• l’année dernière
Frédéric Taddeï et ses invités débattent des grandes questions du XXIe siècle dans les #VisiteursDuSoir

Category

🗞
News
Transcription
00:00:00 Les visiteurs du soir pour cette dernière émission de la saison s'appellent Hubert Védrine,
00:00:07 Maurice Gourdeau-Montagne, Joachim Bitterlich, Jean-François Bronstein et Jean Jouzel.
00:00:13 L'émission commence dans un instant, juste après le rappel des titres.
00:00:16 Isabelle Piboulot.
00:00:17 Dans les Alpes de Haute-Provence, le petit Émile est toujours porté, disparu.
00:00:25 200 personnes se sont mobilisées pour les recherches, ainsi que des équipes synophiles,
00:00:30 des hélicoptères et des drones équipés de caméras thermiques, selon le procureur
00:00:33 de la République de Dines-les-Bains.
00:00:35 Pour l'heure, aucune hypothèse n'est privilégiée.
00:00:38 Deux personnes disent avoir aperçu l'enfant de deux ans et demi.
00:00:41 Un appel à témoins a été lancé.
00:00:43 À l'approche du 14 juillet, Elisabeth Borne promet des moyens massifs pour protéger les
00:00:49 Français durant tout ce week-end de festivité.
00:00:52 Dans un entretien aux Parisiens, la chef du gouvernement a annoncé l'interdiction de
00:00:56 la vente du porc et du transport de mortiers d'artifices afin d'empêcher de nouvelles
00:01:01 violences comme celle survenue après la mort de Nahel.
00:01:04 Avant de se rendre au sommet de l'OTAN, à Vilnius, Joe Biden s'est envolé pour le Royaume-Uni.
00:01:09 Il rencontrera le roi Charles III demain pour aborder des questions environnementales.
00:01:15 Mardi et mercredi, le démocrate espère réussir à convaincre la Turquie d'accepter la candidature
00:01:21 de la Suède à l'OTAN.
00:01:22 Le président américain conclura son voyage par une visite en Finlande, dernier pays à
00:01:27 avoir intégré l'Alliance Atlantique.
00:01:29 Bonsoir, bienvenue sur le plateau des visiteurs du soir.
00:01:47 On est dimanche, il est 22h.
00:01:49 C'est la dernière émission de la saison.
00:01:51 On va la passer avec Hubert Védrine, un esprit libre, non-conformiste, engagé.
00:01:56 Vous avez passé une vingtaine d'années dans les réacteurs du pouvoir, 14 ans à l'Élysée,
00:02:01 d'abord comme conseiller diplomatique de François Mitterrand, puis porte-parole de
00:02:04 la présidence de la République et enfin secrétaire de général de l'Élysée et 5 ans au cas d'Orsay.
00:02:10 Ensuite, de 1997 à 2002, en tant que ministre des Affaires étrangères, c'était sous
00:02:15 la présidence de Jacques Chirac lorsque Lionel Jospin était à Matignon.
00:02:19 Vous avez aussi beaucoup réfléchi, beaucoup écrit.
00:02:21 Un gros livre est paru chez Bouquin l'année dernière intitulé "Une vision du monde".
00:02:25 On va donc pouvoir aborder plusieurs sujets ce soir qui angoissent les Français.
00:02:29 Une situation internationale pour le moins chaotique, une situation intérieure marquée
00:02:33 cette année par les manifestations contre la réforme des retraites, puis par les émeutes.
00:02:38 L'Europe aussi, dont vous avez dit il y a longtemps qu'elle avait perdu les peuples
00:02:42 et puis la course de vitesse qui s'est enclenchée contre le réchauffement climatique.
00:02:46 Vous serez le fil rouge de cette émission, mais vous ne serez pas tout seul.
00:02:50 Joachim Bittor-Lige, Jean-François Bronstein et Jean Jouzel nous rejoindront à partir
00:02:54 de 23h et Maurice Gourdon-Montagne, qui a été conseiller diplomatique de Jacques
00:02:59 Chirac à l'Élysée et son Sherpa au G8 et qui a publié l'année dernière un livre
00:03:04 passionnant "Les autres ne pensent pas comme nous" est déjà là.
00:03:07 Vous nous expliquerez d'ici quelques minutes dans quel monde on vit.
00:03:11 Mais d'abord, il y a quelques questions que j'aimerais vous poser.
00:03:14 Monsieur Verwedrin, vous vous définissez vous-même comme un réaliste.
00:03:17 C'est quoi un réaliste et ça s'oppose à quoi ?
00:03:20 À l'irréalisme.
00:03:21 Oui.
00:03:22 Et en termes idéologiques, je trouve que l'irréal politique dans laquelle on baigne
00:03:29 en Europe depuis longtemps est beaucoup plus dangereuse que la réale politique.
00:03:32 L'irréal politique, vous la définiriez comment ?
00:03:35 C'est la présentation qu'on en fait.
00:03:37 C'est une politique très dure, très conflictuelle, qui ne tient aucun compte des peuples, qui
00:03:42 est menée de façon obscure, etc.
00:03:45 Moi, je suis devenu réaliste parce que j'ai rencontré la réalité, comme je suis devenu
00:03:52 conseiller diplomatique très jeune.
00:03:53 Quand j'ai eu les premières fois à me dire "mais qu'est-ce qu'on peut dire à un président
00:03:58 de la République qui est des jeunes avec un roi d'Arabie ou un promis japonais ?", on
00:04:02 n'est pas dans le domaine de Yaka Faucon et Yann Amar, de blablabla, vous voyez ?
00:04:07 Donc, ça m'est tombé dessus.
00:04:09 J'ai 34 ans et ça ne m'a plus quitté après.
00:04:12 Donc, je suis totalement du côté de l'éthique de responsabilité.
00:04:16 Et comme je trouve que notre pays, merveilleux, que j'adore, mais trop chimérique, ou alors
00:04:22 pour parler légalement comme Tocqueville, les Français adorent les idées, ils ne s'intéressent
00:04:27 pas aux faits, c'est un handicap pour nous.
00:04:29 Et dans le monde dans lequel on est, Maurice Gourdemontagne le connaît par cœur, enfin,
00:04:33 on est quelques-uns qui le connaissent par cœur, on a besoin d'être très réaliste,
00:04:36 très clair sur nos intérêts vitaux, etc.
00:04:38 Donc, je suis devenu ça, mais ce n'est pas par théorie, ce n'est pas par esprit
00:04:42 de système, vous voyez ?
00:04:43 C'est la réalité.
00:04:44 – Vous avez été l'un des premiers à considérer que les Occidentaux avaient perdu
00:04:49 le monopole de la puissance.
00:04:50 Est-ce là un moment où ils pensaient encore que rien ne pouvait leur résister, grosso
00:04:58 modo ?
00:04:59 Vous vous êtes retrouvé à contre-courant à ce moment-là.
00:05:00 – Ce n'est pas d'ailleurs une remarque géniale, mais je dis ça depuis assez longtemps,
00:05:06 et depuis 15-20 ans, quand je dis les Occidentaux perdent le monopole, pas la puissance,
00:05:10 – Non, non, le monopole de la puissance.
00:05:11 – Ni la richesse, ni la liberté, ni l'inventivité, etc.
00:05:13 Le monopole, les émergents, qui ont fini par émerger, alors qu'avant, on versait des
00:05:18 larmes sur les pays en voie de développement, quand ils ne se développaient pas.
00:05:21 Alors maintenant, ils ont émergé, puis après il y a les BRICS, il y a le Sud Global, tout
00:05:27 ce qu'on veut.
00:05:28 Mais depuis une quinzaine d'années, j'ai un échange avec un géopoliticien, vous le
00:05:31 connaissez forcément Maurice, qui est Kishore Mabubani,
00:05:34 – Absolument.
00:05:35 – qui est un géopolitiqueur, qui est pour rien, grande expérience internationale, qui
00:05:39 me dit "chers amis, vous n'allez pas assez loin, c'est la fin de la parenthèse occidentale".
00:05:43 Ce qu'on appelle la parenthèse, ça a duré 4 ou 5 siècles.
00:05:46 – Oui.
00:05:47 – Alors je ne suis pas sur cette ligne, mais il faut qu'on sache que les autres,
00:05:51 en effet, ne pensent pas comme nous, et qu'il y a beaucoup de pays dans le monde qui pensent
00:05:54 ça, en gros, vous voyez.
00:05:56 Et donc, il faut voir comment adapter la poursuite de notre mission qui est de défendre nos intérêts
00:06:02 vitaux, nos idées, mais sans redevenir missionnaire, nos intérêts vitaux.
00:06:07 Et il faut se donner compte du fait que, par exemple, dans l'époque récente, quand Poutine
00:06:11 a attaqué l'Ukraine, ce qui est une décision absolument insensée, il a été soutenu par
00:06:17 quoi ? Six, sept pays maximum, condamnés par 140, normal, et il y a une quarantaine
00:06:24 de pays représentant près des deux tiers de l'humanité qui n'ont pas voulu prendre
00:06:27 partie.
00:06:28 Alors les gens expérimentés n'ont pas été surpris de ça.
00:06:32 Ces pays n'aiment pas Poutine, ils n'aiment pas le régime, et encore moins la guerre.
00:06:35 Ils ne veulent pas retomber dans notre camp.
00:06:38 Alors cette évidence sur le fait qu'on a plus la monopole, c'est rejeté par les Américains,
00:06:43 qui raisonnent en termes de puissance, c'est nous les patrons, et rejeté, enfin disons,
00:06:49 c'est craint par les Européens, par l'idéalisme.
00:06:51 Vous savez, la communauté internationale, les Nations unies, nos valeurs, blablabla,
00:06:55 tout ça.
00:06:56 C'est très sympathique, les idées européennes en général.
00:06:58 Sauf qu'on est dans un monde qui n'est pas fabriqué comme ça.
00:07:01 Voilà comment j'ai cheminé dans cette aventure ces dernières décennies.
00:07:05 Vous parliez des BRICS, les BRICS aujourd'hui pèsent plus lourd que le G8.
00:07:08 Les BRICS c'est la Chine, l'Inde…
00:07:11 En termes économiques.
00:07:12 En même temps vous avez le Brésil, bon, au global du Brésil on peut discuter.
00:07:16 Russie, l'influence de la Russie, c'est ça.
00:07:19 Inde, Chine, qui sont en opposition en fait.
00:07:22 Donc il ne faut pas non plus mélanger dans le sud global, vous voyez.
00:07:26 Parce que c'est des pays qui ne veulent pas retomber sous la coupe des anciens colonisateurs.
00:07:33 Ça c'est le point commun.
00:07:34 Ils prétendent travailler un monde post-occidental.
00:07:36 Après ils ont des intérêts nationaux qui sont en concurrence.
00:07:39 Donc il ne faut pas être non plus ni accablé ni défaitiste.
00:07:42 Mais il faut avoir par rapport à ces pays une politique assucheuse, intelligente, réaliste.
00:07:47 Ils ont personnalisé, ils sont chacun.
00:07:50 Mais en tout cas c'est une évidence qu'on n'est pas les maîtres de l'ensemble du
00:07:55 chmêle blic.
00:07:56 Réaliste, ça veut dire pragmatique, ça ne veut pas dire cynique ?
00:08:00 Comment vous définissez le cynique ?
00:08:02 C'est comme les philosophes grecs.
00:08:04 Je rappelle que le cynisme c'était la capacité à braver l'opinion dominante.
00:08:10 C'est plutôt honorable.
00:08:12 Ce n'est pas dans ce sens-là qu'on l'utilise aujourd'hui.
00:08:15 En tout cas il faut être réaliste, c'est très clair.
00:08:17 Il faut tenir compte des réalités, donc des rapports de force et mesurer le fait
00:08:21 qu'on ne va pas recoloniser le monde entier.
00:08:23 Et ça c'est un peu l'erreur de D.
00:08:26 Lomis qui pense qu'on est encore dans la phase de colonisation, évangélisation, etc.
00:08:31 C'est encore une phase, c'est inspiré par de nobles sentiments, je sais bien.
00:08:35 Mais l'enfer n'est pas avec de bonnes intentions.
00:08:37 En tout cas ça ne marche pas.
00:08:39 Donc il faut faire comme le font quelques grands professionnels de la diplomatie, qui
00:08:45 est de connaître les autres pays, y aller, comprendre comment voit le monde les Sud-Africains
00:08:50 que vous avez ajoutés à la liste, en effet les Brésiliens, les Kényans, les Ethiopiens,
00:08:55 les Indonésiens, ils sont quand même très majoritaires.
00:08:58 Encore une fois je ne dis pas ça par masochisme, ce n'est pas du tout mon genre, encore moins
00:09:02 la repentance.
00:09:03 Et si on veut avoir une action qui fonctionne dans ce monde-là, et d'abord pour défendre
00:09:08 notre civilisation, qui à mon avis est la meilleure qu'on ait jamais vue, il faut la
00:09:13 défendre quand même, il faut traiter intelligemment les autres.
00:09:16 Donc c'est l'aspect missionnaire, je pense qu'il ne fonctionne plus.
00:09:19 Mais je dis ça, en plus vous avez une chaîne un peu atypique, avec des gens un peu atypiques
00:09:25 qui écoutent, mais la majorité des médias ne sont pas du tout d'accord avec ça.
00:09:29 Bien sûr, c'est là où je dis que vous êtes à contre-courant encore aujourd'hui.
00:09:32 Peut-être moins qu'aujourd'hui, parce que les Européens, les fameux bijounours, qui
00:09:38 étaient dans le monde de Jurassic Park, sans s'en rendre compte, ils sont obligés d'atterrir
00:09:41 progressivement.
00:09:42 Ça les angoisse, ça les inquiète, mais je pense qu'on va dans le sens de la redécouverte
00:09:48 d'un réalisme intelligent et tout à fait honorable.
00:09:50 Pendant la plus grande partie du temps où vous avez été dans les réacteurs du pouvoir,
00:09:58 comme on dit, que ce soit à l'Élysée ou au Quai d'Orsay, c'était pendant une période
00:10:03 de cohabitation.
00:10:04 Et quelle influence ça a eu sur vous ?
00:10:07 Disons qu'en effet, dans les 19 années, non pas de politique, mais de pouvoir, j'étais
00:10:15 à l'intérieur de la cohabitation conflictuelle au début, Mitterrand-Chirac.
00:10:19 La deuxième, qui a fonctionné selon des règles qui marchaient très bien, Mitterrand-Baladur,
00:10:25 et la troisième, de l'autre côté, Chirac-Jospin.
00:10:28 Donc j'ai passé autant de temps à travailler avec les grands leaders de la droite que de
00:10:32 la gauche.
00:10:33 Alors si jamais j'avais été dogmatique avant, c'était pas le cas, sectaire, un peu étroit
00:10:38 comme ça, j'aurais abandonné ces idées en route, parce que j'ai vu des gens franchement
00:10:42 qui venaient de la droite ou de la gauche et qui faisaient de leur mieux pour le pays.
00:10:46 Donc ça m'a renforcé dans l'idée que c'est les intérêts supérieurs du pays, dans la
00:10:50 longue durée, qui comptent.
00:10:51 Qui sommes-nous, d'où venons-nous, quelle est la vision à long terme ?
00:10:54 La vision à long terme, c'est qu'on simplifie tout.
00:10:58 Il faut qu'on reste maître de notre destin.
00:11:01 Ça, c'est l'élément clé.
00:11:03 Alors quand on est dans ces situations, alors l'avantage paradoxal des cohabitations que
00:11:09 Maurice a vécues aussi, c'est que sur l'intérieur, évidemment, il y a des divergences nombreuses,
00:11:13 mais dans ce domaine-là, par rapport à l'extérieur, pour faire une bonne figure devant les autres
00:11:20 précisément, avant un sommet européen ou autre, on est obligé d'harmoniser les positions,
00:11:25 donc de synthétiser, donc d'arbitrer.
00:11:27 Donc on arrive à une sorte de cohérence dans les périodes, sauf la première, Mitterrand-Chirac,
00:11:32 qui était conflictuelle frontalement, mais les autres.
00:11:35 Ils ont une sanction qui est plus grande peut-être que d'habitude.
00:11:38 Et apparemment, les Français aimaient beaucoup ça, sur le plan international, international
00:11:43 défense, pas le reste.
00:11:45 Donc ça m'a beaucoup renforcé dans le sens que je vous ai indiqué.
00:11:49 Vous avez été à la fois très proche de quelqu'un comme François Mitterrand, vous
00:11:57 avez dû parler tous les jours à Jacques Chirac quand vous étiez son ministre des
00:12:02 affaires étrangères, vous avez côtoyé aussi bien Vladimir Poutine que d'autres grands
00:12:10 chefs d'État à l'époque.
00:12:12 A votre avis, l'histoire, ce sont les hommes qui la font ou sont les peuples ?
00:12:16 C'est un vieux débat.
00:12:19 D'abord, il ne faut pas tout mettre sur le même plan.
00:12:21 Le Poutine que j'ai connu, c'est vraiment au tout début.
00:12:24 C'est le Poutine qui disait à ses visiteurs étrangers qu'il avait besoin d'eux pour
00:12:30 développer l'État de droit en Russie.
00:12:32 J'ai entendu ça de Poutine.
00:12:34 C'est l'époque où il voulait se rapprocher de l'Occident.
00:12:36 Non pas alors.
00:12:37 Bon, mais après, dans mon histoire personnelle, familiale, par mon père, je suis pétri de
00:12:42 Mitterrandisme.
00:12:43 Jacques Chirac, j'ai eu le bonheur de travailler avec lui pendant cinq ans, mais je voyais
00:12:47 tout le temps Lionel Jospin aussi.
00:12:49 Donc c'est des situations différentes.
00:12:51 Alors les grands hommes dans le monde, oui, il y a des moments où on se dit cette personne-là,
00:12:58 mais qui n'est pas forcément un grand homme, qui est peut-être quelqu'un de normal, mais
00:13:01 qui à ce moment-là va peser sur l'histoire.
00:13:03 Regardez aux États-Unis, un président, vous oubliez qu'il y a Truman, qui a pris des
00:13:08 décisions considérables, peut-être sur le plan international, peut-être encore plus
00:13:12 qu'Aurosvel, sauf que c'est Aurosvel qui a réagi à Pearl Harbor.
00:13:15 Et Truman définissait son job, et personne ne le connaissait, il était un sénateur parmi
00:13:20 d'autres, il avait zéro expérience.
00:13:21 Et quand on lui dit au début, "c'est quoi votre job en fait ?", elle dit "moi,
00:13:27 c'est mon job, je serai celui qui prend les décisions".
00:13:30 C'est assez marrant comme mot.
00:13:32 Oui, c'est savoir s'entourer aussi.
00:13:34 Alors exemple, exemple, quand les Européens ont supplié les Américains de les protéger,
00:13:38 c'est ça l'origine de l'OTAN, c'est pas l'impérialisme américain, ils ont supplié,
00:13:43 le Sénat ne voulait pas, pas d'engagement, pas d'article 5, Truman a tordu le bras du
00:13:48 Sénat, il a pris une décision considérable.
00:13:50 Vous voyez encore maintenant, l'événement le plus important en dehors des batailles
00:13:54 sur le terrain d'Ukraine, sur le plan international, c'est le sommet de l'OTAN dans quelques jours.
00:13:58 Ça c'est Truman.
00:13:59 La décision d'Hiroshima, on peut dire pour ou contre, c'est Truman.
00:14:03 Donc il y a des gens à un moment donné qui font les décisions.
00:14:07 Enfin, si on est brodélien, qu'on raisonne en termes de siècles et de siècles, c'est
00:14:11 marginal.
00:14:12 Mais il y a des moments où la bonne entente, la compréhension, je pourrais donner plein
00:14:16 d'exemples sur Chirac, vous sur, enfin vous sur Chirac, moi sur Mitterrand, ça joue,
00:14:21 ça complique, ça accélère, ça facilite ça, mais ça ne change pas la longue histoire
00:14:26 des peuples.
00:14:27 Quand vous parlez de pragmatisme ou de réalisme, ce qui est valable pour les relations internationales,
00:14:34 c'est valable aussi pour vous, pour la politique intérieure ?
00:14:37 Non, c'est différent.
00:14:39 Non, je pense que là, je pense vraiment que la France est un pays trop, disons trop excité
00:14:45 par les concepts, les idéologies, etc.
00:14:49 Quand même, je pense que c'est un handicap.
00:14:52 Mais les gens en général pragmatisent, ils comprennent qu'on n'a aucune position fixe
00:14:57 sur rien en fait.
00:14:58 Ce n'est pas le cas du tout.
00:15:00 Pas le cas du tout.
00:15:01 Mais voyez bien que dans chaque décision interne ou externe, entre le respect non pas des principes,
00:15:08 mais de l'objectif, de ne jamais perdre la boussole.
00:15:11 Ce ne sont pas des principes, après on peut cheminer comme ça.
00:15:14 Et puis les moments où il faut refuser clairement ou pas, bon.
00:15:17 Il y a place pour énormément de variétés qui relèvent de l'ordre gouverné.
00:15:23 Donc vous ne me posez pas la question si vous n'auriez pas en tête le fait que ce pays
00:15:28 n'est pas assez pragmatique.
00:15:29 Bon, c'est mon avis.
00:15:31 C'est normal qu'il n'y ait ni de gauche ni de droite.
00:15:34 Parce que vous avez aussi bien au sein de la gauche qu'au sein de la droite, vous avez
00:15:38 des dogmatiques, pas uniquement aux extrêmes, parce qu'il y a des centristes dogmatiques
00:15:43 par exemple.
00:15:44 Mais donc il n'y a pas une réponse simple à la question.
00:15:47 Vous savez bien, après c'est l'ordre gouverné, c'est la situation.
00:15:50 Et on peut juger qu'avec un peu de recul.
00:15:54 Vous avez fait un livre avec votre fils sur Ulrich, le méchant de Black et Mortimer, bande
00:16:00 dessinée très célèbre qui est née dans les années 40.
00:16:03 Pourquoi Ulrich ?
00:16:04 D'abord, moi, j'adore la bande dessinée de l'époque, la bande dessinée franco-belge.
00:16:09 On devrait dire belgo-française.
00:16:11 Et j'adore la ligne claire, parce que c'est une pensée claire en même temps.
00:16:15 Donc c'est Hergé et Jacobs.
00:16:17 Et alors c'est mon fils Laurent, qui est par ailleurs un documentariste, qui m'a dit
00:16:21 qu'on devrait écrire sur Ulrich.
00:16:22 Il serait là et il vous dirait que c'est une vraie enquête.
00:16:25 On a démontré qu'Ulrich existait.
00:16:27 C'est le méchant de la série.
00:16:28 Et puis on retraverse le XXe siècle.
00:16:30 Il y a même un moment d'ailleurs que, nous racontons dans le livre, Georges Lucas, Star
00:16:37 Wars, a entendu parler d'Ulrich.
00:16:39 Il va le voir dans une clinique retirée entre l'Autriche et la Suisse.
00:16:46 Ils parlent tous les deux sur le bien et le mal.
00:16:49 Qu'est-ce que ça veut dire ? Pourquoi vous avez compris que ce n'était pas si simple
00:16:53 ? Il dit l'un à l'autre.
00:16:54 Je ne suis pas là pour parler d'Ulrich, mais c'est quand même un mot parce que c'est
00:16:59 amusant.
00:17:00 Au-delà d'enquête, si elle a eu lieu ou pas, et si Ulrich a existé ou pas, c'est
00:17:04 quand même un méchant particulièrement caricaturel.
00:17:07 Dans Black et Mortimer, on est loin justement de la réelle politique.
00:17:12 Non, parce qu'il y a des vrais méchants aussi dans la réalité.
00:17:15 Vraiment ? Regardez, dans Star Wars, puisqu'on en parlait, Dark Vador est très connu, par
00:17:21 exemple.
00:17:22 Il est vraiment devenu méchant.
00:17:23 Il ne l'était pas avant.
00:17:25 Il ne l'est pas tout à fait à la fin.
00:17:27 Donc, ce n'est pas uniquement Manichéen.
00:17:29 C'est quand même intéressant, ces personnages.
00:17:31 Oui, sans doute.
00:17:32 Ça m'a étonné.
00:17:33 Vous avez dit souvent "la communauté internationale", ça existe ou ça n'existe pas ?
00:17:39 Ma formule à moi, je ne sais pas ce que vous en penserez, mais le mot communauté est de
00:17:44 trop.
00:17:45 C'est un mot chaleureux.
00:17:47 C'est comme couple franco-allemand.
00:17:49 Il n'y a plus de couple franco-allemand.
00:17:50 Il y a une relation.
00:17:51 Mais communauté, je ne pense pas qu'on puisse l'employer aujourd'hui.
00:17:54 Est-ce qu'on se sent en communauté avec Poutine, avec les Chinois, avec les islamistes ? Non.
00:18:00 Donc, le mot communauté, c'est une espérance kantienne.
00:18:04 Mais déjà, Société des Nations, c'était abusif déjà.
00:18:08 Quand on parlait de communauté internationale, on parlait de nous.
00:18:11 On ne parlait pas de la Chine et de la Russie.
00:18:13 On parle de la communauté occidentale.
00:18:14 Moi, je trouve que ce n'est pas mauvais de dire aux gens, c'est très sympathique, mais
00:18:19 c'est une espérance.
00:18:20 Ce n'est pas une réalité aujourd'hui.
00:18:23 Donc, travaillons à ce que le monde devienne une communauté.
00:18:25 Et là, il faut s'occuper des autres, pas que de nous.
00:18:28 Mais l'idée qu'on va projeter sur le monde entier, c'est l'aspect missionnaire.
00:18:33 C'est ça à quoi je ne crois pas.
00:18:35 Je pense que c'est même un handicap quand on veut dire des choses par ailleurs intelligentes
00:18:39 et utiles à nos autres partenaires.
00:18:41 Donc, communauté, c'est un objectif.
00:18:43 Mais alors, dans les domaines internationaux qui ne devraient traiter qu'une rigueur mathématique,
00:18:48 ça grouille de formules toutes faites comme ça.
00:18:50 Vous voyez ? Quand on dit le mot Europe, par exemple, on ne sait jamais ce qu'on met dedans.
00:18:53 On en parlera tout à l'heure.
00:18:56 On va faire une pause et puis on s'attaque aux relations internationales
00:19:01 avec Maurice Gourdeau-Montagne et Hubert Védrine.
00:19:05 Bienvenue, si vous venez de nous rejoindre.
00:19:12 Je vous présente nos deux visiteurs du soir.
00:19:14 Je suis très honoré de les voir réunis dans cette émission.
00:19:16 Hubert Védrine, qui a passé 14 ans auprès de François Mitterrand à l'Élysée,
00:19:19 puis 5 ans au Quai d'Orsay en tant que ministre des Affaires étrangères.
00:19:23 C'est l'auteur d'Une vision du monde, qui est paru chez Bouquin l'année dernière.
00:19:26 Et Maurice Gourdeau-Montagne, qui a été le conseiller diplomatique du président Chirac
00:19:31 et son cher pas au G8, ambassadeur de France au Japon, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Chine,
00:19:37 puis secrétaire général du Quai d'Orsay de 2017 à 2019.
00:19:42 Vous avez publié l'année dernière Les gens ne pensent pas comme nous, également chez Bouquin.
00:19:46 Est-ce que vous considérez vous aussi comme un réaliste, Maurice Gourdeau-Montagne ?
00:19:51 Je pense appartenir plutôt à cette école.
00:19:53 Je suis très heureux de retrouver celui qui a été mon ministre à l'époque où j'étais au Japon.
00:19:57 Nous avons fait beaucoup de choses ensemble.
00:19:59 C'était l'époque des tours jumelles, c'était l'époque des grands événements qui ont bouleversé le monde.
00:20:04 Et je me considère comme un réaliste en ce sens qu'il ne faut pas être prisonnier des idéologies.
00:20:09 Il ne faut pas opposer systématiquement les bons et les méchants, car derrière ça, c'est ce qui règne.
00:20:14 Vous l'avez dit tout à l'heure, on est dans l'idée de convertir.
00:20:17 Et je pense que c'est l'héritage de l'Occident, c'est qu'on a essayé de convertir avec nos missionnaires.
00:20:21 Quand ça ne marchait pas, on envoyait les canonnières.
00:20:23 Et puis, finalement, c'est ce que nous laissons derrière nous.
00:20:26 Et on arrive à la fin d'un cycle où le monde dont on a cru qu'il était un village global est en train de se diviser avec des accélérateurs, je dirais, de particules.
00:20:37 On pourrait dire le Covid, d'une part, qui a montré la fragilité des supposées interdépendances,
00:20:42 qui sont en fait des dépendances les uns par rapport aux autres, et la guerre en Ukraine, qui évidemment, alors, amène le monde à se fracturer complètement avec des luttes de leadership.
00:20:51 Et donc, il faut regarder ça tel que c'est.
00:20:53 En restant nous-mêmes, parce qu'effectivement, nous sommes des Français, nous sommes des Français en Europe,
00:20:58 nous avons conquis un certain nombre, je dirais, de libertés qui sont l'ADN de ce que nous sommes, autour de la dignité de l'homme, les valeurs des Lumières.
00:21:08 Mais devons-nous systématiquement chercher à imposer ce que nous sommes ?
00:21:11 Ça, je ne le crois pas. Je pense qu'il faut essayer de penser que les autres ne pensent pas comme nous,
00:21:16 que, comme me l'avait dit mon premier patron, un Allemand n'est pas un Français qui parle Allemand.
00:21:20 Il porte avec lui une charge émotionnelle qui est celle d'un Allemand, mais on pourrait le dire de n'importe qui d'autre.
00:21:27 - Oui, d'un Russe et d'un Chinois, encore moins. - D'un Russe et d'un Chinois, etc.
00:21:29 Il porte une vision du monde, il porte une culture.
00:21:32 Prenons-la en considération et voyons que sa représentation du monde n'est pas la nôtre.
00:21:36 Donc comment pouvons-nous, ensemble, travailler, si possible coopérer, et si nous ne sommes pas d'accord,
00:21:42 ou trouver des compromis, ou bien mettre des défenses qui empêchent qu'en tant que voisins,
00:21:48 ils viennent, je dirais, s'imposer chez nous de manière qui ne nous convient pas.
00:21:52 C'est donc l'art de la réalité.
00:21:53 - Vous pensez, vous aussi, qu'au fond, la communauté internationale, c'était une communauté occidentale au départ,
00:21:59 et sinon la vraie communauté internationale, elle reste à inventer ?
00:22:03 - Je crois, comme l'a dit Hubert Védrine, la communauté, quand nous disions communauté, c'était nous, la communauté.
00:22:09 Et donc c'était finalement assez exclusif de ceux qui n'étaient pas dans la communauté internationale.
00:22:13 La communauté internationale, Hubert Védrine a dit, c'est une espérance, c'est une dynamique.
00:22:17 C'est une dynamique, oui, nous devons créer les moyens de vivre ensemble, en communauté,
00:22:23 mais c'est un objectif qui n'est jamais atteint, donc il faut sans arrêt remettre l'ouvrage sur le métier.
00:22:28 - Mais c'est au nom de la communauté internationale que nous sommes intervenus militairement au Koweït,
00:22:33 en 1990, au Kosovo, en Afghanistan, en Irak, en Libye, contre Daesh,
00:22:39 et aujourd'hui que nous armons l'Ukraine contre la Russie. Est-ce qu'on a eu tort ?
00:22:45 - Alors, la communauté internationale, elle est organisée selon un certain nombre de règles
00:22:50 qui ont été mises en place en 1945, à l'époque par les vainqueurs,
00:22:53 mais qui ont abouti à créer ce qu'on appelait le système multilatéral.
00:22:57 Des règles du jeu, un droit international, une jurisprudence internationale par des grands organismes,
00:23:03 et donc c'est juste d'intervenir en appui d'un pays qui se fait envahir par son voisin,
00:23:09 c'est ce qu'on a fait au Koweït, c'est l'exemple que vous avez cité.
00:23:11 C'était juste d'intervenir en soutien à l'Ukraine en état de légitime défense face à un agresseur
00:23:19 qui est son voisin de surcroît à membre permanent du conseil de sécurité.
00:23:22 Après ça, il faut définir comment se traduit cet appui à l'autre.
00:23:27 Dans la guerre en Irak, la France avait estimé qu'il n'y avait absolument aucune raison
00:23:32 d'emboîter le pas à un agresseur qui était finalement les États-Unis,
00:23:37 entrés dans un pays sans crier gare, sans avoir, je dirais, la sanction d'un vote,
00:23:44 d'une résolution aux Nations Unies.
00:23:45 Et nous nous étions battus pour que précisément on ne détourne pas les règles
00:23:49 de fonctionnement de la communauté internationale,
00:23:51 comme les Américains et les Britanniques à l'époque avaient souhaité le faire.
00:23:54 Alors vous me direz c'est théorique. Non, ce n'est pas théorique.
00:23:56 Nous sommes aujourd'hui en train de nous écarter, je dirais, de toute cette base.
00:23:59 Le conseil de sécurité ne fonctionne plus bien.
00:24:02 L'Organisation mondiale du commerce, qui était chargée de réguler les échanges internationaux,
00:24:06 ne fonctionne plus non plus.
00:24:07 Il faut revenir à un ordre qui fonctionne en tenant compte de tous ces émergents,
00:24:12 de toutes ces nouvelles puissances qui arrivent avec leur vision,
00:24:15 certaines avec un esprit de revanche, beaucoup avec un fort ressentiment.
00:24:18 On va l'aborder, mais d'abord le rappel des titres, Isabelle Piboulot.
00:24:22 Pape Ndiaye fermement opposé à une suppression des allocations familiales
00:24:29 en guise de sanctions contre les émeutiers.
00:24:32 Pour lui, cela n'aurait pas d'effet si ce n'est de sanctionner toute une famille.
00:24:36 Le gouvernement réfléchit à une amende spécifique pour les mineurs
00:24:39 sur le modèle de l'amende forfaitaire pour les adultes.
00:24:43 Le ministre de l'Éducation reste ouvert aux sanctions qui font partie de la pédagogie.
00:24:48 La présence de députés de la NUPES au rassemblement interdit
00:24:51 en mémoire d'Adama Traoré hier à Paris ne passe pas.
00:24:55 La droite et le camp présidentiel accusent la France insoumise
00:24:58 de sortir du champ républicain.
00:25:00 La présidente de l'Assemblée nationale s'est dite atterrée.
00:25:04 Aurore Berger, présidente du groupe Renaissance, dénonce une provocation évidente.
00:25:09 Et puis dans le nord de l'Inde, les pluies de la moussant ont fait au moins 15 morts
00:25:13 en raison d'inondations et de glissements de terrain.
00:25:16 New Delhi a enregistré un record de précipitations en l'espace d'une seule journée depuis 40 ans.
00:25:22 Les autorités ont ordonné la fermeture des écoles dans la capitale.
00:25:26 De fortes pluies sont encore attendues dans les prochains jours.
00:25:29 Alors ce soir, on compte sur vous deux pour comprendre cette situation internationale
00:25:36 qui nous semble très tendue, mais aussi plus compliquée qu'elle ne l'était autrefois.
00:25:40 Hubert Vendrine, vous avez souvent critiqué l'hyperpuissance américaine.
00:25:44 Le mot est de vous d'ailleurs, l'hyperpuissance américaine et sa politique étrangère simpliste.
00:25:52 Est-ce qu'on est toujours là-dedans aujourd'hui ?
00:25:56 Mais le mot hyperpuissance, c'est une description simplement.
00:26:00 Et quand Madeleine Albright, qui était francophone, avait appelé pour m'engueuler
00:26:04 parce que j'avais dit ça, l'anti-américanisme des Français,
00:26:07 j'avais dit non, supermarché, hypermarché, bon.
00:26:10 Et c'est tout.
00:26:11 Donc c'était une analyse.
00:26:13 Après, il y a le débat sur la politique étrangère américaine qui peut être géniale.
00:26:17 J'ai cité une époque formidable de l'après-guerre et qui peut être complètement ironique.
00:26:21 Et les prises en français ont souvent eu raison.
00:26:24 Le général De Gaulle, il y a longtemps, sur l'Indochine.
00:26:26 Jacques Chirac, en 2018, avait raison sur l'Irak.
00:26:29 Ils n'ont pas été écoutés, malheureusement.
00:26:31 Donc on a tout à fait le droit d'être alliés.
00:26:33 Ça, c'est l'alliance, on n'est pas alignés.
00:26:36 On a le droit.
00:26:37 Mais ce n'est pas automatique, ce n'est pas systématique, vous voyez.
00:26:40 Mais un mot sur ce que vous avez dit tout à l'heure.
00:26:42 Dans la liste des interventions, Maurice a corrigé,
00:26:45 il y a des cas où c'est le Conseil de sécurité qui a décidé, le COET.
00:26:48 C'est le Conseil de sécurité.
00:26:50 Là, on peut parler de communautés internationales qui se forment le temps du vote,
00:26:55 avec les cinq mondes permanents.
00:26:56 Ce n'est pas le cas de plusieurs autres interventions.
00:26:58 Donc il ne faut pas tout mélanger.
00:27:00 Le seul, à mon avis, l'enceinte qui pourrait devenir,
00:27:03 compte tenu du compte à rebours écologique,
00:27:06 qui est de plus en plus angoissant,
00:27:08 disons la genèse, la matrice d'une future communauté internationale,
00:27:12 pourrait être l'ÉCOPE,
00:27:13 les réunions d'ÉCOPE, vous savez, les conférences, les partis,
00:27:16 sur le climat, sur la biodiversité.
00:27:18 C'est peut-être l'endroit où on va dépasser les cœurs et l'historique.
00:27:23 Vous nous avez colonisés, et ceci, cela,
00:27:25 pour arriver à une vision globale de l'avenir de l'humanité.
00:27:28 Mais c'est une gestation qui est encore loin.
00:27:32 Maurice Gourdeau, mon tienne, dans "Les autres ne pensent pas comme nous",
00:27:37 vous avez raconté en détail comment l'Amérique a décidé,
00:27:40 contre l'avis de la France et de l'Allemagne,
00:27:42 que la Georgie et l'Ukraine feraient partie de l'OTAN.
00:27:45 Ce qui a provoqué, au fond, l'intervention russe,
00:27:48 en Georgie d'abord, puis en Ukraine.
00:27:50 Et là, vous étiez en première ligne, puisque Jacques Chirac,
00:27:54 vous avez chargé, il avait trouvé l'idée d'une manière de protéger,
00:28:00 de garantir plus exactement la sécurité de l'Ukraine,
00:28:03 conjointement, l'OTAN et la Russie.
00:28:06 Jacques Chirac, comme son prédécesseur d'ailleurs,
00:28:10 François Mitterrand, était très préoccupé,
00:28:12 après la chute de l'Union soviétique,
00:28:14 d'intégrer le plus possible la Russie, la nouvelle Russie,
00:28:19 puisqu'en fait, une Russie qui avait perdu une partie d'elle-même,
00:28:21 l'URSS était disloquée,
00:28:23 de l'intégrer dans la communauté internationale.
00:28:25 Un certain nombre d'efforts ont été faits.
00:28:26 Ils ont été faits bilatéralement, par les uns ou les autres,
00:28:28 ils ont été faits avec les Européens,
00:28:30 ils ont été faits un peu avec l'OTAN.
00:28:31 Mais on n'a jamais été vraiment jusqu'au bout de ce qu'on pouvait faire,
00:28:35 et nous étions d'ailleurs très souvent freinés par ce que nous écoutions
00:28:41 de ceux qui étaient au contact de l'ancienne Union soviétique,
00:28:45 et je pense en particulier à la Pologne,
00:28:47 à la République tchèque et la Slovaquie,
00:28:49 à la Hongrie, qui eux disaient "mais attention, méfiez-vous des Russes",
00:28:52 sans parler des Baltes bien sûr, qui étaient des anciennes républiques soviétiques.
00:28:55 Et donc, Chirac sentait que ça sentait le Russie,
00:28:58 et donc il m'avait envoyé à Moscou, mais à la fin de son mandat, en 2006,
00:29:03 en disant "il faut tester une idée auprès des Russes".
00:29:05 J'ai senti chez Poutine que ça ne va pas aller,
00:29:08 il y a un très fort ressentiment,
00:29:10 ils considèrent que l'Ukraine est chez eux,
00:29:12 or nous avons tous reconnu l'Ukraine internationalement,
00:29:14 c'est un pays souverain reconnu par la communauté internationale.
00:29:17 La fameuse communauté internationale en l'occurrence,
00:29:19 disant toutes la même chose.
00:29:21 Eh bien, il m'envoie donc à Moscou,
00:29:23 et l'idée était de proposer aux Russes,
00:29:27 mais c'était un sondage, pour tester une protection croisée
00:29:31 de l'Ukraine par l'OTAN d'un côté, et la Russie de l'autre.
00:29:36 Et c'est le Conseil OTAN-Russie qu'on avait créé au début des années 2000,
00:29:38 qui aurait été chargé de cette gestion.
00:29:40 Et les Russes que j'ai vus, le conseil diplomatique de Poutine à l'époque,
00:29:43 m'avaient dit "mais ça c'est très intéressant,
00:29:45 ça règle pour nous le problème de Sébastopol".
00:29:49 Et là, j'avais vu l'obsession russe, qui était en fait,
00:29:51 nous avons à Sébastopol, qui est en Crimée,
00:29:54 la Crimée étant ukrainienne à l'époque,
00:29:56 une base militaire que nous louons aux Ukrainiens,
00:29:59 pourvu que l'Ukraine ne rentre pas dans l'OTAN,
00:30:01 parce que ça veut dire à ce moment-là que cette base serait enserrée,
00:30:04 et donc notre facilité d'accès aux mers chaudes par les détroits,
00:30:08 c'est-à-dire à la Méditerranée, eh bien serait impossible.
00:30:10 Rappelons-nous la carte de la Russie.
00:30:12 Au nord, c'est libre de glace une partie de l'année,
00:30:15 vous avez Vladivostok, complètement à l'est,
00:30:17 c'est très difficile de faire quelque chose par le Pacifique,
00:30:19 et vous avez la Baltique, et là il y a beaucoup de détroits à passer aussi.
00:30:21 Donc, pour les Russes, qui sont un immense pays, mais enclavé, c'était essentiel.
00:30:25 Et donc, le Russe m'a dit "écoute, est-ce que on a parlé aux Américains ?"
00:30:30 J'ai dit "non, on voulait vous sonder d'abord, mais il y a beaucoup de travail à faire là-dessus".
00:30:33 J'ai donc été aux États-Unis, j'ai été voir Condoleezza Rice,
00:30:36 qui était mon interlocutrice depuis la guerre en Irak,
00:30:38 qui est une femme extrêmement structurée,
00:30:40 mais évidemment, qui travaillait pour les intérêts américains,
00:30:43 et je n'allais pas la lui reprocher, mais qui m'a fait un aveu.
00:30:46 Lorsque je lui ai présenté cette idée, elle m'a dit
00:30:48 "Ah mais les Français, ça commence à bien faire,
00:30:50 parce que vous avez déjà essayé de bloquer la première vague d'adhésion à l'OTAN,
00:30:53 vous n'avez pas bloqué la deuxième."
00:30:55 Premièrement, c'était faux, on n'avait rien empêché sur la première vague.
00:30:58 — La première vague, c'était les anciens pays du pacte de Varsovie.
00:31:00 — Exactement, et on était bien conscients du besoin de protection qu'ils avaient.
00:31:04 Mais la deuxième vague, c'était encore ouvert,
00:31:06 et là, nous avons compris que l'intention finale des Américains,
00:31:09 c'était que l'Ukraine devienne un jour membre de l'OTAN.
00:31:11 Ce qui s'est passé en 2008, au sommet de Bucarest, on s'en souvient,
00:31:15 puisqu'il y a eu une décision, une décision,
00:31:18 je dirais, poussée par les Américains, de faire entrer l'Ukraine et la Géorgie,
00:31:22 et quelques mois plus tard, les Russes, eh bien, sont entrés en Géorgie,
00:31:26 alors que même les Français, comme vous l'avez dit, les Français et Allemands avaient dit
00:31:29 "Suspendons la décision", mais c'était comme suspendre une épée de Damoclès au-dessus de la tête des Russes,
00:31:32 qui disait "Mais on ne peut pas avoir des manœuvres de l'OTAN
00:31:35 et des bases de l'OTAN à 500 km de Moscou."
00:31:38 Chacun a, pour sa sécurité, des sentiments et des, je dirais,
00:31:43 une perception de la réalité qui mérite d'être discutée.
00:31:45 Je crois que ça, c'est un sujet qui va revenir sur la table.
00:31:48 Tout pays a droit à sa sécurité, a droit qu'on en parle.
00:31:52 Alors, il y a quelques fois des demandes extravagantes,
00:31:54 comme on l'a vu, les Russes demandant, par exemple, en 2021,
00:31:58 qu'on recule sur les frontières de 97 pour l'OTAN,
00:32:00 mais néanmoins, il y a une réalité.
00:32:02 Les Américains ont leurs exigences, nous avons les nôtres.
00:32:04 Et d'ailleurs, toute personne dans la société civile
00:32:07 n'a pas envie que le voisin vienne lui défoncer sa porte.
00:32:10 Et donc, il y a des règles de copropriété dans les immeubles, c'est un peu la même chose.
00:32:13 La communauté internationale s'organise comme la société,
00:32:16 et il faut des règles du jeu, et donc la sécurité est un élément essentiel.
00:32:21 - Hubert Védrine ?
00:32:22 - Le rappel est très intéressant, ça se passe en 2006,
00:32:25 mais en réalité, c'est dans la décennie 90 que les occasions ont été manquées.
00:32:30 Parce que si les Américains hyperpuissants, l'Ubris,
00:32:34 n'avaient pas été d'une sorte de désinvolture olympienne,
00:32:37 on a gagné, on a gagné.
00:32:39 On s'en fiche totalement de ce que pensent les uns et les autres.
00:32:42 S'ils avaient eu une approche, disons, on va dire, kissingarienne, par exemple,
00:32:45 au lieu d'être triomphalistes, ils auraient compris
00:32:47 qu'il y avait encore une bombe à retardement du côté ukrainien.
00:32:50 Et à l'époque de Yeltsin, même Poutine 1 et 2, Medvedev peut-être,
00:32:55 après c'est un peu trop tard.
00:32:56 - Poutine 1 et 2, c'est les deux premiers mandats de Vladimir Poutine.
00:32:58 - Donc ils auraient pu imaginer qu'il y avait quelque chose
00:33:02 qui retournait autour d'Ézide Brzezinski à la fin,
00:33:04 l'ancien conseiller polonais de Carter, anti-russe,
00:33:07 ou bien de ce que Jacques Chirac a essayé, à mon avis trop tard.
00:33:10 Il a eu 100 fois raison d'essayer, c'est très bien.
00:33:13 Mais on voit bien objectivement que c'était un peu tard par rapport à l'évolution.
00:33:16 Mais donc il y a une occasion manquée occidentale,
00:33:19 spécifiquement américaine.
00:33:21 Et quand on vous demande des désirants de réalisme, c'est ça.
00:33:24 Ça, ça aurait été du réalisme.
00:33:26 La réponse de Kondiraï, c'est du dogmatisme.
00:33:28 C'est de l'impérialisme américain et du dogmatisme.
00:33:31 Et si les Européens avaient été plus avancés dans le fait de commencer
00:33:36 à réfléchir comme une entité géopolitique, ils auraient dit
00:33:40 "oui, on ne peut pas laisser cette question ukrainienne".
00:33:42 Alors après, c'est trop tard.
00:33:44 - Oui, maintenant.
00:33:45 - Mais vous remarquerez que dans l'espace particulier,
00:33:48 vous, autour de vous, à ce moment-là, vous créez un climat intellectuel
00:33:52 où on peut dire des choses comme ça.
00:33:54 C'était quasiment impossible en France depuis plus d'un an.
00:33:57 C'est une sorte de manichéise qu'on peut comprendre,
00:33:59 vu la brutalité, la sauvagerie de la guerre en Ukraine.
00:34:03 Mais il faut quand même revenir au long du champ de l'histoire d'il y a 30 ans.
00:34:07 Je ne parle pas des dix dernières années, je parle d'avant.
00:34:10 D'autant que de la suite des événements vont montrer que
00:34:12 les choses ne sont pas si simples que ce qui a été dit
00:34:15 par les Polonais et les Baltes depuis longtemps.
00:34:18 - Et on peut justement en tirer les leçons et se demander
00:34:21 comment éviter une prochaine confrontation entre la Chine et les États-Unis,
00:34:26 parce qu'on est en train de recréer une sorte d'engrenage,
00:34:30 non, Maurice Gourdeau-Montagne ?
00:34:32 - Oui. - Autour de Taïwan, notamment.
00:34:34 Et on ne peut pas plus laisser tomber Taïwan
00:34:36 qu'on ne pouvait laisser tomber les Ukrainiens.
00:34:39 - Alors, c'est un sujet qui est différent, parce que l'Ukraine,
00:34:43 comme je l'ai dit, est un pays reconnu internationalement.
00:34:45 Ce n'est pas le cas de Taïwan.
00:34:46 Taïwan est une entité sui generis, qui s'appelle la République de Taïwan
00:34:50 et qui prétend encore aujourd'hui être la Chine.
00:34:53 Alors que la Chine, telle que nous la reconnaissons
00:34:56 dans la communauté internationale, elle est à Pékin.
00:34:59 Ce que nous ne pouvons pas accepter, c'est un coup de force
00:35:01 sur un pays qui est devenu, je dis un pays, mais qui n'est pas un vrai pays,
00:35:04 mais sur une entité, Taïwan, 25 millions d'habitants,
00:35:07 qui est devenue une démocratie.
00:35:09 Donc comment est-ce que ça doit être géré ?
00:35:11 Comment est-ce que ça se fait dans le cadre d'une bipolarisation
00:35:14 dans le Pacifique, mais également au niveau de la planète
00:35:17 entre deux grandes puissances, qui sont les États-Unis d'un côté
00:35:20 et la Chine de l'autre ?
00:35:21 Est-ce que nous pouvons accepter que Taïwan soit intégré
00:35:24 pour des raisons stratégiques ?
00:35:25 Vous savez que le détroit de Taïwan voit passer chaque année
00:35:28 des milliers et des milliers de bateaux
00:35:30 qui sont essentiels au commerce international.
00:35:32 Si ça devient une mer chinoise, évidemment, la situation n'est plus la même.
00:35:35 Les Américains le savent.
00:35:36 Sur le plan stratégique, ça joue un rôle dans toute cette région.
00:35:39 La question, c'est, est-on capable de discuter ?
00:35:42 Est-on capable de se mettre autour d'une table ?
00:35:44 Est-on capable de rechercher un compromis ?
00:35:47 Un compromis, c'est par nature quelque chose de fragile.
00:35:49 C'est quelque chose qui mérite d'être surveillé en permanence,
00:35:52 d'être réajusté avec des mesures de confiance,
00:35:55 avec toutes sortes de moyens.
00:35:57 Et est-ce qu'on est capable de le faire ?
00:35:59 Alors, moi, personnellement, j'ai toujours cru qu'il y a effectivement
00:36:02 des enchaînements qui vous amènent quelquefois au conflit ou à un accident.
00:36:05 Imaginons un accident dans le Détroit, un bateau qui coule.
00:36:08 Eh bien, à ce moment-là, comment ça se passe ?
00:36:10 Mais la guerre n'est pas fatale.
00:36:14 Et donc, est-ce qu'on va réussir à discuter ?
00:36:16 J'observe que l'administration américaine d'aujourd'hui,
00:36:18 la visite de Blinken, du secrétaire d'État Blinken, à Pékin tout récemment,
00:36:23 la première depuis cinq ans, la visite de Janet Yellen,
00:36:26 qui est donc la secrétaire à l'économie des États-Unis,
00:36:29 qui était à Pékin également, sont des signaux
00:36:32 comme quoi les choses pourraient, je dirais, se stabiliser.
00:36:34 Mais vous avez l'opinion publique derrière.
00:36:36 Vous avez le Congrès.
00:36:37 Vous avez le Congrès et une campagne électorale qui se prépare à Taïwan
00:36:40 début janvier, élection présidentielle,
00:36:43 et la campagne électorale américaine à la fin 2024.
00:36:47 Donc, on va monter dans, je dirais, des provocations, des tensions.
00:36:51 Est-ce qu'on arrive à maîtriser tout cela ?
00:36:54 Il y a des enchaînements, mais je répète, un conflit n'est pas fatal.
00:36:57 Et comment chacun peut-il trouver son intérêt pour créer les compromis nécessaires ?
00:37:02 – Hubert Védrine ?
00:37:03 – Je suis d'accord aussi pour dire que le conflit n'est pas fatal, en fait.
00:37:07 Mais on n'est pas un acteur premier plan, là.
00:37:09 – Non.
00:37:09 – Un peu différent de la situation en Europe.
00:37:11 Mais j'ajoute d'autres arguments.
00:37:13 C'est que, même si le Pentagone nous dit que, sans doute en 2027,
00:37:18 la Chine aurait les moyens éventuellement d'attaquer, s'ils attaquaient Taïwan.
00:37:24 D'abord, d'ici là, il y aura eu énormément d'usines de semi-conducteurs
00:37:28 qui vont être créées un peu partout.
00:37:29 Donc Taïwan ne sera plus le seul endroit.
00:37:31 Donc il se peut que l'enjeu de Taïwan soit relativisé au jeu des autres, en fait.
00:37:37 Par ailleurs, si la Chine prenait, personne n'en sait rien,
00:37:39 moi j'y crois pas, mais personne n'en sait rien,
00:37:41 la décision quand même très très très risquée pour le régime
00:37:44 et pour le président Xi d'attaquer,
00:37:46 il faudrait qu'il soit sûr que les États-Unis ne vont pas se mettre en travers.
00:37:50 Or, si les États-Unis ne se mettent pas en travers,
00:37:53 la guerre anti-américaine ne vaut plus rien, nulle part.
00:37:57 Ni au Japon, ni en Corée, ni dans l'Alliance, ni en Israël, etc.
00:38:01 Pour le système, quel que soit le président, quelle que soit l'opinion.
00:38:05 Pour le système américain, c'est juste impensable.
00:38:08 Les stratèges chinois le savent.
00:38:10 Donc il faudrait vraiment des circonstances que je n'arrive pas à visualiser
00:38:14 pour qu'ils se lancent dans une attaque grossière à la Poutine, on va dire.
00:38:18 Alors par contre, l'influence interne à travers les élections,
00:38:22 des manœuvres cyber, des provocations, oui, sans doute.
00:38:26 Mais donc ce n'est pas fatal, ce n'est pas inéluctable.
00:38:29 Et encore une fois, les vrais acteurs, là ce sont les États-Unis, c'est la Chine,
00:38:33 et puis après un peu le Japon et quelques pays autour.
00:38:36 Alors on peut avoir un avis, on peut avoir une opinion,
00:38:38 mais on n'est pas engagé comme on l'est par exemple dans l'Alliance atlantique,
00:38:42 que Poutine n'a d'ailleurs pas attaqué.
00:38:44 Pour le moment, il n'a pas attaqué un pays protégé par l'article 5.
00:38:48 Et là, on n'est même pas engagé par une alliance mondiale.
00:38:50 C'est pour ça que le président avait eu raison l'autre jour,
00:38:53 je ne sais pas s'il a eu raison de le dire, mais il a eu raison de penser,
00:38:56 de faire penser aux gens qu'on n'a pas été suiviste à l'avance
00:39:00 sur une situation qu'on ne connaît pas, avec un président américain qu'on ne connaît pas,
00:39:04 parce que c'est dans des années, des années.
00:39:06 Donc on verra ce qu'on décidera.
00:39:07 Donc c'est un peu différent, il y a des éléments communs.
00:39:09 – Pourtant il a été très mal jugé Emmanuel Macron d'avoir rejeté l'IRSA.
00:39:12 – Il a été mal jugé par les gens qui considèrent qu'un allié doit être aligné, point.
00:39:16 – Oui, il a été mal jugé parce que cette déclaration a surpris sans doute,
00:39:21 mais regardons le sommet de l'OTAN qui se tient dans quelques jours.
00:39:25 Regardons la déclaration du sommet de l'OTAN de l'an dernier,
00:39:28 qui a défini une nouvelle stratégie de l'OTAN et qui s'est tenue à Madrid en juin de l'année dernière.
00:39:32 Dans son article 6 que j'ai relu récemment, on dit bien clairement, on part de la Chine,
00:39:37 on part de la Chine qui est un concurrent systémique, qui touche la sécurité euro-atlantique.
00:39:43 On le dit clairement.
00:39:44 Et là vous allez avoir à nouveau un sommet de l'OTAN,
00:39:47 avec la présence des premiers ministres japonais, du coréen, de l'australien, du néo-zélandais.
00:39:52 C'est donc un événement qui montre que l'OTAN a tendance à regarder
00:39:57 en dehors de sa zone de prédilection, avec d'ailleurs la possible ouverture d'un bureau de liaison de l'OTAN à Tokyo.
00:40:04 - Mais ça c'est la demande américaine.
00:40:06 - Oui, mais c'est une affaire qui est quand même à l'étude de manière très sérieuse.
00:40:10 - Mais il n'y a pas d'article 5 à l'arrivée.
00:40:11 - Il n'y a pas d'article 5.
00:40:12 Simplement, il y a...
00:40:14 Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais à mon avis,
00:40:17 il y a quand même un risque que dès lors qu'il se passerait quelque chose dans cette région,
00:40:20 au nom de l'Alliance, il y ait des concertations
00:40:23 et peut-être une demande de solidarité, avec un certain nombre de moyens,
00:40:27 mis à disposition de l'OTAN par les uns et les autres dans cette région du monde.
00:40:32 Alors, nous avons des politiques indo-pacifiques, mais qui sont hors OTAN.
00:40:35 Est-ce que l'OTAN a vocation à structurer la sécurité mondiale ?
00:40:40 On peut en discuter.
00:40:41 - Il faut garder, qu'on garde notre libre arbitre.
00:40:43 - Voilà.
00:40:44 - Alors moi j'ai un souvenir préhistorique, parce que j'ai commencé à 34 ans,
00:40:47 d'un sommet des 7 à Tokyo, où Reagan voulait mettre le Japon dans l'OTAN.
00:40:53 C'est une époque au Chirac d'ailleurs, Mitterrand-Chirac.
00:40:57 Donc ça a été balayé aussitôt.
00:40:59 C'est une vieille idée américaine en fait.
00:41:01 Mais on ne peut pas être engagé chubrieptiquement, par un engrenage.
00:41:05 Il faut que le moment venu, on puisse décider ce qu'on fait.
00:41:08 On ne sait pas ce qu'on ferait, vous voyez.
00:41:10 - Le Moyen-Orient, tel que l'avaient décidé la France et la Grande-Bretagne,
00:41:16 après la Première Guerre mondiale, il n'existe plus.
00:41:19 L'invasion américaine de l'Irak, puis les révolutions arabes en ont eu raison, semble-t-il.
00:41:27 Il n'y a plus d'État fort, quasiment.
00:41:31 J'ai l'impression que ça change énormément la donne,
00:41:33 et que ça se propage en Libye, au Sahel, jusqu'au Mali quasiment.
00:41:39 Et les migrants sont de plus en plus nombreux à frapper à notre porte.
00:41:44 Et on a l'impression qu'on ne voit pas ce qu'on pourrait faire.
00:41:47 - Est-ce que vous, vous y voyez clair, là-dedans ?
00:41:50 - On pense toujours à la phrase du général de Gaulle,
00:41:53 "aborder l'Orient compliqué avec des idées simples".
00:41:56 C'est extrêmement compliqué pour la raison que vous dites, effectivement.
00:41:58 C'est que la politique du Moyen-Orient se décidait en Égypte, à Damas et à Bagdad, essentiellement.
00:42:05 Et aujourd'hui, tout ce monde a été totalement, je dirais, pulvérisé.
00:42:09 Pulvérisé par une série de conflits.
00:42:12 L'Égypte est dans une situation, je dirais, très compliquée, s'agissant de l'État égyptien,
00:42:17 même si c'est un pays qui existe en tant que tel, avec une potentialité énorme.
00:42:21 Bon, Damas, il y a eu cette guerre en Syrie.
00:42:24 Daesh, l'Irak, il y a eu la guerre en Irak.
00:42:26 Il y a eu, depuis la guerre Iran-Irak, c'est une région qui est tellement perturbée.
00:42:30 Aujourd'hui, qui sont les acteurs ?
00:42:32 C'est l'Arabie Saoudite, principalement.
00:42:34 C'est les Émirats.
00:42:36 L'Iran a un rôle important dans la région aussi.
00:42:39 Et le Liban, qui était un relais, qui fonctionnait, est un relais totalement réduit à quasiment un néant par, je dirais, c'est un État failli.
00:42:47 Et donc, il faut re-coordonner à nouveau notre manière de faire là-bas.
00:42:52 Donc cet héritage franco-britannique du passé, il a totalement disparu, il n'existe plus.
00:42:57 Est-ce qu'on a des relais là-bas ?
00:42:58 C'est une région essentielle, quand même, pour la stabilité du monde.
00:43:01 C'est une région avec une démographie extrêmement jeune.
00:43:04 On me citait les chiffres.
00:43:05 Il y avait 25 millions d'habitants en Irak en 2003.
00:43:08 Il y en a 42 millions aujourd'hui.
00:43:09 Il y en aura 80 millions en 2050.
00:43:11 Il faut donc prendre en compte tout cela, les déficits hydrographiques.
00:43:15 Alors, vous avez un pays qui est remonté sur la scène d'une manière différente, c'est la Turquie.
00:43:18 La Turquie, qui elle, a de plus en plus un mot à dire, notamment vis-à-vis de nous, mais comme pays pivot.
00:43:24 Et la guerre en Ukraine a redonné un rôle à la Turquie, comme on le voit.
00:43:27 Donc, il y a une redistribution des cartes.
00:43:29 Il est effectivement assez difficile d'y voir clair.
00:43:32 Mais ce que nous faisons, ce qu'a fait la France depuis toujours, c'est de maintenir un contact avec, je dirais, l'ensemble des acteurs de la région.
00:43:39 Mais sans avoir une idée définitive de qui prend le dessus, ce sont des équilibres nouveaux avec lesquels il nous faut travailler.
00:43:48 - Hubert Védérille ? - Alors moi, je dirais, vous avez évoqué le mot migration, mais ça, c'est un autre sujet.
00:43:52 Migration, toute l'Europe sera obligée, bon gré, mal gré, d'arriver à la politique des sociodémocrates scandinaves, à mon avis.
00:44:00 - C'est agir ? - J'ai des flux en général, mais c'est pas spécialement au Moyen-Orient.
00:44:03 Moyen-Orient, il me semble qu'aucun des pays de Moyen-Orient ne peut imposer complètement sa loi.
00:44:08 Ni la Turquie, ni Israël, ni l'Irak, ni l'Iran, ni l'Égypte, ni l'Arabie.
00:44:14 Que aucune puissance extérieure ne peut refaire aujourd'hui l'équivalent de ce que faisaient les Français et les Britanniques pendant la Première Guerre mondiale.
00:44:23 On n'y arriverait pas.
00:44:24 Même si par hypothèse on mettait ensemble Biden, Poutine et Xi Jinping, c'est pas le moment, mais imaginez, ils n'arriveraient pas à se mettre d'accord.
00:44:32 Et d'ailleurs, ce serait pas appliqué, parce qu'il y aurait des forces sauvages, terroristes, tout autre.
00:44:37 Donc moi, je m'attends à ce que, avec des oscillations variées, ça soit d'une sorte de semi-instabilité permanente,
00:44:45 avec un pays qui prend le dessus, mais pas longtemps, puis il y en a un autre, tout ça.
00:44:49 Donc il faut bien voir là-dedans quels sont nos intérêts vitaux, régiduels.
00:44:53 Vous avez noté que moi, pour les États-Unis, c'est moins vital.
00:44:56 Il reste le lien un peu obligé avec Israël, mais l'Arabie, c'est moins vital.
00:45:01 Il y a le jeu de la Chine, maintenant, en Irak, donc quelque chose qui n'est pas très contrôlé,
00:45:07 qui va pas forcément aux extrêmes, mais qui n'a pas, qui n'a plus sans doute l'importance énergétique et symbolique que ça a eu pendant un siècle.
00:45:16 Je parlais des migrants parce qu'il y a la Turquie, parce qu'il y a eu la Syrie beaucoup.
00:45:21 Il y a la Turquie aujourd'hui qui joue un rôle.
00:45:25 Et il y a la Libye aussi.
00:45:27 Alors la Libye, c'est autre chose, mais la Syrie, c'est des vrais demandes.
00:45:31 C'est des gens qui ont des raisons de demander l'asile, en vrai.
00:45:33 C'est des réfugiés.
00:45:34 L'asile est quand même globalement détourné pour d'autres raisons.
00:45:37 Il y avait la guerre en Syrie.
00:45:38 La Libye, c'est le réceptacle de toute une série de voies d'arrivée, du business de l'immigration illégale dans toute l'Afrique.
00:45:44 C'est encore un autre sujet.
00:45:46 Mais je ne vois pas comment, je ne vois pas qui, ni dans la région, ni à l'extérieur, n'arriverait à recontrôler à peu près le Moyen-Orient.
00:45:53 Et toutes nos idées sympathiques sur ce qu'on peut faire d'utile vont être toujours là.
00:45:58 Mais enfin, c'est un peu marginal.
00:46:00 Vous voyez, ce n'est pas très enthousiasmant ce que je dis, mais je ne vois pas bien les leviers pour la suite.
00:46:06 – Et alors le Sud global, ce fameux Sud global dont on parle beaucoup maintenant et que vous évoquiez tout à l'heure, Hubert Védrine,
00:46:13 qui n'a pas tellement envie de rejoindre notre camp, disiez-vous, comment pouvoir à nouveau le toucher ?
00:46:21 Emmanuel Macron, avec son sommet récent, a tenté le coup.
00:46:25 – Oui, mais le terme de Sud global est très contestable,
00:46:28 sauf qu'il est une réponse au discours américain sur le reste,
00:46:32 il y a nous les Américains et puis le reste, dont on se fiche en gros.
00:46:36 Donc ça ne fonctionne pas ça.
00:46:37 Donc on va réapparaître les non-alignés, Sud global,
00:46:40 mais dans le Sud global, vous avez par exemple l'Inde et la Chine, qui ne vont pas se fusionner.
00:46:45 Ils ne veulent pas être sous notre coupe, ils ne vont pas se fusionner.
00:46:48 Il faut que les Occidentaux soient intelligents avec une politique sur mesure,
00:46:52 cas par cas, par rapport à chacun de ces pays, parce qu'ils sont moins globaux.
00:46:57 – Maurice Covent d'Aubontagne ?
00:46:58 – Sur le Sud global, je me demande si on ne peut pas dire qu'on a d'un côté effectivement
00:47:03 l'Occident entre guillemets, c'est-à-dire en fait les pays qui appliquent les sanctions.
00:47:06 Et c'est comme ça que se font les craquements.
00:47:08 Il y a les pays qui appliquent les sanctions, c'est-à-dire les pays de l'OCDE,
00:47:11 l'Union Européenne, les États-Unis et quelques autres, qui sont en gros 35 pays.
00:47:14 – Les sanctions contre la Russie bien sûr.
00:47:16 – Les sanctions contre la Russie, mais qui a créé véritablement un clivage
00:47:19 dans la communauté internationale, dans la société internationale.
00:47:22 Et sinon, on a la Chine, on a la Russie dans un tandem étrange,
00:47:26 et puis on a ces grands émergents qui mènent chacun leur propre politique,
00:47:30 et puis énormément, un essaim de petits pays qui vont là où leur intérêt commande
00:47:35 et qui n'ont pas envie de choisir.
00:47:36 Et donc la Chine tire avantage de cette situation parce qu'en fait,
00:47:41 d'un côté ces pays veulent continuer à avoir accès auprès du FMI,
00:47:44 veulent continuer à commercer en dollars,
00:47:45 mais la Chine de l'autre côté reste en général leur principal partenaire commercial.
00:47:50 120 pays dans le monde ont comme principal partenaire commercial la Chine, elle le sait.
00:47:54 Et on ne peut pas se priver de la Chine,
00:47:56 qui reste encore un moteur de croissance au moins pour les 15-20 années qui viennent.
00:48:00 Et donc la Chine, elle organise le monde à sa manière,
00:48:03 et c'est là où on arrive finalement avec un sud global qui se rejoint
00:48:07 dans des mécanismes qui permettront de commercer
00:48:11 et qui sont puissamment portés par les BRICS, par les routes de la soie,
00:48:15 par l'organisation de la coopération de Shanghai,
00:48:17 pour lesquelles il y a énormément de candidats supplémentaires,
00:48:20 et c'est un fractionnement du monde, il y a "the West" et "the Rest".
00:48:25 Et je pense que c'est vraiment le phénomène auquel on assiste le plus,
00:48:29 avec un énorme fossé entre les deux.
00:48:32 Et notre intérêt est précisément de ne pas perdre le fil avec l'autre côté,
00:48:36 c'est ce que la France a fait, le président Macron a fait avec ce sommet sur la finance,
00:48:41 c'est cette idée d'être invité aux BRICS.
00:48:43 Alors bon, les Russes ont dit qu'il n'y en était pas question, pour le moment les...
00:48:47 - Pour rappeler que les Russes font partie des BRICS,
00:48:49 c'est que Vladimir Poutine, en dépit du fait qu'il est inculpé par la Cour pénale internationale,
00:48:55 est invité en Afrique du Sud et s'y rendra, a-t-il dit ?
00:48:58 - Et s'y rendra, a-t-il dit, et ça a été confirmé aujourd'hui
00:49:00 par le président de l'Afrique du Sud, qui tiendra son sommet à Johannesburg avec tous ses invités.
00:49:05 Et donc, il faut garder le contact avec d'autres présidents qui ne sont pas comme nous,
00:49:10 ne pas s'enfermer dans un camp, même si on en partage un certain nombre de valeurs,
00:49:14 nous ne sommes pas, je dirais, avec les mêmes intérêts que les États-Unis par exemple.
00:49:18 - Mais moi je suis d'accord avec le tableau que vous faites sur l'influence chinoise
00:49:21 et l'ambition nouvelle de la Chine qui est désinhibée, maintenant.
00:49:25 On voit en Arabie... Arabie-Iran, mais il y a l'Inde quand même,
00:49:30 et vous connaissez très bien, l'Inde ne peut pas être à l'aise avec ce tableau.
00:49:34 - Alors l'Inde... - Ils ont essayé quand même de...
00:49:35 Regardez, le G20 par visio qu'a fait l'Indien, là.
00:49:39 - Oui, oui, tout à fait. - Pas par le G20, non, la réunion de Shanghai, excusez-moi.
00:49:44 - L'Inde est l'exemple type... - La Chine c'est la Chine et l'Inde c'est l'Inde.
00:49:47 - Absolument, mais l'Inde est cet exemple type, je dirais, de ce qu'ils appellent eux-mêmes,
00:49:51 pour définir leur politique, un pays multi-aligné.
00:49:54 Donc un jour vous les voyez dans une réunion du G7, en tant qu'invité,
00:49:57 un autre jour au Quad, effectivement avec les Américains et les Japonais
00:50:00 pour contenir la Chine, avec les Australiens, et puis un autre jour au BRICS.
00:50:03 Et un autre jour en train de faire des manœuvres...
00:50:05 - Mais est-ce que ce n'est pas une sorte de sous-gaulisme ?
00:50:07 - C'est un... C'est le multi-alignement, c'est-à-dire que l'Inde refuse systématiquement
00:50:12 d'appartenir à des alliances. Donc l'Inde...
00:50:15 Le Premier ministre indien a été reçu somptueusement
00:50:18 et invité à prononcer un discours pour la deuxième fois au Congrès des États-Unis.
00:50:21 Et puis, il sera au BRICS, qui est un programme, je dirais, clairement
00:50:26 défini par les Russes, les Chinois et d'autres, qui est un programme
00:50:30 différent de ce que les Occidentaux poursuivent comme objectif.
00:50:32 - Ils ne sont pas dans la main de la Chine. - Ils sont au 14 juillet chez nous.
00:50:34 Ils ne sont pas dans la main de la Chine, ils sont dans la main de personne.
00:50:36 Ils sont eux-mêmes. - Mais ils seront au 14 juillet chez nous.
00:50:39 - Et le Premier ministre indien sera invité à l'honneur du 14 juillet.
00:50:41 - Le global est quand même aussi hétéroclite et on a intérêt à ce qu'il soit hétéroclite quand même.
00:50:45 - On a intérêt à ce qu'il soit... - Ce n'est pas trop mauvais quand même.
00:50:47 - C'est pour ça que ce n'est pas des blocs. Il n'y a pas de politique.
00:50:49 Il n'y a pas de blocs aujourd'hui. - Il n'y a pas de blocs.
00:50:51 - C'est une fausse vision de dire "on revient à une politique des blocs".
00:50:53 Non, il n'y a pas de blocs. Il n'y a même pas de non-alignés,
00:50:57 parce que les non-alignés étaient entre les blocs.
00:50:58 Il y a des multi-alignés. On est là un jour, on est là un autre jour, selon ses intérêts.
00:51:02 - On peut d'autant plus le dire que la Chine ne soutient pas réellement la Russie dans l'affaire d'Ukraine.
00:51:08 La Russie, la Chine n'est pas alliée avec la Russie.
00:51:11 Elle lui donne très très peu d'armement.
00:51:14 Au fond, le dernier bloc, le seul bloc, c'est nous.
00:51:17 - D'une certaine façon, le seul bloc, c'est nous.
00:51:19 C'est le bloc occidental, le bloc OCDE, le bloc de ceux qui appliquent les sanctions
00:51:23 et qui ont un certain nombre de règles de fonctionnement entre eux.
00:51:25 - Et qui sont plus soudés aujourd'hui qu'ils ne l'étaient avant la guerre en Ukraine.
00:51:28 - Voilà, mais la Chine et la Russie... - Ils en s'accoutinent.
00:51:31 - La Chine et la Russie ont quand même un programme commun qui est, je dirais, antidémocratique
00:51:35 contre les valeurs illibérales, enfin, ils sont illibéraux, et contre les valeurs libérales que nous représentent.
00:51:40 - Post-occidentale. - Oui, post-occidentale, comme vous le dites.
00:51:44 - Mais j'entends, la Chine aujourd'hui ne soutient pas la Russie comme nous nous soutenons l'Ukraine.
00:51:50 - La Chine soutient la Chine.
00:51:52 Et la Chine soutient la stabilité de la Chine, la stabilité politique de la Chine et son développement économique.
00:51:56 Et c'est ça qui est sa principale priorité.
00:51:58 De ce point de vue, la Russie lui est utile, puisqu'elle lui apporte un certain nombre de matières premières dont elle a besoin pour son développement.
00:52:04 Mais la Chine n'est alliée de personne, si ce n'est de la Corée du Nord, mais c'est accessoire.
00:52:08 Elle n'entre dans aucune alliance, elle ne le fera jamais.
00:52:11 - D'ailleurs, si la Chine a fait un plan de paix, que les occidentaux ont balayé comme ça, ils ont eu tort d'ailleurs.
00:52:16 C'est pour montrer qu'ils ont une position à eux.
00:52:19 Ils n'ont pas simplement le soutien automatique à la Russie.
00:52:22 - Et la Chine... - Ils ont le jouet de tout ça, quand même.
00:52:25 Et la Chine, effectivement, a proposé son plan de paix assez tôt, au mois de février.
00:52:30 Xi Jinping est allé à Moscou, on s'en souvient.
00:52:33 Et puis ensuite, il y a eu cet appel téléphonique à Zelensky.
00:52:36 N'oublions pas que l'Ukraine fait partie des routes de la soie depuis 2014, qu'il y a des relations économiques extrêmement étroites
00:52:42 et que, certainement, Pékin ne peut pas accepter que l'Ukraine, telle qu'elle est, perde son indépendance.
00:52:50 Et donc, sera certainement un pays qui va soutenir une solution lorsqu'elle finira par émerger.
00:52:55 Et vous avez vu qu'il y a beaucoup de pays qui s'intéressent à la paix.
00:52:58 Dans tous les continents, on s'intéresse à la paix.
00:53:01 Il y a eu l'initiative de Lula, il y a eu l'initiative du président indonésien,
00:53:03 il y a eu l'initiative des six présidents de pays africains, qui sont allés également à Moscou et à Kiev.
00:53:09 Ce sont des initiatives qui sont, pour le moment, rejetées du revers de la main.
00:53:13 Mais il y a un désir de paix, un désir de mettre fin à ce conflit
00:53:16 qui impacte gravement l'ensemble des pays et le développement des pays,
00:53:21 qui, je dirais, on l'envoie un peu partout.
00:53:23 Et donc, nous sommes en train d'arriver sur une nouvelle époque.
00:53:27 – Je vous remercie. Vous dernier mot, Hubert Védrine ?
00:53:30 – Les Manichéens occidentaux vont souffrir, en fait.
00:53:35 – Je vous remercie, Maurice Gourdaud-Montagne, d'être venu dans cette émission.
00:53:39 Je vous libère. Je rappelle le titre de votre livre parce qu'il est passionnant.
00:53:44 Les autres ne pensent pas comme nous. Il est sorti aux éditions bouquins.
00:53:48 Nous, on va écouter le rappel des titres par Isabelle Piboulot.
00:53:52 Et puis, juste après, on va parler de la France, de la situation intérieure, de l'Europe.
00:53:57 Toujours avec Hubert Védrine, qui reste avec nous jusqu'à la fin de cette émission.
00:54:02 [Générique]
00:54:05 – Dans les Alpes-de-Haute-Provence, le petit Émile est toujours porté disparu.
00:54:09 200 personnes se sont mobilisées pour les recherches, ainsi que des équipes synophiles,
00:54:14 des hélicoptères et des drones équipés de caméras thermiques,
00:54:17 selon le procureur de la République de Dignes-les-Bains.
00:54:20 Pour l'heure, aucune hypothèse n'est privilégiée.
00:54:23 Deux personnes disent avoir aperçu l'enfant de 2 ans et demi.
00:54:26 Un appel à témoins a été lancé.
00:54:28 Le pape François va créer 21 nouveaux cardinaux fin septembre.
00:54:32 Principaux conseillers et administrateurs du souverain pontife,
00:54:36 ils seront originaires d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie,
00:54:40 afin de renforcer l'universalité de l'Église.
00:54:43 Les cardinaux de moins de 80 ans participeront au vote
00:54:46 pour désigner le successeur du pape François.
00:54:49 Et puis en Formule 1, 8e victoire de la saison pour Max Verstappen,
00:54:53 le néerlandais a remporté le GP de Grande-Bretagne à Silverstone,
00:54:57 en devançant les Britanniques Lando Norris et Lewis Hamilton.
00:55:01 Le double champion du monde en titre continue de s'échapper au classement provisoire.
00:55:06 Prochain rendez-vous dans deux semaines pour le Grand Prix de Hongrie,
00:55:09 à suivre sur Canal+.
00:55:12 Bienvenue, si vous nous rejoignez maintenant, les visiteurs du soir,
00:55:18 c'est de 22h jusqu'à minuit.
00:55:20 Hubert Védrine est notre invité fil rouge ce soir.
00:55:23 Le philosophe Jean-François Bronstein, l'auteur de la religion woke, nous a rejoint.
00:55:28 À 23h30, ce sera Jean Jouzel, l'ancien vice-président du GIEC.
00:55:33 Il y a aussi Joachim Bitterlich, qui est maintenant en duplex avec nous.
00:55:37 Est-ce que vous êtes là, Joachim Bitterlich ?
00:55:40 - Bonsoir. - Bonsoir.
00:55:41 Vous avez été conseiller du chancelier Helmut Kohl de 1988 à 1998,
00:55:46 ambassadeur d'Allemagne en Espagne, puis le représentant de l'Allemagne à l'OTAN.
00:55:51 Hubert Védrine, quand nous avons parlé de faire cette émission,
00:55:53 vous m'avez tout de suite demandé d'inviter Joachim Bitterlich.
00:55:56 C'est un sacré visiteur du soir.
00:55:58 En effet, je suis très honoré de sa présence.
00:56:00 Mais qu'est-ce qu'il représente pour vous ?
00:56:02 - C'était un partenaire quasiment quotidien devenu un ami.
00:56:08 Parce qu'il était chargé des questions franco-allemandes et européennes
00:56:11 à la chancellerie auprès du chancelier Kohl,
00:56:14 à part avoir été auprès du ministre Genscher.
00:56:17 Et puis moi, dans toute l'aventure elyséenne.
00:56:18 Donc, vous voyez, ça porte sur des années, des années.
00:56:21 Donc, on a connu la période d'avant l'orientation, de pendant l'orientation,
00:56:25 d'après l'orientation.
00:56:27 Donc, c'est quand même une épopée que nous avons vécue.
00:56:29 Il n'y a pas que nous.
00:56:30 Il y a d'autres personnes que je pourrais citer à l'Elysée, à Tali,
00:56:33 à Bianco, à Elisabeth Guigou.
00:56:34 Il y a d'autres personnes à la chancellerie, comme Telchik, Neuer et d'autres.
00:56:37 Mais enfin, il se trouve que cette relation était très structurante et très longue.
00:56:41 - Joachim Bitterlich...
00:56:43 - Ça nous donne beaucoup de références communes.
00:56:44 Pas forcément la même vision de l'avenir, mais beaucoup de références communes.
00:56:47 - Joachim Bitterlich, on a l'impression que les rapports entre la France
00:56:51 et l'Allemagne ne sont plus ce qu'ils étaient depuis quelques temps.
00:56:54 Est-ce que vous avez cette impression aussi, vous ?
00:56:57 Et quelles conséquences est-ce que vous pensez que ça peut avoir ?
00:57:03 - Je suis convaincu aujourd'hui que la France et l'Allemagne ont besoin de ce qu'on appelle,
00:57:09 dans le tennis ou bien à la télé, un reset ou bien un sursaut,
00:57:15 un véritable sursaut pour être de nouveau au niveau des responsabilités
00:57:24 que l'Europe, que la situation internationale leur demande.
00:57:29 Et malheureusement, il n'y a plus de profondeur dans les relations.
00:57:34 C'est resté assez superficiel.
00:57:37 Et la semaine dernière, j'étais à Berlin.
00:57:41 Et là, hélas, à Berlin, le sentiment est bien,
00:57:45 un, les Français ne comprennent pas, et les Français veulent toujours gagner le jeu.
00:57:52 Et lorsque je me promène à Paris, j'ai la même impression que les Français pensent,
00:57:59 ah oui, les Allemands veulent avoir notre peau, ils veulent avoir le dernier mot.
00:58:05 Et il n'y a plus ce débat, ce style de débat,
00:58:09 cette profondeur que j'ai vécue avec Hubert Védrine à l'époque.
00:58:15 - Comment vous l'expliquez, Hubert Védrine ?
00:58:17 Est-ce que ça a un rapport avec le scepticisme qui gagne à l'égard de la construction européenne ?
00:58:24 - Non, c'est un autre phénomène, ça.
00:58:26 Enfin, je veux dire, ça rejoint, mais ce n'est pas la même source.
00:58:29 Non, moi, j'ai connu les années Mitterrand-Caul, bon, et j'ai connu Schroder après.
00:58:34 Mais je trouve que Schroder ne parlait jamais de coupe franco-allemand.
00:58:37 Et moi, ça ne me choque pas, c'est autre chose.
00:58:39 Il y avait la réunification, donc il y a avant et après.
00:58:41 Et je pense que les élites françaises ont eu tort de continuer à répéter
00:58:45 comme des perroquets pendant 10 à 15 ans.
00:58:47 Il faut relancer le couple franco-allemand pour relancer l'intégration européenne,
00:58:51 qui par ailleurs rencontre des résistances.
00:58:53 Donc pour aller dans le sens de ce que dit Joachim, c'est un sursaut.
00:58:56 On ne peut pas le faire à coup de commémoration.
00:58:58 On ne peut pas le faire à coup de nostalgie.
00:59:00 On ne peut pas faire comme si on était d'accord sur l'essentiel
00:59:03 et qu'il suffit de faire un sommet sympathique.
00:59:06 Moi, je pense au point où on est arrivé maintenant,
00:59:10 il faut assumer les différences, voir les divergences.
00:59:13 Et à partir de là, il faut dire qu'on est en désaccord sur plein de sujets,
00:59:16 par l'énergie, mais il y en a d'autres, sur la défense.
00:59:19 Mais en même temps, il faut qu'on travaille ensemble,
00:59:21 parce que sinon, le système européen ne marche pas.
00:59:24 Il faut partir d'un constat lucide, honorable, direct des différences.
00:59:29 Et après, on va dire qu'est-ce qu'on peut faire quand même ?
00:59:32 Donc c'est une problématique qui est complètement différente
00:59:34 de celle qui a fonctionné jusqu'à la fin du coup les demi-télèves
00:59:37 et pendant des années après.
00:59:39 Il faut le prendre comme ça.
00:59:40 Et puis il ne faut pas être accablé par ce constat.
00:59:43 Dire sur la réalité, comme on le disait dans la première partie de l'émission.
00:59:46 Alors justement, parlons de l'Europe, de la France et de l'Europe.
00:59:50 Vous avez à propos de l'Europe, vous avez...
00:59:52 On a perdu les peuples en route, avez-vous dit.
00:59:56 Vous l'avez dit très tôt, dès 92,
00:59:59 un peu après le référendum sur Maastricht,
01:00:02 qui a été remporté d'un point seulement.
01:00:05 C'était très peu.
01:00:06 À ce moment-là, déjà, vous aviez conscience qu'on avait perdu les peuples.
01:00:09 Et vous avez dit aussi que si les Allemands avaient voté,
01:00:12 ils auraient probablement, au moment du référendum sur le traité constitutionnel,
01:00:18 si les Allemands avaient voté, probablement qu'ils auraient dit non eux aussi.
01:00:21 Ce n'est pas moi qui ai dit ça, c'est le chancelier Schröder après qui m'a dit ça.
01:00:24 Mais ma remarque n'est rien de génial.
01:00:26 J'ai constaté que le traité de Maastricht,
01:00:29 qui était quand même hyper rationnel dans l'intérêt français,
01:00:33 je dis ça même s'il y a des chauvrinistes un peu étroits à l'ancienne qui nous écoutent,
01:00:36 parce qu'on était déjà dans la zone marque.
01:00:39 On était dépendant de la zone marque.
01:00:41 On avait déjà commencé à décrocher.
01:00:43 Donc ce n'était pas une position enviable par rapport à ça.
01:00:46 Donc c'était plutôt intelligent, même dans l'extrême de nos intérêts.
01:00:49 Et tout le monde était d'accord.
01:00:51 Le Front National était contre, mais il pesait moins qu'aujourd'hui.
01:00:55 Mitterrand avait un poids énorme par rapport à tout ce qu'on a vu après.
01:00:58 Le chancelier Kohl était intervenu.
01:01:00 Un point d'écart.
01:01:02 Donc ma remarque, elle découle de ça.
01:01:04 Donc je n'ai pas du tout été quelques années après
01:01:07 de constater qu'un traité constitutionnel, par ailleurs inutile à mon avis,
01:01:11 était rejeté, était prévisible.
01:01:13 Et donc je pense depuis longtemps,
01:01:16 qu'il faut qu'il y ait une sorte de deal
01:01:18 entre les élites en Europe convaincues,
01:01:21 pro-européennes, européistes et les peuples.
01:01:24 Et ça démarre par le fait que l'Europe n'a pas vocation à détruire
01:01:28 ce que les peuples ont gardé comme souveraineté.
01:01:31 Mais qu'on est plus forts ensemble.
01:01:33 C'est parce qu'on est plus forts ensemble qu'il faut continuer.
01:01:35 Ce n'est pas parce qu'on est des États avec un passé chargé,
01:01:38 dont on a honte et qu'il faut s'en remettre à l'Europe.
01:01:41 Non.
01:01:42 Quand les élites parlent comme ça, elles n'ont plus d'électeurs après.
01:01:45 Donc voilà où j'en suis.
01:01:46 Alors je ne sais pas si Joachim en est exactement là.
01:01:48 On va lui poser la question parce qu'il est très européen, Joachim Bitterlich.
01:01:51 Il a vécu Genscher, Kohl, il a vécu toute la grande épopée.
01:01:55 Est-ce que vous pensez...
01:01:56 J'aurais pu dire ça à l'époque, on travaillait ensemble tous les jours, vous voyez.
01:01:59 Je tiens compte de ce que j'ai vu et ma réflexion depuis.
01:02:02 Joachim Bitterlich, est-ce que vous êtes d'accord avec Hubert Weydrin
01:02:05 quand il dit que l'Europe a perdu les peuples en route ?
01:02:08 Je pense qu'il a raison, sur le fond.
01:02:13 Et il faut revoir, au fond, nos objectifs,
01:02:19 notre "vision de l'Europe", notre boussole pour le futur.
01:02:26 Et pour moi, ça n'a pas de sens de continuer à rêver
01:02:31 ce que j'appelle des États-Unis d'Europe,
01:02:34 copie conforme ou pas conforme des États-Unis.
01:02:38 Ce fédéralisme européen, pour moi, est dépassé.
01:02:42 Ce qui est pour moi beaucoup plus important aujourd'hui,
01:02:45 c'est de trouver là une solution de coopération entre Bruxelles et les États membres.
01:02:54 Cette tolérance entre Bruxelles et les États membres.
01:02:58 Moi, je vous donne un exemple. Aujourd'hui, tout le monde vous dit
01:03:03 qu'il faut introduire le vote à la majorité qualifiée dans tous les domaines,
01:03:08 y compris l'énergie, la sécurité intérieure, la sécurité extérieure, la défense.
01:03:15 C'est ce que dit l'Allemagne.
01:03:18 Les Allemands vous le disent, mais ils savent exactement que ce ne sera pas le cas.
01:03:24 Ils cherchent un débat à cet égard.
01:03:29 Gine, une seconde, est-ce que la France et l'Allemagne,
01:03:32 est-ce que les deux sont-ils disposés de relancer à cet égard
01:03:40 en matière de sécurité, en matière d'énergie, en matière de défense ?
01:03:45 Non, à mon avis, non. C'est un faux débat pour moi.
01:03:49 Il faut revoir ce débat de manière différente.
01:03:52 Moi, j'ai redécouvert, en faisant mes recherches sur Hans-Heinz Genscher,
01:03:57 où j'ai appris le métier politique au départ, le compromis,
01:04:02 ce que j'appelle le fameux compromis européen de l'époque, des années 60,
01:04:10 lorsque nous avons cherché une solution pour surmonter le blocage par le général de Gaulle.
01:04:16 Et pour moi, c'était une des procédures, un des modes de pensée
01:04:21 et d'avancée les plus intelligentes qu'on a oubliées entre-temps.
01:04:25 Il faut nous revoir.
01:04:28 Mais pour moi, il faut revoir notre mode de pensée et notre mode de travailler.
01:04:35 Imaginez demain une Europe, au lieu de 27, à 33, à 34.
01:04:42 Imaginez, il est clair qu'on ne pourra plus travailler comme on a travaillé dans le passé.
01:04:49 Il faut trouver des modes de travail beaucoup plus efficaces,
01:04:55 mais il faut avoir le courage à ce moment-là de trouver des méthodes
01:05:01 et des solutions alternatives, voire innovantes, vis-à-vis du passé.
01:05:06 Ça n'a pas de sens de rester dans nos modèles du passé. Ça n'a pas de sens.
01:05:12 – Hubert Védrine, quand on vous lit, on voit que vous êtes sensible au fait
01:05:18 que la France est incapable d'opérer les réformes indispensables, dites-vous,
01:05:23 notamment pour sauver ces systèmes sociaux,
01:05:26 pour reprendre le contrôle de ses dépenses publiques,
01:05:29 tout ça que l'on attribue d'ailleurs à l'Europe.
01:05:32 On l'a vu au moment des manifestations contre la réforme des retraites.
01:05:39 Tout le monde a dit "c'est la faute de l'Europe, c'est l'Europe qui veut cette réforme".
01:05:45 Est-ce que la France s'en trouve fragilisée pour vous ?
01:05:49 – D'abord, je ne veux pas faire le malin, je ne suis pas spécialiste de tout.
01:05:53 Je ne suis pas un spécialiste des questions sociales.
01:05:56 Et puis je ne veux pas donner des leçons à des gens qui estiment avoir
01:06:00 des raisons très légitimes de contester ceci ou cela.
01:06:04 Je pense depuis longtemps que ça aurait été mieux que la gauche française insiste
01:06:09 non pas sur l'âge, mais qu'elle suive plutôt l'évolution en Europe en général,
01:06:13 pas des institutions européennes, mais des pays européens,
01:06:16 en insistant sur la pénibilité, sur la durée, sur le travail des femmes,
01:06:20 sur plein de trucs, bon, c'est comme ça.
01:06:22 Mais encore une fois, je ne vais pas donner des oracles comme ça,
01:06:26 sauf que simplement je me borne à constater que dans beaucoup de pays d'Europe,
01:06:30 ce genre de réforme est passée, avec des parties de gauche souvent au pouvoir,
01:06:35 des arguments qu'on emploie ici mais qui sont connus là-bas,
01:06:37 et que finalement, dans la plupart des pays d'Europe,
01:06:40 mais pas à cause de l'Europe, ce n'est pas de l'Europe,
01:06:42 c'est un bout de valise, n'oubliez pas, on ne sait pas ce qu'on va mettre dedans,
01:06:45 ce n'est pas de l'Europe qui demande.
01:06:47 Et les pays européens ont dit simplement, comme dans d'autres pays,
01:06:49 il y a eu des discussions au Chili, en Russie, mais c'est un allongement de la vie en bonne santé,
01:06:55 donc je me borne, mais c'est un regard de, comment dire, d'historien et de sociologue interrogatif.
01:07:02 Pourquoi est-ce que c'est toujours plus compliqué qu'en France qu'ailleurs ?
01:07:06 Mais je ne réponds pas par blanc ou noir.
01:07:09 On peut poser la question à Joachim Bitterlich, avant de le libérer d'ailleurs,
01:07:13 puisqu'il vit la plupart du temps en France.
01:07:15 Pourquoi c'est plus difficile en France qu'ailleurs, à votre avis,
01:07:19 de reprendre le contrôle de ses dépenses publiques ou de réformer ses systèmes sociaux ?
01:07:26 Il faut prendre note et simplement savoir,
01:07:32 nous vivons toujours dans des systèmes politiques totalement différents.
01:07:38 Or, par exemple, après les dernières élections parlementaires françaises,
01:07:42 j'ai dû m'employer à expliquer ce que c'est une coalition allemande,
01:07:47 ce que c'est une solution d'un compromis à une majorité relative.
01:07:54 Or, dans le système allemand, la clé c'est le système de coalition et le système de majorité,
01:08:02 et c'est le Parlement qui a le dernier mot.
01:08:04 On n'a pas un président de la République à la française,
01:08:07 on a un chancelier avec, je dirais, certains droits, certaines compétences, oui,
01:08:13 mais un ministre à côté de lui a son rôle également à jouer.
01:08:17 Et dans tous les domaines, c'est le Parlement qui a le dernier mot.
01:08:20 Or, ce que nous voyons, attention, nous vivons toujours dans des systèmes différents,
01:08:28 et ce qui m'a étonné un petit peu, c'est que nous n'avons pas appris en Europe,
01:08:35 ou nous n'avons pas voulu apprendre de l'expérience des voisins, de l'expérience des autres.
01:08:43 Et du coup, expliquer à un Français qu'il faut trouver une majorité,
01:08:50 qu'une majorité relative est suffisante, ok, j'ai du mal à la fin.
01:08:58 Et le Français a du mal à se conforter à un tel système.
01:09:03 Or, je viens de mentionner les affaires sociales.
01:09:07 Moi, je suis parti à la retraite officiellement à l'âge de 67 ans.
01:09:12 Nos collègues espagnols partent à la retraite à l'âge de 70.
01:09:16 En Allemagne, la règle, c'est 67.
01:09:19 Or, c'était un certain débat, certes, oui,
01:09:23 mais il y a eu un consensus avec l'aide des syndicats en Allemagne et avec l'aide du patronat.
01:09:30 On a trouvé cette solution ensemble pour aller.
01:09:35 Et la raison est simple, c'est la démographie et le coût de la retraite à moyen et à long terme.
01:09:45 Et pour un moment, c'est extrêmement difficile de comprendre pourquoi les Français, eux,
01:09:50 pourquoi ils ne comprennent pas ce que j'appelle cette réalité qu'on peut chiffrer, si vous voulez.
01:09:57 – Je vous remercie, Joachim Bitterlich, d'avoir été avec nous ce soir.
01:10:02 Je vous libère.
01:10:04 Je voulais qu'on aborde également avec Jean-François Brunstein
01:10:08 une France confrontée au mouvement Woke,
01:10:11 alors moins confrontée, sans doute, que les États-Unis au même moment.
01:10:15 Mais ça aussi, ça vous intéresse beaucoup, Hubert Védrine, pourquoi ?
01:10:20 – Alors, il faut distinguer, enfin, M. Brunstein le dira mieux que moi,
01:10:22 mais le fait d'être Woke, c'est-à-dire éveillé,
01:10:24 c'est-à-dire de s'indigner toute la journée de plein de choses dont certaines sont en effet choquantes,
01:10:30 et d'autre part, d'empêcher de parler ou d'écrire ou d'enseigner ceux qui ne pensent pas comme vous.
01:10:37 Là, on est dans l'excommunication, dans le stracisme, c'est la "cancel culture",
01:10:41 que d'ailleurs Obama a condamné plusieurs fois.
01:10:43 Ça, c'est un danger, c'est un vrai danger pour la liberté d'expression,
01:10:47 pour ce qu'a été la civilisation européenne, qui a été quand même prodigieuse.
01:10:51 Donc, c'est sur ce point-là que moi, ça me frappe politiquement
01:10:54 et que d'ailleurs, j'ai lu ce livre qui est remarquable,
01:10:56 j'ai cherché à comprendre la démarche,
01:10:59 et je pense que ça joue un rôle dans les erreurs d'analyse de différents autocrates
01:11:04 ou d'espotes dans le monde entier qui pensent que l'Occident va se détruire lui-même,
01:11:08 en commençant par l'enseignement supérieur.
01:11:11 Donc, c'est ça qui m'a intéressé dans l'affaire,
01:11:12 parce qu'il y a un lien qu'on ne voit pas tout de suite entre ce phénomène aux États-Unis,
01:11:17 au Canada, où c'est pathétique à mon avis, et puis quand même la France beaucoup.
01:11:21 Ça peut peser même dans le rapport de force mondiale.
01:11:24 Donc, c'est ce que j'étais en train de l'aborder, mais je ne suis pas spécialiste du sujet,
01:11:29 autant que M. Bronstein.
01:11:31 – Non, ce soit Bronstein.
01:11:32 – Je pense que Hubert Bedrin a tout à fait raison,
01:11:34 c'est-à-dire que si nous vivions tout seuls dans le monde,
01:11:37 ce ne serait pas très grave, mais effectivement,
01:11:39 ça envoie un signal de faiblesse extraordinaire,
01:11:42 et on voit que Poutine, par exemple,
01:11:44 l'essentiel de sa propagande, c'est autour des trans en Europe,
01:11:48 les islamistes essaient d'influencer effectivement les mouvements islamo-gauchistes en France,
01:11:54 AGI+, la chaîne d'Al Jazeera fait la pub des LGBTQIA+,
01:11:59 ce qui est quand même très curieux,
01:12:01 et les Chinois se servent de Black Lives Matter pour critiquer le racisme américain,
01:12:05 bon, quand on sait ce qui se passe avec les Ouïghours, tout ça est un peu inquiétant.
01:12:08 – Et la France a elle-même été beaucoup critiquée, par Miron notamment,
01:12:13 après les émeutes de l'année dernière.
01:12:16 – Voilà, les émeutes sont interprétées de cette manière,
01:12:19 la presse américaine et anglo-saxonne en général dit,
01:12:22 ben voilà, c'est la preuve du racisme endémique, etc.
01:12:25 et il y a quelques militants en France qui voient ça.
01:12:28 Le problème, c'est qu'il y a aussi un président de la République
01:12:30 qui, à propos d'un rapport sur les banlieues, a dit,
01:12:33 on ne va pas prendre le rapport Borloo, ce serait le rapport de deux vieux mâles blancs,
01:12:37 de deux mâles blancs, quand on commence à réfléchir comme ça,
01:12:40 tout ça est assez curieux, et moi je suis très frappé,
01:12:43 puisqu'on parle, après les émeutes, du décalage qu'il y a
01:12:47 entre les problèmes réels qui se posent et la vision…
01:12:50 pour prendre un autre exemple, avec Pap Ndiaye,
01:12:54 ministre de l'Éducation nationale, il a lancé il y a deux mois
01:12:57 une initiative qui s'appelle "Ici, on soit toi",
01:13:02 "Ici, on peut être soi" à l'école.
01:13:05 C'est très étrange comme histoire, puisque l'école,
01:13:07 c'est justement le lieu où on apprend des choses pour devenir autre,
01:13:11 pour se cultiver, et effectivement, alors c'était pour dire,
01:13:14 "ici, on peut être LGBTQI", etc.
01:13:17 Le résultat, c'est qu'effectivement, des militants moins bien intentionnés,
01:13:22 islamistes par exemple, ont dit "moi, mon identité avec laquelle j'arrive,
01:13:25 c'est celle de l'islam militant", etc.
01:13:29 Et donc on voit qu'il y a une vision totalement déconnectée de la réalité,
01:13:33 qui a peut-être eu un sens aux États-Unis autour de la question du racisme,
01:13:37 mais qui pour le reste, est un monde que je trouve
01:13:40 d'une certaine manière irréel, virtuel.
01:13:43 On le voit par exemple avec cette espèce d'enthousiasme
01:13:46 pour le transgenre, c'est-à-dire l'idée que le corps ne compte pas,
01:13:50 que ce qui compte, c'est la conscience.
01:13:52 On est vraiment, c'est pour ça que je parle de religion,
01:13:54 on est dans quelque chose comme la gnose, où on pensait qu'effectivement,
01:13:58 ce qui compte, c'est la conscience, le corps, le monde, c'est le mal,
01:14:01 il faut s'en abstraire.
01:14:02 Et donc moi, c'est ça qui m'inquiète dans ce mouvement,
01:14:05 c'est que d'abord, c'est quelque chose qui est extrêmement sectaire,
01:14:09 on refuse absolument la discussion,
01:14:11 c'est aussi un aspect d'une religion sectaire.
01:14:15 Et autre problème, c'est que la partie de la France qui est la plus touchée,
01:14:19 ce sont les universités de l'être et sciences humaines,
01:14:22 c'est-à-dire que l'endroit le moins libre en ce moment,
01:14:25 ce sont des universités où théoriquement, la liberté,
01:14:28 l'échange libre d'arguments est le cœur de toute chose.
01:14:30 Et donc ça, c'est quelque chose, me semble-t-il,
01:14:32 qui est vraiment inquiétant et qui prend de l'ampleur,
01:14:35 contrairement à ce qu'on dit.
01:14:36 - Et vous étiez professeur vous-même.
01:14:37 - Voilà, j'étais professeur, j'ai arrêté depuis peu,
01:14:41 j'étais professeur de lettres à la Sorbonne.
01:14:43 Bon, à la Sorbonne, il est très difficile de faire une thèse
01:14:46 sur un sujet lié à la race, lié au genre,
01:14:49 si on n'est pas d'accord avec les principes de base
01:14:52 de ce qu'on appelle maintenant des études,
01:14:54 c'est-à-dire qu'on ne fait plus de la philosophie,
01:14:55 on fait des études de genre, des études sur la race, etc.
01:15:00 Et on voit des étudiants brillantissimes reculer,
01:15:03 sortir de l'université parce qu'ils ne trouvent personne
01:15:06 qui veut les diriger en thèse, par exemple.
01:15:08 - Hubert Védrine, dans "Une vision du monde",
01:15:12 vous écrivez "le multiculturalisme", avec le mouvement woke,
01:15:17 "le multiculturalisme cesse d'être une richesse vécue
01:15:19 pour devenir une sorte d'obligation réparatrice
01:15:23 en privilégiant la culture des autres".
01:15:26 - Oui, c'est l'idéologie diversitaire, ça, en quelque sorte.
01:15:29 Et ce qui me frappe dans la...
01:15:31 Oui, j'ai écrit ça, oui.
01:15:33 Je ne peux pas le nier.
01:15:34 - On voit bien.
01:15:36 - Ce qui me frappe, c'est comment chacun des courants,
01:15:38 très bien décrits par M. Brunsen dans son ouvrage,
01:15:41 qui part de revendications qu'on peut entendre
01:15:44 ou qui sont légitimes,
01:15:46 comment il s'est transformé au fil des années,
01:15:48 notamment le passage américain,
01:15:51 en une sorte de radicalisme fou.
01:15:53 Donc il est devenu complètement...
01:15:56 Comme sous la Révolution en France, vous savez,
01:15:57 il y a la Révolution du début,
01:15:59 puis après il y a les enragés, en quelque sorte.
01:16:01 Et comment on a importé les névroses américaines ?
01:16:04 Alors que c'est complètement différent.
01:16:05 C'est vrai du mouvement féministe,
01:16:07 qui a cédé de noblesse
01:16:08 puis qui devient quelque chose de méconnaissable.
01:16:11 C'est vrai du courant LGBT, etc.
01:16:12 C'est vrai du courant africain,
01:16:14 c'est vrai d'autres courants.
01:16:15 Comment ça pu se transformer à ce point ?
01:16:18 Deuxièmement, pourquoi il y a aussi peu de résistance ?
01:16:21 Parce que ce que vient de dire M. Brunsen,
01:16:23 au lieu de beaucoup de gens,
01:16:24 disons progressistes mais gentils,
01:16:26 qui ne veulent pas empêcher les autres de s'exprimer,
01:16:28 ça doit être considéré comme effroyablement excessif.
01:16:31 Alors il y a énormément de gens dans ce pays
01:16:33 qui ne sont pas du tout des gens qui écoutent CNews,
01:16:36 donc on leur parle par-dessus,
01:16:37 qui considèrent qu'on ne peut pas s'opposer à toutes ces choses.
01:16:42 Sinon on devient une sorte de réacte,
01:16:43 qui est une chose monstrueuse.
01:16:45 Alors qu'il devait y avoir des réactions
01:16:47 dans le monde enseignant, dans les écoles, etc.
01:16:50 Donc c'est ça la question.
01:16:51 Comment on peut reprendre le contrôle
01:16:53 et comment est-ce qu'on peut endiguer, canaliser
01:16:56 et faire apparaître qu'il y a une résistance,
01:16:59 disons intellectuellement, de gauche
01:17:01 à ce mouvement qui est dénoncé
01:17:03 par une grande partie de la droite, bien sûr.
01:17:05 Vous voyez ?
01:17:06 Donc il faut que ça dépasse le clivage,
01:17:07 il ne faut pas que ça reste.
01:17:08 On dirait que l'antiracisme d'avant,
01:17:10 ça consistait à dire que tout le monde était pareil,
01:17:13 et que l'antiracisme d'aujourd'hui,
01:17:15 ça consiste à dire que tout le monde est différent.
01:17:18 Et qu'à ce titre d'ailleurs, on peut...
01:17:20 On reste dans sa différence.
01:17:21 C'est tout à fait ça, parce qu'effectivement,
01:17:23 l'antiracisme d'avant, c'était dire
01:17:25 "je ne prête pas attention à la couleur".
01:17:27 Moi, ce que je disais toujours, c'est
01:17:28 "vous êtes noir, jaune ou blanc, je m'en moque,
01:17:30 vous êtes un élève et puis voilà, un étudiant".
01:17:33 Maintenant, il faut toujours qu'on tienne compte de la couleur,
01:17:35 c'est-à-dire qu'il faut que chacun fasse attention.
01:17:38 Si vous êtes noir, vous serez discriminé
01:17:40 d'une autre manière, positive, etc.
01:17:43 Les États-Unis font d'ailleurs marche arrière
01:17:45 sur ce point en ce moment, etc.
01:17:48 Et donc, il y a vraiment l'idée qu'au fond,
01:17:49 il y a des bons sentiments.
01:17:51 La critique du racisme, ça devient un nouveau racisme.
01:17:54 C'est-à-dire qu'effectivement, il faut être toujours obsédé
01:17:56 par la race et les critiques, notamment aux États-Unis,
01:17:59 les plus virulents là-dessus,
01:18:01 ce sont souvent des intellectuels noirs
01:18:03 qui ne supportent pas d'être considérés uniquement
01:18:06 comme membres d'une communauté victimaire.
01:18:09 Et donc, ça fige la société en communauté victimaire
01:18:13 et communauté coupable.
01:18:15 Et l'antiracisme d'aujourd'hui, c'est un nouveau racisme
01:18:18 d'une certaine manière, où la lutte contre les discriminations
01:18:22 liées au genre, à la sexualité, etc.
01:18:25 deviennent un enfermement dans des communautés LGBT, etc.
01:18:30 qui ont plus maintenant des relations extrêmement conflictuelles
01:18:33 puisque, effectivement, on efface la femme.
01:18:37 Et donc, il y a vraiment toute une...
01:18:38 On part sur de très bons sentiments,
01:18:40 on arrive à des choses étranges.
01:18:41 Et puis, la conséquence de tout ça, par ailleurs,
01:18:44 dont on parle peu, mais qui, moi, me semble essentiel,
01:18:46 c'est qu'il y a une critique très radicale de la science,
01:18:50 de la connaissance occidentale,
01:18:51 parce que la science est toujours faite d'un point de vue de blanc
01:18:55 ou de noir à l'avenir.
01:18:56 Il faudrait une science dédominée versus la science dédominante.
01:19:00 Et on en arrive, effectivement, à critiquer l'ensemble des idéaux des Lumières.
01:19:04 C'est-à-dire que ça se présente, et c'est ça qui est très frappant
01:19:07 et qui est très triste d'une certaine manière,
01:19:09 des gens qui se présentent comme de gauche
01:19:12 soutiennent une doctrine qui reprend les bases
01:19:14 de la pensée contre-révolutionnaire, anti-Lumière.
01:19:16 C'est-à-dire qu'ils sont hostiles à l'universalisme.
01:19:19 Pour eux, l'homme, ça n'existe pas.
01:19:21 Il n'y a que des blancs, des noirs, des jaunes, etc.
01:19:24 Pour eux, il n'y a pas d'individus,
01:19:26 parce qu'on est toujours membre d'une communauté.
01:19:29 Ce que dit Brett Easton Ellis, le grand écrivain américain,
01:19:31 il dit qu'ils veulent en finir avec l'individu.
01:19:33 Et effectivement, ils le disent très explicitement.
01:19:35 Et ils critiquent également la notion de raison, la rationalité.
01:19:40 C'est une histoire de blanc.
01:19:41 Et donc, il y a effectivement une critique très radicale de la science.
01:19:44 Alors, c'est là que des gens commencent à se réveiller,
01:19:47 notamment dans les facs de science, de médecine ou autre,
01:19:49 où ils se disent "attention, c'est très grave".
01:19:52 On a vu, il y a un exemple tout à fait hallucinant, je dirais,
01:19:55 d'étudiants en médecine de l'Université du Minnesota,
01:19:59 qui prêtent serment non plus à Hippocrate,
01:20:01 mais prêtent serment de combattre la binarité sexuelle,
01:20:05 de combattre le racisme systémique
01:20:09 et de remplacer la science occidentale par des savoirs dominés.
01:20:14 C'est quand même très inquiétant parce que ça va être des médecins.
01:20:17 Donc, on aimerait savoir où on va se faire soigner par la suite.
01:20:21 - Hubert Vérine, vous y croyez, vous, à l'universalisme ?
01:20:24 Je me suis posé la question tout à coup.
01:20:26 - Ah bien, bien sûr, je pense qu'il y a une dimension universelle,
01:20:29 des valeurs universelles, mais qu'on ne peut pas l'imposer
01:20:32 par les procédés des siècles passés.
01:20:34 C'est la question de l'ingérence, l'interventionnisme,
01:20:37 l'évangélisation, etc.
01:20:39 Mais s'il vous plaît, Mathieu, est-ce qu'on peut lui demander
01:20:41 comment il voit la suite ?
01:20:43 Comment ça va tourner tout ça ?
01:20:44 Est-ce qu'à un moment donné, vous parlez aux États-Unis
01:20:47 d'un début de freinage ?
01:20:49 - Oui, on pourrait se dire qu'effectivement, d'abord,
01:20:53 on peut espérer qu'il y ait des conflits
01:20:55 entre les différentes communautés qui soutiennent cela.
01:20:58 On peut penser aussi que l'attaque contre la science va les arrêter.
01:21:03 Mais moi, je pense que c'est quelque chose de très profond.
01:21:06 Je pense que c'est pour ça que je parle de religion.
01:21:08 C'est une croyance très forte.
01:21:10 Et je pense que le fait qu'ils n'acceptent pas du tout de discuter,
01:21:13 et pour eux, ça a un sens.
01:21:15 Ça remplace, c'est un sens d'une religion appauvrie,
01:21:21 si vous voulez, une religion, on sent tout ce qu'il y a d'intéressant
01:21:23 dans la religion, mais il y a effectivement une orthopraxie,
01:21:27 il y a un sens à la vie, etc.
01:21:28 Et moi, je pense que, en tout cas, ça va durer quelque temps.
01:21:32 Et c'est très compliqué parce qu'on voit des jeunes
01:21:35 qui, effectivement, vont flotter comme ça entre des identités,
01:21:38 vont se ressentir coupables ou victimes pendant des années.
01:21:43 C'est pas comme ça qu'on va construire une république
01:21:47 qui tienne la route à peu près.
01:21:48 C'est ça qui vous inquiète, c'est que ça nous divise.
01:21:50 Ça peut éventuellement même nous dresser les uns contre les autres
01:21:53 pour des raisons.
01:21:54 C'est très grave.
01:21:56 C'est déjà le cas.
01:21:57 Je crois que ça se rajoute à tout le reste.
01:21:58 Mais quand les religions dominaient, elles combattaient les hérésies.
01:22:01 Et au bout d'un moment, ça s'arrête.
01:22:03 Oui, mais ça peut durer longtemps.
01:22:05 Il y a quelques religions qui ont duré longtemps.
01:22:07 Moi, ça me fait un peu penser, alors mutatis mutandis,
01:22:10 au début du christianisme, lorsque, effectivement,
01:22:13 les païens, les derniers grecs, ont vu arriver ces gens
01:22:16 et se sont dit qu'ils sont vraiment bizarres
01:22:17 avec la résurrection de la chair, etc., le Christ.
01:22:22 Là, c'est des croyances tellement absurdes, tellement lointaines
01:22:26 que je comprends qu'on puisse y adhérer parce que ça donne un côté,
01:22:29 c'est une intelligence supérieure pour croire qu'effectivement,
01:22:32 le corps ne compte pas du tout dans son identité sexuelle.
01:22:35 C'est une promesse invraisemblable.
01:22:37 Vous l'avez dit, c'est l'agnose.
01:22:38 Oui, c'est l'agnose.
01:22:39 Là, vous allez un peu loin parce qu'au départ,
01:22:41 c'est juste d'être éveillé, vigilant,
01:22:44 vigilant à l'égard du racisme, des discriminations.
01:22:48 Mais c'est ça qui est étonnant, c'est que ça se renverse dans le contraire.
01:22:52 C'est-à-dire que ça devient exactement l'inverse.
01:22:55 C'est ce que j'avais montré dans un autre bouquin sur les animaux.
01:22:57 L'amour des animaux se transforme ensuite en des thèses totalement absurdes
01:23:01 où il n'y a aucune différence entre l'homme et l'animal.
01:23:04 Là, l'antiracisme se transforme en une obsession de la race.
01:23:08 C'est-à-dire que les nouveaux antiracistes, les woke antiracistes,
01:23:12 ce sont des gens qui ne considèrent tout qu'à travers la couleur de la peau.
01:23:15 C'était...
01:23:16 Bon, là aussi, je pourrais citer Pam Diaï qui dit à propos de l'histoire de l'opéra
01:23:20 que l'histoire de l'opéra, c'est l'histoire du mal blanc dominant l'Occident
01:23:24 et qu'il faudrait qu'il y ait plus de noirs,
01:23:27 faire plus de diversité mélanique à l'opéra.
01:23:29 Moi, ça m'inquiète.
01:23:30 L'opéra, c'est sublime.
01:23:32 Si on en réduit l'opéra à ça, je pense qu'on est sur la mauvaise pente.
01:23:37 - Donc il y a eu très grande cantatrice noire avant même...
01:23:39 - Oui, absolument, qui a été canardoir.
01:23:41 - On fait une pause.
01:23:42 C'est le rappel des titres Isabelle Piboulot.
01:23:45 Et puis, on va s'intéresser ensuite à l'écologisation.
01:23:48 C'est un mot que vous avez beaucoup employé, Hubert Védrine.
01:23:52 - À Paris, vous pourrez bientôt vous baigner dans la Seine.
01:23:59 Trois sites ont été annoncés ce matin par Agnès d'Algaud.
01:24:02 Les rives de Grenelle, de Bercy et le Bramary en face de l'île Saint-Louis.
01:24:06 Accessibles dès 2025, ces lieux accueilleront des espaces de baignade
01:24:10 aménagés et sécurisés.
01:24:12 Selon la mairie de Paris, il s'agit d'une partie de l'héritage
01:24:16 promis à l'issue des Jeux olympiques de 2024.
01:24:19 Avant de se rendre au sommet de l'OTAN à Vilnius,
01:24:22 Joe Biden a atterri au Royaume-Uni.
01:24:25 Il rencontrera le roi Charles III demain et le Premier ministre Richie Sunak.
01:24:30 Mardi et mercredi, le démocrate espère réussir à convaincre la Turquie
01:24:34 d'accepter la candidature de la Suède à l'OTAN.
01:24:37 Le président américain conclura son voyage par une visite en Finlande,
01:24:41 dernier pays à avoir intégré l'Alliance atlantique.
01:24:45 Et puis des nouvelles rassurantes de Sergio Rico.
01:24:48 Sur son compte Instagram, le gardien du PSG s'est dit très chanceux
01:24:52 d'être en vie après avoir été plongé dans le coma.
01:24:55 Plus d'un mois après son grave accident de cheval,
01:24:58 l'état de santé du joueur de 29 ans s'améliore.
01:25:01 L'Espagnol poursuit sa convalescence à l'hôpital de Séville.
01:25:05 Hubert Védrine, vous parlez depuis longtemps d'écologisation.
01:25:11 C'est même le titre d'un chapitre important de votre livre Une vision du monde.
01:25:16 Et les Français sont de plus en plus conscients du réchauffement climatique.
01:25:19 On va donc terminer cette émission avec quelqu'un qui nous a alertés
01:25:22 dès 1987 avec Claude Laurius à l'époque.
01:25:26 C'est Jean Jouzel, qui est paléoclimatologue, ex-vif président du GIEC,
01:25:31 que j'aperçois dans la lucarne de mon écran de contrôle.
01:25:34 Bonsoir Jean Jouzel.
01:25:36 Le mois de juin 2023 a été le plus chaud jamais enregistré sur Terre.
01:25:42 Et mardi dernier, le 4 juillet, a été la journée la plus chaude.
01:25:46 Tous mois confondus, la température moyenne de l'air à la surface de la planète
01:25:51 a été mesurée à 17,18 degrés Celsius, soit un degré de plus qu'il y a 25 ans à la même période.
01:25:59 Quelle conclusion vous en tirez vous personnellement ?
01:26:03 Bon d'abord, bonsoir Frédéric Talley, bonsoir Hubert Védrine,
01:26:06 je suis très heureux d'échanger avec vous ce soir.
01:26:10 Disons que pour beaucoup de personnes, cette annonce de record successif
01:26:16 apparaît comme une surprise, mais ce n'est pas le cas.
01:26:19 Effectivement, c'est ce à quoi nous attendons depuis une trentaine d'années,
01:26:26 depuis les premiers rapports du GIEC, que ce réchauffement climatique
01:26:31 que nous envisageons, que nous avons envisagé collectivement,
01:26:35 est là désormais de façon très perceptible,
01:26:38 avec déjà des conséquences assez négatives dans certains endroits.
01:26:43 Mais il ne faut pas être trop surpris de ce qui nous arrive.
01:26:45 C'est-à-dire que dans un contexte de réchauffement global,
01:26:49 nous sommes sur une trajectoire de 2 à 3/10 degrés par décennie.
01:26:53 Alors, ce n'est pas une année après l'autre, mais c'est vraiment une décennie après l'autre.
01:26:56 Eh bien, c'est tout à fait logique que les records soient régulièrement battus.
01:27:01 Alors, pas tous les records, ça peut être un mois de juin,
01:27:04 l'année prochaine, ça pourrait être un mois de juillet,
01:27:06 ça peut être une journée la plus chaude, on voit bien,
01:27:09 mais c'est dans l'ordre des choses que les records soient battus de façon assez régulière.
01:27:16 Et ce sera le cas au cours des prochaines décennies,
01:27:18 parce que ce réchauffement climatique va se poursuivre encore quelques décennies.
01:27:23 Et malheureusement, si nous n'en prenons pas la mesure, bien au-delà de 2050.
01:27:28 - Hubert Védrine, vous parlez de compte à rebours, vous, constamment.
01:27:33 - Oui, d'abord, moi, j'étais sensible à ces questions depuis toujours,
01:27:36 par la nature, la montagne, l'alpinisme.
01:27:39 Mais c'est à l'époque de l'Élysée de Mitterrand où j'entendais
01:27:42 les grands scientifiques mondiaux qui venaient et qui étaient tous écologistes.
01:27:47 Aucun dans un parti écologique, parce que c'est autre chose en réalité,
01:27:50 mais tous écologistes.
01:27:53 Je pense qu'il y a, en effet, beaucoup instruit par d'immenses personnalités
01:27:58 comme M. Jouzaël et d'autres, qu'il y a une course de vitesse.
01:28:01 Une course de vitesse entre la dégradation des conditions de vie sur la planète,
01:28:04 il y a le climat, il y a tout le reste, l'université,
01:28:07 et ce que j'appelle, moi, l'écologisation.
01:28:09 Alors pourquoi j'emploie ce terme ?
01:28:11 C'est parce que quand vous dites écologie, c'est un terme statique,
01:28:14 où il y a les bons et les méchants, les pours et les contres.
01:28:17 L'écologisation, c'est un processus.
01:28:19 Comme on disait, il y a un siècle et demi, industrialisation.
01:28:22 Donc on a commencé, pas assez vite, mais on a commencé dans plein de domaines,
01:28:26 à écologiser l'industrie, les transports, les voitures, l'agriculture, etc.
01:28:31 – Le bâtiment ?
01:28:32 – Même tout, absolument tout.
01:28:34 Mais le rythme n'est pas le même, selon les cas.
01:28:37 Et donc, est-ce qu'on n'en fait assez ?
01:28:38 Certainement pas, quand on voit la dégradation.
01:28:41 Est-ce qu'il y a moyen de faire plus ?
01:28:43 Et là, il y a évidemment le risque que les opinions paniquent,
01:28:47 mais elles ne paniquent pas au bon endroit,
01:28:49 parce que l'indice de déclenchement de la panique
01:28:51 n'est pas le même en Chine ou chez nous.
01:28:54 La résistance à la panique est très faible dans les démocraties,
01:28:58 qui risquent d'avoir de moins en moins de leaders
01:29:00 et de plus en plus de followers.
01:29:01 Et ça ne nous donne pas des solutions.
01:29:03 Donc on a besoin à la fois d'inventions,
01:29:05 on a besoin de millions de chercheurs, d'inventeurs, etc.
01:29:09 Et qu'après, les politiques, qui n'ont pas l'esprit,
01:29:11 organisent le meilleur rythme possible pour faire de ça.
01:29:14 Voilà la raison du mot écologisation.
01:29:17 Mais ça n'existerait pas s'il n'y avait pas eu
01:29:20 ces lanceurs d'alerte depuis des décennies.
01:29:22 Donc moi, j'aimerais bien qu'on lui demande
01:29:24 comment il voit la suite.
01:29:27 Et est-ce qu'on a une chance à un moment donné,
01:29:29 à coup d'invention, à coup de récupération du CO2 ?
01:29:33 Oui, on en rêve tous.
01:29:35 La récupération du CO2 dans l'atmosphère,
01:29:37 c'est le plan B de tout ce qui...
01:29:39 Non, ce n'est pas un plan B dans mon esprit.
01:29:41 C'est tout. Il faut tout faire.
01:29:43 Il faut corriger la sobriété, les trucs circulaires, etc.
01:29:46 Mais comment M. Jouzel,
01:29:48 est-ce qu'il prend au sérieux ou pas la dimension scientifique
01:29:52 de cette affaire ?
01:29:55 Jean Jouzel.
01:29:57 Je pense, oui, d'abord...
01:29:59 Merci, le terme écologisation me va bien
01:30:02 parce que nous avons effectivement échangé,
01:30:05 d'abord sur le réchauffement climatique,
01:30:06 mais vous avez absolument raison, M. Védrine,
01:30:09 c'est finalement l'ensemble des problèmes environnementaux
01:30:12 qui est affecté par ce réchauffement climatique,
01:30:15 la biodiversité,
01:30:17 et finalement, c'est le mode, disons,
01:30:19 de façon...
01:30:20 Vraiment le mode de fonctionnement de nos sociétés
01:30:22 qui est interrogé par ce réchauffement climatique
01:30:25 et tout ce qui va avec en termes d'environnement,
01:30:28 en termes de...
01:30:29 Donc, il nous faut en prendre la mesure.
01:30:32 Je crois que vous avez d'abord mis en avant un terme
01:30:36 qui est important, c'est celui de la sobriété.
01:30:39 On ne pourra pas réussir à lutter
01:30:41 contre le réchauffement climatique,
01:30:43 à respecter les engagements de l'accord de Paris,
01:30:46 les objectifs de l'accord de Paris,
01:30:47 auxquels j'adhère,
01:30:49 s'il n'y a pas de sobriété.
01:30:51 Mais je crois aussi que l'inventivité,
01:30:55 disons, la technologie,
01:30:57 mais l'inventivité peut avoir une place,
01:30:59 aura une place dans cette lutte
01:31:00 contre le réchauffement climatique
01:31:01 et dans l'adaptation,
01:31:02 mais elle n'a de sens que si elle s'inscrit
01:31:06 dans une perspective de neutralité carbone.
01:31:10 On voit bien, il y a beaucoup d'innovations,
01:31:12 mais peu qui vont dans le sens de favoriser
01:31:15 la neutralité carbone.
01:31:19 C'est ça qu'il faut faire.
01:31:20 Donc, je suis absolument favorable à l'innovation en général,
01:31:26 à des technologies, au piégeage du carbone,
01:31:28 d'ailleurs, aux différentes façons de piéger du carbone,
01:31:31 y compris dans les sols,
01:31:32 y compris dans les forêts,
01:31:33 y compris par piégeage et stockage du carbone.
01:31:37 Mais il faut aussi des innovations
01:31:39 qui nous aident à atteindre cette neutralité carbone
01:31:42 parce que ne pas atteindre neutralité carbone,
01:31:45 c'est accepter que le réchauffement climatique
01:31:46 se poursuit indéfiniment
01:31:48 et c'est, je crois, inacceptable pour les jeunes d'aujourd'hui.
01:31:50 Donc, oui, non, tout n'est pas perdu,
01:31:53 mais il faut vraiment se réveiller.
01:31:55 Nous disons depuis,
01:31:57 pour ce qui me concerne, depuis une trentaine d'années,
01:31:59 que c'est à partir de 2020
01:32:01 qu'il faudrait que les émissions aient commencé à décroître
01:32:04 et elles continuent à augmenter,
01:32:05 ces émissions de gaz à effet de serre.
01:32:07 On est quand même au cœur du réacteur.
01:32:09 C'est plus demain qu'il faut agir,
01:32:10 c'est aujourd'hui, c'est ça le message.
01:32:12 Mais je crois, effectivement, et de toute façon,
01:32:14 il faut faire le maximum pour s'éloigner le moins possible
01:32:17 des 1,5°C, qui serait l'idéal,
01:32:20 voire des 2°C,
01:32:21 mais il faut faire le maximum,
01:32:22 un dixième de 2,5°C, c'est le message.
01:32:24 Donc, tout n'est pas perdu, loin de là,
01:32:26 mais il faut se ressaisir.
01:32:27 Nous n'allons pas assez vite, c'est très clair.
01:32:29 Et il ne s'agit pas que du réchauffement climatique,
01:32:32 il s'agit du mode, disons,
01:32:34 vraiment du mode de fonctionnement de la société au sens large,
01:32:36 des aspects sociaux, sociétaux, culturels,
01:32:38 tout est concerné par, disons, cette transition,
01:32:43 cette transformation que nous appelons de nos voeux, je crois.
01:32:46 - Jean Jouzel, si les émissions de CO2
01:32:50 continuent d'augmenter, en dépit de l'écologisation
01:32:55 de toute une partie de la production,
01:32:59 est-ce que ça n'est pas justement parce qu'au fond,
01:33:01 on n'a jamais diminué à aucune époque
01:33:04 notre consommation d'énergie ?
01:33:06 Il y a maintenant des énergies renouvelables,
01:33:08 mais elles viennent s'ajouter aux énergies fossiles
01:33:11 qu'on continue de consommer en les augmentant.
01:33:15 Alors, pas forcément en France, mais partout dans le monde.
01:33:19 - Vous avez raison, disons,
01:33:21 il n'y a pas de véritable remplacement.
01:33:23 Je crois que c'est Jean-Baptiste Fressos
01:33:25 qui en fait l'histoire de façon très claire.
01:33:27 Les modes de production d'énergie se sont ajoutés
01:33:30 les uns après les autres sans se remplacer réellement.
01:33:32 Mais là, il faut effectivement que nous changions le braquet,
01:33:35 c'est-à-dire qu'il faut que les énergies non émettrives
01:33:38 de gaz à effet de serre, les renouvelables,
01:33:41 très largement à l'échelle planétaire,
01:33:42 on peut aussi, bien sûr, dans les pays qui l'acceptent
01:33:46 et qui le développent, penser au nucléaire,
01:33:48 mais vraiment, au point de vue planétaire,
01:33:50 c'est vraiment les énergies renouvelables
01:33:51 qui devraient nous emmener vers cette neutralité carbone.
01:33:57 Mais il faut absolument, effectivement,
01:34:00 abandonner les combustibles fossiles.
01:34:02 Ça, c'est difficile, ça ne s'est jamais fait.
01:34:03 Vous avez raison, Frédéric Têtey,
01:34:05 on n'a jamais abandonné une source d'énergie.
01:34:07 Mais là, il faut absolument, parce que si nous ne le faisons pas,
01:34:10 eh bien, la neutralité carbone devient un rêve.
01:34:12 Et voilà, c'est vraiment quelque chose,
01:34:15 je dirais, d'assez dramatique pour le futur,
01:34:17 pour l'après 2050 et bien sûr,
01:34:19 pour ceux qui viendront encore au siècle suivant.
01:34:22 Donc, il faut absolument atteindre cette neutralité carbone.
01:34:25 Il faut absolument, vraiment, pratiquement,
01:34:27 abandonner l'utilisation des combustibles fossiles.
01:34:30 Et cela, ce n'est pas du tout dans notre ADN de société.
01:34:35 Il y a toujours eu un ajout successif
01:34:37 de différents modes de production d'énergie.
01:34:41 - Hubert Védrine, pour vous, la solution n'est pas
01:34:45 dans les injonctions idéologiques,
01:34:47 ni dans les interdictions inapplicables, dites-vous.
01:34:51 Vous n'y croyez pas ?
01:34:53 - Je constate que ça ne marche pas.
01:34:56 Car dans les démocraties, quand les gouvernements
01:34:58 qui se réginent un peu tard à dire
01:35:01 "il faut faire quelque chose, essaye",
01:35:02 ils sont bloqués par des gilets jaunes ou autres.
01:35:05 Après, ils s'arrêtent par rapport à ça.
01:35:08 En plus, en Europe, on était d'une lâcheté incroyable
01:35:10 par rapport à tous ceux qui, les verts allemands,
01:35:13 ont influencé, y compris la décision démagogique
01:35:16 de Mme Merkel de sortir du nucléaire,
01:35:18 donc de relancer le jarbon, en fait,
01:35:20 pour de mauvaises raisons.
01:35:21 Il n'y a jamais eu de risque de tsunami en Bavière.
01:35:24 Donc il y a quand même eu une longue période de déni,
01:35:28 de trouille, de lâcheté, de conjoncture, etc.
01:35:31 Mais ce n'est pas un problème de capitalisme,
01:35:33 ni de libéralisme, ni de communisme.
01:35:35 C'est le problème du productivisme,
01:35:37 du défundé sur le jarbon, en gros.
01:35:40 Donc M. José a raison.
01:35:42 Le premier sujet, c'est la transformation totale
01:35:45 du mode de production de l'énergie.
01:35:47 Alors, je ne vais pas énumérer les perspectives,
01:35:50 mais l'écolisation, ça touche tous les domaines.
01:35:52 Tous les domaines.
01:35:53 Ce n'est pas que ça, c'est tous les aspects de l'agriculture,
01:35:56 de la chimie, des déplacements.
01:35:58 C'est l'ensemble des activités humaines, en fait,
01:36:01 et des modes de vie.
01:36:02 Alors, il me semble qu'il est sur une ligne formidable,
01:36:07 parce qu'il dit la vérité, il est très alarmiste,
01:36:10 mais pas totalement catastrophiste.
01:36:12 Il dit qu'il faut quand même agir.
01:36:14 Donc c'est ça, il faut rassembler toutes les forces.
01:36:16 Mais comme la prise de conscience est assez élevée maintenant,
01:36:19 notamment en Europe, alors qu'on n'est pas tellement
01:36:21 la source du sujet, en réalité, le vrai problème, c'est...
01:36:25 - On l'a été, pardonnez-moi, mais c'est nous qui avons envoyé
01:36:27 du gaz, du CO2 dans l'atmosphère il y a 30 ans.
01:36:30 Celui qui est dans l'atmosphère, c'est celui qu'on a envoyé
01:36:32 il y a 30 ans.
01:36:33 - Non, non, il y a deux siècles.
01:36:34 - Oui, même plus.
01:36:35 - C'est la révolution industrielle.
01:36:36 Non, nous, les Français, il faut toujours rappeler
01:36:39 qu'à cause du nucléaire, les écoles se sont trompées
01:36:42 pendant des décennies.
01:36:43 À cause du nucléaire, on est le pays développé
01:36:45 qui, dans le monde, émet le moins de CO2 par tête d'habitant.
01:36:48 - On a même dit que si tous les pays développés
01:36:50 avaient fait le même choix que la France en 1973,
01:36:52 à l'époque où on l'a fait, il n'y aurait peut-être pas
01:36:54 de réchauffement climatique.
01:36:55 - Si, il y aurait un réchauffement, mais il serait moins fort
01:36:58 par rapport à ça.
01:36:59 Donc la vraie question, ajoutée à notre échange rapide,
01:37:02 c'est qu'est-ce qui fera bouger l'Inde, la Chine, l'Afrique,
01:37:07 l'Indonésie, etc. ?
01:37:09 C'est très important de tenter une redéfinition
01:37:13 des financements internationaux pour aider à cette transition.
01:37:16 Même si aujourd'hui, l'Afrique, elle ne pèse pour rien
01:37:19 dans le CO2.
01:37:19 La Chine, énormément.
01:37:21 L'Inde, beaucoup.
01:37:22 - Mais est-ce que ce qui ne freine pas...
01:37:23 - La prise de conscience en Europe ne suffit pas, vous voyez.
01:37:26 - On voit bien qu'aujourd'hui, en Europe,
01:37:27 on a tous pris conscience.
01:37:28 D'ailleurs, on a chaud, donc on a pris conscience.
01:37:31 Mais en même temps, on ne veut pas non plus
01:37:33 qu'il y ait des millions de gens au chômage demain.
01:37:35 Et je pense que les Chinois et les Africains,
01:37:37 c'est la même chose.
01:37:38 Alors, il y a des domaines où ça peut aller très vite.
01:37:41 Regardez la voiture électrique.
01:37:42 Le monde s'est mis un peu dans la main des Chinois
01:37:44 en faisant la voiture électrique.
01:37:45 En termes de changement de moteur, c'est incroyablement rapide.
01:37:49 Alors que l'agriculture, vous n'allez pas mettre en chômage
01:37:52 des centaines de millions de gens dans le monde
01:37:54 qui vivent en abattant des arbres,
01:37:55 qui se sont remplacés par des cultures pour le bétail,
01:37:58 en mangeant trop de viande, etc.
01:38:00 Donc, vous êtes obligés là de faire...
01:38:02 Dans l'écologisation, il y a un calendrier
01:38:04 pour chaque domaine.
01:38:05 Vous êtes obligés d'être un peu plus long,
01:38:06 parce que ce sont des êtres humains.
01:38:09 On peut leur dire que ce n'est pas une carrière d'avenir.
01:38:10 Il faut que les enfants fassent autre chose.
01:38:12 Mais on ne peut pas les taper comme ça.
01:38:14 Ce n'est pas en faisant du terrorisme écologique
01:38:16 et en attaquant des boucheries qu'on va régler le problème.
01:38:18 Donc, il faut aller très, très vite, être très convaincant.
01:38:21 Il faut des gouvernements, notamment dans les pays non autoritaires,
01:38:25 on va dire, des gouvernements qui soient très pédagoges,
01:38:28 très convaincants et qui donnent des solutions.
01:38:30 Si vous dites aux gens, par exemple,
01:38:32 vous ne pouvez plus prendre des voitures pourries là,
01:38:35 pour aller faire des formalités à la géopréfecture.
01:38:37 Il y a plein de régions de France où les gens se mettent en révolte.
01:38:40 Il faut qu'ils aient une solution.
01:38:42 Donc, il faut dégager des solutions le plus vite possible.
01:38:44 Voilà, arrêter de faire cet acte qui est anti-écologique.
01:38:47 On a d'ailleurs beaucoup progressé.
01:38:49 Regardez le tri des déchets, par exemple.
01:38:51 Il y a encore 25 ans, personne ne le faisait.
01:38:54 Ils ont trouvé ça insupportable, la liberté, etc.
01:38:57 A peu près tout le monde le fait maintenant.
01:38:59 Donc, il y a des tas de petits signes qui montrent que les populations,
01:39:02 parce qu'elles ont la trouille et que leurs enfants les engueulent,
01:39:05 sont prêtes à bouger si on leur donne une option.
01:39:09 Alors, ce que je dis en une phrase incroyablement simpliste,
01:39:11 malheureusement, il faut l'éclater en mille réponses,
01:39:14 mille cheminements, mille calendriers,
01:39:17 éclairés par ce que disent les gens comme Jouzel.
01:39:20 Si on ne fait pas, c'est de plus en plus catastrophique.
01:39:23 Ce n'est pas infaisable.
01:39:25 Regardez les Chinois.
01:39:25 Moi, j'ai connu des Chinois dans des conférences à la fin de Mitterrand
01:39:28 qui disaient, ça ne nous concerne pas de toute façon, c'est imprévisible.
01:39:32 Pardon, c'est impossible de le prouver.
01:39:35 Les statistiques globales ne veulent rien dire.
01:39:37 Alors, quelques années après, ils disent,
01:39:39 c'est peut-être vrai, mais c'est surtout le soleil qui bouge.
01:39:41 Après, ils disent, c'est peut-être vrai, mais ce n'est pas de notre faute.
01:39:44 Après, ils disent, c'est vrai, mais c'est à vous de payer.
01:39:47 Après, ils disent, bon, on va quand même relancer le nucléaire chez nous.
01:39:52 Alors, à l'échelle humaine, en 30 ans, c'est très rapide.
01:39:56 À l'échelle de l'aggravation climatique, ce n'est pas rapide, pas assez.
01:40:00 Mais encore une fois, on ne va pas trouver une solution,
01:40:03 ce qu'on veut le sens chez nous, entre nous.
01:40:05 Le fait d'empoisonner les habitants des centres-villes en Europe,
01:40:08 ça ne changerait absolument rien, rien en termes de CO2.
01:40:12 Ce qu'il faut faire bouger, c'est les Indiens, etc.
01:40:15 Je ne vais pas reprendre ma liste, mais il faut trouver des solutions.
01:40:19 Un dernier mot, Jean Jouzel ?
01:40:22 Oui, les solutions, ça passe aussi, je crois, par la solidarité.
01:40:25 Il faut, mais je suis sûr qu'Hubert Pétrin partage ce sentiment,
01:40:29 il faut peut-être plus de solidarité,
01:40:31 disons, des pays développés par rapport aux pays en voie de développement,
01:40:36 parce qu'ils ont aussi besoin de notre aide pour cette transformation.
01:40:39 Il faut aussi comprendre que, mais c'est vrai pour la Chine,
01:40:42 c'est vrai pour l'Inde, c'est vrai pour l'Afrique,
01:40:45 ils sont au premier âge aussi des conséquences du réchauffement climatique.
01:40:48 Ce sont des pays généralement très vulnérables.
01:40:52 Voilà, et peut-être que cette vulnérabilité peut les aider à prendre conscience
01:40:56 de la nécessité d'aller de l'avant, qu'ils aillent de l'avant,
01:40:58 qu'ils participent à la lutte contre le réchauffement climatique,
01:41:01 mais je crois que sans solidarité internationale, nous n'y arriverons pas.
01:41:04 Et c'est ça le message principal, et nous manquons beaucoup de solidarité, je crois.
01:41:09 On a bien vu, disons, le fait, par exemple, de ne pas tenir notre engagement
01:41:15 de verser ces 100 milliards de dollars vis-à-vis des pays développés
01:41:20 en voie de développement chaque année à partir de 2021.
01:41:23 On n'est pas capable de le faire à une époque où,
01:41:25 eh bien, on a mis sur la table 4 000 milliards de dollars
01:41:31 ou 5 000 milliards de dollars pour faire face à la pandémie,
01:41:34 ce qui était tout à fait logique.
01:41:35 Mais on voit bien que ce manque de solidarité pour aider les pays en voie de développement,
01:41:40 alors que nous l'avons promis, eh bien, n'aide pas à la résolution du problème climatique.
01:41:45 – Merci Jean Jouzel, je vous remercie aussi Hubert Védrine
01:41:49 d'avoir passé toute cette émission avec nous.
01:41:50 Merci à Jean-François Bornstein, merci à ceux qui étaient là avant,
01:41:54 merci de nous avoir suivis, je vous souhaite une très bonne nuit.
01:41:58 C'était la dernière émission de la saison, on se retrouve à la rentrée.
01:42:02 Je vous souhaite un très bel été.
01:42:04 Merci.
01:42:06 Merci.

Recommandations