Frédéric Taddeï et ses invités débattent des grandes questions du XXIe siècle dans les #VisiteursDuSoir
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00:00:00 Bonsoir, l'un de nos visiteurs du soir va nous annoncer la fin des smartphones.
00:00:05 Vous y croyez-vous ?
00:00:06 À la fin des smartphones, à la fin des ordinateurs portables,
00:00:09 à la fin des consoles de jeux vidéo, pourquoi pas à la fin de la télécommande ?
00:00:13 Réponse juste après le rappel des titres.
00:00:17 Bonsoir, bienvenue sur le plateau des visiteurs du soir.
00:00:20 Comment survivre dans un monde qui nous paraît de plus en plus hostile ?
00:00:24 Eh bien en prenant du recul, en passant de l'émotion à la raison,
00:00:27 c'est à cela que servent les visiteurs du soir.
00:00:29 Ils nous obligent à réfléchir.
00:00:32 Sur la guerre en Ukraine par exemple, Nicolas Baverez y voit un basculement du monde.
00:00:36 La liberté politique sera l'enjeu du XXIe siècle, dit-il dans son nouveau livre,
00:00:41 "Démocratie contre empire autoritaire".
00:00:43 Il nous expliquera pourquoi à 23h.
00:00:45 Il y aura également Étienne de Gaulle qui voit, lui, dans l'humiliation,
00:00:49 la véritable clé des crises internationales.
00:00:52 Et Marie Favreau, vers 23h30, nous racontera comment l'empire mongol,
00:00:56 qui régnait jadis sur la Chine, sur la Russie et l'Ukraine, a changé le monde.
00:01:00 Mais d'abord, on va s'intéresser au Conseil constitutionnel.
00:01:04 Tous les regards, en effet, sont tournés vers lui,
00:01:05 depuis que l'opposition a déposé des recours contre la réforme des retraites.
00:01:09 Loréline Fontaine, qui vient de publier "La constitution maltraitée,
00:01:13 anatomie du Conseil constitutionnel", arrivera à 22h20.
00:01:17 Elle pense qu'il ne faut pas se faire d'illusions, car le Conseil n'est pas impartial.
00:01:21 Ce n'est pas le contre-pouvoir que l'on croit.
00:01:23 Jean-Philippe de Rosier, qui est lui aussi professeur de droit public
00:01:27 et responsable du GRECI, le groupe de réflexion sur l'évolution de la constitution et des institutions,
00:01:33 lui, a répondu dans une tribune parue dans le monde.
00:01:36 Il pense au contraire que les sages du Palais-Royal font très bien leur travail en toute indépendance
00:01:41 et qu'ils ne méritent pas les critiques qui leur sont régulièrement assainies.
00:01:45 Et on va commencer tout de suite cette émission avec Matthieu Courtecuisse,
00:01:49 le patron et le fondateur de Scia Partners, un cabinet de consultants en management
00:01:54 présent un peu partout sur la planète, en Europe, en Amérique du Nord, en Asie, au Moyen-Orient, en Australie.
00:01:59 Vous avez publié dans le quotidien L'Opinion une tribune annonçant la fin des smartphones,
00:02:03 que toute la tech est en train de préparer.
00:02:06 Dites-vous, alors que leur reproche-t-on à ces objets auxquels on tient depuis 15 ans maintenant,
00:02:11 comme à la prunelle de nos yeux ?
00:02:14 On leur reproche exactement la même chose que ce qu'on reprochait au Minitel.
00:02:17 Quelque part il y a un peu plus de 20-30 ans maintenant.
00:02:20 C'est-à-dire qu'en réalité, ils vont être décalés par rapport à la révolution technologique qui est en cours,
00:02:25 qui est la construction d'un nouvel Internet.
00:02:27 Cet Internet en trois dimensions, l'Internet d'essence, l'Internet biométrique.
00:02:32 Donc en fait, les smartphones qu'on trouve si modernes, pour vous, ils appartiennent déjà à un autre âge, c'est ça ?
00:02:37 On ne s'en rend pas compte ?
00:02:38 Pour ma partie de personnel, je ne les trouve pas déjà si modernes que ça.
00:02:40 Je les trouve rigides, lourds, polluants.
00:02:43 Ils sont en deux dimensions, donc en réalité, ils frustrent un certain nombre d'usages.
00:02:48 Et beaucoup d'enquêtes de consommateurs le démontrent déjà.
00:02:51 Donc il y a un petit décalage de perception, je l'entends bien.
00:02:53 Et puis on peut les perdre, on peut se les faire voler.
00:02:54 C'est quand même notre angoisse permanente.
00:02:56 Voilà, alors on a beaucoup d'informations qui sont stockées dans le cloud,
00:02:59 donc on ne perd pas forcément toutes ces informations.
00:03:01 Mais c'est effectivement des instruments qui ne sont pas préparés pour l'Internet de demain.
00:03:06 Alors évidemment, la question que tout le monde se pose, c'est on va les remplacer par quoi ?
00:03:11 Eh bien, on commence déjà à les remplacer parce qu'en réalité,
00:03:13 comme dans toute révolution technologique, il y a des éléments incrémentaux,
00:03:16 puis il y a des éléments de rupture.
00:03:17 Aujourd'hui, pour 10 smartphones, vous avez une montre connectée qui se vend.
00:03:20 Donc effectivement, par exemple, la montre connectée va être un nouveau moyen d'accès à l'Internet.
00:03:25 Ça sera la même chose avec les lunettes connectées qui sont en train de se préparer
00:03:28 et demain d'autres instruments qui seront connectés à notre peau.
00:03:31 Il y a aussi aujourd'hui la voix qui est un instrument extrêmement important.
00:03:35 Vous avez peut-être déjà utilisé des instants connectés à votre maison.
00:03:39 C'est aussi utilisé dans les entreprises.
00:03:41 Et évidemment, il y a le pas ultime qui est la puce intégrée à votre corps,
00:03:46 ce que prépare Elon Musk avec une de ses sociétés.
00:03:49 Donc en fait, ça va être la biométrie qui va devenir l'accès principal à Internet.
00:03:54 Il faut rappeler ce que c'est que la biométrie.
00:03:56 C'est-à-dire qu'effectivement, déjà dans vos téléphones, qu'ils soient Apple ou Samsung,
00:03:59 vous avez déjà un certain nombre d'applications biométriques qui se sont déployées au fur et à mesure,
00:04:03 qui reposent sur les technologies du toucher avec les empreintes digitales.
00:04:07 - Oui, on met son doigt et ça suffit. - Voilà, très concrètement.
00:04:10 Le visage, évidemment, avec la reconnaissance faciale.
00:04:13 - Et donc, évidemment... - La voix avec Siri ou d'autres...
00:04:16 Exactement. Donc l'ensemble de notre corps est en train de se digitaliser, de se numériser.
00:04:21 Et ce sont ces voies-là qui vont être les accès de demain.
00:04:25 On peut déjà imaginer la levée de boucliers quand même.
00:04:28 Là, je parle au niveau de la tech, parce que vous dites la tech est en train de préparer ça,
00:04:32 mais j'imagine qu'ils ne sont pas tous d'accord. Certains y ont intérêt et pas d'autres.
00:04:36 C'est-à-dire que dans la situation aujourd'hui d'une domination du smartphone
00:04:39 et dans une moindre mesure des ordinateurs portables,
00:04:43 évidemment, les positions des uns et des autres ne sont pas les mêmes.
00:04:45 Il y a eu un traumatisme avec les règles d'Apple qui ont changé du jour au lendemain
00:04:48 sur les règles publicitaires sur un certain nombre d'autres acteurs comme Meta, c'est-à-dire Facebook,
00:04:53 qui a totalement traumatisé les management, qui, de fait, veut récupérer une partie de l'accès.
00:04:59 Il ne veut plus que ce se fasse par les smartphones ou par les ordinateurs portables
00:05:02 fabriqués par Apple pour pouvoir récupérer sa pub.
00:05:05 Oui, parce que c'était en gros un enjeu de 20 à 30 % de ses revenus
00:05:07 et ils ne peuvent pas accepter cette idée-là.
00:05:10 De la même façon, Musk prépare aussi une forme de révolution via la voiture.
00:05:14 La voiture est aussi un instrument qui va nous permettre de nous connecter à l'Internet de demain.
00:05:17 Donc aujourd'hui, il y a deux, trois acteurs qui sont évidemment dans la "rente"
00:05:23 de ce qui se passe aujourd'hui dans la domination des smartphones, dont c'est Apple, Samsung, Google.
00:05:27 Et en réalité, les autres acteurs ont plutôt intérêt à reprendre la main.
00:05:31 Amazon investit presque 10 milliards par an uniquement sur la voix aujourd'hui
00:05:34 pour nous permettre d'accéder à l'Internet par la voix.
00:05:38 Et Méta, la stratégie, c'est l'œil.
00:05:40 C'est-à-dire qu'aujourd'hui...
00:05:41 Si on est dans le métaverse, on va être là, on va regarder autour de nous.
00:05:45 Dans la réalité immersive, au sens large, réalité augmentée, réalité virtuelle.
00:05:49 Et demain, les hologrammes aussi.
00:05:51 Donc ça, ça se fait par l'œil et principalement par les lunettes
00:05:54 parce que sur les lentilles, on n'est pas très bon pour l'instant.
00:05:56 Donc, vous annoncez la fin des smartphones, la fin des consoles de jeux vidéo, bien entendu.
00:06:01 On n'aura plus besoin de consoles de jeux.
00:06:03 On aura un casque, on aura...
00:06:04 Il y aura évidemment toujours des jeux vidéo,
00:06:05 mais on aura d'autres accès et d'autres éléments matériels.
00:06:09 La fin de l'ordinateur portable, comment on va s'en passer ?
00:06:11 Parce que c'est quand même...
00:06:12 Aujourd'hui, c'est notre façon de travailler.
00:06:16 On ne pourra pas se passer d'écrire.
00:06:18 Non, alors en partie, la voix va quand même prendre la main.
00:06:22 Mais en effet, il y a aussi la possibilité d'avoir des hologrammes.
00:06:25 Donc, c'est aussi un des éléments de la réalité immersive
00:06:27 qui va nous permettre d'avoir une projection de notre poste de travail sur une table,
00:06:30 sur un espace donné,
00:06:31 et qui va nous permettre, par la voix ou par un travail en 3D, d'écrire.
00:06:37 Donc, si la voix d'accès est biométrique,
00:06:42 notre passeport pour Internet, ce sera notre corps.
00:06:45 Rester anonyme, ça va devenir de plus en plus difficile, non ?
00:06:49 Oui, alors il y a un débat sur les concessions,
00:06:51 et qui est normalement le garant des libertés publiques.
00:06:53 C'est éminemment un sujet de liberté publique.
00:06:56 C'est aussi un sujet géopolitique,
00:06:58 parce qu'en réalité, il n'y a pas de frontière dans cet Internet-là.
00:07:02 Et évidemment, ça veut dire que s'il y a des puissances spécifiques
00:07:06 qui ont le monopole ou une domination dans l'accès à cet Internet-là,
00:07:10 ils vont posséder en réalité les éléments de nos empreintes,
00:07:13 de notre biométrie de façon générale.
00:07:15 Mais c'est déjà le cas aujourd'hui en réalité, sans que vous le sachiez.
00:07:17 Donc, c'est déjà en cours.
00:07:19 La question évidemment tombe dans le domaine du droit,
00:07:22 aussi d'un point de vue du respect des libertés publiques.
00:07:24 Mais très probablement, l'Internet qu'on est en train de construire
00:07:27 est probablement plus anonyme, ou en tout cas pas aussi anonyme qu'il l'est aujourd'hui.
00:07:30 Si tant est qu'il l'est aujourd'hui.
00:07:32 On vous retrouve grâce à votre adresse IP.
00:07:35 On nous retrouvera grâce à quelle adresse ?
00:07:37 Notre ADN ?
00:07:39 Ça peut être une forme d'ADN, mais évidemment,
00:07:41 les empreintes vocales, l'œil, ce sont des éléments tout à fait spécifiques,
00:07:44 uniques, singuliers, qu'on est capable de totalement isoler.
00:07:47 Je pense qu'en réalité, je crois qu'il y a un certain nombre de gouvernements européens
00:07:51 qui se posent aujourd'hui la question de stopper l'accès à GPT,
00:07:54 qui est aussi un autre élément de la vie sociale.
00:07:56 L'Italie notamment.
00:07:57 L'Italie, mais il y a des réflexions en Allemagne, en France aujourd'hui.
00:08:00 Évidemment, il suffit de mettre un VPN et vous pouvez trafiquer votre adresse IP.
00:08:04 La Mongolie, dont vous allez parler après, est aussi un lieu particulièrement intéressant
00:08:07 pour trafiquer vos adresses IP.
00:08:09 Et une réaction, Nicolas Baverez, Jean-Philippe de Rosier ?
00:08:12 Vous allez regretter votre téléphone portable ?
00:08:15 Non, mais ce qui est vrai, c'est que c'est la particularité de ce qui se passe en ce moment,
00:08:19 c'est l'accélération de ce progrès technologique.
00:08:22 Il a fallu 50 ans pour que la machine à vapeur gagne presque.
00:08:27 Ensuite, pour l'électricité, ça a pris 20 ans.
00:08:32 Pour les ordinateurs, ça a pris aussi beaucoup de temps.
00:08:35 Et là, c'est vrai que la succession est très rapide.
00:08:37 Et la question que ça pose, c'est intéressant d'avoir justement la réaction
00:08:42 à ce qui se passe autour de chat GPT.
00:08:45 Il n'y a pas seulement la réaction de certains pays européens,
00:08:48 il y a quand même cette pétition, cette idée de savoir quelle forme de régulation, de contrôle...
00:08:55 C'était la pétition, on en a parlé la semaine dernière dans les visiteurs du soir.
00:08:58 On va en reparler un peu après autour des empires autoritaires,
00:09:01 parce qu'évidemment, ça pose la question de l'anonymat.
00:09:04 Il y a quand même le fait que des États peuvent vraiment avoir un contrôle complet des citoyens.
00:09:12 Non seulement de leurs citoyens, mais d'un certain nombre de citoyens de pays étrangers.
00:09:18 Donc tout ça va quand même demander aussi un peu de réflexion et de régulation.
00:09:25 Jean-Philippe De Rosier ?
00:09:27 Je trouve ça toujours impressionnant, presque effrayant, effectivement, la vitesse à laquelle ça va.
00:09:33 Je ne pense pas encore relever de la catégorie des vieux schnock,
00:09:37 mais parfois face à tout cela, c'est un peu ce à quoi je m'apparente.
00:09:42 Je fais encore partie des rares personnes qui n'ont pas Facebook.
00:09:47 Ça va être bientôt fini.
00:09:49 Oui, ça n'existera plus.
00:09:51 C'était plus la remarque du citoyen, maintenant la remarque du constitutionnaliste.
00:09:57 Effectivement, vous l'avez dit vous-même, ça soulève un certain nombre d'interrogations
00:10:02 au regard de nos droits et libertés fondamentaux, sur lesquels il faudra être vigilant.
00:10:07 Je ne dis pas que ces progrès ne sont pas possibles, parce que je pense qu'ils le sont.
00:10:12 Et à partir du moment où ils le sont, ils auront lieu et on ne peut pas lutter contre le progrès.
00:10:17 En revanche, il faut prévoir un certain nombre de garde-fous pour éviter cette intrusion dans nos vies,
00:10:23 désormais même dans nos corps, ou en tout cas que cette intrusion soit maîtrisée
00:10:28 et à la décision de celui et ceux qui en font l'objet.
00:10:33 Et donc là, les enjeux constitutionnels, et pas seulement la constitution biologique du corps,
00:10:39 mais bien la constitution normative qui permet au corps, aux individus, au peuple de s'épanouir,
00:10:45 seront au cœur de ces questions.
00:10:47 Nicolas ?
00:10:48 Je pense que vous avez forcément aussi une réflexion là-dessus.
00:10:52 C'est que ces technologies, on les voit monter en Asie, on les voit se construire aux États-Unis.
00:10:58 Mais pas ici.
00:11:00 Pour l'Europe, pour l'instant, on est au mieux des utilisateurs,
00:11:03 donc des consommateurs cibles, mais pas des gestionnaires.
00:11:08 C'est pour ça que j'ai peur que le Conseil constitutionnel ne soit pas tellement...
00:11:12 En l'occurrence, on ne va pas le consulter, je crois.
00:11:14 Mais dernière question pour Mathieu Conte-Cuisse.
00:11:17 D'abord, comment est-ce qu'on va payer nos transactions ?
00:11:20 C'est un très bon point, parce que là on a abordé le sujet rapidement des libertés publiques,
00:11:23 mais il va y avoir aussi beaucoup de transactions financières là-dedans.
00:11:26 Et donc c'est aussi des sujets de droits qui sont...
00:11:27 Et ça peut les sécuriser d'une certaine manière, cette Internet biométrique.
00:11:31 Très important, mais aussi c'est quel type de monnaie,
00:11:33 et quelles sont les lois qui sont rattachées à l'utilisation de ces monnaies.
00:11:35 Et un premier impact macroéconomique, c'est qu'en gros,
00:11:38 la monnaie qui va être utilisée va être une monnaie frappée en dollars,
00:11:41 soit directement, soit indirectement,
00:11:43 parce que notre monde à nous va être dollarisé de plus en plus.
00:11:46 Donc ça pose la question même du statut de monnaie de réserve de l'euro dans ce monde-là.
00:11:50 Ça c'est le premier élément.
00:11:51 Et aussi toutes les règles qui s'attachent à l'utilisation d'une monnaie,
00:11:55 c'est-à-dire les règles extraterritoriales de l'utilisation du dollar de façon directe ou indirecte.
00:11:59 Et c'est quoi l'enjeu de tout ça à votre avis ?
00:12:02 C'est la pub ? C'est les datas ?
00:12:04 Alors il y a des enjeux, effectivement on va porter les usages d'aujourd'hui,
00:12:08 donc c'est évidemment des médias avant tout.
00:12:12 Mais ce qui est particulièrement important dans ce monde
00:12:14 qui est en train de se construire l'Internet 3D et l'Internet biométrique,
00:12:17 c'est le croisement entre les données publicitaires de comportement,
00:12:21 mais les données médicales,
00:12:22 puisqu'en fait on va capter non seulement les caractéristiques des personnes,
00:12:25 mais les comportements.
00:12:26 Et donc à partir de là, on est capable, par exemple, sur le suivi de l'œil,
00:12:30 d'anticiper 10-15 ans à l'avance l'arrivée d'un Alzheimer ou d'un Parkinson.
00:12:35 C'est pas encore gagné ça ?
00:12:37 Si, ça s'est déjà acté par les systèmes de high-tracking.
00:12:41 On est tout à fait capable de les prédire.
00:12:43 Après, c'est pas totalement validé par les autorités de régulation du médicament,
00:12:47 mais ça c'est quelque chose d'extrêmement important.
00:12:49 Et on rentre dans le monde de l'Internet médical aussi,
00:12:52 et ça, ça amène aussi toute une série de réflexions d'ordre public.
00:12:56 Mais, je tiens à le rappeler, les consommateurs l'attendent.
00:12:59 Et c'est ça qu'il faut quand même ne pas perdre de vue,
00:13:01 c'est-à-dire qu'on le décrit comme une forme de dystopie,
00:13:03 mais c'est pas du tout ça.
00:13:04 C'est que c'est un besoin qui est exprimé par les gens.
00:13:06 Quand on évoquait, sous le ton de l'humour,
00:13:09 la fin des smartphones qui est notre deuxième vie ou notre troisième vie,
00:13:13 parfois notre première vie pour certains d'entre nous,
00:13:15 il y a une attente cachée, larvée aujourd'hui, pour sortir de ça.
00:13:18 Et ça va être quoi le signal ?
00:13:21 Parce que vous le disiez, il y a déjà des montres qui sont vendues,
00:13:23 c'est des objets remarqués, on s'en passera peut-être un jeu aussi.
00:13:26 Il y a les lunettes qui étaient sorties puis qu'on a arrêtées, etc.
00:13:33 C'est quoi le signal qu'il faut attendre, à votre avis ?
00:13:35 Qu'est-ce qui va tout déclencher ?
00:13:36 C'est toujours très difficile de savoir quel sera le moment d'accélération majeur,
00:13:40 mais très probablement ce seront les lunettes.
00:13:42 Nicolas a évoqué l'absence de l'Europe dans ce domaine-là.
00:13:46 Il s'avère qu'on a un leader mondial des lunettes,
00:13:49 qui est une très grande entreprise de tech,
00:13:52 qui est une fusion entre la France et l'Italie,
00:13:54 qui s'appelle Luxottica, donc les Ray-Ban, d'autres grandes marques Sunglass.
00:13:58 C'est l'entreprise qui est la plus avancée en matière de captation
00:14:02 de ce qui se passe autour de l'œil.
00:14:04 Donc très probablement c'est ça.
00:14:06 Mais on sait aussi que la force d'une entreprise comme Apple,
00:14:09 c'est d'être capable de déclencher un mouvement d'adoption de masse.
00:14:14 C'est eux qui ont déclenché le mouvement d'adoption des smartphones il y a 15 ans.
00:14:18 Et aussi des montres.
00:14:19 Parce qu'aujourd'hui, c'est quand même le leader mondial des montres connectées.
00:14:23 Et donc aujourd'hui, aux États-Unis, tout le monde attend le signal d'Apple
00:14:26 en matière de lunettes.
00:14:27 Merci pour toutes ces annonces.
00:14:30 On en tiendra compte, Mathieu, quand tu cuisses.
00:14:33 Vous êtes averti.
00:14:35 Il va y avoir une pause.
00:14:38 Et puis on va s'intéresser au Conseil constitutionnel.
00:14:41 L'Auréline Fontaine va venir nous rejoindre pendant la pause.
00:14:45 A tout de suite.
00:14:47 L'Auréline Fontaine nous a rejoint.
00:14:50 Vous êtes professeure de droit public et de droit constitutionnel à la Sorbonne-Nouvelle.
00:14:54 Et vous venez de publier "La constitution maltraitée, anatomie du Conseil constitutionnel"
00:14:59 aux Éditions Amsterdam.
00:15:00 L'opposition à la réforme des retraites espère que le Conseil constitutionnel
00:15:04 va censurer la totalité du texte.
00:15:06 Le verdict est attendu pour le 14 avril, vendredi prochain.
00:15:10 Mais vous dites qu'il ne faut pas se faire d'illusions.
00:15:12 Le Conseil constitutionnel n'est pas impartial, comme on le croit.
00:15:16 Il penche plutôt du côté du pouvoir, d'après vous ?
00:15:19 Disons que par le passé, il a montré effectivement une assez nette tendance
00:15:26 à être loyal vis-à-vis des différentes majorités successives,
00:15:31 notamment lorsqu'elles sont solides, ce qui n'est pas forcément le cas aujourd'hui.
00:15:35 Mais disons que toutes les grandes réformes, qu'elles soient sociales ou sociétales,
00:15:39 ont en général été validées pour leur essentiel par le Conseil constitutionnel,
00:15:44 à quelques exceptions près.
00:15:46 Et son fonctionnement, en tout cas, sa composition et ses décisions,
00:15:53 n'offrent pas, de mon point de vue, des garanties solides,
00:15:57 faisant de cette instance un tiers impartial au-dessus de la mêlée politique
00:16:03 qui opposerait à la majorité politique du moment,
00:16:07 une parole plus fondamentale, plus stable, qui est la parole constitutionnelle.
00:16:11 Vous dites au fond que ce n'est pas le contre-pouvoir que les Français imaginent,
00:16:15 le Conseil constitutionnel.
00:16:17 Oui, parce que même si au départ il n'a pas été conçu comme un contre-pouvoir,
00:16:21 il s'est affranchi de la raison pour laquelle il a été créé,
00:16:26 pour garder le pouvoir exécutif,
00:16:28 à partir du moment où il avait rendu une décision importante en 1971
00:16:32 pour se déclarer comme le gardien des droits et libertés
00:16:36 que la Constitution garantit, une formule d'ailleurs qui a finalement été reprise
00:16:39 dans la Constitution en 2008.
00:16:42 Donc régulièrement, ses présidents disent du Conseil qu'il est ce rempart,
00:16:49 il est ce gardien des droits et libertés, ce protecteur.
00:16:52 Pendant le Covid, il aurait été le gardien du Temple en quelque sorte.
00:16:58 Or, tout montre que ce n'est pas le cas,
00:17:01 qu'il est un très piètre gardien des droits et libertés individuels et collectifs,
00:17:07 qu'il tend à suivre les évolutions, on va qualifier très simplement,
00:17:13 de néolibérales des politiques publiques depuis une trentaine d'années,
00:17:16 et qu'il ignore une très grande partie de la Constitution,
00:17:21 et notamment son versant social.
00:17:23 En effet. Jean-Philippe de Rosier, vous aussi vous êtes professeur de droit public
00:17:28 à l'Université de Lille, et je le disais tout à l'heure,
00:17:31 vous avez publié dans Le Monde une tribune intitulée
00:17:34 "Laissons le Conseil travailler tranquillement",
00:17:37 presque une tribune adressée à Loréline Fontaine, vous y dites.
00:17:42 Vous rappelez que les critiques récurrentes adressées au Conseil constitutionnel
00:17:47 sur son manque d'impartialité, sur sa proximité avec le pouvoir,
00:17:50 sont récurrentes, mais d'après vous, peu fondées.
00:17:54 Oui, même quand j'écoute ma collègue, je suis assez surpris par ce qu'elle peut soutenir.
00:18:01 Je me demande quelle jurisprudence elle a en tête qui permettrait de dire
00:18:04 que simplement sur le fondement de cette jurisprudence,
00:18:06 le Conseil constitutionnel serait partial.
00:18:09 Peut-être que s'il valide une loi, c'est simplement parce qu'elle est conforme à la Constitution,
00:18:12 on ne se pose pas cette question-là.
00:18:14 Or, son rôle est effectivement d'examiner un certain nombre de dispositions législatives
00:18:18 ou de lois qui lui sont déférées, et à l'aune de cet examen,
00:18:22 de les déclarer contraires, partiellement contraires, ou conformes à la Constitution.
00:18:27 Alors, je peux parfaitement être en désaccord avec certaines de ses décisions,
00:18:30 et ça m'arrive moi-même de ne pas partager l'analyse constitutionnelle qu'il produit,
00:18:34 mais c'est une analyse constitutionnelle qui, du simple fait qu'elle suscite mon désaccord,
00:18:38 ne justifie pas une qualification de partialité du Conseil constitutionnel.
00:18:43 Et si j'en crois un certain nombre de faits,
00:18:46 ma collègue disait qu'il ne se fait pas le défenseur des droits et libertés
00:18:50 que la Constitution garantit, pourtant il censure quand même
00:18:53 un certain nombre de dispositions constitutionnelles, même de lois,
00:18:56 dans le contrôle que ce soit celui que peuvent engager les citoyens, les justiciables,
00:19:00 qu'on appelle dans notre jargon la QPC, la question prioritaire de constitutionnalité,
00:19:04 ou les lois qui, comme actuellement, sont déférées par des parlementaires.
00:19:09 J'ai en tête une loi qu'on appelait "Anticasseurs",
00:19:12 qui avait été adoptée dans le prolongement des épisodes des Gilets jaunes,
00:19:15 où le pouvoir exécutif voulait interdire de manifestation
00:19:19 ceux qui pouvaient potentiellement être des casseurs,
00:19:22 et le Conseil constitutionnel a presque intégralement censuré le volet "Anticasseurs" de cette loi.
00:19:28 Une autre loi qui avait été initiée par une membre éminente de la majorité
00:19:32 qui est actuellement présidente de l'Assemblée nationale, Yael Brown-Pivet,
00:19:35 sur les mesures de sûreté pour les coupables d'infractions terroristes,
00:19:40 qui étaient particulièrement attentatoires aux droits et libertés,
00:19:43 et le Conseil constitutionnel, en juillet 2020, l'a quasi intégralement censuré.
00:19:47 Je vous interromps, on fait une pause, et puis après, on va se demander
00:19:50 si on peut faire confiance ou pas au Conseil constitutionnel.
00:19:56 Les questions de l'opposition sont tournées vers le Conseil constitutionnel,
00:20:00 qui examine en ce moment les recours qu'elle a déposés contre la réforme des retraites.
00:20:07 Ce qui est invoqué, c'est le principe de clarté et de sincérité des débats.
00:20:12 Il a été créé par le Conseil constitutionnel lui-même en 2005.
00:20:16 Est-ce que ce principe pourrait entraîner l'invalidation de la totalité de la réforme ?
00:20:22 Je vais vous demander votre avis à tous les deux. L'oréline Fontaine.
00:20:25 Il faut être bien conscient qu'en droit, on peut souvent argumenter dans un sens ou dans un autre,
00:20:32 et qu'on trouvera toujours de bons arguments.
00:20:36 Donc la question de la sincérité des débats ici peut effectivement être argumentée,
00:20:41 je crois qu'il n'y a pas trop de difficultés, sur le fait que le gouvernement a donné peu d'informations,
00:20:48 peu de documents, peu de données, mettant le Parlement à même de pouvoir bien délibérer,
00:20:54 puisque c'est bien ça qu'on lui demande.
00:20:57 Donc ça ne serait pas extrêmement compliqué de le faire,
00:21:00 mais la question est de savoir si le Conseil sera sensible à ce type d'argument,
00:21:03 et s'il ne préférera pas d'autres arguments.
00:21:06 Donc moi je ne me hasarderai pas à pronostiquer une décision,
00:21:10 ou à dire qu'il doit absolument aller dans un sens ou dans un autre,
00:21:14 puisque ce qui m'importe moi, c'est surtout la manière dont il le fait,
00:21:18 ce qu'il va nous dire, comment il va nous le dire.
00:21:21 Je m'interroge effectivement sur l'impartialité de ces membres,
00:21:25 puisque cette notion est très importante dans le domaine de la justice,
00:21:29 est impartial celui qui est étranger au parti à une affaire,
00:21:33 ou aux intérêts qui sont impliqués dans une affaire, c'est la base du système judiciaire.
00:21:39 Et on a affaire à des personnes qui jugent,
00:21:42 et qui sont les collègues souvent de ceux qu'ils contrôlent,
00:21:46 sont les anciens collègues de ceux qu'ils contrôlent,
00:21:48 ont une carrière longue en matière d'activité politique,
00:21:51 or la justice constitutionnelle ce n'est pas une activité politique,
00:21:55 c'est très différent, ça implique un raisonnement complètement différent,
00:21:59 ça implique une attitude différente.
00:22:01 Ici par exemple, est-ce que M. Alain Juppé va siéger,
00:22:05 alors qu'il est considéré comme peu impartial,
00:22:11 vis-à-vis de cette réforme des retraites,
00:22:13 au sens où il a la liberté de penser qu'il va être impartial.
00:22:17 Mais de l'extérieur, il donne les apparences d'une forme de partialité.
00:22:22 Est-ce qu'il va juger ? C'est une question je pense importante,
00:22:24 parce qu'en réalité elle se pose constamment avec le Conseil constitutionnel,
00:22:28 ses membres étant amenés à juger de lois auxquelles parfois ils ont participé,
00:22:34 qu'ils ont parfois défendu, ou sur lesquelles ils ont donné un avis,
00:22:38 et ça c'est de manière permanente,
00:22:40 et ça ne correspond pas au fonctionnement élémentaire de la justice.
00:22:44 Jean-Philippe De Rosier.
00:22:46 Je ne prendrai aucune position sur la décision à venir,
00:22:49 parce que précisément la tribune que vous évoquiez tout à l'heure s'intitule
00:22:53 "Pas de pression sur le Conseil constitutionnel, laissons-le travailler sereinement".
00:22:58 Et moins qu'à ma collègue, dont je respecte les analyses,
00:23:02 elle est davantage adressée à un certain nombre de personnes
00:23:06 qui disent comment le Conseil constitutionnel doit se prononcer,
00:23:09 pour rigueur, de considérer qu'une décision de justice ne s'annonce pas, elle se commente.
00:23:15 Donc j'en parlerai a posteriori.
00:23:17 En revanche, sur l'impartialité du Conseil constitutionnel,
00:23:21 notamment des membres qui ont pu être cités, Alain Juppé ou d'autres,
00:23:26 encore une fois je ne vois pas quel argument, quel critère,
00:23:30 permet de supposer que M. Juppé serait impliqué dans cette affaire.
00:23:35 A ma connaissance, cela fait quelques années qu'il n'a pas siégé au gouvernement,
00:23:39 à ma connaissance, cela fait quelques années qu'il n'a pas siégé à l'Assemblée nationale ou au Sénat,
00:23:43 et donc je ne vois pas en quoi est-ce qu'il est impliqué dans cette réforme des retraites.
00:23:48 Alors, effectivement, il y a peut-être d'autres membres qui ont pu, par le passé, prendre des positions.
00:23:55 Maintenant, j'ai en tête une autre institution qui s'appelle le Conseil d'État,
00:23:59 qui est étrangement plus respectée que le Conseil constitutionnel,
00:24:02 peut-être parce qu'elle est plus ancienne, et qui se prononce en amont sur des textes réglementaires,
00:24:09 des décrets, sur toutes les ordonnances, et qui les examine au contentieux en aval.
00:24:14 Et pour autant, les personnes qui se plaignent de cette double casquette sont assez peu nombreuses
00:24:21 et qui la dénoncent, des mesures sont prises au Conseil d'État pour éviter justement qu'ils soient jugés partis,
00:24:26 notamment ce ne sont pas les mêmes personnes qui se prononcent sur avis et qui se prononcent ensuite au contentieux,
00:24:31 mais ils siègent quand même dans la même maison, ils font partie de la même institution.
00:24:35 Il y a une certaine forme de corporatisme qui permet de penser qu'il peut y avoir,
00:24:39 il pourrait y avoir une remise en cause de la théorie des apparences et un certain conflit d'intérêt.
00:24:44 Là, au Conseil constitutionnel, je ne pense pas que le simple fait qu'une fois dans sa vie,
00:24:48 on se soit prononcé pour ou contre une réforme des retraites, implique nécessairement une partialité sur cette décision.
00:24:56 Vous faites allusion à l'AJP qui, effectivement, a tenté de faire une réforme des retraites en 1984.
00:25:00 Il n'est pas seul. Revenons d'ailleurs sur les neuf membres nommés au Constitutionnel.
00:25:06 Ils sont nommés par le président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat.
00:25:10 C'est comme ça dans à peu près tous les pays démocratiques, Lorraine Fontaine.
00:25:14 Mais ils ne sont pas auditionnés comme ils le sont, par exemple, pour devenir juges de la Cour suprême aux États-Unis.
00:25:20 Là, il y a une véritable audition longue, faite par le Congrès, si je me souviens bien.
00:25:29 Par le Sénat.
00:25:30 Par le Sénat, pardonnez-moi.
00:25:31 Et après enquête du FBI, après enquête du FISC américain, pour voir s'il n'y a pas de conflit d'intérêt.
00:25:36 Ça dure très longtemps. En France, ce n'est pas du tout la même chose.
00:25:40 Non. Par rapport aux autres pays étrangers, il n'y a pas toujours d'audition des personnes
00:25:45 qui sont nommées dans les Cours constitutionnels ou suprêmes.
00:25:48 C'est quand même une spécificité des États-Unis.
00:25:51 Mais il y a une différence importante en général, c'est qu'en France,
00:25:56 les autorités de nomination décident de nommer des personnalités qui,
00:26:00 soit ont une carrière politique assez longue derrière elles,
00:26:04 soit des personnes qui sont liées directement à l'exercice du pouvoir,
00:26:09 en étant par exemple directeur d'un cabinet ministériel ou de la présidence d'une des assemblées.
00:26:16 En fait, vous nous dites que ce ne sont pas des juristes.
00:26:18 Non, ce ne sont pas des juristes.
00:26:20 Ça, c'est le moins qu'on puisse dire en général, en le sens que certains ont quelques diplômes en droit,
00:26:26 mais ils sont peu nombreux en général et en tout état de cause.
00:26:31 Moi, j'insiste beaucoup là-dessus.
00:26:33 Je n'ai pas une obsession de la carrière juridique pour rentrer au Conseil constitutionnel, pas du tout,
00:26:38 parce que mon opinion va plutôt vers une forme de diversité sociale et professionnelle
00:26:44 au sein d'une cour constitutionnelle.
00:26:46 Mais ce que je dénonce, entre guillemets, c'est le fait qu'on ne nomme que des personnes
00:26:51 qui ont un rapport avec l'activité politique.
00:26:54 Il s'agit précisément de contrôler.
00:26:56 Et en fait, je crois que c'est ça le problème majeur.
00:26:59 Et lorsque l'on se situe, par exemple, au niveau des auditions de la Cour suprême des États-Unis,
00:27:04 effectivement, on voit aussi la différence dans la mesure où les personnalités pressenties
00:27:10 sont auditionnées pendant plusieurs jours avec des questions très ardues.
00:27:16 Elles sont presque parfois un peu persécutées, j'ose dire.
00:27:20 En France, les auditions durent de 1h à 1h30.
00:27:24 Dans un climat de complaisance et de connivence qui est éminemment perceptible,
00:27:29 il suffit d'écouter pour voir comment ça se passe,
00:27:32 en ce sens qu'on sent bien qu'on ne cherche pas à mettre en difficulté,
00:27:36 on ne cherche pas même à éprouver l'intérêt pour la justice constitutionnelle,
00:27:41 les qualités pour réfléchir à ce que signifie ce texte,
00:27:46 à ce qu'il signifie en tant qu'il est censé incarner les principes
00:27:50 et les valeurs fondamentaux de la cohésion du corps politique et social.
00:27:54 Rien de tout ça dans les auditions, des questions à la va-vite,
00:27:57 très vite répondues et en général dans un grand climat de complaisance.
00:28:02 Vous n'avez pas cette impression, Jean-Philippe Rosier,
00:28:04 parce que c'est vrai que de l'extérieur, je ne sais pas ce qu'en pensent Nicolas Baverez
00:28:07 et Mathieu Courtecuis, si nous le dirons après,
00:28:10 mais c'est vrai qu'on a l'impression qu'on les met là pour leur faire plaisir,
00:28:14 c'est une distinction, c'est honorifique,
00:28:16 mais on ne leur demande pas de compétence ni même d'appétence particulière.
00:28:21 Premièrement, je pense qu'il ne faut pas généraliser.
00:28:24 Deuxièmement, je n'ai jamais dit que tout était parfait dans le meilleur des mondes.
00:28:28 Notre constitution, d'ailleurs vous avez cité tout à l'heure un groupe de réflexion
00:28:32 que j'ai initié qui s'appelle le GREKI,
00:28:34 le groupe de réflexion sur l'évolution de la constitution et des institutions,
00:28:37 fera sans doute des propositions aussi concernant le conseil constitutionnel.
00:28:42 Moi-même, je pense qu'effectivement cette institution peut évoluer,
00:28:46 y compris sur la nomination, les procédures de nomination des membres.
00:28:51 Mais la nomination des membres ne concerne pas le conseil.
00:28:55 Ce n'est pas la faute du conseil si les auditions n'ont lieu que pendant 1h30.
00:28:59 Ce n'est pas la faute du conseil si telle ou telle autorité de nomination
00:29:02 choisit tel ou tel membre dont les compétences peuvent être discutables et discutées.
00:29:07 C'est quelque chose qui premièrement engage les autorités de nomination,
00:29:12 ce qui me porte à penser que précisément la nomination engage bien davantage le nommant,
00:29:16 celui qui nomme, que le nommé,
00:29:18 parce que le nommant est une autorité politique qui doit rendre des comptes.
00:29:21 S'il y a un membre que telle ou telle autorité a choisi
00:29:24 qui met la pagaille, ne fait pas bien son boulot,
00:29:27 c'est lui qui doit rendre des comptes.
00:29:29 Quand il y a eu, il y a près de 30 ans, un problème avec Roland Dumas,
00:29:33 celui qui était impliqué, il ne pouvait plus vraiment en répondre,
00:29:36 mais c'était celui qu'il a nommé, à savoir François Mitterrand,
00:29:39 moins que Roland Dumas lui-même,
00:29:41 qui s'est fait pousser vers la sortie du Conseil constitutionnel.
00:29:43 D'ailleurs, c'est le seul cas où le Conseil a viré un membre,
00:29:47 pour rappeler les choses par leur nom,
00:29:50 mais l'engagement concerne l'autorité de nomination.
00:29:54 Et là, il y a potentiellement des choses à améliorer.
00:29:56 Oui, effectivement, les auditions pourraient être un petit peu plus poussées,
00:30:02 un petit peu plus développées, mais là encore,
00:30:04 c'est de la compétence des commissions des assemblées parlementaires,
00:30:07 pas du Conseil constitutionnel.
00:30:08 Nicolas Baverez ?
00:30:09 Ce qui me semble, c'est que de toute manière,
00:30:11 pour une cour constitutionnelle, on ne fait jamais que du droit.
00:30:15 Il y a toujours de la politique.
00:30:16 Ça, c'est la première chose.
00:30:18 Ensuite, quand on regarde aux États-Unis,
00:30:20 c'est là où les procédures ne disent pas tout,
00:30:22 parce que, oui, les auditions sont infiniment plus sérieuses,
00:30:25 mais la politisation actuelle de la Cour suprême aux États-Unis,
00:30:29 la polarisation est d'une certaine manière pire que ce qui se passe aujourd'hui chez nous.
00:30:35 Elle a toujours été très polarisée, la Cour suprême,
00:30:37 sauf qu'avant, elle était plutôt démocrate, non ?
00:30:40 Non, pas à ce point, parce qu'il y avait…
00:30:42 Pas à ce point ?
00:30:43 Là, on a vraiment vu récemment une extrême…
00:30:47 d'abord, des nominations qui sont vraiment des nominations sur des critères politiques,
00:30:51 et puis ensuite, au sein de la Cour, ce qui n'était pas le cas avant,
00:30:56 parce qu'on a toujours eu des surprises avant,
00:30:58 c'est-à-dire des juges qui étaient présumés être conservateurs
00:31:02 et qui prenaient des positions dites libérales, ou l'inverse.
00:31:07 Là, la polarisation de la Cour suprême aux États-Unis,
00:31:10 elle suit le système politique, et c'est finalement, d'une certaine manière, logique.
00:31:16 Alors, ce qui reste, vous l'avez dit, la particularité de la France,
00:31:20 c'est que les exigences en matière de compétences juridiques
00:31:26 ou de raisonnements juridiques sont moindres qu'ailleurs.
00:31:28 Par exemple, si on compare aussi avec l'Allemagne, c'est spectaculaire.
00:31:31 Mais on n'a pas parlé, je crois, de ce qui est la principale curiosité, quand même,
00:31:34 même si elle est désarmée, parce qu'aujourd'hui, ça n'est plus le cas,
00:31:39 mais théoriquement, les anciens présidents de la République sont censés siéger.
00:31:43 Donc, il se trouve que, fort heureusement, ils ont renoncé,
00:31:46 parce qu'on en a de plus en plus qui sont vivants.
00:31:50 – Moins en moins, parce que, précisément, il y en a deux qui ont disparu il n'y a pas longtemps.
00:31:54 – Oui, mais quand on est passé à un système de quinquennats,
00:31:57 et là, il se trouve qu'on a un président qui a été réélu,
00:32:00 mais quand on a des quinquennats où les présidents changent tous les cinq ans,
00:32:05 au bout d'un certain temps, ça ferait pas mal de juges constamment.
00:32:08 – La question réglée, en tout cas.
00:32:10 – Voilà, on a déjà eu, je rappelle quand même, des séances assez surréalistes
00:32:17 où siégeaient face à face Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac.
00:32:21 – Oui, qui ne s'entendaient pas à merveille, c'est le moins qu'on puisse dire.
00:32:24 Lauriane Fontaine, vous insistez, vous, et ça découle du reste,
00:32:28 ce sont des politiques, la complaisance que vous leur reprochez envers le pouvoir,
00:32:33 le fait qu'ils ne sont pas des juges et qu'ils ne sont pas juristes,
00:32:37 vous insistez sur la faiblesse des décisions du Conseil constitutionnel
00:32:41 sur leur pauvreté intellectuelle.
00:32:43 Alors il vaut mieux prévenir effectivement les gens qui attendent beaucoup du Conseil en ce moment,
00:32:47 qui espèrent qu'il va retoquer la réforme des retraites,
00:32:50 s'il le fait, vous dites qu'il n'y a peu de chance,
00:32:52 mais s'il le fait, ce sera pauvrement justifié, c'est ça que vous dites.
00:32:58 – Ça a toutes les chances, alors je voudrais préciser que ce terme,
00:33:00 ce qualificatif de pauvreté intellectuelle ne vient pas de moi à l'origine,
00:33:03 mais d'un ancien membre du Conseil constitutionnel, à qui évidemment je l'ai repris.
00:33:10 – C'était qui ?
00:33:12 – C'était Olivier Dutellet de la Motte, qui le dit lors d'une réunion
00:33:18 de l'Association française de droit constitutionnel,
00:33:21 donc c'était plutôt amusant, donc évidemment j'ai repris ce terme,
00:33:25 parce qu'en effet, autant d'ailleurs, ça se voit dans les délibérations
00:33:30 dont on peut découvrir le contenu 25 ans après avec l'ouverture des archives,
00:33:36 que dans les décisions elles-mêmes, où à proprement parler,
00:33:40 il n'y a pas de véritable argumentation en ce sens.
00:33:44 Alors là, pour le coup, je ne suis pas une fan du "c'est mieux ailleurs",
00:33:48 pas du tout, ce n'est pas ce que je prétends d'ailleurs.
00:33:50 Pour le coup, je crois que la politisation de la Cour suprême
00:33:54 est une véritable problématique, non, moi ce qui m'intéresse,
00:33:57 c'est ce qui se passe ici, en ce sens que je pense qu'il n'y a pas
00:34:01 de véritable justice constitutionnelle.
00:34:03 Alors on peut être contre la justice constitutionnelle,
00:34:06 mais si on est pour, je pense que le Conseil ne répond pas
00:34:09 aux conditions de la justice constitutionnelle,
00:34:11 et là pour le coup, ces décisions sont très pauvres,
00:34:15 comparées à celles de la Cour allemande, ou même à celles de la Cour italienne,
00:34:19 ou à celles de la Cour américaine et bien d'autres, très pauvres,
00:34:22 en ce sens que le Conseil n'explicite absolument pas les choix qu'il fait.
00:34:27 Il dit "voilà, la Constitution veut dire ça", on ne sait pas pourquoi,
00:34:31 il ne met pas en balance plusieurs types d'interprétations,
00:34:33 il nous dit "la loi qui est soumise à mon examen veut dire ça",
00:34:38 ou "je l'entends comme ça", sans qu'il explicite pourquoi il l'entend
00:34:41 de cette manière-là, et ensuite il réunit les deux,
00:34:45 en général dans un exposé assez laconique, ces quelques lignes,
00:34:49 pour dire "bon ben voilà, la loi de ce fait, parce qu'elle dit ce qu'elle dit,
00:34:54 est conforme ou n'est pas conforme à la Constitution".
00:34:58 Ce qui a pour effet de maintenir aussi tout le monde à distance,
00:35:03 et de maintenir aussi la doctrine à distance,
00:35:05 parce qu'on ne peut être que frappé quand on fait l'histoire du Conseil constitutionnel
00:35:09 par la similitude de discours entre le Conseil constitutionnel et la doctrine,
00:35:14 dont le rôle est d'observer, de commenter, mais pas de répéter simplement
00:35:19 ce que dit le Conseil constitutionnel, si on est spécialiste de droit constitutionnel,
00:35:22 ou même si on est spécialiste de droit fiscal, et que le Conseil intervient
00:35:26 sur la question, eh bien on peut et on doit en dire autre chose
00:35:30 que ce que dit le Conseil constitutionnel.
00:35:32 Jean-Philippe de Rosier.
00:35:34 Beaucoup de choses ont été dites, je voudrais revenir sur un premier point.
00:35:39 Ce sont des politiques au Conseil constitutionnel.
00:35:41 Non, ce sont des membres du Conseil constitutionnel,
00:35:44 qui, pour certains d'entre eux, ont peut-être eu une carrière politique.
00:35:47 Pour la plupart.
00:35:48 Non, premièrement ça c'est faux, mais admettons, pour la plupart.
00:35:52 Après, où commence et où s'arrête la carrière politique ?
00:35:55 Il y en a actuellement qui ont fait deux ans dans un cabinet ministériel.
00:35:58 Est-ce que c'est faire une carrière politique que de passer deux ans
00:36:02 dans un cabinet ministériel ? Personnellement je ne le pense pas.
00:36:05 J'accepte que quelqu'un d'autre pense différemment de moi,
00:36:08 mais vous voyez que tout est question de subjectivité
00:36:11 et en tout état de cause quand ils rentrent au Conseil constitutionnel.
00:36:14 Ils ne sont plus impliqués dans la vie politique.
00:36:16 C'est d'ailleurs précisément la raison pour laquelle
00:36:18 un certain nombre de présidents, anciens présidents,
00:36:21 se sont fait gentiment prier de ne plus venir au Conseil constitutionnel
00:36:24 parce qu'ils restaient impliqués dans leur carrière politique.
00:36:26 Je pense en particulier à Valéry Giscard d'Estaing.
00:36:29 Et tandis que d'autres qui voulaient rester impliqués n'y sont pas allés.
00:36:32 Je pense par exemple à François Hollande.
00:36:34 Actuellement nous n'avons aucun membre qui est encore impliqué dans la vie politique.
00:36:38 Ils s'en sont retirés pour se consacrer, bien ou mal, là aussi on peut discuter,
00:36:43 mais au Conseil constitutionnel.
00:36:46 Maintenant concernant les décisions.
00:36:48 Effectivement ce sont des décisions qui sont plus minimalistes
00:36:52 que les décisions que l'on peut voir de la Cour allemande.
00:36:55 La décision de la Cour allemande c'est une centaine de pages.
00:36:58 La décision du Conseil constitutionnel c'est une dizaine de pages.
00:37:02 Donc il y a quand même effectivement, je le concède, un rapport.
00:37:05 Mais là encore, ce qui se passe au Conseil constitutionnel
00:37:08 se passe dans toutes les autres juridictions françaises
00:37:10 qui ne jugent que du droit, c'est-à-dire les juridictions suprêmes.
00:37:13 La Cour de cassation et le Conseil d'Etat,
00:37:15 le Conseil constitutionnel ne juge que du droit.
00:37:18 Il n'a pas d'appréciation sur les faits.
00:37:20 Il juge la loi dans sa pureté, c'est-à-dire la norme,
00:37:24 par rapport à notre norme qu'est la Constitution.
00:37:26 Donc il ne rentre pas dans des considérations factuelles
00:37:29 comme peut le faire la Cour constitutionnelle.
00:37:31 Il va être obligé là, puisqu'on lui demande de juger sur le processus juridique.
00:37:36 C'est du droit. C'est la règle de droit.
00:37:39 C'est la règle de droit, ce ne sont pas des faits.
00:37:42 C'est la règle de droit.
00:37:43 C'est la procédure parlementaire.
00:37:44 Oui, c'est ça. Il va juger si on a mis la réforme d'Astrède dans la bonne case en gros.
00:37:49 L'autre chose qu'on peut quand même dire, c'est que maintenant
00:37:51 il y a des commentaires qui sont publiés.
00:37:54 Depuis pas mal de temps, oui, absolument.
00:37:57 Et qui éclairent quand même les décisions.
00:38:02 Si vous pensez que ça éclaire les décisions, vous êtes très fort.
00:38:05 Moi, je ne pense pas que ça les éclaire.
00:38:07 Quand vous lisez le commentaire de la décision RIP sur Super Profi,
00:38:12 il y a quand même tout un élément qui éclaire la décision RIP sur les Super Profi.
00:38:16 Ce que fait le Conseil la plupart du temps dans ses commentaires,
00:38:19 c'est qu'il renvoie à des décisions passées pour expliquer le sens de sa décision.
00:38:23 Et lorsqu'on regarde les décisions passées, on n'a pas plus d'explications.
00:38:27 Et on renvoie encore à des décisions passées et ainsi de suite.
00:38:30 Et quand on remonte la chaîne, on arrive à à peu près zéro explication la plupart du temps.
00:38:35 En tout cas, lorsqu'on a une conception, je le concède, exigeante de la justice constitutionnelle,
00:38:41 je voudrais préciser que pour le Conseil, pour la mission qu'il exerce,
00:38:46 les lois et la procédure, ce sont des faits pour lui.
00:38:50 C'est ça qu'il doit juger. Ce sont des faits pour lui.
00:38:53 Alors ce sont des faits qui peut-être empruntent une forme juridique, mais ce sont des faits.
00:38:57 Et il n'est pas étranger à l'idée de toute façon de faits en ce sens où on l'entend traditionnellement.
00:39:04 Je pense à sa décision, pour le coup une bonne décision, garde à vue, en 2010,
00:39:09 où le Conseil ne se contente pas de juger le dispositif législatif qui lui est soumis,
00:39:15 mais explique que parce que les circonstances ont changé,
00:39:18 parce qu'on est arrivé à une époque où on était à près de 600 000 gardes à vue par an,
00:39:23 ce qui était très important et qu'on ne pouvait donc plus apprécier les garanties du dispositif de la même manière.
00:39:29 Donc il sait le faire. Il sait, et c'est son rôle, parce qu'une règle de droit,
00:39:34 ce n'est pas une règle qui est hors sol.
00:39:37 Ici, on attend du Conseil qu'il décide, aujourd'hui, parce que c'est le cas,
00:39:41 la représentation nationale a déjà décidé, mais on attend que maintenant il décide du sort de millions de personnes,
00:39:47 du sort social de millions de personnes, et ça ce sont des faits,
00:39:50 parce que le droit sans les faits, ça n'a aucun sens, tout simplement.
00:39:54 Et c'est quand on a cette vision-là de la justice, c'est-à-dire un bon droit appliqué à des faits justes,
00:40:01 eh bien on ne peut qu'être assez marie, pour employer un terme très soft,
00:40:07 de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
00:40:10 Mathieu Courtecuisse, quel Conseil en management, vous le conseilleriez quoi au Conseil constitutionnel ?
00:40:18 Pas grand-chose. Moi, ce que je vois juste, c'est que la France, contrairement à beaucoup de démocraties,
00:40:23 ça reste un État centralisé, donc les points de complexité qu'on voit dans d'autres pays,
00:40:27 comme l'Allemagne, les États-Unis, c'est aussi une question d'allocation des compétences entre le fédéral et les États,
00:40:32 donc on n'a pas cette complexité à gérer pour l'instant, parce que les régions sont relativement faibles.
00:40:37 Et puis par ailleurs, je pense qu'on n'a pas tiré les conséquences de ce qui se passe au niveau de la représentation politique,
00:40:43 c'est-à-dire qu'on est rentré dans un système tripartite, alors qu'avant, en réalité, on avait une alternance gauche-droite,
00:40:48 donc on avait des gens qui étaient élus de gauche et de droite, et qu'aujourd'hui, en réalité,
00:40:51 les gens qui sont nommés sous une autorité politique sont souvent issus des courants modérés,
00:40:56 et de gauche et de droite, et que, évidemment, les extrêmes ne se sentent pas forcément, spécialement,
00:41:01 représentés dans cette honorable institution.
00:41:04 Alors, il n'y a pas que le principe de clarté et de sincérité des débats, quand on pense aux conseils constitutionnels,
00:41:13 il examine également la recevalibilité d'un RIP déposé par 252 parlementaires,
00:41:19 un référendum d'initiative partagé pour fixer l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans maximum.
00:41:26 Est-ce que vous pouvez nous expliquer tous les deux, c'est quoi l'enjeu-là ?
00:41:29 Qu'est-ce qui risque de se passer ? Qu'est-ce qui peut se passer ? Qu'est-ce qu'on attend de ce RIP ?
00:41:33 Alors, ce qu'on attend de ce RIP, c'est de pouvoir obtenir à la fin une nouvelle loi qui refixerait l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans.
00:41:43 Donc, on resterait dans le cadre de la loi, j'insiste pour dire qu'il ne s'agit pas de fixer une nouvelle règle dans la Constitution
00:41:50 qui s'imposerait aux législateurs futurs. Il s'agit juste de faire une nouvelle loi qui dit autre chose que ce que le texte actuel,
00:41:57 qui a des chances d'entrer en vigueur, dit.
00:42:00 Mais pour ce faire, il faudrait que, un, le Conseil constitutionnel accepte ce RIP, qu'ensuite, il y ait un référendum.
00:42:07 Après, il faudrait qu'il y ait 4 ou 5 millions de personnes qui signent pour qu'il y ait un référendum.
00:42:11 Ensuite, il faudrait qu'il y ait un référendum, qu'on vote et qu'on vote, par exemple, en faveur de 62 ans.
00:42:18 Et seulement à ce moment-là, ça s'appliquerait. Donc, c'est dans assez longtemps. D'ici là, la loi se sera appliquée.
00:42:24 Elle aura commencé de s'appliquer. La procédure est extrêmement longue.
00:42:27 D'ici le 14 avril, le Conseil dit « Ok, cette proposition est conforme à la Constitution. Donc, on peut opérer un recueil des signatures d'environ 4,8 millions d'électeurs. »
00:42:38 Donc, puisqu'on exige un dixième des électeurs. Au bout des 9 mois de recueil de la signature, alors, là, c'est l'incertitude.
00:42:46 Soit le Parlement se saisit de la question et décidera, lui, de s'il adopte ou n'adopte pas.
00:42:53 S'il n'adopte pas, ça s'arrête là. Soit il ne se saisit pas de cette proposition.
00:42:59 Et dans ce cas, l'article 11 de la Constitution prévoit que le Président devra soumettre cette proposition à référendum.
00:43:06 Donc, on a quand même encore du temps. 9 mois pour les signatures. 6 mois si le Parlement ne s'en saisit pas.
00:43:11 Et ensuite, l'organisation d'une campagne référendaire. Donc, pour arriver à une simple loi.
00:43:17 Jean-Philippe de Rosier.
00:43:18 Oui, le référendum d'initiative partagée. C'est ça que ça veut dire, RIP. Ce n'est pas « Rest in Peace », mais c'est référendum d'initiative partagée.
00:43:25 C'est un mécanisme qui a été introduit en 2008, en même temps que cette grande réforme du Conseil constitutionnel que j'évoquais tout à l'heure,
00:43:32 la question prioritaire de constitutionnalité.
00:43:34 Et c'était sous la Sarkozy.
00:43:36 Voilà, tout à fait. Ça n'a rien à voir l'un avec l'autre. Mais voilà, c'était un instrument qui était destiné à un petit peu renforcer la démocratie,
00:43:44 puisque l'idée, c'était d'avoir une initiative citoyenne. Mais comme nous sommes dans un régime où on craint toujours un petit peu les velléités du peuple,
00:43:54 on a encadré cela pour en faire non pas une initiative citoyenne, mais partagée.
00:43:59 C'est-à-dire que ce sont des parlementaires qui initient, les citoyens qui soutiennent, les parlementaires qui peuvent intervenir,
00:44:05 et in fine, s'ils n'interviennent pas, les citoyens qui se prononcent. Et d'où la longueur de tout cela.
00:44:12 Et en réalité, l'instrument a été réajusté pour non plus en faire quelque chose qui permettrait l'expression citoyenne,
00:44:22 mais un instrument qui permettrait à l'opposition de se manifester contre une politique du gouvernement.
00:44:29 Soit une loi en cours d'adoption, soit une position politique que le gouvernement a prises.
00:44:34 Et donc là, c'est effectivement l'opposition qui conteste la réforme des retraites,
00:44:42 et qui a saisi ce mécanisme constitutionnel pour tenter d'initier, d'amorcer une mobilisation institutionnalisée.
00:44:49 Parce que là, on a les mobilisations, plus tard que jeudi, il y avait encore des manifestations dans la rue.
00:44:55 Là, il y aura un comptage centralisé par le ministère de l'Intérieur, si jamais le Conseil constitutionnel valide,
00:45:01 pour voir combien de personnes soutiennent cette proposition de loi.
00:45:05 En réalité, cela vient bien au renfort de la démocratie, mais pas dans le sens où on pouvait l'imaginer au départ,
00:45:11 c'est-à-dire des citoyens qui voudraient faire une loi, plus de l'initiative de l'opposition,
00:45:16 qui veut effectivement institutionnaliser cette voie, ce positionnement contre une politique du gouvernement.
00:45:23 On l'avait eu sur le premier, c'était sur l'aéroport de Paris, quand on a voulu nationaliser l'aéroport de Paris,
00:45:29 privatiser effectivement l'aéroport de Paris, et l'opposition s'était saisie de cela,
00:45:36 et la privatisation n'a jamais eu lieu, alors même qu'on n'a pas eu de référendum,
00:45:40 que le seuil de 4,5 millions n'a pas été atteint, mais la privatisation n'a pas eu lieu.
00:45:45 Nicolas Baverez ?
00:45:47 C'est vrai que juridiquement, cet instrument est utilisé plutôt pour contester une loi,
00:45:53 alors même qu'elle a été votée.
00:45:56 Ce qu'on peut dire, c'est deux choses, c'est-à-dire que si le Conseil constitutionnel donne son feu vert,
00:46:04 d'abord, ça va poser la question de savoir ce qu'on fait avec la loi,
00:46:09 est-ce qu'on décide de l'appliquer ou est-ce qu'on la suspend pendant le temps des signatures,
00:46:17 ça c'est une première question.
00:46:19 Ensuite, ce qu'on peut dire, c'est que sur ce thème-là, il y a une vraie possibilité d'atteindre les 10%, les 4,8 millions,
00:46:28 et la troisième chose, c'est que si tout ça a lieu, on va passer une année à reparler et à rediscuter des retraites,
00:46:37 et on va par ailleurs arriver au cœur du débat en même temps que les Jeux olympiques.
00:46:43 Je voudrais juste quand même préciser qu'effectivement, on peut considérer que le RIP aujourd'hui,
00:46:51 cette procédure est utilisée pour contester ce qui a été adopté par le Parlement,
00:46:56 mais je voudrais quand même, sur cette question-là de la réforme des retraites, préciser que l'Assemblée n'a pas voté le texte,
00:47:02 ni en première, ni en seconde lecture.
00:47:04 Elle n'a pas adopté la motion de censure, faisant que le texte a été considéré comme adopté,
00:47:09 mais l'Assemblée ne s'est pas prononcée par un vote positif sur ce texte.
00:47:14 Donc ce qui peut-être change un tout petit peu la donne par rapport à l'analyse que l'on peut faire de l'utilisation du RIP.
00:47:19 Alors c'est vrai, mais d'un point de vue de droit, on a quand même bien une loi qui a été votée.
00:47:24 Elle a été adoptée.
00:47:25 Adoptée.
00:47:26 Considérée comme adoptée.
00:47:27 Non mais à la suite du procès, d'ailleurs, le Conseil constitutionnel de toute manière va devoir se prononcer là-dessus,
00:47:33 avec à la fois le recours à un article qui concerne normalement une loi budgétaire pour une réforme des retraites,
00:47:42 plus effectivement l'enchaînement de ceci avec le vote bloqué au Sénat et le 49-3.
00:47:47 Bon, tout ça va être bien documenté dans les recours.
00:47:49 Donc ça, de toute manière, on aura une vision claire du...
00:47:52 Le Conseil constitutionnel devra répondre en tout cas à ça.
00:47:56 Il nous reste deux minutes, une dernière question.
00:47:58 Il y a aussi l'article 10 de la Constitution dont on ne cesse de nous parler.
00:48:01 Le président de la République lui-même pourrait permettre une nouvelle délibération.
00:48:07 Mais dans quel but en a-t-il envie ?
00:48:10 Est-ce qu'il a envie, Emmanuel Macron, de dire "Allez, ok, on oublie tout, on recommence".
00:48:15 Ce n'est ça ?
00:48:16 Vous n'avez pas échappé que je ne suis pas Emmanuel Macron.
00:48:18 Non, non, certes, mais je veux dire...
00:48:19 Je n'ai pas la réponse de ce qu'il a envie et de ce dont il a parlé.
00:48:21 C'est ça qu'on peut attendre de l'article 10.
00:48:22 Effectivement, l'article 10, c'est l'article qui permet la promulgation de la loi.
00:48:26 Il y a un deuxième alinéa qui permet au président de la République de demander une nouvelle délibération,
00:48:29 c'est-à-dire de recommencer l'examen de la loi.
00:48:32 Cette prérogative a été utilisée à trois reprises dans toute l'histoire de la 5e République,
00:48:37 donc ce n'est pas non plus un usage très fréquent.
00:48:39 La toute première fois en 1983, c'était précisément pour ne pas promulguer une loi.
00:48:44 C'était l'objectif, mais la loi était devenue inutile parce qu'elle visait à organiser l'exposition universelle
00:48:49 qui finalement n'était plus organisée à Paris.
00:48:51 Et donc François Mitterrand a demandé cette nouvelle délibération pour renvoyer la loi au Parlement
00:48:56 et puis la laisser mourir de sa belle mort.
00:48:58 Ensuite, elle a été utilisée à deux autres reprises pour remédier à une inconstitutionnalité.
00:49:02 Le Conseil constitutionnel avait censuré une partie de la loi
00:49:04 et le président de la République a demandé que le Parlement la réexamine.
00:49:08 Là, effectivement, c'est une possibilité pour sortir de la crise politique et institutionnelle
00:49:13 que de demander cette nouvelle délibération.
00:49:16 Maintenant, encore une fois, statistiquement, ce n'est pas ce qui est fait le plus fréquemment.
00:49:20 L'oréline Fontaine sur ce sujet, il nous reste 30 secondes.
00:49:23 Oui, ça reste de l'initiative d'Emmanuel Macron, qui jusqu'à présent n'a pas manifesté l'envie particulière
00:49:31 de revenir sur cette réforme d'une manière ou d'une autre.
00:49:35 Je pense que de toute façon, il attend la décision du Conseil constitutionnel comme beaucoup.
00:49:39 Mais l'article 10 n'est a priori pas prévu pour faire redélibérer une loi avec laquelle le président est d'accord.
00:49:46 Dernier mot.
00:49:48 Juste, la nouvelle délibération ne règle pas le problème de l'absence de majorité.
00:49:51 Oui, en plus.
00:49:53 Merci, l'oréline Fontaine, qui nous quitte maintenant.
00:49:56 Merci, Mathieu Courtecuisse.
00:49:59 C'est le rappel des titres et juste après, on va parler de la guerre en Ukraine,
00:50:03 de ce que ça change, du basculement du monde, que nous annonce Nicolas Baverez,
00:50:09 avec de nouveaux visiteurs du soir.
00:50:12 Bienvenue, si vous nous rejoignez maintenant.
00:50:14 Les visiteurs du soir, c'est de 22h jusqu'à minuit.
00:50:17 Jean-Philippe Derosier nous a accompagné toute cette émission.
00:50:20 Il est professeur de droit public à l'Université de Lille.
00:50:23 Marie Favreau, bonsoir.
00:50:25 Vous enseignez l'histoire médiévale à l'Université Paris-Nanterre.
00:50:29 Vous publiez "La Horde".
00:50:31 Vous nous raconterez tout à l'heure comment les Mongols,
00:50:33 en envahissant une grande partie de leur Asie au XIIIe siècle,
00:50:37 Chine et Russie comprises, ont changé le monde.
00:50:39 Mais d'abord, la guerre en Ukraine.
00:50:41 Nicolas Baverez, vous êtes historien et économiste.
00:50:44 Vous dites que nous vivons actuellement un basculement du monde.
00:50:47 À l'avenir, ce sera "Démocratie contre empire autoritaire".
00:50:51 C'est le titre de votre nouveau livre.
00:50:53 "La liberté politique", dites-vous, "sera l'enjeu du XXIe siècle".
00:50:56 Etienne de Gaye, vous êtes géopolitologue dans "L'humiliation",
00:51:01 qui vient de sortir avec une préface d'Hubert Védrine.
00:51:03 Vous expliquez que c'est l'humiliation la véritable clé des crises internationales,
00:51:08 notamment de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
00:51:11 Alors, Nicolas Baverez, vous pensez que c'est notre liberté politique
00:51:14 qui a tous qui est menacé. Pourquoi ?
00:51:16 Nous vivons effectivement un changement de monde
00:51:19 avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
00:51:22 C'est-à-dire qu'on voit se cristalliser ce qu'on voyait monter depuis un certain temps,
00:51:26 c'est-à-dire une nouvelle confrontation entre les empires autoritaires
00:51:31 avec ce qui ressemble de plus en plus à une véritable alliance,
00:51:35 y compris militaire, entre la Russie et la Chine, et les démocraties.
00:51:39 Puisque ces deux régimes, on l'a vu récemment
00:51:42 avec le déplacement de Xi Jinping à Moscou,
00:51:46 et puis ensuite avec la nouvelle doctrine de politique étrangère de la Russie,
00:51:50 explicitement, il y a deux cibles, la démocratie et l'Occident,
00:51:56 avec la volonté de construire un ordre qui soit un ordre post-occidental.
00:52:00 Et ça se traduit par deux choses.
00:52:02 D'abord, le retour de la guerre, la guerre de haute intensité en Ukraine,
00:52:06 guerre hybride contre l'Europe, avec le gaz, avec l'alimentation,
00:52:11 avec l'inflation, avec la manipulation des migrants, avec la désinformation,
00:52:16 avec les cyberattaques, y compris contre les hôpitaux,
00:52:19 avec la manipulation des partis et le financement des partis populistes.
00:52:23 Et puis, ça se traduit aussi, parce que ce n'est pas la répétition de la première guerre froide,
00:52:29 on n'est pas simplement dans de l'est ou est,
00:52:31 ça se traduit aussi par le fait que la Chine est en train d'essayer d'attirer le Sud,
00:52:38 au nom, effectivement, typiquement du ressentiment,
00:52:41 le ressentiment pour le passé colonial, donc le ressentiment anti-occidental,
00:52:47 le ressentiment aussi qui peut être plus proche, par exemple,
00:52:50 la gestion de la crise de la Covid,
00:52:55 ou effectivement la manière de contrer les groupes djihadistes au Sahel.
00:53:00 Et là encore, ça a des manifestations très concrètes, récentes dans l'actualité,
00:53:04 il y en a deux qui sont spectaculaires.
00:53:06 C'est la Chine qui a parrainé le rapprochement entre l'Iran et l'Arabie saoudite,
00:53:10 qu'on pensait impossible,
00:53:12 et on vient de voir l'Arabie saoudite, qui traditionnellement était un allié des États-Unis,
00:53:18 et qui vient de décider, à un moment qui est vraiment délicat pour l'Occident,
00:53:24 de baisser le quota de production pour augmenter le prix du pétrole,
00:53:28 et derrière, on voit se mettre en place une grande stratégie de dédollarisation du monde,
00:53:35 qui unit à la fois cet ensemble Chine-Russie,
00:53:39 et aussi une partie des pays du Sud,
00:53:41 parce que ces pays essayent de construire des protections
00:53:47 pour ne pas pouvoir être frappés par des sanctions comparables à celles qui ont frappé la Russie.
00:53:53 Sanctions dont se servent les Américains,
00:53:55 qu'on a l'égard de tous ceux qui utilisent leur monnaie.
00:53:57 Quand on met ça tout bout à bout,
00:53:59 on avait un système d'histoire universelle avec une mondialisation
00:54:03 qui était fondée sur la domination de l'économie, des forces du marché,
00:54:09 et là, la mondialisation continue, parce qu'on a toujours des interdépendances,
00:54:12 mais elle se fragmente, c'est un univers de blocs,
00:54:15 et y compris de blocs sur le plan économique, sur le plan technologique,
00:54:19 avec un Internet chinois, un Internet américain, un Internet russe,
00:54:23 un Internet européen, et ces blocs, évidemment,
00:54:29 ils ne vont pas être tarciques, il y aura des relations,
00:54:34 mais ce sont des relations qui sont contrôlées aujourd'hui par les États,
00:54:37 avec des systèmes de contrôle des exportations, des importations,
00:54:41 des investissements, de l'acquisition de certaines entreprises,
00:54:46 la protection d'actifs stratégiques.
00:54:48 Donc voilà, on a vraiment changé d'univers.
00:54:51 C'est un univers où la géopolitique prime maintenant l'économie,
00:54:55 où les États reprennent le contrôle sur le marché,
00:54:58 et où le besoin de sécurité et de souveraineté prime l'optimisation
00:55:04 des chaînes de valeur et la recherche de l'efficacité économique
00:55:09 et des plus faibles coûts possibles.
00:55:11 Étienne Negay, alors pour vous, l'attitude hostile de la Russie vis-à-vis de l'Occident
00:55:16 depuis 2007, dites-vous, et qui culmine depuis l'invention de l'Ukraine,
00:55:22 ça s'explique pas tellement par l'hostilité à la démocratie,
00:55:25 mais plutôt par le sentiment d'humiliation qu'on a tendance à négliger,
00:55:29 dites-vous, alors que c'est une force très puissante dans les relations internationales
00:55:33 qui explique nombre de conflits, notamment les conflits successifs
00:55:37 entre la France et l'Allemagne.
00:55:39 On sait comment ça a pu fonctionner, l'un étant humilié, puis l'autre,
00:55:43 puis à chaque fois, ça s'est échangé, l'humiliation.
00:55:47 Oui, absolument. Alors, sur la Russie, je nuancerai un peu.
00:55:51 C'est-à-dire que ce qui se passe aujourd'hui, depuis février 2022,
00:55:55 ce n'est pas le résultat d'une humiliation, ce serait trop simple,
00:55:58 et ça pourrait amener à excuser, légitimer, justifier la guerre de Poutine en Ukraine,
00:56:03 qui est absolument terrible.
00:56:05 Ce que j'essaye de faire dans le livre, c'est de remonter à la période post-soviétique,
00:56:10 donc quand la Russie devient Russie, et...
00:56:13 Les années 90.
00:56:14 Toutes les années 90, et en fait, pour moi, c'est là que se situe le nœud de l'humiliation
00:56:19 sur laquelle va jouer ensuite Poutine.
00:56:22 Mais il y a une humiliation qui me paraît indéniable du peuple russe et des dirigeants,
00:56:26 et l'intérêt d'un tel sujet, c'est d'essayer de rentrer dans la boîte noire, en fait,
00:56:31 des liens entre peuple et dirigeant, et aussi dans la psychologie des peuples,
00:56:35 alors c'est quelque chose de très difficile...
00:56:37 Peuples qui sont commandés par les passions plus que par la raison et les intérêts.
00:56:41 Alors de plus en plus, c'est aussi pour ça qu'il y a une prégnance de ce sentiment aujourd'hui,
00:56:45 même si effectivement, vous l'avez dit, la relation franco-allemande,
00:56:48 qui a deux siècles, en fait, depuis la bataille de Guéna,
00:56:51 a été une relation d'humiliation réciproque jusqu'à la construction européenne,
00:56:57 et donc c'est aussi un...
00:56:59 Je ne vais pas dire quelque chose comme ça, mais c'est un message d'espoir,
00:57:01 parce que l'humiliation, elle peut être dépassée.
00:57:03 On peut s'en sortir au bout d'un siècle.
00:57:05 Et donc, même ce qui se passe aujourd'hui en Russie,
00:57:10 est dépassable à terme, même si c'est difficile de poser la question maintenant.
00:57:15 Mais là où j'avais envie justement que vous soyez là tous les deux,
00:57:18 c'est qu'au fond, on sent bien quand on oppose démocratie en pires autoritaires,
00:57:23 on a tendance à penser, et vous le dites un peu, Nicolas Baverez, dans votre livre,
00:57:27 que nous, les démocraties, les Occidentaux, on a été naïfs, en gros.
00:57:32 On a été naïfs, on n'a pas regardé, on s'est dit "ah ben c'est formidable,
00:57:36 tout le monde va se réconcilier au nom de la prospérité, de la paix éternelle".
00:57:40 On s'est dit "la Chine arrive dans l'OMC, la Russie, de toute façon,
00:57:46 même s'ils ne sont pas contents, ce n'est pas grave, ils n'ont plus les moyens de protester".
00:57:50 Mais en gros, on trouvait que tout allait bien, on a même cru, pendant un certain temps,
00:57:53 à la fin de l'histoire.
00:57:56 Et en gros, on serait surpris aujourd'hui, parce qu'en fait, ils sont méchants,
00:58:00 ils ont toujours été méchants, mais ils nous l'avaient caché, on n'a pas voulu le voir.
00:58:03 Vous, ce que vous dites, c'est qu'ils ne sont pas spécialement méchants.
00:58:06 Ils ont été humiliés, ils nous en veulent, leur peuple nous en veut, c'est inscrit,
00:58:12 et finalement, ça ne peut pas se régler comme ça, aussi facilement qu'on le voudrait,
00:58:17 en leur disant "écoutez, mais non, je ne t'ai rien fait, ce n'est pas de ma faute,
00:58:20 c'est toi qui prends tout mal".
00:58:22 En fait, ce qui est très important avec le sentiment d'humiliation,
00:58:24 et donc l'une des conséquences qui est le ressentiment, c'est de le prendre en compte.
00:58:28 Et quand on s'y intéresse, ça pousse à se mettre à la place d'eux,
00:58:32 donc à faire preuve d'empathie, ce qui est le fond du travail des diplomates,
00:58:36 et d'essayer de comprendre la façon dont eux ont ressenti les choses.
00:58:39 C'est pour ça que dire "les Russes ont été humiliés" ne veut pas dire
00:58:42 "c'est notre faute s'il y a une guerre en Ukraine aujourd'hui".
00:58:45 Certains le disent, moi je ne le pense pas, ce serait trop simple.
00:58:51 Et d'autant plus que Vladimir Poutine, qui lui-même, je pense, s'est senti humilié
00:58:56 à la sortie de la guerre froide, puis pendant les premières années de son premier mandat,
00:59:02 où il a tendu la main aux États-Unis, ça a été le premier à appeler par exemple
00:59:05 le président Bush en 2001, au lendemain des attentats du World Trade Center,
00:59:11 pour lui apporter son soutien.
00:59:12 Il a ouvert son espace aérien aux avions américains,
00:59:15 il a laissé des bases américaines aussi en Asie centrale.
00:59:19 Il y a eu pas mal de mains tendues, et ensuite, lui-même s'est rendu compte,
00:59:22 parce que c'est aussi l'une des caractéristiques de notre époque,
00:59:26 c'est que de plus en plus, les politiques étrangères sont faites sur la base de politiques nationales.
00:59:30 Et ça existe depuis longtemps, Tocqueville, que M. Baverez connaît bien,
00:59:36 mettait des gens en garde contre ce phénomène,
00:59:39 et les empires autoritaires, d'autant plus que les démocraties,
00:59:43 en fait, lient en permanence les deux, et Poutine en est l'exemple le plus typique,
00:59:47 puisqu'il est parti d'un sentiment d'humiliation, à mon sens, indéniable,
00:59:51 et il l'a manipulé, donc il l'a exacerbé,
00:59:54 et ensuite il s'en sert comme d'un levier pour ses revendications.
01:00:02 Donc, en vrai, les Français et les Allemands contre les Français et les Allemands.
01:00:04 Absolument.
01:00:05 De la même manière, effectivement.
01:00:06 Nicolas Baverez, sur l'idée de l'humiliation en soi, est-ce que c'était une clé ?
01:00:11 Raymond Haron disait quelque chose de très juste,
01:00:14 il disait qu'un fait faux pouvait être une réalité politique.
01:00:18 Et donc, je pense que l'idée que l'Occident a humilié la Russie,
01:00:21 c'est une idée absolument fausse.
01:00:24 Quand on regarde ce qui s'est passé après 1991,
01:00:27 la Russie a été intégrée à l'OMC, elle a été intégrée au Conseil de l'Europe,
01:00:32 elle a été intégrée avec un partenariat au sein de l'OTAN,
01:00:35 donc en réalité, ce qui est vrai ensuite, c'est que les Russes, par exemple, ont fait défaut,
01:00:42 quand la Russie a fait défaut, on a proposé de l'aider,
01:00:45 et ce sont les Russes qui l'ont refusé, c'était...
01:00:48 - Des faux financièrement.
01:00:49 - Oui, en 1996, donc très franchement, les erreurs ne sont pas là,
01:00:55 mais il n'empêche que l'écroulement de la Russie,
01:00:58 il faut voir ce qui s'est passé en Russie, un peu ce qui s'est passé en Argentine,
01:01:02 c'est-à-dire qu'on a la moitié de la population pratiquement qui a basculé dans la pauvreté,
01:01:08 donc le choc a été épouvantable.
01:01:11 Mais en réalité, ce sont les erreurs des Russes,
01:01:14 ce n'est pas l'Occident qui a cherché à mettre la Russie...
01:01:17 - Et le fait qu'elle était une superpuissance et qu'elle s'est écroulée en tant que superpuissance,
01:01:21 ce que vous rappelez dans votre livre, du jour au lendemain, perdant à la fois,
01:01:25 alors non seulement tous les pays de l'Est qui étaient ses alliés,
01:01:28 qu'elle occupait militairement, il faut le rappeler,
01:01:30 sont devenus des alliés de l'OTAN, mais aussi à certains nombres de républiques soviétiques.
01:01:34 - Non seulement personne n'a cherché à en profiter,
01:01:38 mais même tout le monde a cherché à consolider la Russie.
01:01:41 Je rappelle quand même que c'était un pays dans lequel il y avait à l'époque 15 000 têtes nucléaires
01:01:47 et personne n'avait envie d'un chaos généralisé, y compris du côté occidental.
01:01:53 Mais le sentiment de l'humiliation russe, c'est vrai que c'est une réalité politique.
01:01:58 Alors à partir de là, ça a été effectivement manipulé par Vladimir Poutine
01:02:03 pour construire quelque chose qui est un État extrêmement dangereux
01:02:09 et agressif vis-à-vis de l'extérieur.
01:02:12 Et c'est vrai que les Occidentaux, en fait les erreurs de l'Occident,
01:02:17 ce n'est pas d'avoir été agressif vis-à-vis de la Russie, c'est deux choses.
01:02:20 Premièrement, dans l'histoire du XXe siècle, on a trois guerres mondiales,
01:02:24 on a donc trois sorties, on a deux paix manquées qui sont 1918 et 1989-91,
01:02:30 une réussie en 1945 parce qu'on s'est donné la peine d'essayer de structurer le monde,
01:02:35 de construire un ordre mondial.
01:02:37 Donc première erreur, on a voulu se gaver des dividendes de la paix
01:02:41 et donc on a désarmé massivement, on ne s'est pas donné la peine de construire le monde
01:02:45 et on a fait un capitalisme de bulles qui a explosé en 2008.
01:02:49 Et tout le monde a vécu à crédit, les États, les entreprises, les citoyens.
01:02:56 Deuxième erreur, quand ça a commencé à se gâter et qu'effectivement la Chine est sortie de la stratégie Deng
01:03:02 pour devenir et affirmer ses ambitions impériales avec l'idée d'être la puissance dominante en 2049,
01:03:10 comme l'a dit explicitement Xi depuis le début, quand Poutine a commencé,
01:03:14 il faut voir que depuis qu'il a pris le pouvoir, c'est un régime qui est construit sur la guerre,
01:03:19 la guerre intérieure, la guerre extérieure.
01:03:22 Et ça, on n'a pas voulu le voir et on a eu l'idée qu'avec le droit, le marché,
01:03:27 avec la dépendance au gaz, avec l'achat des oligarques corrompus,
01:03:33 avec la complaisance envers ses dirigeants, on allait acheter la paix.
01:03:37 Et ça, évidemment, on s'est lourdement trompé.
01:03:42 Donc, si vous voulez, c'est vraiment ça qu'il y a derrière.
01:03:47 Aujourd'hui, c'est vrai qu'on est passé brutalement d'un système où on a cru que la guerre était impossible,
01:03:53 que la paix était éternelle. Aujourd'hui, 2022, c'est l'inverse,
01:03:57 c'est la paix qui est impossible et c'est la guerre qui est omniprésente.
01:04:01 Et donc, pour l'Europe, qui vivait dans une illusion de la paix perpétuelle qu'ancienne,
01:04:07 c'est vrai que le choc est très violent.
01:04:11 Mais nos erreurs, c'est ça.
01:04:13 Et donc, on n'a pas été somnambule façon 14,
01:04:17 en ne voyant pas la mécanique diabolique des alliances qui menait au conflit.
01:04:21 On a été somnambule version années 30, en restant dans le déni,
01:04:25 en refusant de voir la nature de ces régimes et les ambitions affichées par leurs dirigeants.
01:04:31 - Etienne de Gaulle ?
01:04:32 - Moi, je crois qu'il y a quand même une part active, non pas une responsabilité,
01:04:35 mais une part de l'Occident dans l'humiliation de la Russie.
01:04:38 Parce que quand on parle d'humiliation des citoyens russes à partir du moment où la Russie devient Russie,
01:04:43 donc après la chute de l'URSS, il y a une thérapie de choc qui est mise en place.
01:04:47 Donc, il y a une série de mesures économiques, commerciales et autres,
01:04:50 qui doit permettre de faire rentrer de force la Russie dans les circuits commerciaux mondiaux, pour le dire rapidement.
01:05:00 Et donc, c'est ça, vous l'avez rappelé, qui a fait tomber 50% de la population russe dans l'extrême pauvreté,
01:05:06 qui a fait monter en flèche la criminalité, etc.
01:05:09 Et tout ça, chapeauté par le clan Eltsine, qui a parasité l'économie, la politique, etc.
01:05:13 - Oui, mais c'est le clan Eltsine.
01:05:15 Le système oligarchique, la corruption généralisée, la privatisation de tous les actifs et les richesses russes,
01:05:21 ce n'est pas les Occidentaux.
01:05:22 - Non, j'y viens.
01:05:23 Et donc, il y a une rancœur de la part des Russes, parce que cette thérapie de choc,
01:05:28 il y a un auteur qui en parle très bien qui dit que ça a été un choc sans thérapie pour la population russe.
01:05:34 Cette thérapie de choc, elle a été aussi conseillée par des conseillers américains.
01:05:40 Donc, il y a une responsabilité, à tort ou à raison, qui a été remise sur eux.
01:05:43 - Et puis, il y a une autre étape dans l'humiliation de la population russe, dans son ressenti, en tout cas,
01:05:49 qui tient à l'élargissement de l'OTAN.
01:05:51 Alors là, il y a un débat sans fin, qui me paraît moins intranchable.
01:05:54 J'essaye de donner des éléments, mais les Russes disent que les Occidentaux n'ont pas tenu leur promesse.
01:06:01 Ça me paraît intranchable.
01:06:02 Mais ce qui est sûr, c'est qu'on ne pouvait pas imaginer qu'en élargissant l'OTAN,
01:06:06 une première fois en 1999, une autre fois en 2004, à nouveau en 2009,
01:06:10 en tout cas pour la décennie 90, on ne pouvait pas imaginer qu'en grattant petit à petit
01:06:15 sur les anciens territoires de l'URSS, même s'ils n'ont pas légitimité à y être,
01:06:20 la question n'est pas une question de justice, de morale, simplement de ressenti.
01:06:23 C'était chez eux, pour eux, et donc ils ont ressenti ça comme une humiliation.
01:06:27 - Oui, mais ça, c'est inadmissible.
01:06:29 On ne va pas dire qu'aux Polonais, aux Baltes, etc.,
01:06:33 que parce qu'après 1945, il y a eu un mur qui a séparé l'Europe.
01:06:37 Non, mais ce qu'on parle de l'URSS...
01:06:39 - Je suis d'accord que c'est inadmissible de dire...
01:06:41 - On ne va pas leur dire que parce qu'en 1945, Staline a réussi à annexer
01:06:48 et avoir une projection impériale sur toute cette partie de l'Europe,
01:06:52 que ça donne un droit aux Russes d'interdire...
01:06:55 - Ils ne l'ont pas dit sur la Pologne et sur les anciens pays satellites,
01:06:58 ils le disent sur l'Ukraine et sur la Georgie, même sur les pays baltes.
01:07:02 - Mais le principe...
01:07:03 - Regardez ce que dit Putin, c'est extrêmement ambigüe.
01:07:07 Et à l'inverse, parce que ça, effectivement,
01:07:11 c'est au cœur du raisonnement de Vladimir Poutine,
01:07:14 et ça, c'est vraiment scandaleux, parce que ce qu'on voit sur l'Ukraine,
01:07:17 c'est ce qu'il dit aussi sur les autres,
01:07:19 c'est qu'il n'y a pas d'État ukrainien, pas de nation ukrainienne,
01:07:21 pas de peuple ukrainien, que tout ça, c'est faux.
01:07:25 Et en revanche, sur l'Ukraine, je rappelle quand même qu'il y a eu,
01:07:28 et ça va poser des problèmes très graves pour la suite du XXIe siècle,
01:07:33 il y avait quand même un traité qui avait été signé par les États-Unis,
01:07:37 par le Royaume-Uni et par la Russie,
01:07:41 qui garantissait la souveraineté de l'Ukraine,
01:07:44 les frontières de l'Ukraine, contre la dénucléarisation de ce...
01:07:48 Enfin, le fait que l'Ukraine...
01:07:50 - Renonçait aux armes nucléaires soviétiques.
01:07:52 - Rendait à la Russie les armes qui avaient été déployées par l'Union soviétique.
01:07:56 Ça, c'était un traité international.
01:07:58 Et si vous voulez, c'est ça.
01:08:00 Et aujourd'hui, il y a une humiliation de la Russie,
01:08:02 parce que c'est un désastre.
01:08:04 C'est un désastre démographique.
01:08:06 Il y a plus de 3 millions de surmortalités entre la Covid et l'Ukraine.
01:08:09 C'est un désastre économique.
01:08:11 C'est un désastre politique, parce que l'unité, pour le coup, intérieure,
01:08:14 maintenant, de la Fédération, va être menacée.
01:08:17 C'est un désastre stratégique, avec non seulement le réarmement,
01:08:21 qui était l'élargissement de l'OTAN, pour le coup,
01:08:24 c'est vraiment Poutine qui le provoque,
01:08:26 et puis le fait que ce pays est maintenant vassalisé par la Chine.
01:08:30 Et ça, c'est la vraie humiliation de la Russie.
01:08:33 Et ça, la vraie humiliation russe, elle est le fait de Vladimir Poutine.
01:08:37 Oui, ce que je veux dire, c'est que c'est évidemment scandaleux.
01:08:40 Si vous voulez, le constat, c'est un simple constat, encore une fois,
01:08:43 je ne mets pas de moralité là-dessus, je ne dis pas,
01:08:45 ils font bien ou ils ne font pas bien, mais je suis tout à fait d'accord avec vous,
01:08:47 que ce n'est pas parce qu'on a un jour annexé une province
01:08:51 qu'on nous a repris grâce aux droits internationaux,
01:08:53 qu'on a des revendications juste dessus.
01:08:55 Ce n'est pas ce que je dis.
01:08:56 Je dis simplement qu'eux, ils se sont sentis comme tels
01:08:58 et qu'on aurait pu gérer les choses différemment.
01:09:00 Ce n'est pas la même chose.
01:09:01 En prenant en compte ce sentiment, ce ressentiment,
01:09:07 la façon dont ils auraient pu comprendre les choses, etc.
01:09:09 Et en partant du ressentiment dont on a parlé,
01:09:14 la perte de l'empire, etc.
01:09:16 Et en allant jusque là, on peut se dire,
01:09:18 bon, est-ce qu'on ne gérerait pas les choses différemment ?
01:09:20 Est-ce qu'on ne ferait pas un petit peu attention
01:09:22 pour essayer de leur tendre la main,
01:09:24 pour ensuite quand même avoir quelque chose qui arrange tout le monde ?
01:09:26 C'est tout ce que je dis.
01:09:28 - Juste pour faire avancer,
01:09:30 et ça va poser le problème de toute façon à tous les autres,
01:09:33 puisque la Chine, vous le rappelez, c'est le même problème.
01:09:38 L'humiliation nationale, c'est un thème récurrent
01:09:41 dans les discours officiels,
01:09:43 où l'on parle d'un siècle d'humiliation, carrément,
01:09:45 depuis les guerres de l'opium,
01:09:47 à l'époque menée en priorité par l'Angleterre et par la Chine,
01:09:50 mais aussi par la France, la Grande-Bretagne
01:09:54 et les Etats-Unis contre la Chine.
01:09:56 Il y a eu une sorte de club des dirigeants autoritaires,
01:10:00 vous dites Nicolas Baverez,
01:10:02 la Russie, la Chine, la Turquie, l'Iran, la Syrie, la Corée du Nord,
01:10:05 mais on voit bien aujourd'hui que ça s'est largé aussi
01:10:08 à beaucoup de pays du Sud,
01:10:10 qui eux aussi ont un ressenti,
01:10:12 pour reprendre votre expression,
01:10:14 d'humiliation à l'égard de l'Occident,
01:10:17 alors que ce soit en Afrique,
01:10:19 l'Inde aussi, d'une certaine manière,
01:10:21 et pour cause d'une ancienne colonie anglaise, etc.
01:10:24 On a l'impression que ça ne va pas être...
01:10:27 Alors, est-ce que c'est véritablement la liberté politique,
01:10:30 comme vous le dites, qui va être l'enjeu du XXIe siècle ?
01:10:33 Je n'ai l'impression qu'ils ne sont pas partis pour...
01:10:35 Ça n'a pas l'air d'être ce qui les guide, eux.
01:10:37 J'ai l'impression qu'il n'y a que nous qui voyons ça comme un enjeu.
01:10:40 Eux, ils voient plutôt une désoccidentalisation du monde.
01:10:43 - Si vous voulez, c'est partagé,
01:10:45 parce que ce qui est quand même intéressant
01:10:47 dans ce qui s'est passé en 2022,
01:10:49 c'est que c'est évidemment
01:10:52 une année absolument tragique et sanglante.
01:10:55 Mais il y a aussi une part de bonnes nouvelles.
01:10:58 Quand vous regardez aujourd'hui,
01:11:00 autant dans nos pays, on a perdu précisément
01:11:03 le sens souvent de la valeur de la liberté politique,
01:11:06 ce que je vois quand même aujourd'hui,
01:11:08 c'est que partout dans le monde,
01:11:10 vous avez des femmes et des hommes
01:11:12 qui sont prêts à risquer leur vie pour la liberté.
01:11:15 Aujourd'hui, en Iran, ils ne sont pas occidentaux.
01:11:17 Et en Iran, la population, les femmes, se soulèvent.
01:11:20 Maintenant, pas pour la réforme du régime,
01:11:23 mais pour la liberté.
01:11:25 Et c'est explicite.
01:11:27 Dans la stratégie, à la fin de la stratégie zéro Covid,
01:11:29 vous avez eu en Chine des gens qui ont manifesté,
01:11:32 pas seulement pour la sortie du zéro Covid,
01:11:34 mais pour la liberté.
01:11:36 Donc l'idée de dire que la liberté,
01:11:38 c'est un espèce de fantasme occidental,
01:11:41 je pense que c'est faux.
01:11:44 Je pense qu'il y a des manières très différentes
01:11:47 de la faire vivre.
01:11:49 Il est hors de question d'expliquer que l'Occident
01:11:51 doit dominer le monde,
01:11:53 ce sera un monde multipolaire,
01:11:55 et on n'est pas du tout de retour au monde colonial.
01:11:59 Mais je crois que l'idée de penser que la démocratie
01:12:03 serait un espèce de rêve occidental
01:12:07 et qu'il lui serait réservé
01:12:09 et qu'il n'intéresserait pas les autres, c'est faux.
01:12:11 Et d'ailleurs, je vois aussi, par exemple,
01:12:13 aujourd'hui, vous avez des démocraties
01:12:15 dans des pays extrêmement divers
01:12:17 et avec des gens qui se mobilisent
01:12:19 pour essayer de se préserver de la Chine.
01:12:21 Taïwan, la Corée du Sud, le Japon,
01:12:23 l'Australie et la Nouvelle-Zélande,
01:12:25 ce sont des histoires extrêmement différentes.
01:12:27 Ce ne sont pas des...
01:12:29 Alors, Australie et Nouvelle-Zélande,
01:12:31 on est d'accord, ce sont des appendices de l'Occident,
01:12:34 mais Japon, Corée du Sud, Taïwan, pas du tout.
01:12:37 Donc il faut quand même regarder ça.
01:12:40 L'humiliation, il faut comprendre le sentiment.
01:12:43 Il faut faire attention, parce qu'aujourd'hui,
01:12:45 c'est le narratif russe, c'est le narratif chinois.
01:12:48 - Il est là de fonctionner.
01:12:50 - Et qui est utilisé pour, effectivement,
01:12:52 gagner le Sud.
01:12:53 La dernière chose que je voudrais dire,
01:12:55 c'est que là où vous avez tout à fait raison,
01:12:57 c'est qu'en revanche, il faut en tenir compte
01:12:59 pour la stratégie des démocraties
01:13:01 face à ces empires autoritaires.
01:13:03 Donc bien sûr, il faut faire de la dissuasion militaire.
01:13:05 Bien sûr, il faut retrouver du leadership
01:13:07 en matière de technologie,
01:13:10 mais il faut aussi essayer de garder le contact
01:13:13 avec les sociétés civiles,
01:13:15 et il faut ne pas perdre le Sud.
01:13:17 Et pour ne pas perdre le Sud, c'est vrai qu'il va falloir,
01:13:19 évidemment, traiter ce ressentiment occidental,
01:13:24 par exemple, que la France rencontre très fortement
01:13:28 en Afrique et que les Russes utilisent
01:13:30 pour nous pousser hors de...
01:13:32 - Est-ce que le Nouvel Ordre Mondial,
01:13:34 à l'époque, c'est comme ça qu'on en avait parlé
01:13:36 après la chute du mur de Berlin,
01:13:38 ça a débouché sur beaucoup d'interventions militaires,
01:13:41 mais pas de la Russie, pas de la Chine,
01:13:43 toujours de l'Occident, et ça a créé du chaos
01:13:46 un peu partout dans le Sud, nos interventions militaires.
01:13:48 Et aujourd'hui, fatalement, on nous le reproche.
01:13:51 - Oui, absolument, absolument.
01:13:53 Et effectivement, il ne faut pas que ça nous fasse,
01:13:55 comme vous le dites, rentrer dans le jeu
01:13:57 de leur narratif, de leur justification, etc.
01:13:59 Mais encore une fois, c'est important de le prendre en compte.
01:14:01 Et sur ce que vous disiez, sur...
01:14:07 Moi, je serais un tout petit peu plus lancé
01:14:09 sur ce "combat", en tout cas aussi ce combat idéologique,
01:14:13 entre les empires autoritaires et l'Occident, la démocratie,
01:14:17 parce que la Chine, qui est indéniablement
01:14:20 un empire autoritaire, en fait, dans sa diplomatie,
01:14:23 dans sa politique étrangère,
01:14:25 elle est beaucoup plus opportuniste,
01:14:28 finalement, qu'elle est idéologique.
01:14:30 Donc l'Arabie saoudite, elle se rend compte
01:14:32 que peut-être qu'il y a quelque chose à faire
01:14:34 parce que le prince héritier saoudien a été vexé
01:14:38 de la façon dont les États-Unis l'ont traité.
01:14:40 - L'Arabie saoudite, ce n'est pas une démocratie.
01:14:42 - Ah non, non, non, pas du tout.
01:14:44 - A priori, c'est notre zone d'affluence.
01:14:46 - Non, mais ce que je veux dire, c'est qu'est-ce qu'il se voit
01:14:48 parce qu'il y a cette expression "le club des dirigeants autoritaires"
01:14:50 qui ont en commun des valeurs de martialité,
01:14:53 de machisme, de virilité, des choses comme ça,
01:14:57 et est-ce qu'ils s'entendent pour ça
01:14:59 parce que par opportunisme,
01:15:01 ils peuvent défaire le monde occidental
01:15:03 ou simplement maximiser leurs intérêts ?
01:15:05 En fait, moi, c'est plutôt la question que je me pose.
01:15:07 Est-ce que dans leur esprit, il se passe vraiment
01:15:09 un combat idéologique ou pas ? Je ne suis pas certain.
01:15:11 - En fait, est-ce qu'ils menacent nos libertés politiques à nous
01:15:13 ou est-ce que simplement, ils veulent nous virer de partout ?
01:15:17 - Il y a une idée, effectivement, de toute façon,
01:15:22 il y a une idée qui est juste derrière,
01:15:24 c'est que le monde dominé par l'Occident
01:15:27 appartient au passé.
01:15:29 On est tous d'accord sur le fait qu'on va avoir
01:15:31 un monde multipolaire.
01:15:33 Le seul problème, c'est de savoir si la liberté politique
01:15:35 sera ou non présente dans ce monde multipolaire.
01:15:40 On a aujourd'hui des empires qui veulent construire
01:15:43 un monde post-occidental,
01:15:45 mais pas ce qu'ils veulent que ce soit,
01:15:46 un monde post-démocratique,
01:15:48 avec des zones d'influence dans lesquelles
01:15:51 on ne parle pas d'autre chose que de leur pouvoir
01:15:55 et de leur capacité de domination
01:15:57 sans que la liberté puisse être présente.
01:16:00 Et c'est ce qui va se jouer.
01:16:03 Et là encore, la bonne nouvelle de 2022,
01:16:06 c'est qu'on a quand même vu que les empires autoritaires
01:16:08 qui nous disaient qu'ils étaient meilleurs surtout
01:16:10 sur la démographie, sur l'économie,
01:16:12 sur la stabilité politique, sur l'expansion extérieure,
01:16:15 ils ont quand même tous des difficultés.
01:16:17 La Chine a fait passer sa croissance de 9,5 à 3,
01:16:21 les femmes ne veulent plus faire d'enfants,
01:16:23 la Russie, on en a parlé, c'est un désastre complet,
01:16:27 l'Iran aussi, soulèvement,
01:16:29 et la Turquie d'Erdogan a quand même des difficultés.
01:16:33 Mais là où je vous rejoins, c'est que l'autre partie,
01:16:36 c'est qu'il faut que les démocraties
01:16:38 soignent leur pathologie.
01:16:40 Et vous l'avez rappelé, on a quand même,
01:16:42 on s'est lancé dans un cycle de guerre
01:16:44 toute enlisée, perdue, absurde,
01:16:46 on a perdu le contrôle du capitalisme en 2008,
01:16:49 on a été incapable de traiter correctement
01:16:52 la crise de la Covid jusqu'à l'arrivée des vaccins,
01:16:56 et puis on a découvert qu'on avait de nouveau
01:17:00 des ennemis en 2022.
01:17:02 Donc il y a beaucoup de travail à faire dans nos pays,
01:17:05 par ailleurs, ne serait-ce que pour qu'ils soient
01:17:08 davantage dignes des valeurs qu'ils prétendent défendre.
01:17:11 On fait une pause pour le rappel des titres,
01:17:15 on se retrouve tout de suite après,
01:17:17 on va évidemment en arriver à l'Empire mongol
01:17:21 et lui aussi, il a changé le monde.
01:17:24 Les visiteurs du soir, c'est jusqu'à minuit,
01:17:27 et Jean-Philippe de Rosier voulait dire un mot
01:17:30 sur le débat qui a précédé.
01:17:32 Ce débat absolument passionnant,
01:17:34 et vous avez dit quelque chose,
01:17:36 je suis vraiment un béotien,
01:17:38 pas du tout un expert,
01:17:40 mais ça me fait penser à un personnage
01:17:42 et à un phénomène.
01:17:44 Le personnage en question, c'est pour moi
01:17:46 l'un des personnages politiques les plus marquants
01:17:48 de la fin du XXe siècle, Nelson Mandela.
01:17:50 Nelson Mandela, chef d'Etat sud-africain,
01:17:53 qui pendant 30 ans a été torturé, dégradé,
01:17:58 enfermé par ses bourreaux, libéré,
01:18:02 il prend le pouvoir, il a été humilié
01:18:05 pendant près de 30 ans.
01:18:07 Il prend le pouvoir, il a la possibilité
01:18:09 de se venger, et il leur dit non,
01:18:12 on ne fera rien, on les associe
01:18:15 au pouvoir que nous allons conduire
01:18:17 parce que c'est la seule solution
01:18:19 qui va vraiment apporter la paix sociale,
01:18:21 éternelle, je ne sais pas,
01:18:23 mais en tout cas la paix sociale dans notre pays.
01:18:25 Et il met en place à ce moment-là,
01:18:27 deux ans plus tard, ce qu'on appelle,
01:18:29 c'est le phénomène auquel je pensais,
01:18:31 commission vérité et réconciliation.
01:18:33 - Ce qui est unique dans l'histoire.
01:18:35 - La commission vérité et réconciliation,
01:18:37 non, mais c'était la première fois.
01:18:39 Ce qui est unique, c'est qu'on soit
01:18:41 à ce point pendant 30 ans, humilié,
01:18:43 torturé, enfermé dans une cellule
01:18:45 où on ne pouvait parfois ni s'allonger
01:18:47 ni se faire défendre, et on soit capable
01:18:49 de pardonner comme ça, et ensuite
01:18:51 de lancer ce processus qui est un processus
01:18:53 de paix en réalité, de paix face
01:18:55 à une potentielle guerre civile.
01:18:57 On va se mettre tous autour d'une table
01:18:59 pour faire la vérité sur ce qui s'est passé,
01:19:01 c'est-à-dire que tout le monde soit d'accord
01:19:03 sur l'histoire, et parce que cette vérité
01:19:05 va nous permettre de nous réconcilier.
01:19:07 Et à l'aume de ce que j'entends,
01:19:09 je ne suis pas du tout un expert en géopolitique
01:19:11 ni en analyse économique, mais peut-être
01:19:13 qu'un jour il faudra qu'à l'échelle planétaire
01:19:15 de l'Occident, l'Orient, le Sud,
01:19:17 de faire ce format de vérité et réconciliation.
01:19:19 - Nicolas Baverez, très vite.
01:19:21 - En deux mots, c'est très important.
01:19:23 Il y a deux choses. C'est pour ça que je parlais
01:19:25 des sociétés civiles.
01:19:27 La Russie survivra au poutinisme,
01:19:29 et donc il ne faut pas perdre de vue
01:19:31 l'idée que ça peut changer.
01:19:33 Et la deuxième chose, c'est que,
01:19:35 effectivement, dans ce monde qui se fragmente,
01:19:37 par ailleurs, on a un tas de risques planétaires
01:19:39 à gérer. Le premier, c'est le risque climatique,
01:19:41 mais on a aussi des risques financiers.
01:19:43 Et c'est vrai que tout ça va être
01:19:45 beaucoup plus compliqué avec un monde de blocs.
01:19:47 - Alors, venons-en à un autre basculement
01:19:49 du monde avec Marie Favreau.
01:19:51 Vous enseignez l'histoire médiévale
01:19:53 à l'Université de Paris-Nanterre.
01:19:55 La horde "Comment les Mongols ont changé le monde"
01:19:57 vient de paraître chez Perrin.
01:19:59 Alors expliquez-nous en quoi l'empire
01:20:01 de Genvidzkan, qui a été le plus grand
01:20:03 empire contigu du monde,
01:20:05 c'est un empire d'un seul tenant,
01:20:07 et pas comme l'empire britannique,
01:20:09 plus tard, qui sera éparpillé.
01:20:11 Plus grand, mais éparpillé.
01:20:13 Là, c'est vraiment le plus grand
01:20:15 en étant contigu.
01:20:17 Et cet empire mongol qui sera encore
01:20:19 agrandi par ses enfants
01:20:21 et par ses petits-enfants,
01:20:23 en quoi a-t-il changé le monde ?
01:20:25 - Alors, c'est un empire qui va couvrir...
01:20:27 Du coup, c'est intéressant par rapport
01:20:29 à tout ce qui a été discuté là.
01:20:31 C'est un empire qui va couvrir
01:20:33 une grande partie de l'Eurasie.
01:20:35 - Celui qu'on voit là, c'est l'empire
01:20:37 de Genvidzkan à sa mort.
01:20:39 Avec Karakorum qui est sa capitale.
01:20:41 - Voilà. Enfin, il y a plusieurs
01:20:43 villes importantes, mais c'est vrai que
01:20:45 Karakorum a une place importante
01:20:47 à partir des années 1230.
01:20:49 Cet empire, ensuite, tout au long du XIIIe siècle,
01:20:51 va s'étendre sur la Corée,
01:20:53 sur l'ensemble de la Chine,
01:20:55 sur l'ensemble de l'Iran,
01:20:57 de ce qu'est l'Iran aujourd'hui,
01:20:59 de ce qu'est la Russie et de ce qu'on appelle l'Ukraine aujourd'hui.
01:21:01 - La Crimée. - La Crimée, une partie extrêmement
01:21:03 importante et dynamique de l'empire.
01:21:05 - On va le voir maintenant, c'est l'empire mongol
01:21:07 qui est né à la fin du XIVe...
01:21:09 - À la fin du XIIIe siècle.
01:21:11 - À la fin du XIIIe siècle. - Et au début du XIVe siècle.
01:21:13 Donc c'est un ordre mondial
01:21:15 qui est complètement différent. Les Mongols en sont les leaders.
01:21:17 Et ce que, aussi,
01:21:19 je montre dans mon travail, c'est que les Mongols,
01:21:21 en plus, vont aller au-delà
01:21:23 des frontières de leur empire, parce que ce sont des gens
01:21:25 qui sont énormément tournés vers la diplomatie, le commerce,
01:21:27 les échanges, et donc,
01:21:29 en fait, sont en contact avec,
01:21:31 notamment, les marchands italiens, génois-vénitiens,
01:21:33 le nord de l'Europe,
01:21:35 les Algéters, voilà.
01:21:37 Et puis, l'Indonésie,
01:21:39 les îles aux Épices, etc. Tout ça, ça fait partie
01:21:41 de la grande dynamique mongole au XIIIe siècle.
01:21:43 - Mais en même temps, c'était un empire nomade.
01:21:45 - Oui. - Et c'est ça qui est incroyable.
01:21:47 Parce que toute l'histoire du monde, quasiment,
01:21:49 ce sont les sédentaires
01:21:51 que nous sommes, qui ont vaincu
01:21:53 les derniers nomades. Et là,
01:21:55 c'est le contraire. - Oui.
01:21:57 Et c'est pour ça que j'ai dit, oui, Karakorum, la capitale,
01:21:59 oui et non. C'est-à-dire qu'en fait, ce qui est particulier
01:22:01 avec les Mongols, ce sont des nomades.
01:22:03 Ils restent au pouvoir en tant que nomades. Ils vont jamais
01:22:05 se sédentariser. Leur idéologie, c'est de rester
01:22:07 nomades. Ça ne leur viendrait pas à l'esprit de se
01:22:09 sédentariser. Ils contrôlent à travers
01:22:11 leur mobilité. Ils sont dans la saisonnalité,
01:22:13 se déplacent en fonction des saisons, etc.
01:22:15 Donc ça a un rapport très fort au climat,
01:22:17 à l'écologie. Et en même temps,
01:22:19 ils ont, par rapport aux villes,
01:22:21 un attachement et un intérêt pour les villes
01:22:23 qu'on ne met pas assez souvent en avant. On pense beaucoup
01:22:25 à leur destruction pendant les conquêtes.
01:22:27 Mais en fait, les Mongols ont fait construire des villes.
01:22:29 Ils ont fait apparaître des villes entières, comme Karakorum
01:22:31 et d'autres.
01:22:33 Et voilà, c'est vrai qu'on a...
01:22:35 - Pékin, en fait, c'est un peu les Mongols ? - C'est un peu.
01:22:37 Parce que même si Beijing était déjà
01:22:39 un centre, évidemment, urbain
01:22:41 important, c'est à partir des Mongols que
01:22:43 en tout cas juste après eux, qu'elle va
01:22:45 vraiment devenir la capitale.
01:22:47 Mais on parle de Beijing,
01:22:49 on pourrait parler de Moscou.
01:22:51 Moscou, au moment de la conquête mongole, c'est un village.
01:22:53 Franchement, c'est vraiment tout petit.
01:22:55 Ça n'a pas une grande importance géopolitique.
01:22:57 À la fin de la période mongole,
01:22:59 c'est devenu la principauté russe,
01:23:01 leader, une des plus importantes de très,
01:23:03 très loin. Donc, la période mongole
01:23:05 va complètement changer les rapports de force
01:23:07 aussi pour les sédentaires.
01:23:09 - Et alors, ce qui est drôle, quand on lit
01:23:11 votre livre, Marie Favreau, c'est que les conquêtes
01:23:13 de Djenjiska n'ont laissé en Europe
01:23:15 le souvenir d'une grande sauvagerie,
01:23:17 d'une grande barbarie.
01:23:19 Or, quand on lit votre livre, on se dit que ce n'était
01:23:21 peut-être pas autant qu'on
01:23:23 en garde le souvenir. Par exemple, ils ont
01:23:25 intégré énormément de populations
01:23:27 à leur empire.
01:23:29 Sans que ça pose de problème. Il y avait une grande
01:23:31 tolérance religieuse, ici, chez les mongols.
01:23:33 - Oui, absolument. Donc, en fait,
01:23:35 évidemment, les conquêtes sont violentes,
01:23:37 les guerres sont violentes, mais ce que je
01:23:39 montre dans mon travail, c'est que ce n'est pas parce que c'est le plus grand
01:23:41 empire du monde que c'est le plus violent.
01:23:43 Que l'Empire romain, que les Grecs,
01:23:45 Alexandre le Grand, Djenjiska n'est pas plus violent
01:23:47 qu'Alexandre le Grand. Il n'y a pas forcément de raison de penser ça.
01:23:49 Et ce qui est intéressant, surtout, c'est de voir
01:23:51 à quel point ils organisent très vite
01:23:53 les peuples qu'ils vont conquérir.
01:23:55 En fait, une de leurs motivations,
01:23:57 ce n'est pas tant les territoires,
01:23:59 parce qu'un territoire vide, ça ne sert à rien,
01:24:01 mais c'est plus de gens, plus de sujets,
01:24:03 plus de peuples. Et organiser ces gens,
01:24:05 organiser des systèmes de taxation.
01:24:07 Donc, ils font des recensements, ils adaptent les taxes
01:24:09 en fonction des impôts, en fonction de ce que les gens sont
01:24:11 capables de produire, etc.
01:24:13 - Oui, c'est un peuple extrêmement calculateur,
01:24:15 alors qu'on ne l'imagine pas du tout comme ça.
01:24:17 Ce n'est pas le souvenir qu'on en a gardé. Ils sont obsédés
01:24:19 par le commerce. Ce qui les intéresse, c'est le commerce,
01:24:21 ce n'est pas du tout la guerre,
01:24:23 ce n'est pas la conquête, c'est le commerce.
01:24:25 - C'est vrai. Je dirais, en fait, c'est les circulations.
01:24:27 C'est-à-dire que ce qui les intéresse, c'est, pour eux,
01:24:29 pour l'harmonie sociale, il faut qu'il y ait des circulations,
01:24:31 des circulations d'objets,
01:24:33 des circulations pour les gens aussi,
01:24:35 des circulations pour les animaux. Il y a une forme de liberté
01:24:37 dans les circulations qui sont très importantes.
01:24:39 Et quand ils créent leur système de taxation, d'ailleurs, ils disent bien
01:24:41 "On va taxer les marchandises, les échanges,
01:24:43 mais attention, pas trop, parce qu'il faut que ça circule."
01:24:45 Et le plus important, c'est que ça circule.
01:24:47 Parce que ce mouvement de la circulation,
01:24:49 ça crée une forme d'harmonie sociale
01:24:51 et ça permet une forme de redistribution.
01:24:53 - Et c'est incroyablement moderne pour l'époque.
01:24:55 - Du coup, ça nous paraît extrêmement moderne.
01:24:57 Ce dont vous avez parlé, ce qu'on appelle la tolérance religieuse,
01:24:59 c'est vrai qu'on a cette idée du Moyen-Âge
01:25:01 où vraiment les gens sont campés
01:25:03 sur leur position religieuse et les guerres de religion, etc.
01:25:05 Les Mongols, pour eux,
01:25:07 on a la religion qu'on veut, c'est pas un problème.
01:25:09 Tous les rituels sont bons,
01:25:11 du moment qu'ils soutiennent le pouvoir,
01:25:13 du moment qu'il y a une paisibilité,
01:25:15 qu'il y a un respect des normes sociales, etc.
01:25:17 Il n'y a pas de raison de prendre une religion
01:25:19 plutôt qu'une autre.
01:25:21 Donc ils n'imposent pas du tout de religion à leur sujet.
01:25:23 - Alors qu'on est au moment des croisades.
01:25:25 - Exactement.
01:25:27 - Et juste avant les guerres de religion
01:25:29 qui vont sangloter l'Europe ensuite.
01:25:31 Tout ça, ça accouche de ce qu'on a appelé
01:25:33 la Pax Mongolica, la paix mongole
01:25:35 qui a permis des échanges commerciaux inédits.
01:25:37 C'est sous les Mongols qu'on a pu enfin aller
01:25:39 de Venise à Pékin.
01:25:41 Par exemple, c'est le voyage que va faire Marco Polo
01:25:43 à la cour du petit-fils de Genghis Khan.
01:25:45 Il peut le faire parce que les Mongols,
01:25:47 à ce moment-là, ont accouché d'une espèce
01:25:49 de grand marché commun.
01:25:51 En fait, c'est ça dont on s'aperçoit.
01:25:53 Et la Horde d'Or n'y est pas pour rien
01:25:55 puisque la Horde d'Or, c'est tout le
01:25:57 canin mongol sur la Russie
01:25:59 et autour, sur la Moldavie,
01:26:01 sur l'Ukraine, sur la Crimée.
01:26:03 Et voilà, tout ça, ça donne un énorme
01:26:05 marché commun totalement inédit.
01:26:07 On ne l'avait jamais vu, on l'avait vu
01:26:09 sous les Romains, mais sur le pourtour
01:26:11 de la Méditerranée.
01:26:13 Et là, c'est toute l'Eurasie.
01:26:15 Ça va de Pékin à l'Europe.
01:26:17 - Parce qu'on parle des routes de la Soie aussi, etc.
01:26:19 Mais là, les Mongols, on en fait quelque chose d'énorme.
01:26:21 Et puis, ce qui est inédit aussi, je pense,
01:26:23 c'est à quel point ils ont développé le nord du monde.
01:26:25 Le nord de l'Eurasie.
01:26:27 On pense à la Sibérie, exactement.
01:26:29 On a ce côté, on se dit, voilà, c'est pas productif
01:26:31 là-bas, etc. Les Mongols, c'est des gens du nord.
01:26:33 Ils développent beaucoup les villes au nord.
01:26:35 Ils développent les échanges au nord.
01:26:37 Et ils développent les échanges aussi autour des fleuves, etc.
01:26:39 Et ça, c'est vrai que
01:26:41 il y a des liens, du coup, très intéressants avec l'Europe du nord
01:26:43 qui va se développer aussi énormément
01:26:45 à partir du XIVe, XVe siècle,
01:26:47 la Ligue Ancéatique, etc.
01:26:49 - En gros, c'est aussi important, dites-vous,
01:26:51 que la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb.
01:26:53 Ce qui va avoir lieu un peu plus tard.
01:26:55 Là, c'est un économiquement,
01:26:57 politiquement, sur tous les plans,
01:26:59 une totale révolution.
01:27:01 - Oui, mais en fait, c'est un peu dans la foulée,
01:27:03 cette histoire de ce qu'on appelle
01:27:05 la grande découverte des Amériques, etc.
01:27:07 C'est vrai que l'épisode Christophe Colomb
01:27:09 dans la foulée de ce qu'on appelle
01:27:11 la paix mongole, moi j'appelle ça
01:27:13 le grand échange mongol aussi,
01:27:15 ce qui semble assez clair,
01:27:17 c'est que s'il n'y avait pas eu ce grand
01:27:19 échange mongol, il n'y aurait pas eu Christophe Colomb.
01:27:21 Christophe Colomb, c'est bien connu,
01:27:23 lisait Marco Polo, il a un exemplaire de Marco Polo dans sa bibliothèque.
01:27:25 Il était à la recherche des Indes,
01:27:27 il avait le fantasme
01:27:29 d'aller vers les îles aux Épices,
01:27:31 de trouver d'autres itinéraires, etc.
01:27:33 Mais cette grande histoire mongole des échanges
01:27:35 possibles avec une autre partie du monde,
01:27:37 elle vivait en lui parce qu'il y avait eu Marco Polo avant.
01:27:39 - Bricka Baverez, vous voyez
01:27:43 la paix mongole,
01:27:45 l'Empire mongol, comme Marie Favreau
01:27:47 le raconte ? - Non, non, mais je découvre
01:27:49 aussi, et c'est absolument passionnant,
01:27:51 c'est vrai que
01:27:53 ce dont je me souvenais des Mongols,
01:27:55 c'était le principe aussi de leur armée
01:27:57 qui était fondée justement sur une extrême mobilité
01:27:59 avec une armée qui était
01:28:01 pour le coup, l'image qu'on en a, essentiellement
01:28:03 à cheval, mais extrêmement
01:28:05 rapide et avec la capacité
01:28:07 effectivement de contourner, d'encercler,
01:28:09 d'aller très très vite.
01:28:11 - Oui, c'est vrai qu'eux, ils ont une armée
01:28:13 qui est très mobile et c'est aussi une armée qui a une intelligence
01:28:15 du terrain qui est assez particulière,
01:28:17 donc l'armée nomade se déplace, les familles se déplacent,
01:28:19 c'est pas seulement les hommes qui partent, etc.
01:28:21 Et comme je le disais, c'est des gens
01:28:23 du nord du monde, qui partent
01:28:25 en guerre en hiver, quand il fait froid,
01:28:27 on pense que c'est dans les sociétés
01:28:29 sélentaires, on s'enferme, eux ils partent
01:28:31 à ce moment-là et en particulier, ils utilisent
01:28:33 le fait que les rivières, les fleuves
01:28:35 gèlent, ils utilisent ce procédé
01:28:37 pour se déplacer, parce que si vous voulez
01:28:39 traverser l'Eurasie, que vous avez à traverser
01:28:41 l'Irtiche, vous allez traverser la Volga,
01:28:43 vous allez juste devoir traverser le Danube
01:28:45 avec les chevaux, les machines
01:28:47 de siège, les chameaux, etc.
01:28:49 Si le fleuve est pas gelé, en fait, vous êtes bloqué.
01:28:51 Et donc c'est vrai que eux ont eu,
01:28:53 ça a fait partie de leur intelligence
01:28:55 du terrain aussi, d'avancer comme ça,
01:28:57 jusqu'à, on dit, jusqu'aux portes de Vienne,
01:28:59 même si Vienne les intéressait pas du tout.
01:29:01 C'est ça, ce qui est très drôle aussi,
01:29:03 c'est qu'ils arrivent et à la fin, l'Europe,
01:29:05 ils trouvent pas ça fascinant du tout. Par rapport
01:29:07 à la Chine, par exemple, ils disent "on perd notre temps".
01:29:09 "On va pas rester là, on retombe de l'autre côté".
01:29:11 Ça n'a aucun intérêt pour eux.
01:29:13 On est en 1300.
01:29:15 Pour eux, c'est la périphérie
01:29:17 du monde. Mais bon, les principautés russes,
01:29:19 un peu aussi. Les principautés russes, c'est un peu la périphérie
01:29:21 du monde aussi. Mais ce qui est intéressant, c'est de voir
01:29:23 ce que ça devient, durant la période
01:29:25 mongole, puisque c'est quand même une période qui dure deux siècles,
01:29:27 voire plus quand on parle de la Horde d'Or.
01:29:29 La Horde d'Or, ça dure trois siècles.
01:29:31 Jean-Philippe ?
01:29:33 J'ai deux interrogations.
01:29:35 C'est le tropisme du juriste et du code.
01:29:37 Premièrement,
01:29:39 est-ce qu'ils avaient qu'une seule langue pour communiquer ?
01:29:41 Est-ce que sur tout cet empire,
01:29:43 parce qu'on l'a vu, c'est gigantesque,
01:29:45 c'est toute la planète de l'époque, ou presque,
01:29:47 les deux tiers, parce que les Amériques
01:29:49 n'étaient pas encore découvertes. Donc est-ce qu'ils avaient
01:29:51 qu'une seule langue pour communiquer entre eux ? Et ma deuxième
01:29:53 interrogation, c'est quelles étaient les règles
01:29:55 communes ?
01:29:57 Les règles qui régissaient leur rapport,
01:29:59 les règles commerciales, puisque je suppose que la règle
01:30:01 de base, vous l'avez dit, c'était ça.
01:30:03 D'ailleurs, on croit souvent que le droit
01:30:05 commercial, ça doit être réservé à des
01:30:07 commercialistes, à des spécialistes de
01:30:09 droit économique, etc. Non, le droit commercial,
01:30:11 c'était le premier droit constitutionnel. C'est ce qui permettait
01:30:13 aux uns et aux autres de vivre ensemble.
01:30:15 C'était le fondement.
01:30:17 Et encore aujourd'hui, si les constitutionnalistes
01:30:19 s'intéressaient un peu plus aux droits commerciaux, peut-être que
01:30:21 ça faciliterait un certain nombre de choses. Petite parenthèse.
01:30:23 Mais donc, quelles étaient les règles
01:30:25 et comment, surtout,
01:30:27 comment est-ce qu'elles étaient véhiculées,
01:30:29 respectées, garanties ?
01:30:31 Alors, pour la langue, c'est un empire
01:30:33 dans le sens où c'est multilingue, évidemment.
01:30:35 Comme c'est multireligieux, comme c'est multiethnique, c'est une évidence
01:30:37 pour eux d'avoir...
01:30:39 Ils ont des sujets qui parlent différentes langues. L'idée, c'est pas du tout qu'il y ait
01:30:41 une seule langue. Donc, il y a
01:30:43 beaucoup de traducteurs,
01:30:45 les secrétaires de chancellerie parlent
01:30:47 cinq langues et utilisent différents alphabets.
01:30:49 Les mongols eux-mêmes ont leur langue,
01:30:51 ils ont un alphabet
01:30:53 également, écrit, ils commencent à écrire surtout
01:30:55 à partir de Genghis Khan. Et cet alphabet
01:30:57 va rester un alphabet impérial très important. On l'appelle
01:30:59 encore aujourd'hui l'alphabet ouïghour.
01:31:01 Il est toujours utilisé en Mongolie intérieure,
01:31:03 dans le nord de la Chine. Mais sinon,
01:31:05 ils sont dans la multiplicité tout le temps
01:31:07 parce qu'il faut s'adresser à tout le monde, chacun dans sa langue.
01:31:09 Donc, c'est plutôt ce... Voilà.
01:31:11 Et pour les règles de commerce,
01:31:13 en fait, ils utilisent beaucoup l'écrit. On a toujours cette idée que les nomades,
01:31:15 tout est oral, etc. Pas du tout. Ils font
01:31:17 beaucoup de contrats. Les contrats ont une valeur
01:31:19 vraiment importante. Les gens peuvent venir se plaindre à la cour
01:31:21 s'il s'est passé quelque chose, si on leur a volé leurs marchandises.
01:31:23 Elle est loin la cour, a priori.
01:31:25 Non. Parce qu'il n'y a pas une seule cour.
01:31:27 Ce n'est pas centralisé sur une ville qui serait en
01:31:29 Mongolie, justement. En fait, les mongols,
01:31:31 c'est des hordes nomades qui se déplacent.
01:31:33 Alors, elles sont mobiles, donc il faut les trouver. Mais par contre,
01:31:35 le long de toutes les
01:31:37 grands fleuves d'Eurasie, il y a des
01:31:39 cours nomades, en fait.
01:31:41 Il n'y a pas une unification du droit, quelque part ?
01:31:43 Alors, oui et non. En fait,
01:31:45 oui, il y a des notions communes. Ils ont
01:31:47 des assemblées communes. Ils se réunissent tous de manière
01:31:49 au moins annuelle. Donc, il y a...
01:31:51 On se retrouve face à face, on discute. Par contre,
01:31:53 pour eux, ils sont...
01:31:55 Ils ne veulent pas d'unification, par exemple, de la
01:31:57 monnaie. Ils ne veulent pas d'unification totale
01:31:59 du droit, des choses comme ça. Ce qu'ils veulent, c'est qu'il y ait
01:32:01 des formes de conversion. Ils veulent toujours
01:32:03 qu'on puisse passer d'une monnaie à une autre,
01:32:05 d'une langue à une autre, d'une culture à une autre.
01:32:07 Donc, ils vont énormément travailler toutes les
01:32:09 connexions, en fait. Donc, ils vont passer
01:32:11 du droit musulman, la sharia,
01:32:13 elle existe, elle est importante dans l'Empire musulman,
01:32:15 à des pratiques mongoles
01:32:17 qu'on appelle yassas, qui sont différentes.
01:32:19 Et les chrétiens vont
01:32:21 aussi avoir leur propre manière de faire.
01:32:23 Et on a des contrats où on voit que chacun
01:32:25 jure, enfin, prête sa main dans sa langue.
01:32:27 On va s'accorder, quoi. Et l'idée, c'est
01:32:29 accorder les gens ensemble plutôt qu'avoir quelque chose
01:32:31 d'unifié, d'unique. - Le respect de l'autre,
01:32:33 sans humiliation, quelque chose. - Voilà.
01:32:35 - On s'y retrouve. - Oui. - Oui. Il y a un peu ça.
01:32:37 Il y a un peu ça. Arrêtons-nous
01:32:39 un instant sur la Horde d'Or, parce que c'est là où votre
01:32:41 livre est particulièrement important, parce que la Horde d'Or
01:32:43 a été, même si aujourd'hui, on a
01:32:45 une haute opinion de
01:32:47 l'Empire mongol, on a un peu négligé,
01:32:49 en tout cas les historiens jusqu'à vous, avez un peu
01:32:51 négligé la Horde d'Or.
01:32:53 C'est Joshi,
01:32:55 je dis Joshi, je ne sais pas si c'est... - Oui, très bien.
01:32:57 - Joshi, qui était le fils aîné de Gengis Khan,
01:32:59 qui en est à l'origine. La Horde d'Or
01:33:01 va régner trois siècles sur la Russie,
01:33:03 donc avec les descendants de Joshi, et même ensuite avec
01:33:05 d'autres Mongols qui n'étaient pas
01:33:07 ses descendants. Alors,
01:33:09 qu'est-ce qu'elle a de particulier par rapport
01:33:11 aux autres
01:33:13 Hordes de l'Empire
01:33:15 mongol ? J'ai l'impression
01:33:17 que c'est un empire à elle seule,
01:33:19 la Horde d'Or. Joshi,
01:33:21 on va le voir, d'ailleurs, on le
01:33:23 magnifie encore, il y a d'énormes statues.
01:33:25 Comme il y avait des statues de Gengis Khan
01:33:27 dans tout l'Extrême-Orient, on voit des statues
01:33:29 gigantesques, il y a des statues de Joshi.
01:33:31 Joshi est d'ailleurs un des personnages
01:33:33 d'un célèbre jeu vidéo qui s'appelle
01:33:35 Assassin's Creed, on va le voir aussi.
01:33:37 Vous allez voir comment on a représenté Joshi.
01:33:39 Le voilà, Joshi dans Assassin's Creed.
01:33:41 Mais alors,
01:33:43 qu'est-ce qu'il y a de particulier, Joshi ?
01:33:45 Qu'est-ce que la Horde d'Or a de particulier ?
01:33:47 Et est-ce que c'est bien un empire à elle toute seule ?
01:33:49 Alors, en fait, ça correspond vraiment
01:33:51 à ce qu'on pourrait dire le nord-ouest
01:33:53 de l'Empire mongol, et
01:33:55 c'est une zone qui est extrêmement importante
01:33:57 sur le plan commercial, pour les fourrures
01:33:59 notamment. Le commerce des fourrures, c'est le
01:34:01 commerce le plus, qui apporte le plus
01:34:03 de richesses, etc. Donc c'est pour ça
01:34:05 que finalement Gengis Khan l'a donnée,
01:34:07 cette zone-là, et ces peuples-là,
01:34:09 à son fils aîné. Après,
01:34:11 ce qui est intéressant, c'est que
01:34:13 le rapport entre les nomades, les mongols
01:34:15 et les russes notamment, on peut dire
01:34:17 les ukrainiens aussi, en tout cas tous les slaves dans la région,
01:34:19 a duré
01:34:21 très longtemps, plus de trois siècles, et c'est plutôt
01:34:23 bien passé, contrairement à ce qu'on a pu lire
01:34:25 dans une historiographie hyper-nationaliste
01:34:27 où on oppose les uns aux autres. En réalité,
01:34:29 les rapports ont été relativement
01:34:31 de bonne entente, de bonne entente politique,
01:34:33 de bonne entente aussi sur le plan religieux,
01:34:35 il y a eu beaucoup d'intermariages aussi, etc.
01:34:37 Et le pouvoir mongol est resté
01:34:39 longtemps très présent
01:34:41 dans ces zones-là, alors que du côté chinois,
01:34:43 ça a été plus court,
01:34:45 il y a eu beaucoup plus de violence aussi.
01:34:47 - Le Moyen-Orient, à ce moment-là, c'est
01:34:49 la Horde d'Or ou c'est une autre Horde ?
01:34:51 - Alors, c'est en partie la Horde d'Or.
01:34:53 C'est-à-dire que le Moyen-Orient, toute la zone
01:34:55 disons autour de l'Irak actuelle,
01:34:57 l'Égypte n'est pas du tout dans l'Empire mongol,
01:34:59 mais par contre, voilà, l'Irak, l'Iran,
01:35:01 l'Afghanistan, ça c'est dans l'Empire mongol.
01:35:03 Dans la Horde d'Or, il va y avoir
01:35:05 de plus en plus de musulmans à partir du XIIIe et du XIVe siècle,
01:35:07 donc ça correspond à la Russie actuelle,
01:35:09 et c'est là où finalement, vous savez,
01:35:11 les communautés qu'on appelle Tatar aujourd'hui
01:35:13 trouvent en grande partie leur origine, leur histoire.
01:35:15 - Les Turkmen, les Azéries ?
01:35:17 - En partie, Turkmen, Azéries, donc dans le Caucase,
01:35:19 la présence musulmane qui existait déjà va se développer
01:35:21 énormément sous les Mongols.
01:35:23 Les Mongols vont donner beaucoup d'exemptions
01:35:25 de taxes, notamment aux religieux musulmans,
01:35:27 pour qu'ils puissent construire
01:35:29 des mosquées, des écoles, des bains publics, etc.
01:35:31 Donc quand on s'intéresse à l'islam en Russie,
01:35:33 aujourd'hui par exemple,
01:35:35 on remonte à cette période-là,
01:35:37 parce que c'est quand même la période un peu clé
01:35:39 où les communautés musulmanes vont se développer.
01:35:41 - Donc on a bien compris que l'Empire mongol
01:35:43 a réussi à réunir en un seul système économique
01:35:45 les principales zones marchandes de l'époque,
01:35:47 à la fois l'Extrême-Orient,
01:35:49 le Moyen-Orient,
01:35:51 l'Europe, le monde slave.
01:35:53 Il en fait ce que j'appelle
01:35:55 un grand marché commun,
01:35:57 et on l'a complètement oublié.
01:35:59 Alors est-ce qu'on l'a oublié ?
01:36:01 Parce que pour une fois,
01:36:03 une de ces grandes révolutions,
01:36:05 on n'en était pas à l'initiative,
01:36:07 nous les Occidentaux.
01:36:09 Comment se fait-il qu'on a oublié ça ?
01:36:11 - En fait, il y a plusieurs raisons.
01:36:13 Et puis ça vient beaucoup de la période
01:36:15 coloniale, ou de la période aussi autour du 19e,
01:36:17 20e, où les nationalistes ont créé des discours
01:36:19 aussi, où les historiographies se sont développées
01:36:21 avec des orientations
01:36:23 hyper-nationales, nationalistes.
01:36:25 Donc en Iran, on a rejeté la présence mongole,
01:36:27 donc en Russie, on a rejeté la présence mongole,
01:36:29 en Chine de même.
01:36:31 - Que de ressentiment et d'humiliation.
01:36:33 - Exactement, et c'était aussi un peu pratique,
01:36:35 parce que quelque part, tous les problèmes venaient de là.
01:36:37 "Ah ben parce qu'on a eu la période mongole,
01:36:39 donc on a pris du retard dans la modernité."
01:36:41 Et puis c'est les nomades.
01:36:43 Il y a eu au 19e et au début du 20e,
01:36:45 les forces à se sédentariser partout,
01:36:47 on les persécute partout, on n'aime pas les nomades,
01:36:49 les nomades sont contre l'État.
01:36:51 Alors que là, on a un exemple de nomades
01:36:53 qui ont construit un immense État.
01:36:55 Et puis il y a eu des nomades de nationalisme,
01:36:57 disons, qui ont...
01:36:59 Et nous, je pense que du côté français,
01:37:01 on était plutôt tributaires de récits
01:37:03 qui ne nous intéressaient peut-être pas,
01:37:05 parce que ce n'était pas notre histoire coloniale.
01:37:07 - Oui, ils ne sont pas venus chez nous, en plus, les mongols.
01:37:09 On a eu les Huns, mais pas les mongols.
01:37:11 - Oui, pourtant, on a eu des échanges diplomatiques
01:37:13 à partir du 13e siècle avec le Grand Khan,
01:37:15 qui a écrit à Philippe le Bel.
01:37:17 On a encore des lettres mongoles du 13e, 14e,
01:37:19 qui sont préservées aux archives nationales.
01:37:21 On a dans nos trésors de musées,
01:37:23 on a eu des rapports diplomatiques importants avec eux.
01:37:25 Donc en fait, si on remonte, on peut trouver...
01:37:27 Saint-Louis a été en rapport avec les mongols, etc.
01:37:29 Donc on peut retisser les fils de cette histoire.
01:37:31 Mais c'est vrai qu'on n'en parlait pas assez.
01:37:33 Voilà.
01:37:35 - Oui, dernier.
01:37:37 - Comment et pourquoi s'effondre l'Empire ?
01:37:39 - Il s'effondre pour plusieurs raisons,
01:37:41 dans les zones, de manière...
01:37:43 - Vous avez 40 secondes pour nous le dire.
01:37:45 - La Grande Peste noire, évidemment.
01:37:47 Ça, ça a joué un rôle très important.
01:37:49 Les mongols savaient y faire avec la peste,
01:37:51 mais par contre, leurs partenaires,
01:37:53 dont les Européens, par exemple,
01:37:55 ont été tellement affectés par ça
01:37:57 que leurs grands partenaires commerciaux
01:37:59 se sont effondrés un peu partout autour d'eux.
01:38:01 Et les mongols font partie du monde, ils ne sont pas isolés.
01:38:03 Donc à partir du moment où leurs partenaires
01:38:05 étaient vraiment en difficulté,
01:38:07 c'est évident que ça a joué énormément
01:38:09 dans la fin de l'Empire. Il y a d'autres raisons aussi.
01:38:11 - Mais il vous faudra lire le livre.
01:38:13 - Exactement. - Ce sera un plaisir.
01:38:15 - Merci à tous les quatre d'avoir participé
01:38:17 à cette émission.
01:38:19 Merci de nous avoir suivis
01:38:21 et rendez-vous au prochain numéro
01:38:23 samedi prochain, 22h.
01:38:25 Bonne nuit.
01:38:27 ♪ ♪ ♪