre la Russie,
00:32:15 après l'annexion de la Crimée.
00:32:16 Tout à fait, donc évidemment qu'il y a un prix
00:32:18 à payer de ces sanctions.
00:32:20 La question qu'on peut se poser, c'est
00:32:22 quelles auraient été les conséquences de cette guerre
00:32:25 si les États-Unis et l'Europe,
00:32:28 si les Occidentaux n'avaient pas soutenu l'Ukraine
00:32:31 et n'avaient pas imposé des sanctions à la Russie ?
00:32:33 J'en sais rien, je ne sais pas vous répondre.
00:32:35 Peut-être qu'on serait dans un monde merveilleux
00:32:37 où tout se passe bien, où Poutine se serait dit
00:32:39 au fond, c'était une balade de printemps,
00:32:41 je rentre à la maison, je ne sais pas.
00:32:43 Mais ça pourrait être des conséquences dramatiques aussi.
00:32:46 Donc quelque part, est-ce que ça n'est pas aussi
00:32:48 le prix à payer pour garder, pour essayer
00:32:51 de limiter cette guerre dans la durée
00:32:54 et géographiquement ?
00:32:56 Est-ce qu'un autre choix n'aurait pas été pire ?
00:33:00 Je ne sais pas.
00:33:01 - Puis après, est-ce que ce sont les sanctions
00:33:03 qui ont un effet économique qui entraîne l'inflation
00:33:05 ou est-ce que c'est le conflit en tant que tel
00:33:07 qui crée l'inflation ?
00:33:08 Donc là, c'est assez difficile à dire.
00:33:10 Après, ce que vous dites est assez vrai.
00:33:12 Alors, je parle des opérateurs économiques européens
00:33:15 qui, en fait, c'est sur eux que pèse l'obligation
00:33:18 de respecter les sanctions.
00:33:19 Parce qu'on rappelle que le fait de ne pas respecter
00:33:21 les sanctions en France, par exemple, c'est du pénal.
00:33:23 Donc ce sont les sociétés françaises
00:33:25 qui se trouvent à devoir appliquer ces 11 packages
00:33:28 de sanctions et c'est vrai que dans la gestion
00:33:31 des sanctions, c'est compliqué pour celles-ci.
00:33:35 - Vous le rappelez, les sanctions contre la Russie
00:33:37 ont commencé en 2014, après l'annexion de la Crimée
00:33:40 et il faut bien le dire, sans résultat prog.
00:33:43 La Russie, à ce moment-là, a augmenté
00:33:45 sa production de blé.
00:33:47 Elle est devenue dominante dans le nucléaire.
00:33:50 Aujourd'hui, elle continue de nourrir sa population.
00:33:53 Elle continue d'armer ses troupes.
00:33:55 Elle continue de faire la guerre.
00:33:57 Elle continue d'occuper une bonne partie de l'Ukraine.
00:34:00 On peut se poser quand même des questions.
00:34:02 - Clairement. Et on a souvent l'impression
00:34:04 quand on pense aux sanctions, qu'on imagine
00:34:06 que l'adversaire ou le sanctionné ne va pas réagir.
00:34:09 Or, le sanctionné réagit toujours
00:34:11 et par tous les moyens qui lui sont offerts.
00:34:13 - On se réorganise.
00:34:14 - C'est ça. La Russie est un grand pays.
00:34:16 Donc, à trouver les moyens de contourner ses sanctions,
00:34:18 de se réorganiser. Je pense que ça a pesé
00:34:20 sur l'effort de guerre. Et je pense que l'état
00:34:22 des troupes russes aujourd'hui, l'état du matériel russe
00:34:25 est en partie lié aux sanctions de 2014.
00:34:27 Donc, ça, c'est probablement réel.
00:34:30 Mais c'est vrai que vous êtes face à un grand pays
00:34:32 qui s'est réorganisé.
00:34:34 - Olivier ?
00:34:35 - Là-dessus, je suis assez d'accord.
00:34:37 On le voit même localement.
00:34:39 Les pays qui ont des secteurs,
00:34:41 ils ne peuvent plus s'approvisionner.
00:34:43 On ne peut plus leur exporter, par exemple,
00:34:45 un certain nombre de biens dans le secteur automobile.
00:34:47 Donc, on entend que leur matériel,
00:34:49 tout ce qui est camion, tout ce qui est voiture,
00:34:51 tout ce qui est... Il ne peut pas être réparé.
00:34:53 Donc, oui, s'approvisionner en termes de pièces détachées,
00:34:56 plus en Europe, alors que l'Europe était quand même,
00:34:59 à priori, un des secteurs, un des continents
00:35:01 qui la provisionnaient le plus.
00:35:03 Donc, aujourd'hui, ça devient compliqué.
00:35:05 Donc, le risque, c'est potentiel.
00:35:07 - Il y a des gens qui vont quelque part.
00:35:09 - Alors, ils s'approvisionnent.
00:35:11 Ils s'approvisionnent, évidemment.
00:35:13 Ils vont chercher ailleurs.
00:35:15 Mais tout le monde n'avait pas la capacité
00:35:17 de pouvoir... technique, de pouvoir approvisionner la Russie.
00:35:19 Je veux dire, la Chine ou l'Inde
00:35:21 ne sont pas au même niveau que l'Europe
00:35:23 ou les Etats-Unis en termes de compétences.
00:35:25 Alors, ce qui existe encore aujourd'hui
00:35:27 comme menace, mais qui, à mon avis,
00:35:29 n'en est pas une, c'est qu'au début du conflit,
00:35:31 c'était à l'été dernier,
00:35:33 ils menaçaient de nationaliser,
00:35:35 tout l'appareil industriel
00:35:37 de filiales de groupes européens
00:35:39 qui étaient en Russie.
00:35:41 Donc, il y avait une menace. On va aller réquisitionner.
00:35:43 On va nationaliser, ce qui va nous permettre
00:35:45 de reconstruire un peu l'appareil industriel.
00:35:47 Ils ne l'ont pas fait. Je ne sais pas pourquoi.
00:35:49 Peut-être qu'ils se sont dit que nationaliser
00:35:51 un outil industriel, après, s'il n'y a personne
00:35:53 pour l'exploiter, puisque de toute façon,
00:35:55 on ne peut plus approvisionner, ça ne sert à rien.
00:35:57 Mais aujourd'hui, voilà, c'est un risque.
00:35:59 - Est-ce que toutes les entreprises européennes
00:36:01 ont quitté la Russie ?
00:36:03 - En dépit du fait qu'elles sont toujours là-bas,
00:36:05 on ne les sanctionne pas ?
00:36:07 - Pourquoi elles n'auraient pas le droit
00:36:09 de rester là-bas ?
00:36:11 - Du fait des sanctions.
00:36:13 - Non, c'est là qu'il faut faire attention.
00:36:15 Les sanctions ne sont pas globales.
00:36:17 On a 11 packages.
00:36:19 - Ça ne concerne pas tous les domaines.
00:36:21 - Ça ne concerne pas tous les domaines,
00:36:23 ça ne concerne pas toutes les personnes.
00:36:25 Donc, il y a des secteurs entiers, encore,
00:36:27 qui sont "autorisés".
00:36:29 Donc, aller demander à une société française
00:36:31 ou européenne qui a une filiale en Russie
00:36:33 de la fermer alors que, légalement,
00:36:35 elle n'est pas contrainte de le faire,
00:36:37 c'est aussi un risque pour les personnes
00:36:39 qui sont là-bas.
00:36:41 Aller éteindre, fermer une société
00:36:43 ou la liquider sur place
00:36:45 et donc mettre au chômage...
00:36:47 Mais il y a un risque aussi sécuritaire
00:36:49 pour les personnes qui sont sur place.
00:36:51 Donc, lorsque le secteur n'est pas sanctionné,
00:36:53 prendre la décision de fermer
00:36:55 n'est pas une décision anodine.
00:36:57 Et donc, oui, il y en a aujourd'hui
00:36:59 qui ne l'ont pas prise et elles ont leur raison.
00:37:01 - Mathélie ?
00:37:03 - Il y a plusieurs types d'entreprises
00:37:05 qui sont parties et donc, par défaut,
00:37:07 plusieurs types qui sont restés.
00:37:09 Les premières entreprises à partir
00:37:11 sont des entreprises qui ont dit
00:37:13 "Nous, on ne veut pas cautionner la guerre.
00:37:15 Si on reste en Russie, on va considérer..."
00:37:17 Alors, nous, entreprise, ou nos consommateurs
00:37:19 vont considérer qu'on finance la guerre
00:37:21 donc on s'en va.
00:37:23 Ça a été le cas de McDonald's, très rapidement.
00:37:25 Ils ont plié les bagages, ils sont partis.
00:37:27 Et ils sont souvent là dans un risque réputationnel.
00:37:29 C'est souvent des entreprises qui ont...
00:37:31 qui avaient très peu d'intérêts en Russie.
00:37:33 Je crois que McDonald's, c'était 0,1%
00:37:35 de leur chiffre d'affaires.
00:37:37 Et qui avaient beaucoup de clients à l'étranger
00:37:39 qui risquaient de se positionner là-dessus.
00:37:41 Donc, vous avez eu ce premier phénomène-là.
00:37:43 Vous avez eu ensuite des entreprises
00:37:45 qui pensaient pouvoir rester et puis qui se sont aperçues
00:37:47 qu'avec les sanctions, ça allait être très compliqué
00:37:49 de continuer à travailler en Russie
00:37:51 donc ils ont préféré partir.
00:37:53 Dans le secteur automobile, par exemple,
00:37:55 on a vu un certain nombre d'entreprises
00:37:57 qui se sont retirées après quelques semaines de conflit
00:37:59 parce que les approvisionnements se révélaient
00:38:01 très difficiles avec les sanctions
00:38:03 et ne pouvaient plus travailler.
00:38:05 Et puis les entreprises qui sont restées,
00:38:07 ce sont celles qui étaient moins impactées par les sanctions
00:38:09 parce qu'on ne sanctionne pas le secteur de la santé,
00:38:11 les médicaments, on ne sanctionne pas l'alimentaire non plus.
00:38:13 Le but, c'est pas de faire mourir de faim
00:38:15 la population.
00:38:17 Donc les grands distributeurs, par exemple,
00:38:19 sont restés.
00:38:21 On se rend compte rétrospectivement
00:38:23 que naïvement on pensait que
00:38:25 le gouvernement russe allait applaudir,
00:38:27 il reste formidable, c'est génial.
00:38:29 Non, le gouvernement russe instrumentalise
00:38:31 aussi ces entreprises occidentales
00:38:33 et les met face à leur contradiction.
00:38:35 C'est-à-dire au fond, on est en conflit
00:38:37 ou en opposition avec vos Etats
00:38:39 et vous, vous continuez à faire des affaires
00:38:41 et beaucoup d'argent chez nous,
00:38:43 on va en profiter nous aussi.
00:38:45 Et puis elles se retrouvent dans des situations un petit peu délicates.
00:38:47 Je crois qu'il y a eu quelques scandales
00:38:49 ces dernières semaines qui ont mis tout ça en évidence.
00:38:51 Alors justement, on faisait allusion tout à l'heure
00:38:53 aux réponses, ou pas,
00:38:55 des Russes et des Chinois,
00:38:57 d'ailleurs, à la guerre économique
00:38:59 qu'on leur mène.
00:39:01 Et alors là, la réponse
00:39:03 toute faite, c'est la dédollarisation.
00:39:05 L'idée...
00:39:07 Alors, est-ce que ça peut marcher, la dédollarisation
00:39:09 du monde ? Est-ce que demain,
00:39:11 les Russes et les Chinois, comme ils ont l'air d'y penser,
00:39:13 pourraient
00:39:15 faire payer leurs échanges, notamment
00:39:17 avec l'Afrique ou avec d'autres parties du monde,
00:39:19 dans une autre devise
00:39:21 que le dollar, en Yuan, par exemple ?
00:39:23 Qu'est-ce qui l'empêche ?
00:39:25 Alors, on s'oriente
00:39:27 quand même vers
00:39:29 une montée en puissance de nouvelles
00:39:31 monnaies. Aujourd'hui, la monnaie,
00:39:33 depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la monnaie
00:39:35 qui représente 75% des échanges, c'est le dollar.
00:39:37 Il y a eu des alternatives.
00:39:39 L'euro s'est présenté comme une alternative.
00:39:41 Le yen, à une époque, quand le Japon
00:39:43 était en croissance, simplement,
00:39:45 c'est très, très compliqué. Pourquoi ?
00:39:47 C'est très compliqué parce qu'au-delà
00:39:49 du symbole politique,
00:39:51 au fond, je paye en Yuan, etc.,
00:39:53 c'est vrai que pour
00:39:55 qu'une monnaie devienne internationale, il faut
00:39:57 que la banque centrale de ce pays-là
00:39:59 soit prête à alimenter
00:40:01 l'ensemble des marchés en liquidité.
00:40:03 Et ça, ça a un coût économique pour votre
00:40:05 propre économie. Il faut savoir qu'en 1945,
00:40:07 quand la livre Sterling se révèle
00:40:09 incapable de redevenir la monnaie mondiale
00:40:11 qu'elle a été, les Américains tiquent
00:40:13 un peu. Ils ne veulent pas du tout que le dollar prenne la place
00:40:15 parce que ça oblige,
00:40:17 en fait, d'avoir une monnaie internationale.
00:40:19 Ça vous oblige à une politique monétaire
00:40:21 qui, pendant très longtemps aux États-Unis,
00:40:23 a affaibli le dollar, a entraîné de l'inflation,
00:40:25 etc., etc. Donc, il y a
00:40:27 une volonté... - A l'époque, c'est parce que c'était convertible
00:40:29 en or, aussi. - A l'époque, c'était aussi
00:40:31 parce que c'était convertible en or. Mais pas que. Même après,
00:40:33 dans les années 70, il y a eu des moments
00:40:35 où le dollar était très cher, des moments où il était bien
00:40:37 moins cher, et ce n'était pas totalement maîtrisé
00:40:39 par les réserves fédérales américaines.
00:40:41 Donc, il y a cet impact-là. Et puis, surtout,
00:40:43 depuis toutes ces décennies que le dollar domine,
00:40:45 vous avez des réserves en dollars,
00:40:47 vous avez... Et donc, la valeur
00:40:49 du dollar dépend de tout cet acquis.
00:40:51 Et si on change
00:40:53 trop rapidement la donne, si
00:40:55 trop rapidement on réduit le poids
00:40:57 du dollar, vous allez affaiblir
00:40:59 le dollar et vous allez perdre
00:41:01 beaucoup d'argent. Et je ne vous parle pas que des États-Unis.
00:41:03 Les Chinois ont beaucoup
00:41:05 d'avoir en dollars. Ils perdraient beaucoup d'argent.
00:41:07 Donc, il y a véritablement une volonté
00:41:09 d'aller vers cette diversification.
00:41:11 Ça se fera peut-être.
00:41:13 Jusque-là, on n'a pas de précédent historique.
00:41:15 L'euro a un petit peu
00:41:17 remplacé le dollar, mais dans une
00:41:19 moindre mesure. Donc, il n'y a pas de précédent
00:41:21 historique. Mais avec la Chine, on est quand même
00:41:23 face à une grande économie qui vise à être
00:41:25 la première puissance économique mondiale.
00:41:27 Donc, qui poussera le yuan ?
00:41:29 Mais ça se fera sur plusieurs années,
00:41:31 voire plusieurs décennies, parce que même
00:41:33 les Chinois n'ont pas qu'à gagner
00:41:35 de cette évolution si elle est trop rapide.
00:41:37 - Alors, cela dit, les Américains, ils gagnent
00:41:39 parce que ça leur permet de vivre à crédit.
00:41:41 Le fait que le dollar soit...
00:41:43 - Oui, c'est l'exorbitant privilège
00:41:45 dont on nous parle depuis les années 60.
00:41:47 Le fait que, de toute façon,
00:41:49 les Américains ne subissent pas
00:41:51 d'effet taux de change, puisque de toute façon,
00:41:53 le dollar est la monnaie internationale.
00:41:55 Mais derrière cet exorbitant privilège,
00:41:57 vous êtes aussi tenu.
00:41:59 On l'a vu très clairement en
00:42:01 2012, peu après, 4 ans
00:42:03 après la crise de 2008, quand les Américains
00:42:05 ont voulu remonter leur taux d'intérêt
00:42:07 parce que la Banque centrale américaine
00:42:09 était trop exposée. Et là, on s'est retrouvés
00:42:11 avec des pays émergents qui étaient
00:42:13 en grande difficulté avec une relance
00:42:15 de l'inflation, parce que les capitaux,
00:42:17 dès que vous augmentez vos taux d'intérêt,
00:42:19 les capitaux se repositionnent aux Etats-Unis.
00:42:21 Et donc, la Banque...
00:42:23 la Réserve fédérale américaine a rétro-pédalé
00:42:25 et a rebaissé ses taux d'intérêt.
00:42:27 Donc, on voit que ce n'est pas si simple
00:42:29 que ça, d'avoir une monnaie internationale.
00:42:31 C'est un avantage
00:42:33 par plein d'aspects. Et en tout cas,
00:42:35 ce qui est certain, c'est que les choses ne peuvent pas bouger.
00:42:37 On ne peut pas avoir de rupture.
00:42:39 Et ça ne peut pas se produire en quelques mois.
00:42:41 Il faudra des années
00:42:43 pour la stabilité
00:42:45 de l'économie mondiale, tout simplement.
00:42:47 - Mais reconnaissez que les Américains
00:42:49 n'ont pas du tout envie que ça se produise.
00:42:51 - Non, clairement. - Voilà. Parce qu'ils tirent
00:42:53 avantage du fait d'être... - Il y a le symbole
00:42:55 de la monnaie. - Oui, et puis de pouvoir vivre à crédit
00:42:57 quand même. Et ils ne s'en privent pas.
00:42:59 Olivier Athias, sur ce sujet ?
00:43:01 - Je ne veux pas grand-chose ajouter, mais c'est vrai
00:43:03 qu'en plus, le dollar,
00:43:05 le dollar leur permet surtout d'attraper,
00:43:07 de se faire un petit peu le gendarme du monde,
00:43:09 puisqu'ils s'en servent comme une... - L'extraterritorialité.
00:43:11 - Comme une forme de compétence
00:43:13 sur tout le monde. Et lorsque vous faites une transaction
00:43:15 en dollars, tout d'un coup, ça permet,
00:43:17 dans certains cas, on ne va pas en faire une généralité,
00:43:19 mais un tribunal américain, un juge américain,
00:43:21 d'estimer qu'il est compétent pour traiter du dossier.
00:43:23 Donc ça a permis,
00:43:25 ça a permis parfois d'attraper, regardez la dernière affaire
00:43:27 de La Farge, sur
00:43:29 le financement du terrorisme. Pourquoi
00:43:31 il y a eu cet accord aux Etats-Unis
00:43:33 avec le DOJ ? C'est tout simplement
00:43:35 parce que la transaction avait été en dollars.
00:43:37 On avait un groupe français
00:43:39 qui était suspecté d'avoir financé
00:43:41 le terrorisme, donc en Syrie,
00:43:43 et tout d'un coup,
00:43:45 ils l'ont fait en dollars, donc tout d'un coup,
00:43:47 le juge américain était compétent. Donc
00:43:49 renoncer à cette forme de compétence qui leur permet d'être
00:43:51 le gendarme du monde aujourd'hui,
00:43:53 il y a un pas.
00:43:55 - Les sanctions que nous avons prises,
00:43:57 très nombreuses, très spectaculaires,
00:43:59 contre les oligarques
00:44:01 russes,
00:44:03 on dit oligarque, on pourrait se contenter
00:44:05 de dire millionnaire ou milliardaire, comme tout le monde,
00:44:07 mais pour nous, c'est des oligarques.
00:44:09 Toutes ces sanctions,
00:44:11 on a vu tout à coup des yachts splendides,
00:44:13 ils n'avaient plus le droit de monter dessus.
00:44:15 Est-ce que ça a eu un effet
00:44:17 autre que de faire de belles photos
00:44:19 dans les journaux ? - Vraisemblablement pas,
00:44:21 puisque comme on le disait au tout début de l'émission,
00:44:23 ils ne sont pas allés convaincre
00:44:25 Vladimir Poutine qu'il était temps d'arrêter cette guerre,
00:44:27 et il semblerait
00:44:29 qu'un an après le début
00:44:31 du conflit, ils récupèrent progressivement
00:44:33 tous leurs avoirs, alors
00:44:35 ils ont un petit peu souffert, mais pas autant qu'on pourrait l'imaginer,
00:44:37 et en tout cas,
00:44:39 ils ne sont pas allés
00:44:41 demander à Vladimir Poutine d'arrêter cette guerre.
00:44:43 - Il paraît même que Vladimir Poutine
00:44:45 leur a dit "Vous voyez, vous pensiez que
00:44:47 les Occidentaux vous aimaient bien, mais en fait, ils ne vous aiment pas du tout."
00:44:49 - Il est allé un peu plus loin,
00:44:51 il a été un peu plus brutal, certaines fois.
00:44:53 - En gros, c'était le message.
00:44:55 - Oui, c'est clair. - Il disait "On oublie tout,
00:44:57 vous revenez à la maison et on n'en parle plus,
00:44:59 et vous oubliez vos villas, vos yachts
00:45:01 sur la côte d'Azur."
00:45:03 C'est ce qu'il leur a dit.
00:45:05 Olivier Athiès, là-dessus ? - Là-dessus, je ne pense pas
00:45:07 que pour parler des milliardaires ou des millionnaires russes,
00:45:09 je pense qu'ils n'ont pas
00:45:11 attendu 2022 et
00:45:13 la guerre en Ukraine pour s'organiser
00:45:15 sur leurs avoirs,
00:45:17 donc ils savaient que...
00:45:19 - On a vu quand même des beaux bateaux, des belles maisons.
00:45:21 - Oui, mais j'ai tendance à penser que leur patrimoine
00:45:23 ne résulte pas que de leurs yachts.
00:45:25 Je pense qu'ils ont des avoirs également ailleurs
00:45:27 et que, sachant que c'était
00:45:29 quelque chose qui pouvait arriver,
00:45:31 ils s'étaient organisés, ce qui fait que, en effet,
00:45:33 là, je suis d'accord, ça n'a pas eu forcément
00:45:35 l'effet escompté. Après,
00:45:37 quel pouvoir
00:45:39 il pourrait avoir de persuasion
00:45:41 sur Vladimir Poutine,
00:45:43 je pense qu'il était un peu illusoire de penser
00:45:45 qu'ils en avaient.
00:45:47 Je crus comprendre que
00:45:49 quand Vladimir Poutine demande aux oligarques
00:45:51 de venir le voir, ils n'ont pas le choix.
00:45:53 Et s'ils n'y vont pas, c'est un peu mal terminé.
00:45:55 Donc après, il faut aussi relativiser
00:45:57 le pouvoir. - Il y en a qui n'y vont pas,
00:45:59 mais ils vivent à l'étranger, tout simplement.
00:46:01 - Oui, mais ils ne vivent pas toujours très longtemps.
00:46:03 Il y a eu quelques cas... - Même à l'étranger.
00:46:05 - Même à l'étranger. Donc c'est vrai
00:46:07 qu'il y a... Je pense qu'il faut un petit peu
00:46:09 défantasmer ce...
00:46:11 Et je pense qu'on en revient, d'ailleurs,
00:46:13 de l'influence
00:46:15 des oligarques, pour prendre ce terme,
00:46:17 des oligarques russes sur Vladimir Poutine.
00:46:19 Donc c'est vrai qu'aujourd'hui,
00:46:21 je ne pense pas que ça ait eu un effet
00:46:23 sur ces oligarques de manière
00:46:25 financière, et puis sur
00:46:27 l'issue du conflit non plus.
00:46:29 - Revenons sur les sanctions économiques
00:46:31 contre le pays lui-même.
00:46:33 Est-ce que ça a marché,
00:46:35 déjà ? Est-ce qu'il y a eu
00:46:37 un cas où les sanctions économiques
00:46:39 contre un pays... - En général ?
00:46:41 - Oui, dans l'histoire.
00:46:43 Je crois que les sanctions économiques, on en fait
00:46:45 l'histoire depuis à peu près la Première Guerre mondiale.
00:46:47 Il y en a eu avant, mais il y a eu des blocus.
00:46:49 Mais vraies sanctions économiques, c'est depuis
00:46:51 la Première Guerre mondiale, me semble-t-il.
00:46:53 Mais est-ce que ça a déjà marché ?
00:46:55 Est-ce que ça a fait chuter un régime ?
00:46:57 Est-ce que ça a empêché un pays de
00:46:59 continuer une guerre ? - Alors, c'est vrai
00:47:01 qu'avant la Première Guerre mondiale, on imposait
00:47:03 des sanctions juste avant un conflit pour
00:47:05 affaiblir l'adversaire. Et à partir de la
00:47:07 fin de la Première Guerre mondiale, on change
00:47:09 de braquet et on décide qu'on va imposer des
00:47:11 sanctions pour faire changer d'avis
00:47:13 un dirigeant. - Changer de politique.
00:47:15 Le seul exemple, quand on pose la question
00:47:19 à des experts des sanctions convaincus que ça peut fonctionner,
00:47:23 le seul exemple qu'ils citent systématiquement,
00:47:25 c'est l'Afrique du Sud. Mais là aussi, c'est
00:47:27 extrêmement discutable. Est-ce que ce sont les sanctions
00:47:29 ou est-ce que c'est véritablement un changement
00:47:31 des populations, un plus grand investissement,
00:47:35 une montée en puissance des populations ?
00:47:38 - Il faut se rappeler qu'il y a eu de nombreux boycotts
00:47:40 contre l'apartheid. - Tout à fait.
00:47:42 - Et qu'à la fin, c'est vrai que ça...
00:47:46 Alors en tout cas, ils ont changé d'avis.
00:47:48 - Et avant la fin de l'apartheid, on avait constaté,
00:47:51 y compris en Occident, une prise de conscience
00:47:54 plus forte des sociétés civiles et qui s'opposaient
00:47:57 à cette apartheid. Est-ce que c'est pas plutôt ça
00:47:59 qui a fonctionné ? Donc ça, c'est un vrai sujet.
00:48:01 La question qui se pose ensuite, c'est qu'est-ce qu'on entend
00:48:04 par des sanctions qui marchent ?
00:48:06 Et c'est vrai que si c'est renversé un régime,
00:48:08 on est à peu près sûr que ça ne fonctionnera pas,
00:48:10 c'est même l'inverse qui se produit,
00:48:12 parce que la propagande du régime, vous l'avez dit tout à l'heure,
00:48:14 la propagande du régime consiste à dire "Regardez, vous souffrez,
00:48:16 c'est pas notre faute, c'est la faute des autres
00:48:18 parce qu'ils nous sanctionnent, etc."
00:48:20 Moi, ce qui m'étonne toujours dans les régimes de sanctions,
00:48:23 c'est qu'on impose des sanctions et on prévoit rarement
00:48:27 des conditions qui en permettront la lever,
00:48:29 ou alors c'est des conditions vraiment extrêmes,
00:48:31 vous arrêtez votre guerre, il n'y a pas de gradation
00:48:33 dans les conditions, et il n'y a surtout pas d'incitation.
00:48:35 La seule fois où j'ai observé un régime de sanctions
00:48:38 qui avait des incitations, je crois que c'était les Japonais
00:48:40 à l'encontre des Birmans et de la Birmanie,
00:48:42 et de la jeune Birmane, il y a déjà une bonne vingtaine d'années,
00:48:45 - Elle est toujours là d'ailleurs, la jeune Birmane.
00:48:47 - Qui est toujours là au demeurant, c'est clair,
00:48:49 mais les Japonais avaient obtenu quelques concessions
00:48:54 de la part de la junte, parce qu'ils avaient promis
00:48:57 que contre cette concession, ils rénoveraient l'aéroport,
00:49:00 je crois que c'était de Rangoon à l'époque,
00:49:02 et ça, c'est assez étonnant qu'on ne l'associe pas plus
00:49:06 à des sanctions, parce que je pense que ça pourrait avoir un poids,
00:49:09 ce n'est pas les sanctions qui fonctionnent, c'est l'incitation.
00:49:11 Barack Obama avait un petit peu joué à ça,
00:49:13 en arrivant à son premier mandat, il avait durci
00:49:16 tous les régimes de sanctions que pratiquaient les Etats-Unis,
00:49:18 et puis dans le deuxième mandat, il était à la négociation,
00:49:21 en disant "je l'élève si vous acceptez",
00:49:23 et on avait vu les résultats avec l'Iran.
00:49:25 Donc ça, vraisemblablement, ça peut fonctionner,
00:49:27 donc vous punissez très dur pour faire peur,
00:49:30 et puis une fois qu'on souffre vraiment, vous dites "bon allez,
00:49:33 on se remet autour de la table et on discute",
00:49:36 ça peut fonctionner, c'est le seul exemple que je vois.
00:49:40 Non, je suis complètement d'accord, d'ailleurs là,
00:49:42 pour les sanctions russes, on ne sait pas ce qu'elles feront,
00:49:44 qu'elles seront levées un jour, dans quelles mesures,
00:49:46 on n'a pas de calendrier, ça crée pour les opérateurs européens
00:49:51 une sorte de risque sur l'avenir, on ne sait pas
00:49:53 quand est-ce qu'on va s'en sortir, quand est-ce qu'on va pouvoir
00:49:55 retourner en Russie, qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui.
00:49:58 On parlait tout à l'heure des entreprises qui sont encore là-bas,
00:50:00 aujourd'hui, pour partir de Russie, il faut vendre à quelqu'un,
00:50:02 il n'y a pas de repreneurs, donc on se retrouve coincé parfois.
00:50:06 Et on n'a pas de visibilité, on ne sait pas où ça va aller,
00:50:09 puisqu'en effet, on n'a pas de visibilité sur le conflit,
00:50:11 mais même si demain le conflit se termine, les sanctions peut-être resteront,
00:50:15 puisqu'on ne sait pas comment le conflit se terminera,
00:50:17 et ça crée beaucoup d'aléas pour l'ensemble des opérateurs économiques européens.
00:50:22 Et donc c'est vrai, pour revenir à votre question tout à l'heure,
00:50:24 c'est vrai que ce sont eux qui souffrent aussi en premier,
00:50:29 mais c'est le jeu, en même temps, c'est la guerre,
00:50:31 je ne dis pas qu'il faut les retirer, mais en effet, c'est en gros...
00:50:35 Vous voyez bien que les Européens regardent et disent
00:50:37 "Oui, les Américains, eux, ne souffrent pas, au contraire,
00:50:40 même en profitent dans un certain nombre de sujets,
00:50:42 puisqu'ils ont remplacé les Russes en tant que fournisseurs, par exemple, de gaz".
00:50:46 Ils sont beaucoup moins dépendants que nous, on pouvait l'aide de la Russie en matière première.
00:50:50 Bien entendu, évidemment.
00:50:51 Je pense qu'on n'aurait pas pris de sanctions, on aurait été critiquables.
00:50:54 Non, non, mais bien entendu.
00:50:56 Est-ce qu'on évalue, au moment de prendre des sanctions,
00:50:59 est-ce qu'on évalue les retombées, les conséquences que ça va pouvoir avoir
00:51:04 pour ceux qui les prennent ?
00:51:06 Mais on les prend quand même jusqu'à un certain niveau.
00:51:08 Là, on se discute, alors il y a des discussions sur le prochain paquet,
00:51:11 d'intégrer le nucléaire civil ou pas.
00:51:13 On comprend que la France est plutôt opposée à ça,
00:51:16 puisque c'est un secteur important.
00:51:18 Alors, vous avez d'autres pays d'Europe de l'Est qui veulent absolument l'intégrer.
00:51:22 Donc, en effet, on prend en compte ses propres intérêts.
00:51:26 Mais il n'empêche qu'au final, on a appris quand même,
00:51:29 quasiment tous les secteurs de l'économie ont été visés.
00:51:32 Et quelque part, il fallait le faire.
00:51:34 Et maintenant, on en assume les conséquences.
00:51:36 Mais c'est le prix d'être habité dans le monde occidental avec certaines valeurs.
00:51:40 On a pris en compte l'impact des sanctions.
00:51:44 D'ailleurs, c'est bien pour ça qu'au tout début,
00:51:46 les premiers trains de sanctions ne touchaient pas au pétrole et au gaz.
00:51:49 Et on avait même protégé les banques par lesquelles passaient les transactions.
00:51:53 C'est quand Vladimir Poutine a demandé à ce qu'on paye en rouble,
00:51:57 a menacé de ne plus livrer, qu'on s'est dit tant qu'à ne plus avoir de gaz,
00:52:00 autant que ça vienne de nous et qu'on sanctionne.
00:52:03 Donc, on s'aperçoit qu'on y est allé.
00:52:04 Il a fallu 11 trains de sanctions pour un arrivé où on en est.
00:52:07 On y est allé très progressivement, parce qu'on savait que ça allait faire mal.
00:52:10 Et on savait que ça allait faire mal dans un contexte
00:52:12 qui n'était pas favorable à ça, qui n'était pas propice à ça.
00:52:15 Le premier élément, c'est qu'on était dans une très forte croissance
00:52:18 en période de récupération post-Covid.
00:52:20 Et on savait qu'on allait casser cette croissance-là.
00:52:23 Or, on avait besoin aussi, les finances publiques aussi,
00:52:25 avaient besoin de se reconstituer après le Covid.
00:52:27 Donc, c'était se tirer une balle dans le pied à tous les niveaux.
00:52:30 Et le deuxième élément, c'est qu'il y avait déjà de l'inflation,
00:52:33 parce que le Covid, y compris et en particulier sur les prix de l'énergie,
00:52:36 sur les prix des produits agricoles, et on savait qu'en touchant la Russie,
00:52:39 ça allait encore accélérer cette inflation-là.
00:52:42 Donc, oui, on connaissait ces effets-là.
00:52:44 Simplement, que devait-on faire, en fait ?
00:52:46 C'est un peu la question qui a été posée.
00:52:48 – On sait maintenant qui a saboté Nord Stream 2 ?
00:52:51 – Non.
00:52:52 – Je ne suis qu'un avocat, donc ça l'a dit.
00:52:55 Je n'aurai pas la réponse.
00:52:57 – Aucune n'ont plus de votre côté ?
00:52:59 Non, personne ne sait ? On ne sait pas.
00:53:01 – On ne sache pas d'ailleurs.
00:53:03 C'est étonnant qu'on ne sache pas.
00:53:06 – Ah ben oui, c'est très étonnant.
00:53:08 Mais normalement, on est plus rapide que ça pour trouver.
00:53:10 Mais une conclusion très provisoire, bien entendu, sur les sanctions.
00:53:16 Donc, bonne opération, en tout cas qui n'est pas aussi dramatique
00:53:21 que pourraient le penser les prévisions du FMI.
00:53:25 – Alors, peut-être pas bonne opération,
00:53:27 parce que ce n'est jamais une bonne opération que de sanctionner.
00:53:30 Mais en tout cas, c'était incontournable.
00:53:32 C'était ça où la guerre, et la guerre était impossible.
00:53:34 – Oui, c'est quand même une manière de ne pas faire la guerre tout en la faisant.
00:53:37 – Par contre, soyons prudents sur les impacts que ça a sur la Russie.
00:53:41 D'abord, parce que ça a forcément des impacts,
00:53:43 comme la guerre a des impacts aussi.
00:53:45 Et puis surtout, pensons à l'après.
00:53:47 – Pas mieux, aujourd'hui.
00:53:49 – Pas mieux ?
00:53:50 – Pas mieux, non.
00:53:51 Ce n'est pas une bonne opération, mais ce n'était pas une opération, en fait.
00:53:54 Il y avait l'idée qu'il fallait le faire, on devait le faire.
00:53:56 Je pense qu'on n'avait pas d'autre choix que de le faire.
00:53:58 Heureusement, on l'a fait de manière coordonnée.
00:54:00 Et ça, c'est quand même quelque chose qu'il faudra retenir.
00:54:02 Et maintenant, on verra à l'avenir comment on peut revenir en arrière.
00:54:06 Parce qu'encore une fois, les sanctions, c'est un état exceptionnel du droit.
00:54:08 Donc, l'idée, c'est de revenir à quelque chose de stabilisé.
00:54:11 – Merci Olivier Lattiaz, puisque vous nous quittez.
00:54:16 Juste avant le rappel des titres, je vous rappelle moi-même
00:54:19 qu'après, nous allons parler du projet de Papandiaï
00:54:25 qui voudrait plus de mixité sociale dans les collèges privés sous contrat.
00:54:31 Évidemment, ça ne met pas tout le monde de bonne humeur.
00:54:35 On va le voir, mais d'abord, Isabelle Piboulot, le rappel des titres.
00:54:39 [Générique]
00:54:43 En septembre, trois personnes seront jugées pour outrage envers Emmanuel Macron.
00:54:47 Deux hommes et une femme, sans antécédent judiciaire,
00:54:50 mais à qui il est reproché d'avoir fait des doigts d'honneur
00:54:53 et insulté le président de la République
00:54:55 lors de sa visite à Célesta en Alsace mercredi.
00:54:59 Une quatrième personne avait été interpellée et placée en garde à vue,
00:55:02 mais son dossier a été classé sans suite.
00:55:05 Dans le Pas-de-Calais, à Berck-sur-Mer, le festival du cerf-volant a tourné au drame.
00:55:10 Une voiture a accidentellement renversé dix personnes,
00:55:13 faisant six blessés légers et quatre en urgence absolue.
00:55:17 Un enfant est en état de choc.
00:55:19 Le conducteur aurait perdu le contrôle de son véhicule.
00:55:22 Et puis en tennis, mauvaise nouvelle pour Novak Djokovic.
00:55:26 Le numéro un mondial a déclaré forfait pour le Masters 1000 de Madrid,
00:55:30 qui commence lundi.
00:55:31 Le cerf doit y renoncer en raison de douleurs au cou de droit.
00:55:35 Une annonce qui survient deux jours après le forfait de Rafael Nadal,
00:55:39 blessé au psoas.
00:55:41 Des absences qui soulèvent des inquiétudes à l'approche de Roland-Garros le 28 mai.
00:55:45 Bienvenue, si vous nous rejoignez maintenant,
00:55:51 je vous présente nos visiteurs du soir.
00:55:53 Sylvie Mettelli est économiste, directrice adjointe de l'IRIS,
00:55:56 l'Institut des Relations Internationales et Stratégiques.
00:55:59 Jean-Noël Fabiani-Salmon nous régalera tout à l'heure
00:56:03 de ses 30 nouvelles histoires insolites qui ont fait la médecine,
00:56:06 du Moyen-Âge à nos jours.
00:56:08 Agnès Vanzanten est sociologue,
00:56:11 elle est l'auteur des politiques d'éducation chez Que sais-je,
00:56:15 et co-auteur d'une sociologie de l'école.
00:56:17 Emric Patricot vient de nous rejoindre,
00:56:20 il est professeur de lettres et de culture générale depuis 20 ans,
00:56:23 au moins l'auteur...
00:56:24 - 15 ans.
00:56:25 - 15 ans, pardon.
00:56:26 - Vous êtes bientôt dans 20 ans.
00:56:27 - Il est l'auteur d'une dizaine de romans et d'essais,
00:56:29 dont Autant portrait du professeur en territoire difficile
00:56:33 et La révolte des Gaulois, c'est plus récent,
00:56:36 ainsi que Jean-Pierre Véran qui est avec nous en duplex,
00:56:39 ancien inspecteur d'académie qui a écrit avec Jean-Louis Durpaire
00:56:44 Le bonheur, une révolution pour l'école.
00:56:47 C'est l'école en effet qui nous intéresse à présent.
00:56:50 Le ministre de l'Éducation nationale, Pape Ndiaye,
00:56:53 a annoncé des premières mesures pour relever le niveau
00:56:56 des élèves de CM1, CM2 et de 6e, plus de dictées,
00:57:00 plus de calcul mental, tout le monde est d'accord,
00:57:03 mais il souhaiterait également plus de mixité sociale
00:57:06 dans les établissements privés sous contrat.
00:57:08 Le secrétaire général de l'enseignement catholique
00:57:11 lui a répondu qu'une politique de quota,
00:57:13 c'était la ligne rouge à ne pas franchir,
00:57:15 à quoi le ministre a rétorqué qu'il n'attendait pas
00:57:18 un vague engagement, je le cite, mais un engagement
00:57:22 avec des pourcentages.
00:57:24 Agnès Van Zanten, est-ce qu'on est en train de retourner
00:57:28 vers une guerre entre le privé et le public ?
00:57:31 Non, pas vraiment, je ne pense pas, parce qu'en fait
00:57:34 la capacité de l'État actuellement pour faire bouger
00:57:38 le privé est très limitée, donc effectivement
00:57:41 il ne peut y avoir que des mesures incitatives,
00:57:43 il ne peut pas y avoir une imposition des quotas,
00:57:46 tel que si on reste dans le régime de la loi Desbrés
00:57:49 qui a laissé beaucoup d'autonomie au secteur privé,
00:57:53 - De loi Desbrés, 1959.
00:57:55 - 1959, et donc effectivement il y a une très grande
00:57:58 autonomie d'organisation du privé, et même le privé lui-même
00:58:02 ne peut pas faire que les écoles fassent les choses,
00:58:06 en fait le pouvoir central du privé est de nommer
00:58:10 les chefs d'établissement, une fois qu'ils sont nommés,
00:58:13 véritablement, surtout si c'est des établissements
00:58:15 prestigieux, importants, etc., ils ont toute autonomie,
00:58:18 toute latitude, donc il est très difficile de imposer
00:58:22 quoi que ce soit, même par l'enseignement catholique
00:58:25 lui-même en France. Donc je pense qu'il peut y avoir
00:58:28 effectivement des mesures incitatives, mais elles restent...
00:58:31 - Les mesures incitatives, on sait bien ce que c'est,
00:58:33 ce serait par exemple que les subventions,
00:58:36 qui sont très importantes, que les subventions
00:58:38 soient conditionnées par...
00:58:40 - Oui, mais le problème de cela, c'est que ces subventions
00:58:44 elles sont versées au niveau national et l'enseignement
00:58:47 catholique a toute latitude pour répartir cela
00:58:49 à tous les niveaux. Et donc le problème de la ségrégation
00:58:53 au sein de l'enseignement privé, puisque c'est de cela
00:58:55 que l'on parle, ne se pose pas de la même façon
00:58:58 partout en France, ça se pose surtout dans les grandes
00:59:00 métropoles. On sait qu'à Paris, par les dernières estimations
00:59:04 des collègues économistes, probablement dans 10 ans,
00:59:07 80% des enfants des classes supérieures seront
00:59:10 dans l'enseignement privé. Donc ça veut dire qu'on va
00:59:12 avoir un enseignement à Paris où il n'y aura,
00:59:15 dans l'enseignement public, que des classes moyennes
00:59:17 et des classes populaires. Et toutes les classes supérieures
00:59:20 ou presque, seront dans l'enseignement privé.
00:59:22 Donc à Paris et dans les grandes métropoles, à Lille, à Rennes,
00:59:25 à Lyon, ces problèmes se posent. Mais ça ne se pose pas
00:59:28 partout en France. C'est dans ces métropoles-là
00:59:30 qu'il faut agir.
00:59:31 - Émilie Patricot.
00:59:33 - Oui, pour remondir sur ce qui vient d'être dit,
00:59:35 je trouve qu'il y a d'ailleurs une certaine hypocrisie.
00:59:37 On brandit la valeur de la mixité, de la diversité,
00:59:40 mais on sait bien que tous les ministres placent
00:59:42 leurs enfants dans les meilleurs lycées, souvent privés.
00:59:45 Papendiaï, avec tout le respect que tu dois d'ailleurs,
00:59:48 est un excellent symbole de ça, puisqu'on sait qu'il a placé
00:59:51 ses enfants à l'école alsacienne, qui n'est d'ailleurs pas
00:59:54 uniquement une petite école privée, c'est carrément
00:59:56 une des plus élitistes, parmi les plus élitistes.
00:59:59 Et donc ce double discours, cette contradiction...
01:00:01 - Je suis sûr que le directeur de l'école alsacienne
01:00:03 ne vous suivrait pas sur le fait que c'est la plus élitiste
01:00:05 des plus élitistes.
01:00:06 - Il y a une...
01:00:07 - Disons que c'est une qui réussit très très bien.
01:00:09 - Moi je serais d'ailleurs ravi d'y mettre mes enfants.
01:00:12 Je ne blâme pas Papendiaï pour cette raison.
01:00:14 Mais ce qui me gêne un peu, c'est la contradiction
01:00:16 entre les valeurs affichées et puis les actes.
01:00:18 Or le public voit ça, il le sait.
01:00:20 Donc il voit des ministres qui fuient la mixité,
01:00:23 mais qui font l'éloge de la mixité.
01:00:25 Et donc on a l'impression un peu de valeurs,
01:00:27 enfin de leçons de morale qui viennent de l'élite
01:00:29 et qui disent aux classes moyennes et aux classes populaires
01:00:31 "on va vous mélanger, comme ça on aura bonne conscience,
01:00:34 en attendant, nous on se protège".
01:00:36 Et puis cette hypocrisie n'est d'ailleurs pas uniquement
01:00:40 décelable chez les ministres.
01:00:41 En fait maintenant, les bourgeois, ceux qu'on appelle
01:00:43 les bobos et même les classes populaires,
01:00:45 fuient quand même en masse le système public.
01:00:48 Donc je trouve que c'est un faux problème
01:00:51 que de désigner l'école privée comme pratiquant la ségrégation.
01:00:56 Le vrai problème de fond, c'est que le système public
01:00:59 n'est plus attractif.
01:01:00 Je ne crois pas, parce que je crois qu'il y a effectivement
01:01:03 un effet d'offre qui joue très très fort.
01:01:05 Il y a un effet d'appel énorme.
01:01:07 S'il n'y avait pas cette école privée subventionnée par l'État,
01:01:10 ce qui est un public bis en France,
01:01:13 ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays,
01:01:14 en Angleterre, on ne peut pas aller au privé
01:01:16 comme on va en France.
01:01:17 - Moi je trouve ça bien.
01:01:18 - Pourquoi ?
01:01:19 - Parce que le privé est extrêmement cher.
01:01:21 Il n'est pas subventionné par l'État.
01:01:23 - Il est hors d'atteinte.
01:01:24 - Il est hors des prix.
01:01:25 Donc c'est véritablement les catégories très très supérieures
01:01:27 qui vont dans le privé.
01:01:28 Alors qu'en France, on a créé un système concurrentiel
01:01:31 à l'intérieur même du système.
01:01:33 Donc on ne peut pas dire, on ne peut pas faire reposer
01:01:36 ce qui se passe actuellement seulement dans les comportements
01:01:38 des individus.
01:01:39 Il y a une interaction entre une offre qui est là,
01:01:42 qui est ouverte, où il y a de la place,
01:01:45 qu'on a laissé grandir, développer des stratégies,
01:01:47 ne pas soumettre l'enseignement privé à la carte scolaire,
01:01:50 et à côté de ça, un enseignement public
01:01:53 qui accueille la très grande majorité d'enfants
01:01:55 des milieux populaires,
01:01:56 la très très grande majorité d'enfants issus de l'immigration.
01:01:59 Donc effectivement, on a une inégalité de facto
01:02:03 très très forte qui est créée par le système lui-même.
01:02:06 Après, les comportements des acteurs s'ajustent.
01:02:08 Il y a le système, mais ensuite il y a la rationalité des agents.
01:02:12 Moi, je suis désolé, je prends mon cas,
01:02:14 celui d'à peu près tous mes amis.
01:02:16 Moi, je m'habite dans une petite ville de 20 000 habitants,
01:02:18 où d'ailleurs il y a assez peu de...
01:02:20 Il n'y a pas de grands ensembles,
01:02:21 donc il n'y a pas de question de non culturel.
01:02:23 Et dans mon secteur, il y avait le collège public
01:02:27 qui était un peu dégradé, tout simplement,
01:02:29 parce que certains profs étaient absentéistes, par exemple,
01:02:31 et ce n'est pas forcément de leur faute.
01:02:33 Mais au moment de placer mes enfants,
01:02:35 je fais du benchmarking, comme on dit, je compare les deux.
01:02:37 Et il se trouve que dans mon secteur,
01:02:39 l'école privée avait meilleure réputation.
01:02:41 - Mais si elle n'existe pas,
01:02:43 si elle n'avait pas eu l'école privée subventionnée,
01:02:45 vous n'auriez pas fait ce choix.
01:02:47 - C'est très bien qu'il y ait un double système.
01:02:49 - Non, mais vous n'auriez pas fait ce choix si ce système n'existait pas.
01:02:51 - On va se tourner, je vais à Jean-Pierre Véran,
01:02:53 parce que je vous rappelle que...
01:02:54 - Mais c'est bien d'avoir le choix.
01:02:55 - Non, non.
01:02:56 - Je vous rappelle que le projet de Papendia,
01:02:58 il ne sait pas de vous empêcher de mettre vos enfants dans le milieu.
01:03:00 - Non, clairement pas.
01:03:01 - Il voudrait que dans la même classe que vos enfants,
01:03:03 il y ait aussi un peu de mixité sociale.
01:03:07 Soit par le quota, soit par les affectations,
01:03:10 ça on en reparlera.
01:03:11 Mais d'abord, Jean-Pierre Véran,
01:03:13 que pensez-vous de ce retour,
01:03:15 je sais bien que c'est un peu un cliché,
01:03:17 une facilité que de le présenter comme ça,
01:03:19 mais ce retour de la guerre publique-privée ?
01:03:23 - Alors ce que je voudrais dire, si vous voulez,
01:03:25 plutôt que d'entrer dans le schéma rebattu de la guerre publique-privée,
01:03:30 c'est quand même situer la question de l'existence
01:03:34 d'un séparatisme social et scolaire dans notre pays,
01:03:38 dont l'enseignement privé est un des éléments,
01:03:41 mais pas le seul et pas l'unique.
01:03:44 C'est vrai que l'enseignement privé,
01:03:47 quand on regarde les 10 % d'établissements les moins favorisés
01:03:51 du point de vue de l'indice de position sociale,
01:03:54 les établissements privés représentent 4 % de ce décile-là.
01:03:59 En revanche, ils représentent 60 % du décile des 10 % les plus favorisés.
01:04:05 Et ils sont même à 90 % sur les 10 premiers établissements les plus favorisés.
01:04:10 Donc 9 établissements privés pour un établissement public.
01:04:13 Donc c'est vrai que l'enseignement privé joue son rôle
01:04:17 dans le séparatisme social et scolaire.
01:04:20 Mais il n'est pas le seul, puisqu'il y a de fortes inégalités aussi
01:04:25 entre des établissements publics eux-mêmes.
01:04:28 Donc ça c'est la première observation que je fais.
01:04:33 La seconde, c'est qu'effectivement,
01:04:37 il y a un phénomène large, un phénomène social,
01:04:40 que Éric Morin a décrit dans un ouvrage publié en 2004
01:04:45 qu'il a appelé "Le ghetto français",
01:04:47 en expliquant que la France est caractérisée plutôt par des ghettos de riches,
01:04:51 des ghettos favorisés, de gens favorisés,
01:04:55 qui pratiquent l'entre-soi, et notamment l'entre-soi scolaire.
01:04:58 Donc ça c'est la première observation.
01:05:01 Et la deuxième observation que je voudrais faire,
01:05:04 à propos de cette incitation au séparatisme social,
01:05:08 c'est que, cette incitation plutôt à la mixité sociale
01:05:12 dirigée vers l'enseignement privé,
01:05:15 c'est que tel que le ministre l'envisage,
01:05:19 cela risque finalement de ne pas forcément
01:05:22 aboutir à ce qu'il souhaite sans doute très sincèrement.
01:05:26 C'est-à-dire que si on demande par exemple,
01:05:29 parce que, comme le disait Agnès Van Zanten,
01:05:33 il s'agit de trouver un arrangement
01:05:37 qui ne puisse pas être contraignant,
01:05:40 vu le statut de l'enseignement privé dans notre pays,
01:05:43 eh bien, si l'arrangement visait à dire
01:05:47 qu'il faut que les établissements privés
01:05:52 accueillent plus d'élèves boursiers
01:05:54 de façon à favoriser, à renforcer la mixité sociale dans leur effectif,
01:05:59 eh bien, on pourrait, étant donné que l'établissement privé
01:06:03 a sa liberté de choix des élèves,
01:06:06 c'est qu'il choisira évidemment les boursiers avec les meilleurs dossiers.
01:06:10 Et que par conséquent, on aura un évitement renforcé,
01:06:14 en quelque sorte, qui va priver certains établissements publics
01:06:18 de la présence de ces élèves boursiers qui ont un bon niveau scolaire.
01:06:22 Donc, finalement, on risque, en mettant l'accent là-dessus,
01:06:26 de ne pas arriver au but recherché.
01:06:29 – Au fond, j'ai l'impression que l'existence du privé
01:06:33 et le fait qu'on le subventionne dans un pays comme la France,
01:06:37 c'était justifié par le respect de la liberté de conscience.
01:06:40 Et on a l'impression qu'aujourd'hui,
01:06:42 ce n'est plus du tout cette ligne-là qui est opérationnelle.
01:06:48 C'est une ligne, effectivement,
01:06:52 qu'on ne voudrait pas que nos enfants aillent
01:06:56 avec les enfants des classes "inférieures",
01:07:00 ou tout simplement parce qu'on pense que l'enseignement là
01:07:03 est meilleur du fait qu'on y ait entre enfants des classes "supérieures".
01:07:10 – C'est pour cela, effectivement, que je pense que le système actuel
01:07:13 ne peut pas tout à fait tenir.
01:07:15 Parce qu'effectivement, il était tout à fait normal de se dire
01:07:18 "mais il y a une liberté des religions, il y a une liberté des croyances,
01:07:22 et donc les gens peuvent choisir l'école".
01:07:24 Mais effectivement, la loi Desbrés a permis à l'enseignement privé
01:07:28 d'abord d'avoir beaucoup d'argent, et donc de se reconvertir
01:07:32 à un moment, effectivement, où on instaurait en même temps
01:07:36 la carte scolaire pour l'enseignement public.
01:07:38 Donc petit à petit, dans les années 70-80,
01:07:41 les établissements privés sont devenus beaucoup plus sélectifs,
01:07:45 par ailleurs se sont spécialisés, ont pris en charge des élèves
01:07:49 en difficulté, les élèves qui avaient besoin des questions des disciplines,
01:07:54 donc toutes sortes de problèmes, et donc se sont reconvertis
01:07:57 dans tout un ensemble de fonctions comme un recours
01:08:01 par rapport à l'enseignement public.
01:08:03 – Sachant que l'enseignement privé est subventionné,
01:08:06 mais lui, à la différence du public, il a le droit de choisir ses élèves.
01:08:09 – Il peut choisir ses élèves, et surtout, il faut aussi rappeler,
01:08:13 non seulement les choisir, mais aussi les mettre à la porte
01:08:16 quand ces élèves, ça ne marche pas.
01:08:18 Et donc l'enseignement public a l'obligation d'accueillir,
01:08:21 tant qu'on est dans l'obligation scolaire, d'accueillir tous ses élèves
01:08:25 qui sont parfois sortis de l'enseignement privé en cours d'année, par exemple.
01:08:30 Donc je pense qu'effectivement, l'enseignement privé remplit
01:08:33 pour les familles aujourd'hui toutes ces fonctions,
01:08:35 mais c'est très problématique parce que ça veut dire
01:08:38 qu'on n'investit pas l'enseignement public,
01:08:42 parce que la solution la plus facile, dès lors que l'on voit qu'il y a un problème,
01:08:46 que ce soit un problème pédagogique, un problème des disciplines,
01:08:49 un autre problème, ce n'est pas de venir dans l'école,
01:08:52 protester, faire quelque chose, c'est de dire,
01:08:55 mais il est beaucoup plus facile de faire des fictions.
01:08:57 J'ai une école à côté, elle ne coûte pas très cher,
01:09:00 les classes moyennes peuvent le faire, même certaines fractions
01:09:02 des classes populaires peuvent aller à l'enseignement privé,
01:09:05 vu son coût en France, et donc du coup, on affaiblit
01:09:08 de plus en plus l'enseignement public.
01:09:10 Donc je pense que les règles du jeu ont changé,
01:09:13 donc les règles du jeu avec le privé devraient changer.
01:09:16 Mais c'est très difficile, comme vous avez dit au début des missions,
01:09:20 là ça va déterrer véritablement la guerre scolaire.
01:09:23 Si on dit, bien sûr, on arrête la loi des vrais, on fait autre chose, là non.
01:09:28 - On sait ce que ça a fait coûter la dernière fois, en 1984.
01:09:31 - Et donc dans le contexte actuel, effectivement, la marge d'action,
01:09:34 elle reste limitée, et surtout, de mon point de vue,
01:09:37 elle doit être localement ajustée, parce que l'enseignement privé
01:09:40 ailleurs peut ne pas poser problème du tout, du point de vue
01:09:44 de la ségrégation, dans les grandes métropoles, aujourd'hui,
01:09:47 c'est un vrai problème de fond.
01:09:50 - Alors, quand on dit que sans l'engagement des collèges privés,
01:09:54 la promesse de mixité sociale et scolaire ne peut être tenue,
01:09:57 vous êtes d'accord, Émoïque Patricot ?
01:10:00 - Pas vraiment, moi je trouve que le système public pourrait s'en sortir.
01:10:03 - Parce que c'est ce que laisse entendre le ministre, il dit,
01:10:06 voilà, si on ne peut pas...
01:10:08 - Je pense que c'est assez mesquin de désigner le système privé
01:10:12 comme "coupable", ou en tout cas responsable.
01:10:15 Je me souviens qu'au Havre, par exemple, où j'ai grandi dans les années 90,
01:10:18 le lycée public était nettement le meilleur.
01:10:21 Donc les meilleurs élèves allaient dans le lycée public.
01:10:24 Et c'était le lycée privé qui était d'un moins bon niveau.
01:10:27 - Alors certaines familles choisissaient le lycée privé
01:10:30 parce que ça rassurait un peu leurs élèves.
01:10:32 - C'est encore le cas à Paris, il y en a aussi à Marseille
01:10:35 qui sont considérés comme des excellents lycées,
01:10:37 bien meilleurs que les autres et qui sont des lycées publics.
01:10:39 - Voilà, donc tout est possible.
01:10:40 Pour moi, le vrai problème, c'est la dégradation continue du service public
01:10:43 depuis 10, 20, 30 ans.
01:10:45 Moi, j'ai commencé à être prof au début des années 2000,
01:10:48 et j'ai découvert les établissements les plus pauvres
01:10:52 et les plus faibles de région parisienne.
01:10:55 C'était terrible, c'était très triste.
01:10:57 - Justement, ils accueillent tous ces élèves
01:10:59 que l'enseignement privé n'accueille pas.
01:11:01 - Et c'est très bien.
01:11:02 - Mais non, mais c'est pas très bien.
01:11:03 Il faudrait que ces élèves soient répartis dans l'enseignement privé aussi.
01:11:06 - C'était pas à cause de l'enseignement privé que ça se passait mal.
01:11:09 C'était qu'il y avait un manque de moyens,
01:11:11 c'était qu'il y avait des profs jeunes, parfois inexpérimentés,
01:11:14 c'est qu'il y avait un public très difficile.
01:11:16 C'est aussi qu'on ne parlait pas des vrais problèmes.
01:11:18 Moi, quand j'ai débuté, j'étais très frappé,
01:11:20 j'étais un peu naïf, j'avais 28-29 ans,
01:11:24 je lisais les journaux et j'ai découvert un métier
01:11:27 qui n'était pas du tout décrit dans les médias.
01:11:29 Un métier beaucoup plus dur que ce qui était décrit.
01:11:31 On avait une sorte d'injonction au silence.
01:11:32 Il ne fallait pas dire les problèmes,
01:11:34 parce que dire les problèmes, c'était stigmatisé.
01:11:36 Or, à force de ne pas montrer qu'il y avait des problèmes,
01:11:38 on a laissé tout ça se dégrader.
01:11:40 - Depuis, vous remarquerez que chaque année,
01:11:43 des profs publient des livres pour dire qu'il y a des problèmes.
01:11:45 - Voilà, effectivement.
01:11:46 - Il n'y a plus d'injonction au silence.
01:11:47 - Mais ce qui me rend triste,
01:11:48 c'est que l'injonction au silence a disparu,
01:11:50 mais que les choses ne s'améliorent pas.
01:11:51 Et que, ministre après ministre,
01:11:52 je n'ai pas l'insentiment que les ministres
01:11:54 prennent les problèmes à bras-le-corps.
01:11:56 L'affaire Paty, je suis désolé, il y a encore deux ans,
01:11:58 a montré la profondeur du malaise et de la violence
01:12:00 qui a lieu parfois.
01:12:02 Donc, je reconnais que le privé a des privilèges,
01:12:05 et il a la chance, effectivement,
01:12:07 de pouvoir choisir ses élèves,
01:12:08 mais c'est d'assez mauvaise foi, je trouve,
01:12:10 de lui mettre sur le dos tous les mots.
01:12:13 - Jean-Pierre Véran, son engagement des collèges privés,
01:12:17 la promesse de mixité sociale et scolaire,
01:12:19 ne peut être tenue, nous dit-on.
01:12:21 Et sans mixité sociale et scolaire,
01:12:23 il n'y a pas d'égalité des chances,
01:12:25 pas de promesse républicaine.
01:12:26 Vous êtes d'accord ?
01:12:27 - Alors, écoutez, là-dessus,
01:12:29 je mettrais pas mal de guillemets, si vous voulez,
01:12:31 parce que l'égalité des chances,
01:12:32 ça fait partie de ce langage qu'on entend
01:12:36 et dont on rebat tous les débats éducatifs,
01:12:40 alors qu'on sait bien que ce qui caractérise,
01:12:43 justement, l'école française,
01:12:44 c'est l'inégalité des chances.
01:12:46 Ce que je voulais dire, c'est qu'il ne s'agit pas simplement,
01:12:51 si vous voulez, une fois qu'on a réalisé la mixité sociale,
01:12:54 quand bien même on l'aurait réalisé,
01:12:56 on pourrait toujours se heurter au séparatisme social
01:13:00 et à l'entre-soi à l'intérieur des établissements
01:13:02 en mixité sociale.
01:13:03 Vous pouvez avoir, par le jeu des choix,
01:13:06 des enseignements qui sont offerts aux uns,
01:13:09 et pris par les uns et pas par les autres.
01:13:11 Je pense aux sections européennes,
01:13:13 aux sections internationales,
01:13:14 aux classes à horaires aménagées, etc.
01:13:16 Vous pouvez avoir toute une panoplie de dispositions
01:13:19 à l'intérieur d'un même établissement
01:13:21 qui font que des élèves de milieux sociaux différents,
01:13:23 qui donnent donc des statistiques de mixité sociale satisfaisantes,
01:13:27 vont suivre des parcours très différents
01:13:30 qui vont les destiner, si vous voulez,
01:13:35 à une carrière scolaire très différente
01:13:37 et à une forme, finalement, de reproduction.
01:13:42 Vous savez que la société française
01:13:47 est celle qui, dans les pays de l'OCDE,
01:13:49 se caractérise par le plus faible taux
01:13:51 de mobilité sociale intergénérationnelle.
01:13:54 Ça dit quelque chose, cela.
01:13:55 C'est-à-dire que si on est dans un milieu populaire,
01:13:58 on a de grandes chances, soi-même,
01:14:01 lorsqu'on sera sorti du cycle de formation,
01:14:06 on sera à nouveau parti,
01:14:09 on fera toujours partie de ce milieu-là.
01:14:11 Donc c'est bien que notre école,
01:14:13 elle agit plutôt comme quelque chose qui fixe,
01:14:16 parce que, justement, à l'intérieur de chaque établissement,
01:14:19 public comme privé,
01:14:21 il peut y avoir des moyens
01:14:23 de faire des parcours scolaires différents
01:14:25 en fonction, justement, de l'origine sociale
01:14:29 et du capital culturel des familles.
01:14:32 Donc ça, je crois que c'est très important.
01:14:34 Il ne s'agit pas simplement de faire des moyennes,
01:14:36 si vous voulez,
01:14:37 parce que les indices de position sociale,
01:14:38 ce sont des moyennes.
01:14:40 Mais les moyennes ne disent rien de la réalité
01:14:43 de ce qui se passe dans les établissements.
01:14:45 Donc ça, ça me paraît très important.
01:14:47 Et le troisième élément
01:14:49 que je voudrais apporter aussi à la réflexion,
01:14:51 c'est qu'on ne s'interroge jamais
01:14:54 sur les savoirs qui sont enseignés
01:14:57 et à qui ils sont enseignés.
01:14:59 Et je pense que si on se pose cette question,
01:15:01 on aura là des réponses intéressantes aussi
01:15:03 à apporter à cette question.
01:15:05 Si on veut effectivement une école juste,
01:15:09 qui ne soit pas une école
01:15:11 qui sédimente en quelque sorte
01:15:14 les inégalités sociales,
01:15:16 comme elle le fait actuellement,
01:15:17 effectivement, il faut poser la question des savoirs.
01:15:19 Et cette question-là n'est pas posée
01:15:21 et le ministre ne la pose pas.
01:15:23 C'est-à-dire qu'on continue d'avoir des savoirs scolaires
01:15:26 qui sont des savoirs qui font des choix.
01:15:29 Il y a des choses qu'on enseigne
01:15:30 et d'autres qu'on n'enseigne pas.
01:15:32 Et on a une sorte d'approche du savoir
01:15:37 qui est très particulière
01:15:40 et pour lesquelles certains élèves ont des codes
01:15:42 que d'autres n'ont pas.
01:15:44 Et donc là se jouent des choses très importantes
01:15:47 qui posent effectivement la question
01:15:50 du rôle de l'école.
01:15:51 Est-ce que l'école est une école,
01:15:54 comme le disait déjà dans les années 70,
01:15:57 Bourdieu, une école de la reproduction
01:15:59 ou est-ce que notre école
01:16:00 est une école de l'émancipation ?
01:16:02 Mais poser cette question, si vous voulez,
01:16:05 ça va bien au-delà simplement de changer
01:16:07 les statistiques d'indices de position sociale
01:16:11 dans les établissements scolaires publics et privés.
01:16:14 Jean-Pierre Véran, qu'est-ce que vous entendez
01:16:16 par "il y a des choses qu'on enseigne ou qu'on n'enseigne pas"
01:16:19 selon les écoles et les classes sociales qui les fréquentent ?
01:16:24 Vous savez, moi j'ai en tête des exemples de collèges
01:16:28 qui ont un bon indice de position sociale
01:16:30 parce qu'on dit souvent
01:16:31 dans les collèges de réseaux d'éducation prioritaire,
01:16:34 on va mettre par exemple des classes à horaires aménagées
01:16:37 pour faire venir des élèves qui seraient tentés,
01:16:41 dont les familles seraient tentées,
01:16:43 par l'évitement de ce collège
01:16:44 puisque c'est un collège d'éducation prioritaire.
01:16:46 Alors effectivement, on crée des classes à horaires aménagées
01:16:50 et dans ces classes à horaires aménagées
01:16:51 viennent des élèves qui sont intéressés,
01:16:54 et des familles qui sont intéressées
01:16:57 par ces classes à horaires aménagées
01:16:59 et ces élèves-là, ils vont vivre à l'intérieur du collège
01:17:02 leur propre vie entre eux,
01:17:04 c'est-à-dire qu'ils ont leur emploi du temps
01:17:06 qui est un peu différent de celui des autres élèves
01:17:08 parce que le horaire est aménagé,
01:17:09 ils vont manger ensemble,
01:17:11 ils vont aller au conservatoire ensemble,
01:17:13 ils vont coopérer ensemble dans leur classe,
01:17:18 mais ils n'auront très peu de contact
01:17:20 avec les autres élèves de l'établissement.
01:17:22 Or justement, ce qui est important,
01:17:24 si on veut de la mixité sociale,
01:17:26 ce n'est pas pour avoir à l'intérieur des établissements
01:17:29 des séparations,
01:17:30 c'est pour qu'effectivement, il y ait de la coopération
01:17:33 entre des enfants de milieux sociaux
01:17:36 et de cultures différentes,
01:17:37 de façon à ce qu'ils apprennent les uns des autres
01:17:40 et qu'ainsi l'école fasse société et république.
01:17:45 Or ça justement, si vous voulez,
01:17:47 c'est ces sortes d'opérations qui visent à dire
01:17:52 "on va faire venir des gens de milieux sociaux favorisés,
01:17:56 de professions intellectuelles,
01:17:58 on va les faire venir dans un établissement
01:18:00 parce qu'on va y créer une bonne section
01:18:03 et qu'il y a de l'attrait",
01:18:05 eh bien ça ne change rien à la réalité scolaire
01:18:09 vécue par ceux qui ne vont pas...
01:18:10 On a compris, je vais poser la question.
01:18:13 Alors Emeric Patricot, vous aviez envie de réagir ?
01:18:15 Oui, pour rebondir sur ce qui a été dit.
01:18:17 Moi, j'aime beaucoup l'idée de mixité.
01:18:19 Simplement, moi, dans ma pratique,
01:18:21 je me rends compte que ça ne marche pas toujours.
01:18:23 J'ai des exemples de classes très hétérogènes,
01:18:26 comme on dit pudiquement, où ça se passait très mal.
01:18:28 Mes premiers postes, c'était dans des collèges très difficiles.
01:18:31 J'avais d'ailleurs beaucoup d'affection pour les élèves,
01:18:33 mais j'avais beaucoup de mal à tenir les classes,
01:18:35 tout simplement parce qu'il y a des élèves
01:18:36 qui parfois relevaient de la psychiatrie.
01:18:38 Et donc mon cours avec les classes les plus difficiles,
01:18:40 c'était que je choisissais les 2-3 meilleurs
01:18:42 que je faisais travailler sur une table à part.
01:18:44 Je m'excusais d'ailleurs, je leur présentais mes excuses.
01:18:46 "Non, je suis désolé, je n'arrive pas à tenir la classe,
01:18:48 donc vous allez travailler tout seul."
01:18:50 Je tenais, bon an, mal an, les 80 % un peu agités
01:18:53 et les "pires" d'entre eux, parce qu'encore une fois,
01:18:56 c'était malheureux pour eux, je les installe à mon bureau
01:18:58 pour leur faire faire des dessins.
01:19:00 Alors voilà un exemple d'hétérogénéité,
01:19:02 d'une mixité qui ne marchait pas très bien.
01:19:04 Tout le monde était perdant en fait.
01:19:05 Les meilleurs élèves qui perdent à leur temps,
01:19:06 les moins bons qui perdent à leur temps aussi.
01:19:08 Et je suis, j'avoue, assez favorable, dans certains cas,
01:19:11 dans certains collèges par exemple,
01:19:13 favorable à des classes différenciées.
01:19:15 - Là, on parle de mixité scolaire, c'est-à-dire...
01:19:18 - Alors il y a une mixité scolaire ou sociale...
01:19:20 - C'est pas forcément la même chose.
01:19:22 La mixité sociale, c'est en fonction des revenus des parents.
01:19:25 La mixité scolaire, c'est en fonction des résultats des enfants.
01:19:28 - Oui, mais parfois ça se recoupe.
01:19:29 Alors je pense aux élèves qui sont, dont les parents
01:19:31 ne parlent pas français par exemple,
01:19:32 des élèves qui ont des difficultés en français,
01:19:34 ils perdent leur temps à être dans des classes
01:19:35 où il n'y a pas d'enseignement spécifique pour eux.
01:19:38 Je pense que pour les élèves les plus faibles,
01:19:40 il faudrait prévoir, d'ailleurs je m'étonne
01:19:42 que ce ne soit pas mis en place, des classes
01:19:45 qui les visent eux spécifiquement,
01:19:47 quitte à aménager des passerelles.
01:19:49 Après s'ils s'améliorent et qu'ils acquièrent
01:19:50 un bon niveau en français, ils passent
01:19:52 dans une classe meilleure.
01:19:53 Donc la mixité, moi j'aime beaucoup,
01:19:55 mais pas à toutes les conditions.
01:19:57 Et puis il y a aussi une question dont on ne parle jamais,
01:19:59 c'est la discipline.
01:20:00 Je pense que les classes très mixtes,
01:20:02 d'un point de vue social ou scolaire,
01:20:05 marchent si, par ailleurs, il y a peu d'élèves,
01:20:07 si les profs sont motivés, s'il y a de la discipline.
01:20:10 Moi j'étais dans des collèges où on était
01:20:12 des classes nombreuses, avec peu de surveillants,
01:20:14 et beaucoup de profs se faisaient entre guillemets
01:20:17 et les élisés, et c'était très triste.
01:20:20 Donc voilà, pour conclure, j'aime la mixité,
01:20:23 mais pas à toutes les conditions.
01:20:25 Et ça peut bien se passer, mais il faut y mettre les moyens.
01:20:28 - Agnès Vendantel.
01:20:30 - Moi je pense que la mixité ne peut pas être
01:20:32 un projet simplement arithmétique.
01:20:34 Ce n'est pas seulement de les mettre ensemble.
01:20:36 C'est qu'est-ce qu'on fait quand les élèves sont ensemble.
01:20:38 On est très loin de ça, et on s'éloigne de plus en plus,
01:20:41 parce que la ségrégation s'accroît très, très fortement.
01:20:44 Et donc effectivement, ce qui se passe
01:20:46 avec beaucoup d'enseignants, comme on vient de l'entendre,
01:20:48 c'est qu'en France, les enseignants ne sont pas formés
01:20:50 à enseigner des classes hétérogènes.
01:20:52 Ils n'ont pas une formation pédagogique pour cela.
01:20:54 Ils sont très, très surpris quand ils regardent.
01:20:56 Moi j'ai une collègue américaine qui a fait des enquêtes
01:20:58 aux Etats-Unis et en France.
01:21:00 Elle montrait des films des enseignants américains
01:21:02 aux enseignants français, qui étaient extrêmement surpris
01:21:04 de comment les enseignants américains
01:21:06 arrivaient à gérer des classes hétérogènes.
01:21:08 Mais il n'y a rien de magique là-dessus.
01:21:10 Ça s'apprend, c'est difficile.
01:21:12 Je suis moi-même enseignante.
01:21:14 C'est bien que j'ai enseigné aussi dans des lieux
01:21:16 où j'avais des publics très hétérogènes
01:21:18 et que c'est beaucoup plus dur que quand j'ai un public
01:21:20 très homogène. Mais c'est quelque chose qui s'apprend.
01:21:22 Je pense qu'en France, effectivement,
01:21:24 on n'a pas donné toute la chance
01:21:26 à l'hétérogénéité parce que comme on n'a pas
01:21:28 fait de progrès sur la formation
01:21:30 des enseignants, on a des enseignants
01:21:32 qui sont très, très bien formés dans leur discipline,
01:21:34 par exemple dans le secondaire, mais en termes
01:21:36 de formation pédagogique, en Europe,
01:21:38 on est pratiquement au plus bas de la formation
01:21:40 pédagogique des enseignants.
01:21:42 Et ça, c'est quand même très, très important
01:21:44 parce que c'est vrai que si on met des enseignants
01:21:46 sans formation, démunis,
01:21:48 face à des groupes d'élèves très hétérogènes,
01:21:50 effectivement, il va y avoir
01:21:52 tous ces types de phénomènes qui viennent
01:21:54 d'être décrits. Moi, j'ai étudié beaucoup
01:21:56 d'établissements de ce type. J'ai entendu
01:21:58 des enseignants qui me disaient "mais moi, j'attends
01:22:00 ma classe oasis où j'ai quelques élèves
01:22:02 qui sont regroupés parce que c'est la classe
01:22:04 des germanistes, c'est la classe
01:22:06 horaire aménagée en musique".
01:22:08 Effectivement. Et puis, bien sûr,
01:22:10 il y a aussi tout un travail collectif
01:22:12 pour gérer les problèmes des disciplines,
01:22:14 mais aussi, il faut que la mixité
01:22:16 soit un projet social.
01:22:18 Tant que ça reste une sorte d'idéal
01:22:20 arithmétique, simplement, on va les mettre
01:22:22 ensemble et on ne se dit pas "qu'est-ce qu'on
01:22:24 va construire ensemble avec ces enfants?"
01:22:26 On peut même créer les phénomènes contraires.
01:22:28 On sait bien, par exemple, aux États-Unis,
01:22:30 quand il y a eu les politiques de déségrégation,
01:22:32 quand on a mis ensemble les élèves,
01:22:34 il y a des écoles qui ont fait un énorme travail
01:22:36 et ça a très bien marché, il y a des écoles
01:22:38 qui n'ont rien fait, ils l'ont juste mélangé
01:22:40 et ça a créé plus de racisme qu'il n'y avait
01:22:42 auparavant. Donc, il y a tout
01:22:44 un travail à faire, qui est à la fois un travail
01:22:46 pédagogique et un travail social.
01:22:48 Mais ce que je voudrais dire, c'est qu'on a
01:22:50 énormément d'enquêtes qui montrent
01:22:52 que la mixité va
01:22:54 non seulement dans le sens de l'égalité,
01:22:56 de la justice
01:22:58 et de la cohésion sociale, parce que si on vit
01:23:00 de plus en plus séparés, on construit
01:23:02 un certain modèle de société, mais
01:23:04 elle va aussi dans le sens de l'efficacité.
01:23:06 On a beaucoup, beaucoup d'enquêtes
01:23:08 dans beaucoup de pays dans le monde, qui montrent
01:23:10 que les élèves moyens
01:23:12 et les élèves moyens faibles, qui sont la
01:23:14 très grande majorité des élèves, progressent
01:23:16 beaucoup plus dans les classes hétérogènes
01:23:18 que quand ils sont dans des classes homogènes,
01:23:20 même à petit effectif.
01:23:22 - Mais vous savez ce que redoutent, en revanche,
01:23:24 les parents des élèves
01:23:26 qu'ils ont mis en privé ? - Bien sûr !
01:23:28 - C'est que le niveau de leurs élèves, quand ils sont
01:23:30 parmi les meilleurs, baisse, ça n'est pas le cas.
01:23:32 - Bien sûr ! Et alors, là, il y a des études
01:23:34 qui sont un peu contradictoires.
01:23:36 Il y a des études qui montrent, mais le gain
01:23:38 de ces élèves n'est jamais
01:23:40 comparable à la perte
01:23:42 des élèves moyens et des élèves faibles.
01:23:44 Mais il peut y avoir un petit gain
01:23:46 de mettre tous les meilleurs ensemble.
01:23:48 Dans un certain nombre d'études, on le montre,
01:23:50 mais ce n'est pas systématique, toujours,
01:23:52 parce que les systèmes d'entraide entre élèves
01:23:54 peuvent beaucoup aussi aider les élèves
01:23:56 à progresser. Le fait d'aider les plus faibles,
01:23:58 moi je l'ai vu même dans des établissements privés
01:24:00 très, très réputés, parfois,
01:24:02 c'est une pédagogie jésuite,
01:24:04 dans ce sens, qui fait travailler par groupe
01:24:06 des trois, un fort, un moyen, un faible,
01:24:08 et ça peut marcher très, très bien.
01:24:10 Donc, au fait, oui,
01:24:12 je pense que beaucoup de parents...
01:24:14 Je pense que c'est la peur, aujourd'hui,
01:24:16 qui guide beaucoup de personnes,
01:24:18 de plutôt aller vers la défection
01:24:20 plutôt que de prendre des risques.
01:24:22 Mais je peux comprendre ces attitudes.
01:24:24 J'ai été entourée, en tant que parent moi-même,
01:24:26 de toutes ces personnes, et en tant que sociologue,
01:24:28 je les ai beaucoup étudiées, mais je pense
01:24:30 qu'il faut les aider, aujourd'hui.
01:24:32 - Je vous remercie. Je remercie Jean-Pierre Véran.
01:24:34 Ça va être le rappel des titres,
01:24:36 Isabelle Piboulot.
01:24:38 Et puis on revient à l'histoire
01:24:40 insolite de la médecine,
01:24:42 racontée par Jean-Noël Fabiani-Salmon.
01:24:44 - Dans le Tarn, plusieurs milliers de personnes
01:24:52 se sont rassemblées à Saïs
01:24:54 pour s'opposer au projet de l'As 69
01:24:56 entre Castre et Toulouse.
01:24:58 4 500 selon la préfecture,
01:25:00 8 200 selon les organisateurs.
01:25:02 200 individus radicaux
01:25:04 se sont mêlés aux manifestants.
01:25:06 Mais le préfet du Tarn salue le bon déroulement
01:25:08 du rassemblement.
01:25:10 Il appelle les participants à quitter les lieux
01:25:12 demain soir, comme ils s'y sont engagés.
01:25:14 Un gendarme très grievement
01:25:16 blessé le 15 mars dernier
01:25:18 est décédé. Son pronostic vital
01:25:20 était engagé après l'explosion
01:25:22 d'une maison dans la commune de La Chapelle
01:25:24 dans l'Allier. Gérald Darmanin
01:25:26 l'a annoncé sur Twitter, faisant part
01:25:28 de sa profonde tristesse.
01:25:30 L'explosion avait été provoquée par un homme
01:25:32 que le gendarme de 27 ans
01:25:34 venait interpeller avec des collègues.
01:25:36 Et puis, 32e journée
01:25:38 de Ligue 1 lance à assommer
01:25:40 Monaco 3-0.
01:25:42 Ouverture du score avec Louis Openda,
01:25:44 auteur d'un doublé en première période.
01:25:46 56e minute,
01:25:48 Openda sert Thomasson
01:25:50 en retrait, qui conclut du droit.
01:25:52 Une semaine après leur défaite face
01:25:54 au PSG, Les Sens et Or
01:25:56 ont défendu leur place sur le podium
01:25:58 et sont provisoirement en 2e
01:26:00 devant Marseille. L'OM affrontera
01:26:02 l'Olympique Lyonnais demain soir.
01:26:04 Et nous voilà de retour
01:26:10 avec Jean-Noël Fabiani-Salmon.
01:26:12 Alors je le dis pour tous ceux qui n'étaient pas là
01:26:14 au début de cette émission, vous avez dirigé
01:26:16 l'enseignement de l'histoire de la médecine
01:26:18 à l'Université de Paris, ce qui vous permet
01:26:20 de faire preuve de pédagogie
01:26:22 et de publier des livres comme
01:26:24 "30 nouvelles histoires insolites qui ont
01:26:26 fait la médecine, du Moyen-Âge à nos jours"
01:26:28 et vous avez été chef du service
01:26:30 chirurgie cardio-vasculaire
01:26:32 de l'hôpital Pompidou à Paris
01:26:34 jusqu'en 2018. Être
01:26:36 chirurgien aujourd'hui, ça
01:26:38 nécessite plus de diplômes que
01:26:40 pour être médecin généraliste.
01:26:42 Jadis c'était l'inverse.
01:26:44 Racontez-nous comment les deux professions,
01:26:46 chirurgien d'un côté, médecin
01:26:48 généraliste de l'autre,
01:26:50 se sont séparés et pourquoi
01:26:52 ce sont les barbiers qui ont
01:26:54 remplacé les médecins
01:26:56 comme chirurgiens ?
01:26:58 - Longue histoire.
01:27:00 Pendant le haut Moyen-Âge,
01:27:02 les seuls qui peuvent donner des soins,
01:27:04 ce sont des gens un peu instruits,
01:27:06 ceux qui parlent latin, c'est-à-dire en gros
01:27:08 des prêtres. Et puis
01:27:10 donc les gens prennent l'habitude
01:27:12 d'aller dans les couvents, par exemple, pour se faire soigner.
01:27:14 Puis au bout d'un certain temps,
01:27:16 l'Église dit "mais attendez, vous venez là,
01:27:18 les gens viennent se faire soigner,
01:27:20 mais c'est pas leur âme qu'on soigne,
01:27:22 c'est leur corps. Nous, on voudrait bien que ça
01:27:24 s'arrête un peu." Et il y a un certain nombre de conciles
01:27:26 qui progressivement
01:27:28 vont supprimer en quelque sorte la
01:27:30 possibilité pour les prêtres
01:27:32 de faire de la médecine. De façon
01:27:34 ou d'une autre, c'est un peu compliqué, mais
01:27:36 de façon ou d'une autre. Puis à un moment,
01:27:38 ça se passe en 1215,
01:27:40 au concile de Latran IV,
01:27:42 l'Église va encore un peu plus loin
01:27:44 et elle dit "il est défendu
01:27:46 à tous les prêtres de faire
01:27:48 une activité par le fer ou
01:27:50 par le feu."
01:27:52 Ah, ça veut dire pas le droit
01:27:54 de faire de questions, pas le droit d'être soldat,
01:27:56 oui, mais ça veut aussi pas faire de chirurgie,
01:27:58 parce que la chirurgie,
01:28:00 au Moyen-Âge, aujourd'hui encore,
01:28:02 eh bien c'est du fer et du feu.
01:28:04 Donc, plus personne ne peut faire
01:28:06 les actes de chirurgie en France.
01:28:08 En France, en Angleterre, partout en Europe.
01:28:10 Qui prend le pouvoir ?
01:28:12 Les barbiers.
01:28:14 Pourquoi les barbiers ? Parce qu'ils ont
01:28:16 des lames qui coupent.
01:28:18 Ça n'a l'air de rien, mais la chirurgie, c'est une question
01:28:20 d'instruments. Si on n'a pas des lames qui coupent,
01:28:22 on ne peut pas faire de chirurgie. Et les barbiers
01:28:24 s'installent en prenant
01:28:26 le pouvoir véritablement, alors avec
01:28:28 en ville, avec des petites échoppes,
01:28:30 où ils font toujours la barbe,
01:28:32 ils coupent les cheveux, enfin ils vous
01:28:34 percent aussi l'abcès de la
01:28:36 marge anale, ils vous percent aussi
01:28:38 la veine pour faire une saignée,
01:28:40 et tout ça, ça se passe finalement
01:28:42 pas si mal que ça.
01:28:44 L'hygiène telle qu'on la construit
01:28:46 maintenant n'est pas parfaitement respectée, mais finalement
01:28:48 ça se passe pas si mal, ça se passe un peu comme un salon
01:28:50 de coiffure actuellement, on parle de la ville.
01:28:52 Puis ils rendent un autre service, ces barbiers,
01:28:54 très intelligents. Ils
01:28:56 accompagnent les troupes à la guerre
01:28:58 pour faire ce qu'il faut faire sur
01:29:00 un champ de bataille. Et
01:29:02 progressivement, les rois,
01:29:04 les grands seigneurs, veulent
01:29:06 avoir des barbiers avec leurs troupes, parce que
01:29:08 c'est bon pour le moral des troupes.
01:29:10 Donc progressivement, ce monde
01:29:12 des barbiers prend du pouvoir
01:29:14 dans une société.
01:29:16 Ambroise Paré, ça n'est qu'un barbier.
01:29:18 Et il va faire, il va être
01:29:20 le chirurgien, barbier
01:29:22 chirurgien de 4 rois de France successifs.
01:29:24 Donc c'est très important.
01:29:26 Et peu à peu, ces barbiers, qu'est-ce qu'ils font ?
01:29:28 Eh bien, ils veulent devenir comme les médecins.
01:29:30 Ils veulent, s'ils apprennent le latin,
01:29:32 aller à l'université,
01:29:34 ils veulent devenir comme ceux qui ont des grands chapeaux
01:29:36 qui parlent comme ça à la faculté.
01:29:38 Ils veulent. Et les médecins
01:29:40 veulent surtout pas, surtout ces petits
01:29:42 barbiers, de rien du tout, c'est des manœuvres.
01:29:44 Nous, on n'en veut pas. Heureusement,
01:29:46 arrive Louis XIV, qui a une fistule
01:29:48 anal. Et cette fistule
01:29:50 anal, eh bien, personne ne sait la soigner,
01:29:52 surtout pas les médecins. Alors, il y a
01:29:54 bien le médecin du roi qui lui dit,
01:29:56 "Ne buvez plus de vin, sire,
01:29:58 prenez de l'eau, c'est meilleur."
01:30:00 Ça plaisait à moitié à Louis XIV, ça.
01:30:02 Et puis, on lui met sur les fesses
01:30:04 une belle pommade qui le
01:30:06 guérit, ça marche pas.
01:30:08 Et on commence à s'inquiéter
01:30:10 en Europe. C'est-à-dire, on commence à dire,
01:30:12 "Mais le roi de France, paraît-il,
01:30:14 est à l'article de la mort.
01:30:16 Et Louvoin va voir le roi, il dit,
01:30:18 "Sire, c'est très mauvais pour nous.
01:30:20 Il faut absolument qu'on vous guérisse."
01:30:22 "Ah, je veux bien qu'on me guérisse,
01:30:24 je ne demande que ça." "Vous n'avez pas
01:30:26 demandé au barbier chirurgien
01:30:28 de la cour, car il y a un barbier chirurgien
01:30:30 à la cour. Il s'appelle Félix, c'est un petit bonhomme,
01:30:32 très gentil, Félix. Et il vient.
01:30:34 Alors il examine le roi à Versailles,
01:30:36 un peu devant tout le monde, c'était à l'époque,
01:30:38 il y avait moins de pudeur que maintenant. Alors le roi Louis XIV,
01:30:40 il soulève immédiatement
01:30:42 son manteau, il baisse
01:30:44 ses chausses, et puis il...
01:30:46 Alors Félix l'examine,
01:30:48 il lui dit, "Sire, oui,
01:30:50 il y a une opération qui pourrait vous convenir
01:30:52 pour vous guérir, mais c'est l'opération
01:30:54 cruciale." "L'opération cruciale,
01:30:56 Louis XIV, ah bon."
01:30:58 Et Félix, qui est sans doute très honnête,
01:31:00 lui dit, "J'en ai pas une très grande expérience."
01:31:02 Alors là, Louis XIV est formé,
01:31:04 "Ecoutez, entraînez-vous,
01:31:06 mes prisons et mes galères vous sont ouvertes,
01:31:08 mon cher Félix." Donc Félix s'entraîne,
01:31:10 et il va faire l'opération.
01:31:12 - Il s'entraîne sur des forçats. - Ah oui, sur des forçats,
01:31:14 alors espérons qu'ils aient eux-mêmes
01:31:16 des fistulas nales, c'est souhaitable,
01:31:18 enfin, il s'entraîne, et puis on va faire l'opération.
01:31:20 Alors il fait faire un bistouri, qu'on peut voir
01:31:22 toujours, d'ailleurs, au musée
01:31:24 de l'histoire de la médecine à Paris,
01:31:26 en argent, parce que le roi c'est en argent,
01:31:28 quand même c'est mieux, donc
01:31:30 il y a un bistouri spécial,
01:31:32 et on décide de faire cette opération.
01:31:34 Alors il y a deux ou trois éléments
01:31:36 qui vont intervenir dans cette intervention.
01:31:38 D'abord parce que, Madame de Maintenon,
01:31:40 qui veut quand même que son
01:31:42 époux aille bien,
01:31:44 demande à Lully de faire une chanson
01:31:46 que vont chanter les demoiselles de Saint-Cyr
01:31:48 pendant cette opération pour que Dieu...
01:31:50 - Je précise juste parce que certains
01:31:52 pourraient s'étonner, Louis XIV,
01:31:54 une fois la reine Marie-Thérèse morte,
01:31:56 a vraiment épousé Madame de Maintenon.
01:31:58 - Oui, et son épouse Morgane Attic, certes,
01:32:00 mais épouse quand même. Et donc, elle fait
01:32:02 chanter, grâce à l'air de Lully,
01:32:04 ces demoiselles de Saint-Cyr, un air
01:32:06 magnifique qui dit "Dieu sauve le roi,
01:32:08 Dieu sauve le roi, pour que Dieu
01:32:10 intervienne dans l'opération."
01:32:12 Et il y a un exilé qui est là,
01:32:14 qui s'appelle Jacques,
01:32:16 Jacques Stuart,
01:32:18 d'Ecosse, et il dit "Le jour
01:32:20 où je vais devenir roi d'Angleterre,
01:32:22 cet air est tellement magnifique que je le prendrai
01:32:24 comme hymne national." Eh bien c'est quand même
01:32:26 "God save the king", autrement dit, les Anglais
01:32:28 ne savent pas toujours que c'est pour le cul de
01:32:30 Louis XIV, excusez-moi, que le rime national
01:32:32 a été composée. C'est un petit détail.
01:32:34 Et alors, l'opération finalement
01:32:36 se passe bien, c'est une grosse opération,
01:32:38 et le
01:32:40 roi Louis XIV dit à Félix
01:32:42 "Félix, si je pouvais faire quelque chose
01:32:44 pour toi, qu'est-ce que tu pourrais faire ?"
01:32:46 Et Félix, qui était un homme assez
01:32:48 simple, mais bien dans sa tête,
01:32:50 lui dit "Écoutez, Cyr, pour me rendre service,
01:32:52 il faudrait que vous sépariez
01:32:54 définitivement la barberie
01:32:56 et la chirurgie." Et c'est là
01:32:58 où on a créé, avec un peu de temps
01:33:00 quand même, l'académie de chirurgie
01:33:02 et ainsi de suite, et que
01:33:04 on a séparé la barberie
01:33:06 et la chirurgie, et que les chirurgiens sont devenus
01:33:08 comme je suis aujourd'hui. Ils peuvent être maintenant
01:33:10 docteurs en médecine, même professeurs
01:33:12 à la faculté, et vous faire des cours
01:33:14 de médecine. - Et est-ce que l'Église a
01:33:16 vraiment interdit la dissection des cadavres
01:33:18 comme on le dit ? - Faux ! Jamais !
01:33:20 - Jamais ? - L'Église n'a jamais interdit
01:33:22 la dissection des cadavres.
01:33:24 Elle l'a même demandé, très souvent pour des raisons
01:33:26 médico-légales. Elle voulait savoir si un tel
01:33:28 avait été empoisonné ou pas. Donc,
01:33:30 elle demandait qu'on fasse une dissection.
01:33:32 En revanche, ce qu'elle a interdit,
01:33:34 c'est ce qu'on appelle la déteste en
01:33:36 deferitatis, c'est par un décret
01:33:38 papal qui ne voulait pas
01:33:40 qu'on coupe les corps des morts
01:33:42 en petits bouts pour les
01:33:44 transporter. Alors pourquoi il fallait transporter
01:33:46 les corps ? Parce qu'il y a les croisades.
01:33:48 Et quand vous mourrez aux croisades
01:33:50 et que vous allez demander d'être
01:33:52 enterré dans votre
01:33:54 giron familial en quelque sorte,
01:33:56 transporter un corps de
01:33:58 Jérusalem jusqu'à Landernot,
01:34:00 c'est quand même pas si facile, surtout au Moyen-Âge.
01:34:02 Donc, l'habitude a été prise de
01:34:04 couper les corps en morceaux.
01:34:06 Et le pape a dit "non, ça, ça n'est pas
01:34:08 digne, il faut absolument arrêter cela".
01:34:10 - En 1793,
01:34:12 vous racontez dans votre livre, et je l'ignorais,
01:34:14 et je crois que c'est assez peu connu,
01:34:16 la France s'est retrouvée sans médecin,
01:34:18 sans médecine,
01:34:20 sans hôpitaux, sans académie,
01:34:22 il n'y avait plus rien. - Plus rien.
01:34:24 - En 1993, il n'y avait plus rien. - Plus rien.
01:34:26 - Et alors la question qu'on se pose, c'est
01:34:28 est-ce qu'on s'en est plus mal porté pour autant ?
01:34:30 Puisque vu l'état de la médecine à l'époque,
01:34:32 on se demande si on est...
01:34:34 ça n'a pas été plutôt un bilan positif.
01:34:36 - Alors, non, pas positif.
01:34:38 - Non. - Ne serait-ce que parce que la guerre
01:34:40 existe, qu'il faut bien s'occuper
01:34:42 des soldats qui reviennent
01:34:44 avec des blessés, on ne sait pas où les mettre
01:34:46 parce qu'il n'y a plus d'hôpitaux.
01:34:48 La Convention nationale vend les hôpitaux
01:34:50 parce que des gens comme Saint-Just ou Barrère
01:34:52 sont persuadés que la médecine
01:34:54 n'a d'intérêt que s'il y a de la misère.
01:34:56 Autrement dit, s'il n'y a plus de misère,
01:34:58 il n'y aura plus de maladie.
01:35:00 Donc s'il n'y a plus de maladie, il n'y a plus besoin d'hôpitaux.
01:35:02 Et comme ils sont persuadés, eux, les révolutionnaires,
01:35:04 qu'ils vont supprimer la misère en France,
01:35:06 eh bien, on n'a plus besoin d'hôpitaux.
01:35:08 Et ils vendent tous les hôpitaux en assignats.
01:35:10 - Il y a un rapport avec la mixité sociale
01:35:12 dont on parlait aussi,
01:35:14 puisqu'à un moment, ils décident que tout le monde
01:35:16 peut faire ce qu'il veut.
01:35:18 Tout le monde peut décider qu'il est médecin.
01:35:20 Comme tout le monde peut décider qu'il est notaire.
01:35:22 - Bien sûr.
01:35:24 C'est les grandes, les fameuses lois,
01:35:26 le décret Allard, la loi d'Allard.
01:35:28 - Là, c'est la vraie réalité.
01:35:30 - Ah oui, oui.
01:35:32 Et puis alors, comme ils s'opposent,
01:35:34 notamment Marat, ils s'opposent aux académies,
01:35:36 on supprime les académies, on supprime les facultés,
01:35:38 on supprime tout ce qui formait les médecins.
01:35:40 - Il faut dire que Marat,
01:35:42 l'académie lui avait refusé systématiquement
01:35:44 toutes ces charlataneries.
01:35:46 - Voilà. Alors, donc, il en voulait énormément.
01:35:48 Il a été loin, parce que quand même,
01:35:50 Lavoisier, on lui a coupé la tête,
01:35:52 quand même, dans cette histoire,
01:35:54 qui est quand même le plus grand chimiste, vraisemblablement.
01:35:56 - Vous savez aussi que Lavoisier, c'était
01:35:58 celui qui avait eu l'idée du mur d'enceinte
01:36:00 autour de Paris.
01:36:02 - Ah, c'est le fermier généraux, bien sûr.
01:36:04 - Qui profitait au fermier généraux,
01:36:06 une des raisons de la Révolution française.
01:36:08 - On est bien d'accord.
01:36:10 - Les hôpitaux, c'était l'église.
01:36:12 Et donc, la première chose qu'a fait
01:36:14 Carnot, c'est de prendre toutes les
01:36:16 sœurs qui étaient infirmières, en fait,
01:36:18 dans les hôpitaux, et les foutre à la porte.
01:36:20 En leur disant, on ne veut plus personne.
01:36:22 Alors déjà, il n'y avait pas beaucoup de médecins
01:36:24 dans les hôpitaux, quelques chirurgiens et encore,
01:36:26 mais alors si on enlève les infirmières,
01:36:28 il n'y avait plus personne.
01:36:30 Donc, on se retrouve en 93, 94,
01:36:32 avec une situation sanitaire en France
01:36:34 qui est une catastrophe. Il fallait une poigne.
01:36:36 Elle va arriver.
01:36:38 Il s'appelle Bonaparte.
01:36:40 - Voilà.
01:36:42 Alors justement, on en parlait tout à l'heure
01:36:44 au début de l'émission, les ambulances,
01:36:46 les ambulances militaires,
01:36:48 qui en a eu l'idée ? Je crois que c'est Napoléon
01:36:50 qui les a instituées.
01:36:52 - C'est le baron. C'est le baron Larrey.
01:36:54 - Qui a eu l'idée de l'ambulance.
01:36:56 On va les voir, d'ailleurs.
01:36:58 - Oui, alors le baron Larrey,
01:37:00 il a l'idée, pendant une bataille de la Révolution,
01:37:02 c'est l'artillerie volante
01:37:04 de Kustin qui lui donne l'idée.
01:37:06 Parce que Kustin prend ses canons
01:37:08 et les déplace très très vite
01:37:10 sur le champ de bataille.
01:37:12 Et lui, il dit "comment moi je vais pouvoir sauver
01:37:14 les hommes qui sont sur le champ de bataille ?"
01:37:16 Parce que l'habitude, sur l'Ancien Régime,
01:37:18 on laissait la bataille se terminer,
01:37:20 on laissait finalement,
01:37:22 le service de santé était
01:37:24 plusieurs lieux en arrière,
01:37:26 et une fois que la bataille est terminée,
01:37:28 on venait seulement pour essayer de récupérer
01:37:30 ce qu'on pouvait récupérer,
01:37:32 le corps vivant.
01:37:34 Alors là, Larrey a une idée géniale,
01:37:36 il dit "ça ne peut pas marcher comme ça".
01:37:38 Il a le sens de l'urgence,
01:37:40 il a le sens du Samu avant l'heure, en quelque sorte.
01:37:42 Et il met des chevaux
01:37:44 qui tirent une petite
01:37:46 ambulance, en quelque sorte,
01:37:48 et il va, parfois même, opérer
01:37:50 lui-même sur le champ de bataille.
01:37:52 Waterloo, ça lui a sauvé la vie,
01:37:54 parce que les Anglais l'ont reconnu,
01:37:56 ils ont dit "non, non, attendez, c'est Larrey,
01:37:58 c'est l'honneur qui passe, ne tirez pas sur lui".
01:38:00 Il était en train d'opérer un gars
01:38:02 sur le champ de bataille. - Il opérait aussi
01:38:04 l'armée ennemie ? - Absolument.
01:38:06 Il a toujours opéré
01:38:08 les soldats ennemis, et d'ailleurs,
01:38:10 il a opéré le fils de Bluchère
01:38:12 à la bataille de Wagram, c'est ce qui a sauvé la vie.
01:38:14 Là aussi à Waterloo, parce qu'il avait été fait prisonnier,
01:38:16 et Bluchère a dit "non, il a sauvé mon fils".
01:38:18 Donc non, c'est un grand
01:38:20 bonhomme, Larrey.
01:38:22 - Et racontez alors cette histoire,
01:38:24 on y faisait allusion tout à l'heure, l'histoire du choléra.
01:38:26 On est
01:38:28 en 1854,
01:38:30 à Londres,
01:38:32 c'est terrible,
01:38:34 les gens meurent, c'est quoi, 500 personnes par semaine ?
01:38:36 - Oui, c'est ça, à peu près.
01:38:38 - Et vous avez Jon Snow,
01:38:40 le directeur, pas celui
01:38:42 de cette série
01:38:44 qui s'appelle Jon Snow.
01:38:46 - Oui, je sais.
01:38:48 - Lui, tout à coup, il va avoir une idée
01:38:50 géniale, il va arriver à démontrer
01:38:52 que le choléra, ça n'est pas dans l'air
01:38:54 qu'on l'attrape, comme on le croit, mais
01:38:56 dans l'eau. - On croyait que c'était les
01:38:58 miasmes, en disant que l'air
01:39:00 était vicié, qu'en respirant,
01:39:02 eh bien on attrapait les maladies,
01:39:04 et en particulier le choléra. Alors,
01:39:06 il y avait quelque chose qui allait dans le sens,
01:39:08 les rues de Londres,
01:39:10 à cette époque, ça sent très très très
01:39:12 mauvais. - Celle de Paris, c'est pas mieux. - Celle de Paris aussi.
01:39:14 Il y a en quelque
01:39:16 sorte des fosses sceptiques
01:39:18 sous les bâtiments, donc ça sent vraiment
01:39:20 mauvais. Et puis,
01:39:22 il y a une chose, c'est que Jon Snow,
01:39:24 avant d'être devenu médecin généraliste, a été
01:39:26 "anesthésiste", notamment
01:39:28 de la Reine Victoria. Donc il sait
01:39:30 comment ça marche, les gaz. Et il
01:39:32 a vu, il a disséqué, les gens
01:39:34 qui sont morts du choléra, il dit "mais ça,
01:39:36 c'est pas une maladie pulmonaire,
01:39:38 les poumons sont absolument sains, en
01:39:40 revanche, vu la diarrhée qu'ils ont,
01:39:42 et les vomissements, c'est obligatoirement
01:39:44 une maladie de l'intestin". Alors il passe
01:39:46 l'intestin avec
01:39:48 un microscope, il voit rien,
01:39:50 on sait pas ce que c'est qu'un microbe, à l'époque.
01:39:52 Koch et Pasteur ne sont pas encore
01:39:54 passés par là. Et il dit "mais je suis
01:39:56 pourtant certain que ça doit être
01:39:58 l'eau qui doit être responsable de ça".
01:40:00 Mais lui il dit "non c'est pas l'eau,
01:40:02 c'est pas l'eau, regardez l'eau, il y a rien dans l'eau".
01:40:04 Et là il a une idée de génie.
01:40:06 Il prend une carte de Londres,
01:40:08 du quartier, et
01:40:10 avec le pasteur
01:40:12 qui l'accompagne,
01:40:14 il marque, chaque fois que quelqu'un meurt,
01:40:16 il marque une croix
01:40:18 sur la maison où il est mort.
01:40:22 Il remplit ça en quelques jours.
01:40:24 Et là, il s'aperçoit
01:40:26 que toutes ces croix
01:40:28 sont autour d'une pompe à eau
01:40:30 qui est celle de Broad Street
01:40:32 où tous les gens du quartier
01:40:34 viennent prendre leur eau pour boire.
01:40:36 - C'est-à-dire qu'à l'époque il y avait un point d'eau par quartier ?
01:40:38 - Bien sûr, dans le quartier de Londres.
01:40:40 Donc il dit "donc c'est obligatoirement
01:40:42 cette pompe qui est responsable de la maladie".
01:40:44 Il demande, après s'être bien
01:40:46 engueulé avec toutes les autorités
01:40:48 locales, qu'on supprime
01:40:50 absolument le bras
01:40:52 de cette pompe pour empêcher les gens de venir
01:40:54 prendre de l'eau, et l'épidémie s'arrête.
01:40:56 - Comment est-ce que
01:41:00 le docteur Laennec a inventé
01:41:02 le stéthoscope ? Parce qu'aujourd'hui
01:41:04 c'est vraiment le symbole du médecin.
01:41:06 - Ah ouais, le symbole du médecin, le stéthoscope.
01:41:08 Alors, à l'époque, la grande
01:41:10 habitude était, pour écouter le cœur ou les poumons,
01:41:12 on mettait directement son oreille
01:41:14 sur... - Parélogique.
01:41:16 - On mettait une serviette
01:41:18 ou pas de serviette d'ailleurs, mais on écoutait
01:41:20 comme ça. Et seulement,
01:41:22 Laennec, il faut voir, c'est un
01:41:24 monsieur très rigoureux,
01:41:26 très catholique, très prude,
01:41:28 un peu bégole,
01:41:30 pour tout dire. Et un jour,
01:41:32 il est amené à voir
01:41:34 une dame qui
01:41:36 a une maladie du cœur, manifestement,
01:41:38 mais il entend pas. Il n'arrive
01:41:40 pas à... Pourquoi ? Parce qu'elle a quatre épaisseurs
01:41:42 de vêtements sur elle, qu'elle est
01:41:44 un petit peu dodue, il entend pas.
01:41:46 Et il dit "mais comment je vais faire pour pouvoir
01:41:48 entendre son cœur ?" Et là,
01:41:50 l'idée lui revient d'un jeu auquel il jouait
01:41:52 quand il était enfant à Quimper, où on
01:41:54 grattait une poutre
01:41:56 et les gosses écoutaient de l'autre côté
01:41:58 de la poutre pour voir si le bruit
01:42:00 pouvait se transmettre. Il dit "je vais faire
01:42:02 la même chose." Et il demande à la sœur
01:42:04 qui accompagnait sa visite le lendemain
01:42:06 de prendre des feuilles de papier, il les met
01:42:08 en faisant un cylindre,
01:42:10 et il met le cylindre
01:42:12 sur la poitrine de cette jeune
01:42:14 femme, et là, il entend magnifiquement
01:42:16 son cœur comme il ne l'avait jamais entendu.
01:42:18 Il venait d'inventer
01:42:20 ce qu'on appelle la stétacousie
01:42:22 médiate, c'est-à-dire en fait le stéthoscope.
01:42:24 - Voilà, et là on vient de voir les premiers stéthoscopes,
01:42:26 celui de la Hennec, c'est un seul tube.
01:42:28 - Un seul tube, il n'y a pas de membrane, c'est un seul tube,
01:42:30 c'est du buis en général. - C'est un Américain
01:42:32 qui va en faire le stéthoscope. - Oui, c'est un Américain
01:42:34 qui à la fin du siècle s'aperçoit que finalement les médecins
01:42:36 avaient deux oreilles, et il fait un stéthoscope
01:42:38 avec deux oreilles. Mais les stéthoscopes
01:42:40 d'accoucheur aujourd'hui sont encore des stéthoscopes
01:42:42 comme celui de la Hennec qui n'ont qu'un
01:42:44 seul pavillon. - Dernière histoire,
01:42:46 parce que la fin de cette émission
01:42:48 approche, Jean-Noël.
01:42:50 La première grève du cœur a eu lieu
01:42:52 en 1967 en Afrique du Sud.
01:42:54 Christian Bernard est devenu du jour au
01:42:56 lendemain une star mondiale.
01:42:58 Et alors cette opération, il l'a réussie avec
01:43:00 le concours du jardinier
01:43:02 noir de l'hôpital.
01:43:04 Le fait qu'il était noir a son importance
01:43:06 puisque à l'époque, on était en plein
01:43:08 pendant l'apartheid.
01:43:10 Alors racontez-nous l'histoire, pourquoi le jardinier
01:43:12 noir de l'hôpital était
01:43:14 pratiquement son assistant le plus précieux.
01:43:16 - C'est une histoire de fou
01:43:18 cette histoire. Et on est presque
01:43:20 certain qu'elle est vraie aujourd'hui.
01:43:22 Pourquoi ? Eh bien parce que
01:43:24 il y a un monsieur qui s'appelle
01:43:26 Hamilton Naki, qui est noir
01:43:28 et qui est embauché par l'hôpital
01:43:30 le Grottechure Hospital.
01:43:32 Pour faire les
01:43:36 rines dans lesquelles les jeunes
01:43:38 jouent au tennis. Et puis
01:43:40 il est gentil. Alors les
01:43:42 gars du labo où on opère des animaux
01:43:44 lui demandent "Hamilton, tu peux pas nous filer un coup
01:43:46 de main là ? On va opérer une girafe."
01:43:48 Alors il faut qu'on... Parce qu'on opère des girafes
01:43:50 bien sûr dans ces pays-là.
01:43:52 Donc il vient, il rend service, il tient
01:43:54 les animaux et tout ça. Et puis
01:43:56 peu à peu, on lui montre
01:43:58 comment les anesthésier. Et puis
01:44:00 peu à peu, on lui montre comment s'habiller
01:44:02 en chirurgien et aider les chirurgiens.
01:44:04 Et puis on s'aperçoit qu'il est
01:44:06 super doué sur le plan manuel,
01:44:08 qu'il est formidable. Et les internes
01:44:10 qui sont toujours à la bourre pour aller faire les opérations,
01:44:12 et bien ils sont trop contents qu'Hamilton commence
01:44:14 à faire les opérations.
01:44:16 Et réussissent à les faire.
01:44:18 Si bien qu'on est toujours au laboratoire,
01:44:20 on opère que des animaux. Mais
01:44:22 Barnard, qui a un sacré coup d'œil,
01:44:24 le voit, il dit "ce type-là, je vais lui confier
01:44:26 une expérimentation de faire des
01:44:28 transplantations d'animaux
01:44:30 chez le chien, faire des transplantations cardiaques."
01:44:32 Et il commence à faire
01:44:34 les transplantations cardiaques. Il les fait vite,
01:44:36 bien, ça marche, ça passe, et tout.
01:44:38 Et quand Barnard
01:44:40 revient des Etats-Unis, en ayant
01:44:42 été voir Norman Shumway,
01:44:44 qui était le grand
01:44:46 chirurgien américain qui avait décrit
01:44:48 l'opération chez l'homme de la transplantation
01:44:50 cardiaque, Christian Barnard
01:44:52 il se retrouve à Grottsch hospital
01:44:54 en disant "bon, ils le font pas
01:44:56 les américains." Alors pourquoi ils le font pas les américains ?
01:44:58 C'est très simple. Parce que la définition de la mort
01:45:00 en Amérique est encore la mort
01:45:02 cardiaque. Donc si on définit
01:45:04 la mort comme étant l'arrêt du cœur, ben on peut pas
01:45:06 faire de transplantation cardiaque, il fallait que
01:45:08 on passe au stade suivant que la mort était une définition
01:45:10 cérébrale. Donc,
01:45:12 Barnard, là,
01:45:14 il est un peu rapide, il dit
01:45:16 "ouais, mais enfin, nous, ici, en Afrique du Sud,
01:45:18 on va la faire, la transplantation."
01:45:20 Il fait la transplantation, seulement
01:45:22 il est très seul, il y a
01:45:24 presque personne qui sait de la technique.
01:45:26 Lui, il a vu,
01:45:28 lui, c'est un chirurgien formé, il a été
01:45:30 travailler très longtemps aux Etats-Unis, mais les autres
01:45:32 ne savent pas. Et finalement,
01:45:34 et bien, il prend un risque incroyable,
01:45:36 Barnard. Et il demande
01:45:38 à Milton, à Milton Naqui,
01:45:40 de faire le prélèvement. Parce que ça se
01:45:42 passe comme ça, la transplantation à l'époque, il y a
01:45:44 une salle d'opération où on a le donneur,
01:45:46 dans laquelle on s'était une jeune femme,
01:45:48 et puis la salle où on va transplanter,
01:45:50 où il y a le receveur. Alors bien sûr,
01:45:52 c'est plus difficile de coudre le cœur
01:45:54 chez le receveur que de prendre chez le donneur,
01:45:56 mais enfin, il faut quelqu'un qui le fasse, parce qu'il faut que ça se fasse
01:45:58 le plus vite possible, pour ne pas perdre de temps,
01:46:00 surtout à cette époque. Et donc,
01:46:02 c'est Hamilton qui fait l'opération. Il va rejoindre
01:46:04 ensuite Barnard, et tous les deux,
01:46:06 eh bien, ils font la transplantation, la première
01:46:08 transplantation chez Louis Wachanski.
01:46:10 Nous sommes en décembre 1967,
01:46:12 et
01:46:14 il y a une photo qui est faite le
01:46:16 matin même, avec
01:46:18 les chirurgiens, le personnel,
01:46:20 toutes les équipes. Et Hamilton,
01:46:22 bien entendu, un noir sur la photo,
01:46:24 c'est une catastrophe ! Un pays
01:46:26 où l'apartheid est encore une réalité.
01:46:28 – Il y avait interdiction
01:46:30 pour les noirs d'occuper ce type
01:46:32 de poste. – Vous doutez bien,
01:46:34 c'était quasiment impossible.
01:46:36 Et donc,
01:46:38 tout le monde dit que
01:46:40 le monsieur qui est noir, c'était en fait
01:46:42 le gars qui balayait la salle d'hommes qui était là
01:46:44 par hasard, quand on a pris la photo.
01:46:46 – Et ils ne peuvent pas l'assumer.
01:46:48 – Personne n'assume,
01:46:50 même Barnard n'assume pas. Mais seulement,
01:46:52 quand même, comme par hasard,
01:46:54 quelques années après, le jardinier
01:46:56 de l'hôpital, Hamilton Nacky,
01:46:58 devient l'équivalent d'officier
01:47:00 de la Légion d'honneur
01:47:02 dans son pays, et il a le droit
01:47:04 à des tas de remarques.
01:47:06 Il devient aussi docteur honoris causa
01:47:08 de la faculté du Grottechur
01:47:10 hospital, ce qui est quand même assez rare
01:47:12 chez le jardinier, tout de même, d'avoir tous ces titres.
01:47:14 – Merci pour toutes ces
01:47:16 histoires, Jean-Noël Fabiani-Salmon.
01:47:18 Merci à tous les quatre
01:47:20 d'avoir participé à cette émission.
01:47:22 Merci de nous avoir suivis
01:47:24 et rendez-vous au prochain numéro.
01:47:26 Le prochain numéro,
01:47:28 c'est demain, à 22h.
01:47:30 Bonne nuit.
01:47:32 [SILENCE]