Les visiteurs du soir (Émission du 28/05/2023)

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Frédéric Taddeï et ses invités débattent des grandes questions du XXIe siècle dans les #VisiteursDuSoir

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00:00:00 Trois des visiteurs de ce soir sont déjà arrivés sur le plateau.
00:00:06 Ils seront sept en tout.
00:00:08 Mais d'abord, le rappel des titres.
00:00:11 Isabelle Piboulot.
00:00:12 Elisabeth Borne s'attire les foudres de l'URN et de l'FI.
00:00:19 Dans un entretien à Radio-Gyp, la première ministre a qualifié le Rassemblement National
00:00:25 d'héritier de Pétain, accusant par ailleurs la France insoumise de faire le jeu de l'extrême
00:00:29 droite et de concourir à la montée de la violence.
00:00:32 Marine Le Pen a dénoncé des propos infâmes et indignes.
00:00:36 Côté LFI, Alexis Corbière a épinglé une attitude pitoyable.
00:00:41 Dans le Morbihan, un suspect est en garde à vue au lendemain de la découverte du corps
00:00:46 d'une femme dans une rivière à l'Annester.
00:00:49 L'homme, d'environ 30 ans, est proche de l'entourage familial de la victime.
00:00:53 Les circonstances du décès restent à éclaircir.
00:00:56 L'autopsie est prévue mardi, une enquête criminelle en flagrance contre X pour homicide
00:01:02 volontaire a été ouverte.
00:01:03 Et puis, l'euphorie en Turquie, Recep Tayyip Erdogan a été réélu président à l'issue
00:01:09 d'un second tour inédit.
00:01:10 Une victoire qui le laisse maître de son pays pour cinq ans supplémentaires.
00:01:15 Sur Twitter, Emmanuel Macron l'a félicité, estimant que la France et la Turquie ont d'immenses
00:01:21 défis à relever ensemble, comme notamment le retour de la paix en Europe.
00:01:25 *Générique*
00:01:39 Bonsoir, bienvenue sur le plateau des visiteurs du soir.
00:01:42 C'est la fin de la semaine, il est 22h.
00:01:44 On peut se dire des choses qu'on n'entend pas ailleurs, sur la transparence de nos élus,
00:01:48 sur les cabinets de conseil, sur la décivilisation redoutée par Emmanuel Macron ou sur l'égalité
00:01:54 entre les femmes et les hommes.
00:01:55 Véra Nikolsky, vous êtes docteur en sciences politiques et vous publiez FéminiSEN, un
00:02:00 essai dans lequel vous expliquez que l'émancipation des femmes depuis 150 ans n'a pas été provoquée
00:02:06 par les luttes féministes, mais par la révolution industrielle et les progrès qui s'en sont suivis.
00:02:11 Vous nous raconterez tout ça en détail à 23h30.
00:02:15 On s'intéressera également au processus de décivilisation dénoncé cette semaine
00:02:19 en Conseil du ministre par le président de la République, Emmanuel Macron.
00:02:23 Mais c'est quoi un processus de décivilisation ? Il y a plusieurs versions.
00:02:27 On en débattra à 23h avec deux sociologues, Michel Maffesoli et Mathieu Boquecote, et
00:02:32 avec Younous Omarji, député européen de la France Insoumise.
00:02:36 À 22h20, on reviendra sur l'affaire McKinsey et les sommes astronomiques versées par l'État
00:02:41 des cabinets de conseil.
00:02:43 Simon Voilet, vous faites partie des auteurs de Consultocratie, un livre qui y voit un
00:02:48 véritable problème démocratique.
00:02:50 Il y aura également Victor Mamou qui a été consultant au Boston Consulting Group et qui
00:02:55 forme aujourd'hui les Futurs Consultants, ce que vous appelez les nouveaux mandarins.
00:02:59 Mais d'abord, on commence l'émission avec Emmanuel Piera.
00:03:02 Vous êtes avocat et vous sortez la prison de verre.
00:03:05 Sexe, argent et politique, c'est une plaidoirie contre l'obligation de transparence absolue
00:03:10 que l'on voudrait imposer aux politiques.
00:03:12 Oui bien sûr, c'est une sorte de dénonciation de cette façon, de cette tyrannie de la transparence
00:03:18 qu'on veut appliquer à la vie privée des élus, des hommes et des femmes politiques,
00:03:23 des dirigeants.
00:03:24 Il ne se passe pas une semaine à peu près sans qu'on s'intéresse de façon songrenue
00:03:28 et sans rapport avec le débat public d'un seul coup pour savoir si Elisabeth Borne est
00:03:32 lesbienne, c'était il y a quelques jours à peine, si tel ou tel a éventuellement
00:03:36 une maîtresse ou des amants et ainsi de suite.
00:03:39 Il y a une sorte de déballage permanent et avec paradoxalement une remontée d'un puritanisme
00:03:46 très étonnant, quand Marlène Schiappa pose ruine de Playboy, on s'indigne comme si on
00:03:51 était encore sous l'ancien régime.
00:03:52 Et comme si elle était toute nue alors qu'en fait pas du tout.
00:03:55 Elle est habillée, elle donne une longue interview politique, c'est quelque chose
00:03:58 que j'ai écrit dans le même numéro de Playboy, donc je l'ai particulièrement examiné.
00:04:01 Et puis en parallèle, Bruno Le Maire publie un roman dans lequel il y a un passage plus
00:04:06 ou moins coquin qui donne le roseau joue et ça devient une sorte de scandale national.
00:04:11 Oui enfin c'était plutôt un sujet de moquerie.
00:04:13 C'est un sujet de moquerie.
00:04:14 Il y a des affaires d'argent aussi, il y a le soupçon permanent.
00:04:16 Il y a le soupçon permanent.
00:04:18 Éric Dupond-Moretti, ancien avocat et garde des Sceaux, a dit il y a à peine deux ou
00:04:23 trois mois qu'il avait dû révéler en devenant ministre à Patrimoine, à la Haute Autorité
00:04:28 pour la transparence dans la vie financière, qu'il n'entendait pas, dont il n'entendait
00:04:32 pas parler même avec ses enfants.
00:04:34 C'est-à-dire qu'il n'entendait pas leur dire s'ils avaient le droit de se mettre
00:04:37 à paresser ou à ne plus travailler jusqu'à leur retraite parce qu'ils étaient assurés
00:04:40 de toucher un héritage somptuaire ou etc.
00:04:44 Donc il dit qu'il y a une sorte de transparence obligatoire qui va au-delà de savoir s'il
00:04:49 y a un conflit d'intérêt, s'il y a quelque chose de problématique par rapport à un
00:04:53 discours public.
00:04:54 Mais vous rappelez que chacun a le droit au respect de sa vie privée.
00:04:57 C'est vrai que c'est dans la loi, mais c'est quoi la vie privée et est-ce que
00:05:02 ce respect doit être aussi absolu que la transparence que réclament les autres ?
00:05:07 En droit la vie privée, elle peut vous recouvre tout ce qui n'est pas votre vie publique.
00:05:10 Vous êtes journaliste, Frédéric Taddeï, donc tout ce qui ne fait pas partie de ce
00:05:13 que vous dites sur le plateau de CNews ou celui d'Europe 1 ne devrait pas nous concerner.
00:05:19 Avec qui vous vivez, avec qui vous couchez, ce qui vous intéresse dans votre vie privée,
00:05:25 dans le loisir ne devrait pas nous intéresser.
00:05:27 Et c'est la règle en théorie.
00:05:29 Je dis bien en théorie.
00:05:30 Y compris pour les politiques.
00:05:31 Bien sûr.
00:05:32 Le seul moment où on peut lever, selon moi, cette barrière, c'est lorsque le discours
00:05:38 public vient en contradiction avec la vie privée.
00:05:40 Par exemple, l'eurodéputé hongrois proche de Viktor Orban, qui se retrouve donc tenant
00:05:46 des discours homophobes auprès d'un pouvoir à Budapest particulièrement réactionnaire,
00:05:51 que l'on retrouve dans une part tous gays pendant le confinement, près du Parlement
00:05:55 européen et dans une appréciation des distances sociales ou de la distanciation sociale qui
00:06:01 était particulièrement ténue.
00:06:02 Et donc là, on a quelqu'un qui se retrouve manifestement dans une contradiction forte
00:06:07 entre une prise de position publique qui appelle par ailleurs à une certaine haine et son comportement
00:06:11 privé.
00:06:12 La même chose en France avec ceux qui ont défilé contre le mariage pour tous, avec
00:06:17 la manif pour tous et dont la vie privée n'est pas aussi, on va dire, réactionnaire
00:06:21 qu'elle en a l'air.
00:06:22 Donc c'est peut-être cette partie-là.
00:06:24 On peut parfaitement être homosexuel et être contre le mariage homosexuel.
00:06:30 Oui, heureusement, ça ne me paraît pas.
00:06:32 Ce qui est intéressant, c'est de savoir justement, il n'y a pas...
00:06:36 Il y a un principe qui devrait être le respect de la vie privée et ensuite au cas par cas
00:06:39 sur des points vraiment, vraiment très, comment dire, limités éventuellement la possibilité
00:06:45 de discuter.
00:06:46 Sur les affaires, et Dieu sait si elles sont nombreuses, d'agressions sexuelles ou de harcèlement,
00:06:53 vous insistez sur la notion de bonne foi qui est utilisée maintenant par la Cour de cassation
00:06:58 et qui a néantie, dites-vous, toute possibilité de se défendre quand on est accusé à tort.
00:07:02 Pierre Jocqs.
00:07:03 Voilà, on fait un procès en diffamation et même si on a fait la preuve de son innocence,
00:07:09 donc on a été diffamé, on perd son procès.
00:07:13 Je prends comme exemple celui de Pierre Jocqs en sa ministre socialiste qui est devenu avocat
00:07:18 à la retraite, bénévole par ailleurs pour des enfants, devant le tribunal des mineurs,
00:07:24 enfin dans les juges pour enfants, ou au conseil des prud'hommes pour des salariés sans argent.
00:07:28 Ce type dont le courage ou l'engagement républicain ne fait pas l'ombre d'un doute se retrouve
00:07:33 accusé d'avoir agressé sexuellement la fille de l'ancien ministre Éric Besson durant
00:07:38 un opéra, dans la représentation d'un opéra, un opéra de Wagner.
00:07:42 Et elle affirme que pendant l'entracte il l'aurait agressé.
00:07:46 Il n'y a pas d'entracte pendant Wagner, il n'y en a jamais.
00:07:48 Et donc malgré la vérification des faits, le fait qu'il était évident qu'elle s'est
00:07:51 trompée et d'homme ou de situation, voire d'opéra, voire qu'il n'y a rien eu du tout,
00:07:56 Pierre Jocqs qui se retrouve relaxé de toute poursuite pénale, voit sa vie entièrement
00:08:00 épluchée et quand il choisit d'attaquer en diffamation parce que vraiment sa réputation
00:08:05 est détruite et le monde en profite pour faire un article complet sur le sort de sa femme
00:08:10 qui est très âgée et pratiquement sénile et le fait qu'il tripoterait la femme de
00:08:14 chambre, enfin on est dans un plein délire complet, dans une émiction de la vie privée
00:08:17 pleine de rumeurs et de mensonges.
00:08:19 Et lorsque Pierre Jocqs attaque, il finit par perdre et on lui dit oui elle peut être
00:08:23 de bonne foi, c'est un débat d'intérêt général donc elle peut parler des violences
00:08:26 faites aux femmes, même si elle s'est trompée et que ce n'était pas vous, ça fait partie
00:08:30 du débat public.
00:08:31 Non, ça ne fait pas partie du débat public.
00:08:32 La vindique, la désignation de quelqu'un, la fouille dans son intimité ne fait pas
00:08:37 partie du débat public, ne devrait pas.
00:08:39 Néanmoins Emmanuel Pierrat, est-ce qu'on peut faire l'impasse totale sur la façon
00:08:42 dont ceux qui nous représentent et qui nous gouvernent se comportent en privé ?
00:08:47 Pas complètement, mais encore une fois, la seule question qui est intéressante c'est
00:08:51 celle de l'état de droit, c'est de savoir s'il y a un conflit d'intérêt, s'il y
00:08:54 a de la corruption, s'il y a de l'argent qui n'est pas déclaré fiscalement.
00:08:57 Quand on est…
00:08:58 Mais c'est un mal qui vaut pour toute nos démocraties.
00:09:01 En Espagne, il y a à peine deux ou trois ans, le leader de Podemos, le parti de gauche
00:09:06 entre guillemets, local, Pablo Iglesias, se retrouve dénoncé dans la presse parce qu'il
00:09:12 s'est offert une piscine avec sa femme dans leur maison au banlieue madrilène, en ayant
00:09:16 parfaitement gagné son argent, en justifiant qu'il n'a ni tapé dans la caisse ni qu'il
00:09:20 s'est fait acheter par des intérêts russes, enfin quelque chose de… il s'est acheté
00:09:23 une piscine, c'était le rêve de sa vie, il a sa piscine.
00:09:26 Et ça lui a valu un procès, une cabale ahurissante, comme s'il avait tapé dans la caisse, détroussé
00:09:33 l'intégralité du trésor public espagnol.
00:09:35 Il y a quelque chose de très dérangé dans cette jalousie ou cette façon de regarder
00:09:39 d'un seul coup le plaisir de quelqu'un ou sa propre vie privée.
00:09:43 Dans votre livre, vous prenez le cas de Benjamin Griveaux qui s'était filmé en train de
00:09:47 se masturber pour une femme qu'il croyait être sa petite amie alors qu'il était
00:09:53 candidat à la mairie de Paris.
00:09:55 Il a retiré sa candidature alors que le président de la République en personne lui disait qu'il
00:09:59 pouvait parfaitement la maintenir.
00:10:01 Donc personne ne lui a fait de "procès" si ce n'est celui du ridicule.
00:10:08 Et ce qu'on lui reproche, c'est pas tellement de s'être masturbé en privé, ça arrive
00:10:14 à tout le monde, c'est de s'être ridiculisé, de s'être fait berner et de prêter par
00:10:19 la même occasion à la moquerie et au doute en ce qui concerne…
00:10:22 Non, il n'y a pas que le doute et la moquerie, il y a cette espèce de voyeurisme et de puritanisme
00:10:26 mélangé, il y a cette espèce de moralisme…
00:10:28 C'est plutôt vous vous aspirez à d'autres fonctions et vous vous faites avoir comme
00:10:32 un gamin.
00:10:33 C'est plutôt ça.
00:10:34 Non, non, il y avait véritablement le tribunal des tweets, pardonnez-moi Frédéric Talley,
00:10:37 vous n'êtes pas plus candid que vous êtes.
00:10:39 Évidemment, le tribunal des tweets n'est pas venu pour savoir s'il était un très
00:10:43 bon technicien ou capable de ne pas se faire avoir dans une histoire de vidéo.
00:10:46 Il est, pardonnez-moi, lapidé en place publique au motif qu'il serait adulteré et qu'il
00:10:52 aurait une relation en plus avec une fille qui elle-même vit avec un activiste, artiste
00:10:57 russe, etc.
00:10:58 Il s'est fait avoir.
00:10:59 Tout un ensemble général, oui, peut-être qu'il s'est fait avoir.
00:11:01 Mais ce qui, évidemment, c'est le côté adultère.
00:11:04 Il faut quand même comprendre qu'on est dans un pays dans lequel Michel Rocart a mis
00:11:07 de nombreuses années à annoncer qu'il était le premier homme politique à dire publiquement
00:11:11 qu'il avait divorcé.
00:11:12 On était dans les années 2000.
00:11:13 Oui, ça c'était de notre époque.
00:11:15 Mais ce qui montre que l'attaque par la sexualité…
00:11:18 Pendant très longtemps, on a pardonné les adultères de tous nos hommes.
00:11:20 L'attaque par la sexualité est une très vieille méthode qui continue à porter ses
00:11:24 fruits alors qu'on pourrait penser que le progrès général des mœurs et de l'égalité
00:11:30 considérait que tout cela n'a pas beaucoup d'importance.
00:11:32 Donc, c'est une émiction qui est grave.
00:11:34 Pourquoi ? Parce qu'elle entraîne des dommages collatéraux.
00:11:37 Elle fait démissionner des gens, elle les empêche de se représenter, elle leur prenne
00:11:41 des "casseroles" au fesse, c'est le cas de le dire, ad vitam aeternam.
00:11:45 Donc, il y a quelque chose, pardonnez-moi, d'un petit peu pourri dans cette espèce
00:11:48 de façon de regarder en permanence sous la jupe ou dans le portefeuille de chacun.
00:11:52 Vous ne croyez pas que plus on est célèbre et riche et puissant, plus on est soumis
00:11:55 à la tentation et qu'il faut savoir se retenir ? Ça doit faire partie maintenant
00:11:59 du métier.
00:12:00 Ça ne fait pas partie du métier.
00:12:01 Ça ne fait pas partie du bât moral.
00:12:02 Mais ce que j'entends…
00:12:03 Ça fait partie du métier.
00:12:04 C'est-à-dire qu'on ne peut plus envoyer les tweets n'importe quoi, on ne peut plus…
00:12:07 Sans doute.
00:12:08 Et il ne faut pas oublier effectivement par ailleurs que les hommes et les femmes politiques
00:12:12 ont invité aussi les médias et les réseaux sociaux dans le bal.
00:12:15 Quand Ségolène Royal se plaint aujourd'hui de la presse People alors qu'elle a été
00:12:19 à la maternité sur son lit d'accouchement avec ses enfants et les caméras et les photographes
00:12:24 dans la même pièce, effectivement, elle ne peut que se…
00:12:27 C'est l'arroseur arrosé.
00:12:28 Quand Adrien Quatennens est hué par ses propres pères à l'Assemblée nationale
00:12:34 quand il revient après une affaire pénale pour laquelle il a accepté une sanction qui
00:12:38 est conforme à l'état de droit et aux faits a priori qui ont été exposés, il n'y
00:12:42 a pas de raison de lui interdire le retour.
00:12:44 Et en même temps, il a lui-même alimenté une machine où Sandrine Rousseau est une
00:12:48 égérie de la vérité et de l'innocence.
00:12:50 Donc, il y a quelque chose là, effectivement, de problématique.
00:12:54 Mais ce n'est pas parce qu'il y a des comportements, on va dire, atypiques ou si
00:12:57 singuliers que l'ensemble de la classe politique doit être jeté avec le bébé et l'eau
00:13:02 du bain.
00:13:03 La politique du name and shame qui consiste effectivement à nommer ceux à qui l'on
00:13:08 veut faire honte a été dénoncée par le gouvernement quand elle a été pratiquée
00:13:13 par exemple par François Ruffin, je crois.
00:13:17 Mais ce même gouvernement, lui, n'hésite pas à pratiquer le name and shame quand il
00:13:22 s'agit de dénoncer des entreprises qui ne se comportent pas comme elles le devraient.
00:13:26 Oui, bien sûr, évidemment.
00:13:27 Mais chacun est réversible dans ce secteur ou dans ce milieu.
00:13:31 Mais ça n'est pas un livre, pardon, mon livre "La prison de Versailles, sexe, argent
00:13:34 et politique" n'est pas un plaidoyer pour tel ou tel camp.
00:13:36 C'est une observation sur 30 ans d'avocature du personnel politique lié avec des affaires
00:13:42 de mœurs qui ne devraient pas être des affaires publiques, qui devraient être des affaires
00:13:45 judiciaires, qui devraient regarder éventuellement leurs compagnes, leurs compagnons, leurs enfants,
00:13:49 mais certainement pas l'ensemble de leur circonscription ou des électeurs.
00:13:52 La santé fait partie de la vie privée, mais est-ce qu'elle peut rester privée pour les
00:13:56 chefs d'État ?
00:13:57 Georges Pompidou, François Mitterrand, Jacques Chirac ont occupé les plus hautes fonctions
00:14:01 en ayant des problèmes de santé.
00:14:03 À notre connaissance, ça ne les a pas empêchés de gouverner.
00:14:07 Néanmoins, aurait-il fallu, et aujourd'hui on peut se poser la question, parce qu'aujourd'hui
00:14:12 il y aurait eu beaucoup de moyens de le dénoncer par le biais des réseaux sociaux, ce qui
00:14:17 n'existait pas à ce moment-là, aurait-il fallu le faire ?
00:14:20 Vous parlez de François Mitterrand, il y avait deux choses dans sa vie privée qu'il n'était
00:14:25 pas su et qu'on a su après, qu'il pouvait poser question.
00:14:27 D'un côté, Mazarine Pinjot, donc une enfant adultérine et puis une liaison, on va dire,
00:14:32 assez longue et constante avec une autre femme que son épouse.
00:14:35 Et puis de l'autre côté, la maladie, le cancer qu'il rongeait.
00:14:39 D'un côté, une affaire de vie privée qu'il ne regarde pas, très sincèrement.
00:14:43 Sauf si elle est payée par les données de la République.
00:14:45 Sauf si elle est payée, évidemment par les données de la République.
00:14:46 Mais à un moment, tout ce que fait le président de la République, pardon, est payé par les
00:14:48 données de la République.
00:14:49 Donc qu'il soit en train de dormir, de pisser, de rêver, de manger ou de faire un discours
00:14:53 important pour la nation, il est surveillé, il est protégé, il est pris en charge par
00:14:57 les données publiques.
00:14:58 Donc il faut quand même admettre qu'il est humain et qu'à un moment ou à un autre,
00:15:01 il a le droit de faire autre chose qu'être en permanence à 110% pour la nation ou pour
00:15:04 la République.
00:15:05 Et que par conséquent, ça coûte, quoi qu'il fasse.
00:15:09 Donc l'enjeu, ce n'est pas de savoir s'il y a eu des sommes extraordinaires dépensées
00:15:12 pour cet enfant, pour cette espèce de clandestinité.
00:15:14 Moi, je parlais plus de ce problème de santé.
00:15:16 Évidemment, et voilà.
00:15:17 C'est pour ça que je faisais la distinction, je parlais des deux.
00:15:19 Puisque pour moi, il y a d'un côté la question amoureuse qu'il ne nous regarde pas.
00:15:23 Et puis il y a la question de la santé et de la capacité, en plein discernement, en
00:15:27 pleine lucidité, à appuyer, avoir la faculté d'appuyer sur le bouton nucléaire pour qu'il
00:15:31 caricature un peu le geste.
00:15:32 Et là, effectivement, il y a quelque chose qui posait une difficulté.
00:15:36 Maintenant, est-ce qu'il faut établir une règle générale dans laquelle chaque président
00:15:39 de la République doit obligatoirement délivrer un bulletin sur tout et n'importe quoi en
00:15:42 permanence, dès qu'il a un début de rhume ? Je n'en suis pas vraiment convaincu.
00:15:46 On a vu Emmanuel Macron, quand il avait la Covid, se montrer sur les réseaux sociaux
00:15:53 ou sur TikTok ou sur Zoom, je ne sais plus, comme si d'ailleurs personne ne le touchait
00:15:57 vraiment ou ne l'approchait.
00:15:58 C'était assez incrédible.
00:16:00 Pardon, mais c'était presque gênant, vous voyez, de donner l'impression qu'on prenait
00:16:05 la fièvre du président de la République comme si c'était la nôtre.
00:16:09 Moi, j'ai trouvé qu'il y avait un mélange de voyeurisme qui dépassait ce qu'on pouvait
00:16:14 demander raisonnablement sur l'état de santé du chef de l'État.
00:16:18 Vous considérez qu'il y a un nouvel ordre moral qui s'est mis en place ? L'alcool,
00:16:22 le tabac, la drogue, l'abus de viande rouge, le sexe hors du cadre conjugal, l'argent,
00:16:28 les montres de luxe, les voitures de sport, toutes les communautés.
00:16:30 J'étais un petit élu municipal à Paris, dans le 6e arrondissement, cher Frédéric
00:16:34 Taddy.
00:16:35 Quand je me suis présenté pour être réélu, j'ai été battu, mais mon directeur de campagne,
00:16:39 qui était un ancien des Verts et un ancien Énarc, m'a dit "à vous, tout est péché,
00:16:43 dis-moi si tu as une voiture".
00:16:44 Je l'ai regardé avec un air ahuri.
00:16:46 Je lui ai dit "oui, j'ai une voiture, j'ai une petite voiture et j'ai deux enfants, donc
00:16:50 est-ce que c'est très grave ?" Il me dit "bon, ça sera excusable ou explicable".
00:16:53 Mais j'ai vu le moment et puis quand j'ai dit que je mangeais une mangue et que j'achetais
00:16:56 des mangues, il m'a regardé, mon bilan carbone me plaidait pour ma crucifixion immédiatement
00:17:00 en place publique.
00:17:01 Donc voilà, c'était ahurissant.
00:17:02 Et je me suis quand même présenté, j'ai été battu pour d'autres raisons sans doute
00:17:05 que ça.
00:17:06 Mais ça montrait donc que c'était un enjeu de post-bédévole, d'un élu qui se dévoue
00:17:12 pour le sens du collectif, entre guillemets, comme les autres élus l'ont fait dans la
00:17:17 même situation et dans d'autres parties.
00:17:18 Donc il y a quelque chose de glaçant.
00:17:20 Un de mes amis avec qui j'ai beaucoup travaillé, qui a été avocat, est devenu sénateur il
00:17:25 y a maintenant deux ans et chaque jour qu'il déjeune, son agenda étant public, il dit
00:17:30 qu'il reçoit une énonciation d'anticorps qui lui demande de justifier avec qui il déjeune
00:17:35 et pourquoi.
00:17:36 Quand bien même c'est sur son argent privé, c'est-à-dire pas au restaurant du Sénat,
00:17:40 pas etc.
00:17:41 Et il dit "ma vie est devenue un enfer, je dois passer une heure et demie à remplir
00:17:45 des fiches pour expliquer avec qui je déjeune".
00:17:47 C'est pour voir s'il déjeune pas avec des lobbys.
00:17:49 On a parlé des lobbys hier.
00:17:51 Il dit que ça ne devrait pas être ça le principe.
00:17:53 Ça ne devrait pas être d'avoir à justifier chaque matin et d'avoir une dénonciation
00:17:56 de principe qui tombe sur le dos et qui fait perdre deux heures du travail d'un élu.
00:18:00 Il y a quelque chose de problématique.
00:18:01 Qu'est-ce que vous prenez exactement ? Parce que tout ça c'est humain aussi.
00:18:04 Le retour à l'état de droit, pardon.
00:18:06 La ligne de crête pour moi elle est très simple.
00:18:10 Nous sommes dans l'état de droit, le reste c'est de la morale, c'est de la confusion.
00:18:14 Mais à partir du moment où la presse imite les réseaux sociaux et ensuite le politique
00:18:18 enchaîne en imitant ce que la presse lui demande, nous sommes à partir d'une machine
00:18:21 infernale qui ne va pas ramener la démocratie au centre du village.
00:18:25 Mais tout ce mouvement général, je l'ai déjà analysé dans d'autres livres si je
00:18:30 puis me permettre, du wokisme, de la "candicelle culture", cette espèce de délire de transparence,
00:18:37 pose un souci.
00:18:38 Qu'on ait un intérêt légitime à regarder un certain nombre de choses qu'on ne regardait
00:18:42 pas auparavant, nous ne sommes plus avec le fait du prince et sous l'ancien régime heureusement.
00:18:45 De là à passer systématiquement au scanner tout ce que fait un candidat rend dissuade
00:18:52 des gens de rentrer en politique.
00:18:53 Moi ce qui m'a beaucoup frappé c'est que l'année dernière on disait quand Elisabeth
00:18:56 Borne a formé son premier gouvernement qu'elle n'avait pas de poids lourd, qu'elle n'avait
00:18:59 pas de gens avec une grande expérience, que beaucoup de politiques avaient refusé d'entrer
00:19:02 dans l'arène.
00:19:03 Et quand on leur demandait pourquoi de façon privée, ils disaient parce que je n'ai pas
00:19:06 envie que ma femme, mes enfants soient épluchés et regardés dans leur moindre comportement.
00:19:11 Le fait que mon fils puisse conduire un scooter et avoir un PV devient un problème politique
00:19:16 que je dois gérer comme s'il était en charge d'un sous-marin nucléaire.
00:19:22 Et beaucoup ont dit que ça ne leur valait pas la peine, que le jeu était trop compliqué,
00:19:27 trop difficile.
00:19:28 Et donc on s'interroge ensuite pour savoir si entre l'interdiction du cumul des mandats
00:19:32 et cela pourquoi on a une classe politique qui n'est pas toujours à la hauteur.
00:19:34 La réponse elle fait partie entre autres de ce dont je débat dans ce livre.
00:19:37 On fait une pause et on va s'intéresser ensuite au cabinet de conseil qui pose eux aussi un
00:19:46 problème démocratique d'après certains.
00:19:48 On va voir ça juste après.
00:19:50 On se souvient du scandale McKinsey, des millions d'euros versés par l'État au célèbre
00:20:00 cabinet international pour des travaux de conseil qui auraient pu très bien être exécutés
00:20:04 par l'administration française elle-même.
00:20:06 Simon Voilet, vous êtes chercheur au laboratoire d'anthropologie politique de l'EHESS, rédacteur
00:20:12 en chef ID du média en ligne Le Vent Se Lève et vous faites partie des auteurs de Consultocratie,
00:20:18 Les Nouveaux Mandarins, un livre qui revient sur cette affaire et qui voit d'un très
00:20:22 mauvais œil l'invasion du secteur public par les consultants privés.
00:20:26 Victor Mamou, vous avez été consultant, je dis vous, parce que vous êtes en duplex
00:20:32 avec nous.
00:20:33 Est-ce que vous êtes bien là Victor ?
00:20:34 Oui, je vous entends.
00:20:35 Vous avez été l'un des consultants du Boston Consulting Group, l'un des trois plus importants
00:20:43 cabinets de conseil en stratégie qui compte plus de 100 bureaux dans 50 pays et maintenant
00:20:47 vous formez les futurs consultants.
00:20:49 Vous êtes d'ailleurs l'auteur de Réussir les entretiens dans les cabinets de conseil.
00:20:53 Alors Simon Voilet, vous considérez dans Consultocratie qu'au-delà des sommes astronomiques qui sont
00:20:58 en jeu, l'affaire McKinsey a renvoyé l'image d'une administration française dépossédée
00:21:04 de ses prérogatives mais aussi considérée en fait comme incapable.
00:21:07 Il y a eu une audition pour vous répondre effectivement qui a été marquante.
00:21:12 L'audition devant le Sénat.
00:21:13 Devant le Sénat, tout à fait, la commission d'enquête.
00:21:14 C'était celle de Claire Landais qui était secrétaire général du gouvernement à cette
00:21:17 époque-là et qui disait qu'il n'y a pas de tour de contrôle en fait de la quantité
00:21:20 de consultants etc.
00:21:21 Donc il manquait une vision synoptique à l'État pour le contrôle.
00:21:24 Les sénateurs ont insisté là-dessus également et le dernier rapport de l'Inspection Générale
00:21:28 des Finances mentionne également le manque d'une vision d'ensemble pour réinternaliser
00:21:33 justement les compétences de l'État.
00:21:35 Donc on a un problème de vision stratégique dans le recours et également dans la réinternalisation.
00:21:40 Et Victor Mamou, pour vous, est-ce que c'est un défaut de l'État ? Est-ce que c'est
00:21:45 parce que l'État ou l'administration se révèle incapable de faire un certain type
00:21:51 de travail qu'on a recours au cabinet de conseil ?
00:21:54 Alors je pense que avant de parler du cas précis du conseil dans le secteur public,
00:21:59 il faut replacer quand même le contexte dans un environnement un petit peu plus large.
00:22:03 C'est-à-dire que les consultants sont censés contribuer à résoudre les problèmes de
00:22:07 leurs clients.
00:22:08 Maintenant, contrairement à ce qu'on peut lire dans pas mal d'articles et notamment
00:22:11 dans le livre de Monsieur, en fait le processus d'un projet de conseil c'est une co-construction.
00:22:18 C'est-à-dire que ça nécessite du travail du côté du consultant mais aussi du côté
00:22:22 de son client.
00:22:23 Donc c'est vrai que quand on critique le conseil, parfois la critique s'adresse
00:22:27 au client finalement et là pour le coup ce sera un sujet je pense qui sera intéressant
00:22:31 de discuter.
00:22:32 Alors justement, votre réponse…
00:22:34 Oui, effectivement.
00:22:35 Quand un cabinet de conseil intervient, le client est censé travailler lui aussi.
00:22:40 Alors tout à fait et d'ailleurs le collectif Nos Services Publics pointe aussi une part
00:22:44 de responsabilité de nos élites politiques.
00:22:46 Nous dans le livre on documente par exemple la prolifération d'une idéologie désormais
00:22:49 bien connue qui est le New Public Management dont moi j'ai retracé particulièrement
00:22:53 l'histoire à partir du best-seller qui s'appelle "Reinventing Government" et
00:22:57 qui a marqué l'administration Clinton.
00:22:59 Et les deux rédacteurs de ce best-seller américain ont infusé auprès de l'OCDE
00:23:02 et d'institutions internationales des normes qui sont devenues un éthos comportemental
00:23:06 de la haute fonction publique internationale et pas seulement pour ni la France ni les
00:23:09 Etats-Unis.
00:23:10 Vous voulez dire que ça montre aussi la prise du pouvoir des consultants privés dans les
00:23:13 administrations publiques, pas seulement en France ?
00:23:16 Tout à fait.
00:23:17 Alors la France effectivement est d'ailleurs en termes de dépense pas forcément la première
00:23:20 en Europe mais ce qui est particulier, ce que pointent les sociologues, c'est qu'il
00:23:22 y a déjà beaucoup de membres en fait dans les cabinets ministériels de conseil politique,
00:23:26 conseil technique et donc rajouter des consultants là-dessus, ça crée véritablement ce que
00:23:30 certains appellent un règne des entourages.
00:23:32 Je me réfère à un ouvrage de 2015 paru au Presse Universitaire de Sciences Po et qui
00:23:37 traite du phénomène.
00:23:38 Victor Mamou, il y a prise du pouvoir ? Vous avez l'impression d'avoir pris le pouvoir
00:23:42 vous les consultants ?
00:23:43 Bon, je pense qu'il y a un petit problème de vocabulaire parce que le consultant n'est
00:23:47 jamais censé prendre une décision à la place de son client, un peu comme si vous
00:23:52 voulez un médecin ne va pas forcer son patient à prendre sa prescription.
00:23:55 Donc c'est vrai qu'il y a un usage de vocabulaire que je trouve des fois un peu déplacé, notamment
00:24:00 le terme de tentaculaire.
00:24:03 Alors je sais que dans certaines commissions d'enquête etc. c'est un des termes utilisés
00:24:07 mais en fait le consultant si vous voulez il est force de proposition.
00:24:10 Après, libre au client d'appliquer ou de ne pas appliquer.
00:24:14 D'ailleurs je note que dans le bouquin à certains endroits, et c'est une critique
00:24:19 qu'on entend depuis des années, on se plaint du manque d'efficacité de certains projets
00:24:24 de conseil en prenant pour preuve le fait que le projet n'a pas donné lieu à des
00:24:29 résultats.
00:24:30 Sauf que quand vous êtes consultant, vous ne contrôlez pas ce que le client va décider
00:24:36 et donc oui il arrive qu'un projet de conseil finisse par juste un rapport mais c'est
00:24:41 la décision du client.
00:24:42 On fait une pause, on va laisser Isabelle Pouyboulod faire le rappel des titres et on
00:24:48 y revient juste après.
00:24:50 Les cabinets de conseil mettent-ils en péril la démocratie ? A suivre.
00:24:54 Alerte au centre dentaire des Hospices Civils de Lyon.
00:25:01 5000 patients sont appelés à se faire dépister du VIH et des hépatites B et C.
00:25:06 Un courrier leur a été envoyé suite à la découverte de négligence entre le mois
00:25:11 de mai dernier et décembre 2022.
00:25:13 Des manquements dans les procédures de stérilisation de certains instruments dentaires.
00:25:18 L'hôpital évoque des dépistages nécessaires par principe de précaution.
00:25:22 Garde à vue prolongée jusqu'à demain pour le suspect du triple homicide de Dreux.
00:25:27 L'homme de 46 ans soupçonné d'avoir tué son ex-femme et leurs deux enfants, ni toute
00:25:33 implication.
00:25:34 Il avait été interpellé hier dans les Yvelines avant d'être transféré au commissariat
00:25:38 d'Orléans.
00:25:39 Il y est entendu par les enquêteurs de la police judiciaire sur des faits d'homicide
00:25:43 volontaire aggravés.
00:25:45 L'Ukraine affirme avoir contré une importante attaque de drones russes.
00:25:50 58 engins sur 59 ont été abattus.
00:25:53 Des drones explosifs avaient été envoyés sur Kiev dans la nuit.
00:25:57 Au moins deux morts et trois blessés sont à déplorer.
00:26:00 De son côté, pour la Russie, les Occidentaux jouent avec le feu après l'autorisation des
00:26:05 États-Unis pour des livraisons futures d'avions de combat F-16 à l'Ukraine.
00:26:11 Dans Consultocratie, dont vous êtes l'un des auteurs, Simon Voilet, vous vous rappelez
00:26:20 le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur l'affaire McKinsey qui montrait
00:26:25 que 950 664 euros avaient été facturés par McKinsey auprès de la Caisse Nationale d'Assurance
00:26:33 de vieillesse pour la réforme des retraites.
00:26:35 Et vous dites que la seule trace à ce jour, c'est un document PowerPoint de 50 pages.
00:26:41 Ça fait cher les 50 pages.
00:26:44 957 664 euros.
00:26:46 Il y avait 235 620 euros empochés par un sous-traitant de McKinsey pour un guide sur le télétravail
00:26:53 dans la fonction publique.
00:26:54 Il y avait 496 000 euros destinés à couvrir les frais de l'organisation d'un colloque
00:27:00 qui n'a jamais eu lieu.
00:27:01 C'est peut-être à cela que faisait allusion Victor Mamou sur l'avenir du métier d'enseignant.
00:27:06 C'est vrai qu'il avait tendance à dire que c'était la faute de l'État, pas du
00:27:10 cabinet de conseil.
00:27:11 On peut tout de même en discuter.
00:27:12 Parce qu'en réalité, le problème que certains sociologues qui ont été auditionnés dans
00:27:17 la commission d'enquête du Sénat, comme Frédéric Pierru, pointent du doigt, c'est
00:27:20 ce qu'on appelle aussi le serpent qui se mord deux fois la queue.
00:27:23 C'est-à-dire que souvent, c'est ce que montre le rapport du Sénat, ces cabinets de conseil,
00:27:27 souvent dans les élections présidentielles, vont produire un certain nombre de rapports
00:27:29 avec des personnalités publiques, du monde économique et autres importantes qui vont
00:27:32 dire qu'il faut que l'État soit plus agile, plus efficace, plus compétitif.
00:27:36 Et notamment, les politiques majeures qu'elles prônent, c'est la numérisation à tout
00:27:39 craint pour gagner en effectif notamment.
00:27:41 Ce qu'on voit, c'est que quand on réduit la voilure de la masse salariale de l'État
00:27:46 et des compétences internes de l'administration, c'est là qu'on accroît aussi les angoisses
00:27:51 en termes d'organisation qui sollicitent le recours de la part des hauts fonctionnaires
00:27:55 et des responsables politiques à ces cabinets.
00:27:57 Donc on a une logique d'auto-alimentation, donc on ne peut pas exactement dire qu'ils
00:28:00 ne sont pas jugés partis, parce qu'il y a quand même cette logique qui a été pointée
00:28:03 par les sénateurs.
00:28:04 Victor Mamou, les chiffres que je viens de donner vous paraissent normaux, ça valait
00:28:11 ça à vos yeux d'ancien consultant ?
00:28:13 Alors si je peux me permettre, je pense que c'est toujours assez périlleux de pointer
00:28:19 des chiffres et de les mettre face à des livrables.
00:28:22 Je vais vous donner juste deux exemples très simples.
00:28:24 Quand vous mettez par exemple en face d'un médecin qui a fait 7 ans d'études et que
00:28:29 vous regardez son livrable, qui est souvent de rédiger une ordonnance illisible d'ailleurs,
00:28:33 de quelques lignes, vous pourriez vous poser la même question et vous dire "ah bah tiens,
00:28:37 7 ans d'études pour pondre deux lignes illisibles, je ne vois pas tellement l'intérêt".
00:28:41 De même, dans une émission de télé comme la vôtre, si on regarde juste le livrable,
00:28:45 on pourrait se dire "bah c'est facile, les journalistes gagnent bien leur vie pour quelques
00:28:49 minutes d'émission".
00:28:50 Ce qu'on ne voit pas, c'est tout le processus qu'il y a derrière qui conduit à la formation
00:28:55 de ce livrable.
00:28:56 C'est sûr que prendre le chiffre comme ça, ça peut paraître choquant, mais quand vous
00:29:00 faites un rapport comme j'ai lu de 50 pages, c'est d'ailleurs très rigolo parce qu'une
00:29:05 des critiques très fréquentes du conseil, c'est de dire en gros "vous êtes des grappes
00:29:08 papiers, vous êtes payés à faire des slides etc."
00:29:11 Et donc quand les cabinets produisent des documents volumineux, on commence à dire
00:29:16 qu'on est payé au chiffre.
00:29:18 Et puis quand les documents sont courts, on dit "voilà, vous êtes vraiment payé très
00:29:22 cher pour une slide".
00:29:23 Je pense que la question n'est pas vraiment là.
00:29:25 En fait, la question fondamentalement, c'est pourquoi un client fait appel à du conseil,
00:29:30 que ce soit dans le public, ou que ce soit dans le privé, ou même que ce soit dans
00:29:34 les ONG.
00:29:35 Parce qu'il faut bien comprendre que même le secteur des ONG est complètement impacté
00:29:41 par les prestations de conseil.
00:29:42 Quand vous avez par exemple un appel d'offres de l'ONU, vous avez des ONG et des cabinets
00:29:46 de conseil qui répondent très souvent ensemble.
00:29:48 La question à se poser, c'est pourquoi un client travaille avec un cabinet de conseil.
00:29:53 Et en fait, un point intéressant dans cette prestation de service externe, c'est que
00:29:57 le client n'est jamais lié à son cabinet.
00:30:00 Alors vous allez me trouver un exemple où un client est en situation de dépendance,
00:30:05 ça peut arriver.
00:30:06 Mais fondamentalement, quand le client n'est pas satisfait d'un cabinet de conseil, la
00:30:09 mission s'arrête et plus généralement la relation s'arrête.
00:30:12 Aujourd'hui, dans les grands cabinets comme ceux dont on parle aujourd'hui, vous avez
00:30:16 à peu près les trois quarts des missions qui sont des missions récurrentes.
00:30:19 Ce qui signifie que, autant dans le privé que dans le public, les clients décident
00:30:24 de poursuivre la relation.
00:30:25 Et moi, je pense que c'est insulter l'intelligence d'un client que de généraliser en disant
00:30:31 en gros que le conseil ne sert à rien à part d'y lapider de l'argent public ou privé.
00:30:36 Je pense que si c'était le cas, les grandes entreprises ne s'amuseraient pas à jeter
00:30:40 leur argent par les fenêtres et même les ministères non plus.
00:30:43 Alors c'est vrai, ce que vous prenez pour nos dirigeants pour des imbéciles dans votre
00:30:50 livre Consultocratie, vous dites que ça abîme la confiance des citoyens dans ces institutions.
00:30:56 Tout à fait.
00:30:57 Mais alors pour répondre sur le dernier point, les entreprises, ça arrive, c'est ce que
00:31:00 montre la sociologue Isabelle Berébi Hoffman par exemple.
00:31:02 Dans les années 2000, à la suite du scandale Enron où on avait vu les cabinets de conseil
00:31:06 déjà, notamment les séparations d'activités d'audit et de conseil, ils avaient été mis
00:31:12 sur le devant de la scène à ce moment-là et Astrid Andersen avait fait les frais de
00:31:15 cette affaire.
00:31:16 Ce qu'on a vu, c'est que beaucoup d'entreprises importantes du S&P 500 américain et autres
00:31:21 ont fait purement et simplement le ménage et ont viré énormément de ces cabinets.
00:31:25 Alors parfois, c'est ce que montre la sociologue, on a exactement la même chose au sein de
00:31:28 l'État avec le manque de visibilité, on a des multicouches parce que non seulement
00:31:32 avec un prestataire, on peut avoir ensuite des prestataires en cascade, de l'externalisation
00:31:37 en cascade en réalité jusqu'à un freelance qui va faire le programme numérique pour
00:31:40 tel ou tel ministère, etc.
00:31:42 Et en fait, il va y avoir un problème de gestion déjà à l'intérieur du cabinet
00:31:46 de conseil parce que le commanditaire à l'intérieur du cabinet ne va pas forcément savoir exactement
00:31:50 ce que le freelance va faire parce que ça peut être très technique, il n'a peut-être
00:31:53 pas les compétences ou bien parce que c'est technique, pas seulement parce que c'est compliqué
00:31:56 à comprendre mais parce que c'est vraiment spécifique à une tâche que seule la personne
00:32:00 qui réalise peut comprendre.
00:32:01 Et donc, la sociologue Isabelle Berry-Binhofman montre qu'en fait, on va avoir des problèmes
00:32:05 d'asymétrie d'informations entre le commanditaire par exemple public ou l'entreprise à l'intérieur
00:32:10 du cabinet de conseil avec aussi les chaînes d'externalisation en cascade jusqu'au freelance.
00:32:15 Et donc, tout ça, ça pose un problème de dissolution de la responsabilité des acteurs
00:32:19 et qui peut être extrêmement dangereux et grave.
00:32:21 Dans d'autres secteurs, j'aimerais quand même pointer que The Nation avait fait une
00:32:26 super enquête également aux États-Unis il y a quelques années sur l'immense marché
00:32:30 du consulting privé dans le cadre de la sécurité et du renseignement.
00:32:34 On sait qu'un certain nombre d'acteurs de la torture dans les prisons d'Abu Ghraib
00:32:38 en fait ont été formés par des grands cabinets de consulting privé, de formation privée
00:32:43 et que pareil, Edward Snowden que j'admire en tant que lanceur d'alerte, par ailleurs,
00:32:47 c'était un consultant du cabinet Booz Allen.
00:32:49 Donc, ça montre que dans certains États, des dérives aussi graves que le fait qu'un
00:32:55 consultant puisse faire filtrer, là en l'occurrence c'était positif mais imaginons une autre
00:32:59 situation, des secrets d'État aussi gravissimes que les systèmes d'infrastructures de renseignement
00:33:04 de la raison d'État, c'est quand même majeur et les sénateurs n'ont pas manqué
00:33:07 de pointer ces risques pour la raison d'État du doigt.
00:33:10 Victor Mamou, grosso modo dans Consultocratie, les cabinets de conseil et les consultants
00:33:18 par la même occasion sont plus ou moins accusés de faire des bullshit jobs et à la limite
00:33:23 le scandale Enron auquel faisait allusion Simon Voilet ou qui a coûté très très
00:33:29 cher au cabinet international Arthur Andersen, à l'époque qui était extrêmement puissant,
00:33:33 c'est que justement il n'avait strictement rien vu de ce qui allait causer la faillite
00:33:40 d'Enron.
00:33:41 Qu'est-ce que vous répondez à ça ? C'est des bullshit jobs ou pas ?
00:33:43 Alors, excusez-moi, il y a beaucoup de choses à dire.
00:33:47 Déjà, quand Simon parle du scandale Enron et explique que beaucoup d'entreprises américaines
00:33:53 ont fait le ménage, je voudrais préciser que ça n'a rien d'extraordinaire.
00:33:56 Comme je le disais avant, quand on a une relation avec un cabinet de conseil, on n'est lié
00:34:00 par rien du tout.
00:34:01 Si on n'est pas satisfait, on arrête le contrat et donc on n'est pas du tout tenu
00:34:05 de continuer à travailler avec un cabinet.
00:34:07 Ce que je veux faire observer, c'est que malgré le scandale Enron, le taux de croissance
00:34:11 du secteur conseil est généralement soit à deux chiffres, soit pas loin.
00:34:15 On est à quasiment un trillion de dollars.
00:34:18 Pour ceux qui ne connaissent pas, c'est 1 000 milliards de dollars.
00:34:23 Et encore, c'est pour le Global Management Consulting, donc c'est une partie du conseil.
00:34:28 Tout ça pour dire que oui, il y a eu du ménage, mais ces mêmes acteurs ont immédiatement
00:34:33 reconsommé des prestations de conseil parce qu'aujourd'hui, il est impossible, que
00:34:38 ce soit dans le public, dans le privé, dans les ONG, d'avancer tout seul.
00:34:42 Et si vous voulez, il faut bien comprendre que le conseil, quand vous citiez des problématiques
00:34:47 de sécurité d'État, etc., c'est une activité qui intervient dans tous les domaines d'activité.
00:34:53 Donc, vous allez en trouver, oui, dans la sécurité.
00:34:56 Mais ceux qui vont dénoncer les excès, par exemple, d'une mission de conseil dans la
00:35:00 sécurité, vont généralement aussi travailler avec des cabinets de conseil.
00:35:03 Donc, on peut très bien pointer du doigt des scandales, il y en a tous les jours.
00:35:07 Moi, j'ai fait le calcul qu'un cabinet comme McKinsey gère à peu près, rien qu'en France,
00:35:12 entre 300 et 500 projets par an.
00:35:14 Donc, si vous voulez, la loi des grands nombres nous indique qu'à un moment donné, vous
00:35:18 allez avoir des dysfonctionnements, des projets qui vont rater.
00:35:21 Les consultants ne sont pas des robots.
00:35:23 Et ça arrive, comme dans tout métier.
00:35:25 Il y a des journalistes qui disent n'importe quoi, il y a des hommes politiques qui disent
00:35:28 n'importe quoi, il y a des auteurs qui disent n'importe quoi.
00:35:30 Je crois que l'auteur du livre est docteur, moi aussi.
00:35:33 Il y a des chercheurs qui font n'importe quoi.
00:35:35 Mais je pense que la méthode qui consiste à prendre un scandale parce qu'il est visible
00:35:40 pour généraliser une idée sur tout un secteur n'est pas validée scientifiquement.
00:35:45 Et moi, c'est ça que je regrette.
00:35:47 C'est que beaucoup de critiques sur le Conseil, en fait, sont des critiques de modalité pour
00:35:53 gérer un projet de Conseil.
00:35:54 Et ça, on est d'accord.
00:35:55 Un projet de Conseil peut rater, peut avoir des excès, peut avoir des fuites d'informations.
00:35:59 Mais moi, ce qui me désole, c'est qu'on est face à un métier qui est très peu connu.
00:36:05 Et en fait, si la seule manière de connaître ce métier, c'est de lire ce type de livre,
00:36:09 on a très vite tendance à déconsidérer tout un métier.
00:36:12 Moi, j'ai fait une recherche avant de me connecter à votre émission.
00:36:15 En France, on a à peu près 800 000 personnes sur leur profil LinkedIn qui déclarent être
00:36:21 ou avoir été consultant.
00:36:23 Le Conseil, c'est le premier employeur de jeunes diplômés en France.
00:36:26 Donc, si vous voulez critiquer d'un revers de la main tout un métier, je trouve ça
00:36:31 profondément malhonnête intellectuellement.
00:36:33 Et je tiens à le dire parce que si vous aviez fait un livre à charge sur les coiffeurs
00:36:37 ou sur n'importe quel autre métier, je penserais la même chose.
00:36:41 Maintenant, je ne dis pas que le Conseil n'est pas critiquable, mais je pense qu'il
00:36:45 ne faut pas généraliser cette critique.
00:36:46 Et d'ailleurs, quand vous faites une analyse historique, moi, je m'interroge.
00:36:50 Vous commencez au XVIIIe siècle.
00:36:51 Mais tu aurais quand même…
00:36:52 Au XVIIe siècle déjà, et c'est le collectif de nos services publics.
00:36:56 Donc déjà, il faut lire le livre avant d'en parler, s'il vous plaît.
00:36:58 Alors, excusez-moi, mais si je devais lire tous les livres sur le Conseil, je passerais
00:37:03 ma vie là-dessus.
00:37:04 Mais vous, avant d'écrire un livre sur le Conseil, ce serait bien que dans votre
00:37:06 vie, vous ayez fait une heure de conseil.
00:37:08 Oui, il s'avère qu'en fait, dans ma famille, des gens travaillent dans le Conseil.
00:37:10 Donc, tous les jours, j'en parle.
00:37:11 Donc, si vous voulez, avant de faire des attaques et dominèmes, Monsieur, il faudrait
00:37:14 plutôt…
00:37:15 Vous me permettez de terminer ma phrase.
00:37:16 Votre livre ne parle pas du Conseil, seulement à la marge.
00:37:19 Et quand il en parle, il témoigne d'une méconnaissance totale du Conseil.
00:37:22 Je vais vous citer.
00:37:23 Oui, d'après.
00:37:24 Je peux me permettre de vous citer dans les mots.
00:37:26 Évoquant les sommes astronomiques empauchées par ces cabinets pour remplir des missions
00:37:29 que ces entreprises appellent livrables.
00:37:31 Cette phrase est un non-sens.
00:37:33 Si vous voulez, un étudiant en bachelor, vous êtes docteur, mais un étudiant en bachelor
00:37:37 de management fait la différence entre un projet de conseil et un livrable de conseil.
00:37:42 Là, vous mélangez tout en fait.
00:37:43 Donc, moi, je veux bien vous parler du Conseil, mais renseignez-vous avant.
00:37:46 Non, mais franchement, là, c'est quand même un peu lamentable.
00:37:50 Vous pouvez faire le procès à l'intégralité des journalistes qui s'intéressent au
00:37:52 sujet.
00:37:53 Ce n'est pas parce qu'on s'attaque à une activité qui est rémunératrice pour
00:37:55 vous que vous ne pouvez pas accepter aussi la critique de la démocratie.
00:37:58 Je suis désolé.
00:37:59 Écoutez deux minutes.
00:38:00 Je vous ai laissé parler.
00:38:01 Écoutez deux minutes.
00:38:02 Nous avons une perspective historique sur les cabinets de conseil aussi.
00:38:06 Vous ne parlez pas tous les deux en même temps.
00:38:08 Je vous redonnerai la parole, Victor Mamoud.
00:38:10 Nous avons une perspective historique aussi sur les cabinets de conseil.
00:38:12 Et effectivement, nous faisons partir, en reprenant la note excellente du collectif
00:38:16 de nos services publics, sur le principe.
00:38:18 Et ce n'est d'ailleurs pas les cabinets de conseil, comme disait Monsieur, c'est
00:38:20 l'externalisation de façon générale.
00:38:22 Le recours y compris, par exemple, à des ingénieurs, à des techniciens, etc.
00:38:25 Qui est extrêmement ancien dans l'État.
00:38:27 D'ailleurs, il y avait une fonction extrêmement noble jusqu'au XIXe siècle qui était ce
00:38:29 qu'on appelait l'ingénieur conseil et qui était justement liée à des projets ponctuels
00:38:34 et dans une logique opérationnelle.
00:38:35 Le politique décide, on a besoin de prestataires externes pour fabriquer, faire et pas pour
00:38:40 élaborer.
00:38:41 Et la nouveauté dans la société dans laquelle nous sommes, c'est la collusion dans l'élaboration
00:38:45 même des politiques publiques.
00:38:46 C'est lié notamment les audits de COPPE, la RGPP sous Révision générale des politiques
00:38:50 publiques sous Nicolas Sarkozy, sous Hollande la modernisation de l'action publique,
00:38:54 Cap 22, Action publique 2022 sous Macron et une explosion de la dépense de conseil sous
00:38:59 ces trois mandats successifs avec Emmanuel Macron qui fait vraiment culminer selon l'IGF
00:39:03 une fois encore les dépenses.
00:39:04 D'ailleurs l'IGF se montre assez critique parce que le gouvernement a affiché effectivement
00:39:09 des objectifs de baisse, ce qui est tout à fait un changement d'ambiance salutaire,
00:39:13 mais ces objectifs de baisse qui auraient été dépassés, ils avaient dit 15%, on ne
00:39:16 passerait à 35% finalement sur les dépenses de prestations intellectuelles exclusivement.
00:39:20 Mais en fait, on constate que l'IGF ne se satisfait pas d'une telle baisse parce qu'elle
00:39:25 est selon les rapporteurs conjoncturels lié à plusieurs facteurs, notamment les échéances
00:39:31 électorales qui ont fossilisé, on pourrait dire les demandes des ministères en fait
00:39:35 du fait de l'actualité politique et puis le fait que le contrat cadre de la direction
00:39:40 interministérielle de la transformation publique, la DITP qui gère l'appel d'offres
00:39:45 général à partir duquel on va redistribuer les prestations à différents ministères,
00:39:49 prenait fin et n'a été renouvelé qu'en janvier 2023.
00:39:51 Donc ça veut dire que les efforts du gouvernement sont même un peu attaqués par l'Inspection
00:39:57 Générale des Finances.
00:39:58 Donc ça veut dire qu'on a aussi, il faut remettre ça en perspective, un effondrement
00:40:02 de la capacité en interne de l'État de pouvoir faire valoir des compétences, alors
00:40:06 même qu'on a une explosion frontalement de la dépense en consulting.
00:40:12 Alors je donne juste un chiffre qui est celui du collectif de services publics une fois
00:40:15 de plus, on a 140 milliards d'euros par an en général d'externalisation.
00:40:19 Alors tout compris, ce n'est pas que le Conseil, c'est l'externalisation générale,
00:40:23 mais on a 140 milliards par an, nous dit le collectif de services publics.
00:40:27 L'Inspection Générale des Finances nous donne pour 2021 2,5 milliards d'euros de
00:40:32 prestations de Conseil, avec évidemment tous les scandales autour de McKinsey et de la
00:40:38 gestion du Covid par exemple, des politiques vaccinales etc.
00:40:40 Mais surtout ce qui moi me semble important, c'est qu'on a eu une perte entre 2006 et
00:40:45 2018 de 180 000 agents de la fonction publique d'État.
00:40:49 À quoi s'ajoutent 200 000 postes qui ont été transférés des administrations centrales
00:40:56 dans les administrations territoriales et déconcentrées.
00:40:58 Donc ça veut dire qu'à moyen constant, on demande aux fonctionnaires de faire toujours
00:41:01 plus et on s'étonne qu'il y ait une explosion des prestations de Conseil quand ces derniers
00:41:05 ont demandé une baisse de la masse salariale de la fonction publique.
00:41:09 Alors Victor Mamou et puis après je donnerai la parole à Emmanuel Piera qui a l'air
00:41:13 de avoir envie de s'en mêler.
00:41:16 Victor.
00:41:17 Oui, moi je voudrais juste dire que dans votre livre, ce qui m'a marqué, c'est
00:41:21 la confusion entre causalité et… Vous considérez en fait que le Conseil est à la base de tous
00:41:29 les problèmes de gestion de l'État.
00:41:30 Là vous venez d'en parler d'ailleurs le Covid.
00:41:32 Très bien, moi je pense que vous pointez des problèmes réels sur la gestion de l'État
00:41:37 mais en fait, vu que c'est un livre à charge, ce que vous avez fait intellectuellement,
00:41:41 c'est dès que vous avez un consultant dans le coin, vous mettez la charge de la
00:41:46 responsabilité sur ses épaules.
00:41:47 Je trouve que c'est un raccourci un petit peu facile, c'est tout ce que je dis.
00:41:50 Par contre, si je peux terminer sur ce que j'avais commencé sur votre appel historique
00:41:53 qui commence au XVIIIe siècle, ou vous avez dit au XVIIe siècle, je voudrais quand même
00:41:57 vous faire remarquer que le Conseil n'a pas commencé à cette époque-là.
00:42:00 C'est dommage d'oublier quasiment 30 siècles parce qu'il suffit d'ouvrir la
00:42:05 Bible pour voir par exemple Joseph, fils de Jacob, qui gère les affaires de l'Égypte
00:42:10 pendant une famine et si vous voulez, le Conseil n'a pas du tout commencé avec l'exercice
00:42:15 ni des conseillers du roi pendant la monarchie, ni des cabinets de conseil qu'on connaît
00:42:20 depuis 100 ans.
00:42:21 Donc c'est là que moi je suis un peu mal à l'aise par rapport à cette analyse un
00:42:24 peu trop globale d'un secteur qui est beaucoup plus varié que ce qu'on pourrait penser
00:42:28 à la lecture du livre.
00:42:29 Emmanuel Piera ?
00:42:30 D'abord, c'est un débat intéressant et assez frontal.
00:42:35 Moi j'aime bien la modération et puis un peu l'entre-deux.
00:42:38 Ce qui m'intéresse, c'est évidemment pas tellement le fait d'être pour ou contre
00:42:44 les cabinets de conseil, mais c'est de savoir si effectivement, les cabinets de conseil
00:42:47 encore une fois, sont dans une situation éventuellement de conflit d'intérêts.
00:42:50 D'avoir des clients qui sont "opposés" dans leur tendance, dans le même panier,
00:42:57 si on conseille les États-Unis et en même temps la Chine sur les points sensibles, là
00:43:01 il y aura une difficulté.
00:43:02 Je ne suis pas contre une mise en accusation de principe.
00:43:05 Je vais peut-être rejoindre Victor Mamou sur la causalité.
00:43:09 Vous avez l'air de critiquer beaucoup de choses qui sont des défaillances de l'État.
00:43:14 Encore une fois, je peux préciser mon propos, justement pour réagir.
00:43:17 Je pense que ce ne sont pas les défaillances de l'État qu'il faut pointer comme un
00:43:20 problème dans le recours aux cabinets de conseil.
00:43:23 C'est plutôt tel cabinet de conseil dans telle situation qui devient problématique
00:43:27 et de l'autre côté renforcer ce qu'on appellera le service public.
00:43:29 Ce qu'on appelle les services publics.
00:43:31 Tout à fait.
00:43:32 Là où je vous rejoins en partie, c'est sur le fait qu'il faut un grand plan de réinternisation
00:43:35 des compétences et que par exemple l'essentiel...
00:43:37 Pardon, je vous interromps une seconde.
00:43:38 Je vous la laisse parier.
00:43:39 Ce qu'il me fera, c'est que vous dites vous-même que l'État est incapable de se regarder
00:43:42 lui-même et de se jauger lui-même.
00:43:44 C'est la solution.
00:43:45 Ça veut dire qu'il y a une défaillance dans l'État et qu'on doit donc recourir
00:43:48 à une vision externe.
00:43:49 Alors ce n'est pas recourir à une vision externe en fait, ce que disent les GIF au
00:43:52 contraire, c'est reconstituer des modalités de la vision interne.
00:43:54 Par exemple, la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022, donc Jean Castex, proposait
00:43:59 et ça a été créé, c'est mis en place depuis, c'est une bonne initiative mais elle
00:44:02 n'est pas toujours suivie avec rigueur selon le monde.
00:44:05 D'ailleurs, on a par exemple les comités d'engagement, ça s'appelle.
00:44:08 Donc, c'est des jurys internes à l'administration qui doivent mesurer a priori ou a posteriori
00:44:13 et en particulier c'est obligatoire pour tous les contrats qui dépassent 500 000 euros
00:44:16 d'argent public.
00:44:17 On doit mesurer la vraie légitimité en fait ou le montant en termes d'évaluation des
00:44:22 dépenses.
00:44:23 Donc, en quelque sorte, c'est une bonne pratique qu'il faut généraliser qui est déjà malheureusement
00:44:27 pas systématique dans sa rigueur parce que par exemple, certains ministères sont pointés
00:44:30 du doigt.
00:44:31 Le Monde disait que le ministère de la Justice par exemple se limite en fait à mobiliser
00:44:35 ses comités juste pour les dépenses de 500 000 euros.
00:44:37 Ce n'est pas le meilleur exemple effectivement.
00:44:39 Donc, c'est pour dire qu'en fait, le problème il est aussi que c'est ce que pointaient les
00:44:44 sénateurs, on a un problème en matière de régulation et notamment au niveau coercitif.
00:44:48 Quand une faute a été constatée, c'est ce qui a été pointé par le Sénat à plusieurs
00:44:51 reprises dans une évaluation, on n'a pas une sanction, c'est-à-dire que le cabinet
00:44:54 n'est même pas forcément éjecté.
00:44:56 Encore une fois, ce n'est pas la faute tout le temps des cabinets, c'est aussi pour moi
00:44:58 une idéologie présente et diffuse dans la haute sanction publique qui est responsable
00:45:03 de cette situation.
00:45:04 On a une sanction quand le fonctionnaire fait une erreur.
00:45:06 Mais ça vaut pareil.
00:45:07 Pour moi, on est dans une gravité…
00:45:08 Ce n'est pas le cabinet qui pose un problème.
00:45:10 Pour moi, les cabinets de conseil sont intervenus parce que le politique tout d'abord les a
00:45:13 convoqués et ça remonte même, je vais vous le dire, je pense, moi c'est la partie du
00:45:17 livre qui m'a le plus passionné à écrire, c'était sur notamment ce qu'on appelait
00:45:21 le Brown Law Committee sous Roosevelt.
00:45:23 Quand Franklin Roosevelt a voulu réformer les institutions américaines pour renforcer
00:45:27 son présidentialisme, il a fait appel en fait à des consultants qui étaient à l'instance
00:45:31 du monde de l'université, du conseil en organisation managériale, notamment il y
00:45:35 a Gulick, etc., Brown Law.
00:45:36 Et ces gens-là, en fait, ils ont pensé la fonction présidentielle et le renforcement
00:45:41 du nombre de conseillers du président et la limitation des contre-pouvoirs parlementaires
00:45:45 pour permettre à Roosevelt, dont je suis proche en termes de famille politique, de
00:45:48 déployer sa politique.
00:45:49 Mais ils ont pensé la fonction et le présidentialisme, le renforcement de la fonction présidentielle
00:45:53 et ça s'est diffusé après sur tout le modèle occidental avec les normes du néo-politique
00:45:57 de management, avec l'idée qu'il faut renforcer le pouvoir exécutif au détriment
00:46:00 des contre-pouvoirs pour faire une politique.
00:46:02 Et ça, c'est en partie la faute du politique, la faute première de Roosevelt qui se disait
00:46:06 « j'ai besoin de ça ». Et le problème, c'est qu'on a pensé ce faisant, le président
00:46:10 de la République américain a été pensé sur le modèle de l'acronyme qu'on appelle
00:46:14 PODSCORB en science des organisations, c'est-à-dire planning, organizing, staffing, directing,
00:46:17 etc.
00:46:18 Et les fondateurs de cet acronyme étaient les conseillers du Brown Law Committee de
00:46:21 1936.
00:46:22 Et pour moi, du coup, il y a un péché originel qui est, je vous l'accorde, peut-être partagé
00:46:25 entre le politique et ces gens-là, mais en tout cas, il y a une idéologie dont nous
00:46:29 sommes, je pense, victimes collectivement en tant que démocratie.
00:46:31 Victor Mamou, une accusation concernant les clémentines de conseil qui figurent dans
00:46:38 le livre Consultocratie, c'est qu'ils sont soupçonnés d'obéir à des objectifs strictement
00:46:47 financiers.
00:46:48 En gros, ils n'auraient pas les mêmes objectifs que ceux des fonctionnaires qu'ils sont
00:46:54 censés justement conseiller.
00:46:56 Alors, moi, je voudrais revenir d'abord sur un point qui a été précisé, c'est
00:47:00 une arlésienne qui consiste en fait à opposer systématiquement le conseil qu'on appelle
00:47:05 interne et le conseil externe.
00:47:07 C'est-à-dire qu'on a une vision simpliste qui, des fois, consiste à dire "mais attendez,
00:47:12 pourquoi vous faites appel à des prestataires à l'extérieur, embauchés, formés, par
00:47:16 exemple, vos fonctionnaires, mais aussi dans le secteur privé ? Et puis voilà, vous allez
00:47:20 répondre à toutes vos problématiques.
00:47:21 En fait, ce qu'il faut comprendre, c'est que cette internalisation, elle existe, elle
00:47:25 fait partie du conseil.
00:47:27 Vous avez trois types de conseils.
00:47:28 Vous avez le conseil externe, sous forme de grand cabinet, le conseil interne qui existe
00:47:33 dans toutes les structures, et le conseil freelance.
00:47:36 Mais je pense que ça ne vient pas en opposition.
00:47:38 Ce n'est pas parce que vous internalisez des compétences que vous n'avez systématiquement
00:47:42 plus besoin de consultants.
00:47:44 Mais encore une fois, c'est le client qui choisit s'il a besoin ou pas de consultant.
00:47:47 Ce que j'ai entendu aussi, c'est un problème potentiellement de conflit d'intérêts.
00:47:53 C'est un sujet qui revient souvent et qui, de l'extérieur, peut en effet interroger.
00:47:58 D'ailleurs, il y a eu un livre qui a, je pense, précédé de quelques mois le livre
00:48:01 de votre invité.
00:48:03 C'était un livre qui s'appelait "The Big Con" de Mariana Maducato et de Rosie Collington
00:48:08 aux Etats-Unis.
00:48:09 Et le thème central du livre, c'était de dire, mais ce n'est même pas des conflits
00:48:13 d'intérêts avec différents pays, mais de dire "mais comment McKinsey peut d'un
00:48:17 côté travailler avec, par exemple, l'industrie pharmaceutique et d'un autre avec les régulateurs
00:48:22 de cette même industrie de la santé ?"
00:48:24 Donc, si vous voulez, de l'extérieur, oui, on peut craindre des conflits d'intérêts.
00:48:29 Mais encore une fois, et c'est là que je reviens sur ma critique d'écrire des livres
00:48:34 sans avoir jamais travaillé sur un métier, c'est que quand on travaille dans un de ces
00:48:37 cabinets, on sait bien que les équipes sont complètement, je dis bien complètement
00:48:42 étanches et que vous n'avez aucun lien entre des équipes qui vont travailler pour des intérêts
00:48:47 contradictoires.
00:48:48 Si vous voulez, la base du fonctionnement du conseil, c'est le respect absolu de la
00:48:53 confidentialité.
00:48:54 Le respect absolu.
00:48:55 C'est d'ailleurs, à mon avis, un des problèmes parce que culturellement, ensuite, ça fait
00:48:59 que les cabinets de conseil ne communiquent quasiment pas.
00:49:01 Et donc, vu que c'est un métier peu connu et qui ne communique pas, évidemment, il
00:49:05 se fait taper dessus assez facilement.
00:49:07 Et d'ailleurs, moi, j'observe qu'aucun représentant d'un cabinet de conseil n'est
00:49:11 là ce soir et généralement, les cabinets de conseil n'aiment pas communiquer.
00:49:14 Donc, je pense que c'est des critiques qu'on entend.
00:49:19 Moi, je suis intéressé par ces critiques, mais pour avoir travaillé dans les cabinets,
00:49:24 je mets des réserves sur le fait que ce soit le modèle du conseil que de subir des conflits
00:49:28 d'intérêts.
00:49:29 Maintenant, encore une fois, sur un projet, oui, vous pouvez sans doute avoir des consultants
00:49:33 qui ne respectent pas la confidentialité, etc.
00:49:35 Maintenant, pour votre question, Frédéric Tagil.
00:49:38 Quand vous travaillez pour un client, en tant que consultant, vous travaillez pour
00:49:43 résoudre le problème de votre client.
00:49:44 On entend souvent qu'il y a de l'idéologie qui est véhiculée par les cabinets.
00:49:48 Je pense que c'est une vision très locale, vraiment très locale.
00:49:51 C'est-à-dire que quand on parlait historiquement du développement du conseil, quand vous étiez
00:49:56 dans des systèmes communistes, les consultants s'intègrent dans un système donné.
00:50:01 Donc là, oui, si on parle de ce qui se passe en France, on est dans une économie capitaliste.
00:50:05 Vous avez une idéologie qui accompagne l'environnement de travail, mais les consultants ne sont pas
00:50:12 avec un parti pris idéologique.
00:50:14 Je veux dire, dans ce cas-là, si c'est ça la critique, on pourrait la faire aussi
00:50:18 sur les membres des laboratoires de recherche, sur les journalistes, etc.
00:50:23 À ma connaissance, en tout cas, les recrutements se font en école de commerce, en école d'ingénieur,
00:50:29 après des doctorats, et vous avez tous les avis politiques.
00:50:32 Donc quand on travaille pour la fonction publique, on a les mêmes objectifs que notre client.
00:50:37 C'est quand même la base d'un projet de conseil.
00:50:40 Et si ça n'est pas le cas, liberté au client, encore une fois, de virer le cabinet et de
00:50:44 faire ça en interne.
00:50:45 Personne ne met le fusil sur la tempe d'un ministère pour consommer du conseil.
00:50:50 Vous, vous y voyez quand même, dans Consultocratie, un dépérissement de l'État et même une
00:50:56 marchandisation de l'État.
00:50:57 Oui, en un sens.
00:50:59 Alors justement, il y a encore un certain nombre d'auteurs, comme John Peer par exemple,
00:51:03 un politiste britannique qui avait beaucoup travaillé sur la façon avec laquelle on
00:51:06 allait implémenter le New Public Management en Angleterre, en Grande-Bretagne.
00:51:10 Et ce qu'il constatait, c'était qu'on avait un phénomène qu'il appelle la "marketization
00:51:13 of the state".
00:51:14 Ça veut dire l'État choisit délibérément pour des raisons idéologiques, encore une
00:51:18 fois, des modes éditoriales, journalistiques, etc., un esprit du temps, de désamorcer
00:51:23 sa capacité d'intervention dans l'économie.
00:51:25 En considérant que plus l'État intervient, plus il fait dysfonctionner l'économie.
00:51:28 Tout ça, c'est l'héritage de ce qu'on appelle l'économie du "public choice"
00:51:31 et qui était grosso modo la phrase lentienne de cette école.
00:51:35 C'était "killing the fat cat", ce qui a donné en français d'ailleurs d'aigresser
00:51:39 le mammouth chez un de nos ministres.
00:51:40 Et donc cette idée, si vous voulez, elle est très ancienne, elle est un peu éculée
00:51:43 et elle est en fait une espèce de répertoire de posture professionnelle qui est inoculée,
00:51:47 si je puis dire, pour reprendre les mots du sociologue Fabien Gélédan, des sciences
00:51:50 po, pour la plupart des futurs gestionnaires de l'État.
00:51:52 Je prends un exemple, Karine Tadgedine, qui est devenue la figure de l'opprobre de McKinsey
00:51:56 dans l'affaire McKinsey quand elle a été auditionnée par le Sénat.
00:51:59 Karine Tadgedine, on connaît, ça a été documenté par la presse, les liens historiques
00:52:03 avec Emmanuel Macron, ses campagnes, sa connaissance d'Emmanuel Macron depuis la commission Attali
00:52:09 mandatée par Nicolas Sarkozy.
00:52:10 Karine Tadgedine, ce n'était pas juste un conseiller de l'ombre de Macron, c'est
00:52:14 aussi d'abord et avant tout, dans la place publique, dans la sphère publique, un responsable
00:52:18 administratif de master à sciences po, de formation à la transformation publique de
00:52:21 l'État.
00:52:22 Et on a pareil, quasiment toute sa carrière à McKinsey, le président de Polytechnique.
00:52:27 On a tout un tas d'institutions structurantes dans la formation de nos élites où les gens
00:52:32 ont des parcours qui viennent de centres de diffusion majeurs et connus et reconnus.
00:52:37 Je tiens à préciser que ce que je dis sur le new public management, on peut réécouter
00:52:40 l'audition d'Amélie de Montchalin à l'époque qui gérait la transformation publique
00:52:43 de l'État, audition pareil dans la commission d'enquête du Sénat qui parle elle-même
00:52:46 des travaux des sociologues, de Philippe Besesse en disant « nous essayons de rompre avec
00:52:51 le new public management », il faut constater qu'on n'a pas fini encore ce travail que
00:52:55 même la majorité n'assume plus.
00:52:56 Un mot encore Emmanuel ?
00:52:58 Je ne vois pas tellement où est le problème.
00:53:01 Alors à vous tout de suite Victor Mamou.
00:53:04 D'abord Victor Mamou et un dernier mot Emmanuel.
00:53:07 Une minute Victor.
00:53:08 Oui une minute.
00:53:09 Je vois très bien l'idée qu'il y ait des passages entre le privé, le public, etc.
00:53:15 D'ailleurs vous avez un chapitre sur le pantouflage qui ne concerne absolument pas le conseil.
00:53:20 Le pantouflage concerne le passage dans tout le secteur privé.
00:53:23 Mais je ne vois pas en quoi le fait que l'ancien directeur de Polytechnique soit passé par
00:53:27 McKinsey pose un problème fondamental.
00:53:29 Enfin je veux dire vous, vous êtes chercheur, peut-être que demain vous irez en entreprise.
00:53:33 Il y a des gens qui vont se faire.
00:53:34 Je ne vois pas en quoi fondamentalement le passage en lui-même pose problème.
00:53:36 Maintenant je vais juste terminer sur un point parce qu'un des pays en Europe pour lequel
00:53:41 la population est la plus satisfaite de son service public, ce sont les Pays-Bas.
00:53:44 Vous avez des articles que vous ne citez pas.
00:53:46 Alors après je ne vous accuse pas de ça, on ne peut pas être exhaustif, mais notamment
00:53:49 des articles de Neysheim de l'université de Leiden qui vous mettent en avant que, en
00:53:54 fait, je prends dans les mots, l'intervention du conseil dans le secteur public produit
00:53:59 une meilleure performance à ce même secteur public.
00:54:02 Donc ce que je veux juste dire c'est que vous avez une approche académique.
00:54:05 Il n'y a pas d'essai de comparaison internationale, disait François Ecoclard.
00:54:08 D'autres chercheurs ont un point de vue différent et donc je pense qu'il faut être en effet
00:54:12 un peu plus mesuré sur ce type d'attaque.
00:54:14 Il n'y a pas de consensus scientifique sur…
00:54:16 Un dernier mot Emmanuel Perra, il reste 40 secondes.
00:54:18 Non mais je suis un rationaliste, j'ai un attachement viscéral à ce qu'est le
00:54:22 service public et à la République, voilà, qui m'a permis moi de m'élever socialement.
00:54:27 Donc je suis toujours un peu angoissant.
00:54:29 Maintenant, je ne fais pas de procès d'intention généralisée.
00:54:32 Je pense qu'effectivement, il y a beaucoup de défauts de l'État qui sont pointés
00:54:34 dans le livre de neutralité et que les cabinets de conseil sont une partie du problème, mais
00:54:41 pas l'entièreté.
00:54:42 Merci Victor Mamoud d'avoir participé à ce débat.
00:54:47 Merci Victor, merci Simon Voilet.
00:54:50 On va laisser Isabelle Piboulot faire le rappel des titres et puis on reviendra sur "des
00:54:56 civilisations".
00:54:57 Voilà un mot qui a connu un succès considérable cette semaine.
00:55:00 On va être rejoint par Michel Maffesoli, par Mathieu Boquecôté et par Younous Omarjeh.
00:55:05 Le ministre de la Santé est favorable à l'interdiction des PEF, ces cigarettes électroniques jetables,
00:55:14 colorées, très appréciées des jeunes.
00:55:16 En revanche, François Braun souhaite maintenir les substituts nicotiniques sous forme de
00:55:21 cigarettes électroniques délivrées sous prescription, des prescriptions qu'il envisage
00:55:25 d'ouvrir aux pharmaciens.
00:55:27 Dans l'attente de son procès pour violences conjugales mardi, Mohamed Aouas a été placé
00:55:32 en détention provisoire.
00:55:33 Le pilier du 15 de France sera jugé en comparution immédiate.
00:55:37 Il sera entendu à 13h30 devant le tribunal correctionnel de Montpellier.
00:55:42 L'international de rugby de 29 ans encoure une peine maximale de 3 ans de détention.
00:55:47 Enfin, en Formule 1, Max Verstappen a remporté le prestigieux Grand Prix de Monaco.
00:55:53 Le double champion du monde en titre conforte ainsi son avance au classement général des
00:55:57 pilotes après cette 6e manche du championnat.
00:56:00 Le néerlandais s'est imposé devant l'espagnol Fernando Alonso et le français Esteban Ocon.
00:56:07 Bienvenue si vous nous rejoignez maintenant.
00:56:10 Les visiteurs du soir, c'est jusqu'à minuit.
00:56:13 Vera Nikolsky est avec nous depuis le début de l'émission.
00:56:15 C'est l'auteur de Femini-Scène, un essai qui nous explique que l'émancipation des
00:56:19 femmes n'est pas le résultat des luttes féministes, comme on le croit, mais des progrès liés
00:56:23 à la révolution industrielle.
00:56:25 Vous nous raconterez tout ça en détail à 23h30.
00:56:27 Mais d'abord, la décivilisation, un mot qui a connu un retentissement considérable
00:56:32 depuis que le président de la République, en Conseil des ministres, a associé les violences
00:56:36 en France à un processus de décivilisation.
00:56:40 Mais c'est quoi un processus de décivilisation ?
00:56:43 Eh bien, ça ne veut pas dire la même chose, selon qu'on lit Décivilisation de Renaud
00:56:47 Camus, par exemple, ou Crise, violence et décivilisation d'Amide Beuzardslan.
00:56:51 Pour en débattre, j'ai donc invité Michel Maffesoli, philosophe et sociologue, l'un
00:56:58 des théoriciens de la postmodernité à qui l'on doit des essais comme L'ère des
00:57:02 rêvements ou Le temps des peurs.
00:57:04 Mathieu Boquecôté, journaliste et sociologue, l'auteur du Multiculturalisme comme religion
00:57:09 politique, de la révolution racialiste et autres virus idéologiques, et l'animateur
00:57:15 sur CNews, le samedi à 20h de Face à Boquecôté.
00:57:19 Et enfin, Younous Omarji, vous êtes député européen de la France insoumise.
00:57:24 Puis il y a évidemment l'avocat Emmanuel Piera, qui publie La prison de verre, sexe,
00:57:29 argent et politique dont on a parlé en début d'émission et qui a probablement un avis
00:57:34 sur cette question lui aussi.
00:57:35 Alors c'est quoi pour vous un processus de décivilisation ? Et la France est-elle dans
00:57:40 ce cas ? Mathieu Boquecôté, je vous vois, vous avez envie de…
00:57:43 Bien sûr.
00:57:44 Alors le concept, on le sait, a plusieurs origines, plusieurs sources.
00:57:48 Mais si plusieurs se l'approprient, c'est parce qu'il frappe fort, il frappe l'imagination.
00:57:53 Et à partir de là, plusieurs définitions peut-être contradictoires se présentent
00:57:56 à nous.
00:57:57 On peut se le réapproprier, je le ferai sans hésitation, avec la définition suivante.
00:58:02 Ça définirait une société dont les institutions régulatrices sont en voie d'effritement,
00:58:08 une institution où les inhibitions civilisatrices sont en voie d'effritement, c'est-à-dire
00:58:13 globalement la politesse, cette idée qu'il faut tenir compte minimalement de l'autre
00:58:17 dans l'espace public.
00:58:18 Une société qui inhibe la violence, qui considère, qui frappe de censure la violence
00:58:23 comme mode d'interaction sociale.
00:58:24 C'est à ça que vous allez, vraisemblablement, allusion à l'idéologie nationale.
00:58:27 Bien sûr, mais si on s'en tient à ça simplement, on pourrait presque s'en tenir
00:58:30 au fameux ensevagement dont on parlait depuis 20 ans.
00:58:32 Et si on veut utiliser des civilisations, je pense qu'on doit l'utiliser comme un
00:58:36 concept plus large qui décrirait tout à la fois, justement, je disais, la fin de la
00:58:39 politesse dans les rapports sociaux, mais aussi l'effondrement de la langue, mais
00:58:42 aussi l'effondrement psychique des jeunes générations dont le rapport au réel est
00:58:46 de plus en plus troublé, mais aussi la violence symbolique de plus en plus forte sur les réseaux
00:58:50 sociaux, mais aussi le fait qu'on croit de moins en moins à la possibilité de la
00:58:53 conversation démocratique et que la tentation de la violence revient dans nos sociétés.
00:58:57 Donc le concept, pour peu qu'on le définisse adéquatement, ne me semble pas causer, faire
00:59:01 scandale.
00:59:02 Il décrit même, je crois, une évidence.
00:59:03 Younus Omarji, je le disais, il y a presque une conception de droite et une conception
00:59:09 de gauche de la décivilisation.
00:59:11 Alors, quelle est la vôtre ?
00:59:12 Vous savez, lorsqu'Emmanuel Macron était venu au Parlement européen en 2018, je l'avais
00:59:20 interpellé.
00:59:21 J'avais une minute trente pour le faire et j'avais commencé mon discours par ces mots.
00:59:26 Monsieur le président de la République, le monde est entré dans un processus d'ensauvagement
00:59:32 et de décivilisation et l'Europe, appelée à la barre de notre conscience, est indéfendable.
00:59:40 Et je crois que le président de la République avait bien compris que je faisais référence
00:59:45 à Aimé Césaire.
00:59:46 Et les batailles sémantiques sont des batailles politiques.
00:59:51 Et je crois, en tout cas, je fais partie de ceux qui ne veulent pas laisser à l'extrême
00:59:58 droite la seule possibilité de donner un contenu à ces processus décivilisationnels
01:00:06 qui, de mon point de vue, trouvent aujourd'hui, évidemment, leur contenu ailleurs, c'est-à-dire
01:00:13 dans la société du marché, le système capitaliste qui crée de la violence.
01:00:20 Et puis Aimé Césaire disait qu'en réalité, ceux qui portaient la mission civilisatrice,
01:00:27 les civilisés, se décivilisaient dans le colonialisme.
01:00:32 Donc voyez-vous, c'est un terme à contenu très multiple, mais qui retrouve aujourd'hui
01:00:39 une actualité et on est un pays quand même, toujours, tout n'est pas en effondrement,
01:00:46 un pays formidable, puisque autour d'un mot, voilà un grand débat, un débat intéressant
01:00:52 et je crois que c'est très bien ainsi.
01:00:54 Oui, on n'est pas le seul à le faire.
01:00:57 Michel Maffesoli, pour vous, la décivilisation, c'est quoi ?
01:00:59 Je me doute de la réponse.
01:01:03 Et pourquoi alors ? Puisque vous doutez, pourquoi vous m'invitez ?
01:01:06 Parce que j'imagine déjà la réponse, mais je peux me tromper.
01:01:10 Non, pour moi, d'abord, ce n'est pas un concept, c'est un mot.
01:01:15 Vous savez, ce grand théoricien Raymond De Vos, quand il disait "j'ai rien à dire,
01:01:21 je veux que ça se sache", voilà.
01:01:22 Et donc, d'une certaine manière, on emploie ce mot comme ça, sans trop savoir ce qu'il
01:01:27 y a derrière.
01:01:28 Alors, tout le monde actuellement parle de Norbert Elias.
01:01:31 Oui, la civilisation des moeurs.
01:01:33 La civilisation des moeurs, dynamique de l'Occident.
01:01:36 Il se trouve que moi, j'ai eu la chance de le rencontrer puisque j'étais membre du
01:01:39 Prix européen des sciences sociales et je lui ai fait avoir en 87 le Prix européen
01:01:44 des sciences sociales, exactement là-dessus, sur la civilisation des moeurs.
01:01:47 Et c'est là où il y a ce terme de décivilisation.
01:01:50 Vous m'avez invité, donc je peux être embêtant, ennuyeux.
01:01:54 Je prends le risque.
01:01:55 Chaque fois que je viens sur ces plateaux, j'essaie de montrer un peu ce qu'est le fond
01:02:00 des choses.
01:02:01 Et c'est dans ce livre, et ça, je ne l'ai pas entendu, parce que tout le monde dit
01:02:04 Norbert Elias, machin chose.
01:02:05 Ils n'ont pas lu Norbert Elias.
01:02:06 C'est un livre chiant, comme tous les livres universitaires.
01:02:10 Les miens sont de cet ordre.
01:02:11 Et alors, c'est dans ce livre-là où il parle de curialisation.
01:02:15 Personne n'a dit ce mot.
01:02:17 Il montre que la civilisation, c'est la curialisation, c'est à partir de la Renaissance, quand justement
01:02:24 on va rendre public les moeurs de la cour.
01:02:27 Et en la matière, par exemple, des choses très simples.
01:02:31 Il dit que les gens mangent en prenant leur viande à la main, il faut prendre la fourchette.
01:02:36 Vous voyez ce que ça veut dire ? C'est ça, la curialisation.
01:02:38 Et donc, dans le fond, c'est un peu cela, cette idée-là.
01:02:40 C'est-à-dire que dans le fond, on va rendre public ce qui est le propre d'une élite.
01:02:45 Mais, pardon de vous interrompre, Michel Béfais-Zoli, mais dans la civilisation des moeurs, c'est
01:02:49 pourquoi beaucoup a été fait allusion ces derniers temps.
01:02:53 C'est l'idée qu'on sait de plus en plus civiliser et que c'est un progrès constant.
01:02:57 Et qu'au fond, on est de plus en plus pacifiés et de plus en plus polis.
01:03:01 On ne laisse plus les enfants mourir devant nous, ou quelque chose comme ça.
01:03:05 C'est ça, la civilisation des moeurs.
01:03:06 Ce qui ne s'est pas passé dans les 2-3 ans qui viennent de s'écouler.
01:03:08 Mais enfin, disons que la curialisation, c'est rendre public ce qui est le frais de la cour.
01:03:13 Alors, en la matière, qu'est-ce qui s'est passé dans les 2-3 ans qui viennent de s'écouler ?
01:03:17 Des exemples très simples.
01:03:18 Quand on voit le locataire actuel de l'Esay inviter pour, je ne sais plus si c'est en
01:03:24 2017 ou en 2018, des travestis pour faire la fête de la musique.
01:03:28 Deuxièmement, quand de la même manière, il va serrer la main à Saint-Martin, à un
01:03:37 petit black qui fait le doigt de machin-chose, etc.
01:03:41 Vous voyez, quand il fait des culbutes dans les large jardins de l'Elysée avec McFly
01:03:46 et Carlito.
01:03:47 Alors du coup, qu'est-ce que c'est cette curialisation ? C'est-à-dire qu'on va rendre
01:03:52 public ce que sont les mœurs de l'Elysée, où sont là les 2 corps du roi de Cantorowicz.
01:03:58 Et du coup, c'est normal d'une certaine manière que, dès le moment où il y a une
01:04:02 théâtralisation de cet ordre, la théâtrocratie, on s'amuse à faire de la société du spectacle,
01:04:08 comme disait mon ami Debord, ou le simulacre comme Audriac.
01:04:11 Et bien, dès ce moment-là, il n'est pas du tout étonnant que l'on ait les résultats.
01:04:15 Vous comprenez ce que je veux dire ?
01:04:16 Oui, oui, j'ai bien vu.
01:04:17 Dès le moment où ce qu'était la curialisation, c'est ça la civilisation des mœurs.
01:04:21 On rendait public ce qui était mangé à la fourchette, et pas à la main.
01:04:25 Et ça se répandait dans la société.
01:04:27 Exactement.
01:04:28 Donc vous avez l'air de dire que ce qui se répand dans la société aujourd'hui, c'est
01:04:30 le contraire.
01:04:31 Et donc du coup, plutôt que de parler de désocialisation, disons une chose simple.
01:04:34 Des civilisations ?
01:04:35 Pardon, désocialisation, mais c'est qui frivoriquo.
01:04:36 C'est la décadence.
01:04:38 Chaque fin d'époque, il y a une décadence.
01:04:41 Et ça, on n'ose pas le dire, parce que nous avons inventé la modernité, et on a peur
01:04:46 aucun intellectuel, aucun journaliste.
01:04:48 J'ai pas d'amitié pour les journalistes, à part vous, bien sûr.
01:04:50 Je les méprise profondément.
01:04:54 Mais les politiques qui frivoriquo, les experts, on dit intellectuels, eh bien actuellement,
01:04:59 qu'est-ce qu'ils font ? Ils font que divulguer des choses banales.
01:05:03 Voilà, c'est tout.
01:05:04 Et dans le fond, c'est ça.
01:05:05 Emmanuel Pierrat, vous voulez ?
01:05:06 J'ai beaucoup d'affection pour Emmichel Béfézoli, même quand il dit des horreurs.
01:05:10 C'est toujours très déconcertant.
01:05:11 Mais c'est simple.
01:05:12 Donc un mot ?
01:05:13 Non, il faut quand même rappeler que quand Norbert Elias parle de décivilisation, il
01:05:20 est bien, mais je pense que je l'ai moins lu que Michel Béfézoli.
01:05:22 En tout cas, je lui ai pas remis de prix.
01:05:24 Je pense que quand il en parle, c'est aussi en référence, par la lecture politique,
01:05:28 c'est évidemment le nazisme ou c'est la montée du nazisme.
01:05:31 C'est comment la République de Weimar n'a pas réussi, on va dire, à ordonner ou à
01:05:36 rendre possible l'intérêt collectif et comment la violence personnelle se traduit
01:05:40 par une forme politique de sauvagerie, entre guillemets, qui mène à le plus impréventable
01:05:46 drame qu'ait connu le XXe siècle, voire l'humanité.
01:05:49 Donc il y a beaucoup de lectures et je pense que quand Emmanuel Macron fait cela en montrant
01:05:54 entre guillemets ce qu'il ressemble à être de l'ensauvagement, c'est aussi une désignation
01:05:57 politique des différents camps qu'il a peur d'affronter.
01:06:00 Non, Emmanuel, il faut que je réagisse, parce que ça c'est un truc de gauche, il n'a pas
01:06:06 lu ce livre, etc.
01:06:08 Dans le livre d'Emmanuel, il a fait ses études à Freiburg, une brise grave.
01:06:14 Ça, on ne sait pas le dire en France.
01:06:17 Il y a une différence dans la pensée allemande entre la culture et la civilisation.
01:06:21 La culture, c'est ce qui justement est fondateur.
01:06:24 Et puis la civilisation, c'est quand on bouffe le capital.
01:06:26 Et donc quelque chose qui va s'achever naturellement.
01:06:30 Mais la fin d'un monde n'est pas la fin du monde.
01:06:32 Et c'est là-dessus que Norbert Elias est beaucoup plus profond, à mon avis, que ce
01:06:36 que l'on en dit actuellement.
01:06:38 Tu as compris, Frédéric ? La fin d'un monde, c'est ça, la culture et la civilisation.
01:06:43 Alors Michel, tu m'as fait ce livre, il fait sa référence au principe de décadence,
01:06:47 qui est peu utilisé aujourd'hui parce que le commentariat a décidé de l'extrême-droitiser.
01:06:51 Qui dit décadence, dit "oh là là, ça fait partie de ces mots qu'on s'excite soudainement,
01:06:55 comment peut-on utiliser de tels mots, c'est le signe de l'extrême-droitisation du vocabulaire
01:06:58 et des mentalités".
01:06:59 Or, tout récemment, on a réédité un livre qui était très difficile de trouver, de
01:07:03 Julien Freund, que vous avez bien connu, je crois, La décadence, justement.
01:07:07 Et donc dans ce livre qui était réédité au CERF il y a quelques semaines, je crois,
01:07:10 qui était vraiment introuvable.
01:07:11 Ce qui était absolument passionnant, c'est que Freund fait à la fois penseur oublié
01:07:15 et absolument majeur.
01:07:16 - De la nouvelle droite, hein ? - Oh, pas vraiment, non.
01:07:18 Ça c'est une définition très limitée pour Freund.
01:07:20 Non, genre c'est une grande...
01:07:21 - Ah non, pas vraiment.
01:07:22 - ... grande disciple de Raymond Aron.
01:07:23 Non, parce que non, le fait est qu'il a été lu par la nouvelle droite, mais il n'appartenait
01:07:27 pas à la nouvelle droite.
01:07:28 - C'est un bon erreur.
01:07:29 - Il est publié un peu partout.
01:07:30 Et quoi qu'il en soit, Freund a ce génie d'à la fois faire l'histoire du concept de
01:07:34 décadence et à la fois de proposer une lecture de la décadence des temps présents.
01:07:37 Et il y a cette idée qui est récurrente, en fait, c'est que toute civilisation finit
01:07:41 par s'épuiser, inévitablement.
01:07:42 Il y a un moment fondateur, un moment épique, il y a un moment d'institutionnalisation,
01:07:46 de normalisation et ensuite il y a un moment de chute.
01:07:49 Et à l'échelle de l'histoire, tout cela arrive toujours.
01:07:51 Alors Michel Maffesolet dit « La fin d'un monde n'est pas la fin du monde.
01:07:54 Je lui en serais.
01:07:55 Pour celui qui est de ce monde, la fin de ce monde est la fin du monde.
01:07:58 » C'est-à-dire quand on voit son pays s'effondrer, son pays perdre sa souveraineté, son pays
01:08:03 perdre son identité, voit sa langue massacrée, voit sa culture défigurée, on a l'impression
01:08:07 de plus en plus d'être étranger chez soi.
01:08:09 Pour celui qui vit cela, c'est la fin du monde.
01:08:11 Ensuite vous me direz qu'à l'échelle de l'histoire, du cosmos, nous ne sommes que
01:08:14 des fourmis.
01:08:15 Mais pour celui qui est contemporain d'un monde dont il voit l'ensauvagement partout,
01:08:19 une censure s'établir, une tentation totalitaire à revenir, on est en droit de se sentir étranger
01:08:24 dans son propre monde et d'y voir des cadences et peut-être même, puisque c'est le mot
01:08:27 du jour, des civilisations.
01:08:29 - Yunus Barji ?
01:08:30 - C'est une définition totalement réactionnaire.
01:08:33 - Réactionnaire, c'est-à-dire ?
01:08:35 - Réactionnaire, c'est tout à fait contraire au contenu que je donne.
01:08:38 - Mais réactionnaire, c'est-à-dire ?
01:08:40 - D'abord, qu'il y ait beaucoup de difficultés à saisir le concept de décivilisation, c'est
01:08:46 à peu près normal puisqu'il y a beaucoup de difficultés à s'entendre sur la civilisation
01:08:52 elle-même.
01:08:53 Donc l'un renvoie à l'autre.
01:08:57 La deuxième chose, qu'il y ait de la violence dans la société, c'est incontestable.
01:09:02 Et la question pour un politique est d'essayer de comprendre pourquoi la violence avance,
01:09:09 la violence progresse.
01:09:10 Et je fais partie de ceux qui considèrent, et on n'en parle pas sur ces plateaux ici,
01:09:17 que la société du marché, que ces sociétés qui aujourd'hui fonctionnent sur un modèle
01:09:24 totalement horizontal, qui a détruit les verticalités et le collectif, créent de
01:09:32 la violence.
01:09:33 Que ces injonctions de la société de consommation créent de la violence permanente, c'est
01:09:39 incontestable.
01:09:40 On parlera tout à l'heure de la révolution technologique.
01:09:43 La révolution technologique place l'individu au centre de tout.
01:09:48 Nous sommes entrés dans l'égocratie, c'est-à-dire chaque personne est un petit roi et on est
01:09:54 un petit monarque.
01:09:55 Mais on avance comme ça en égocratie jusqu'au plus haut niveau d'ailleurs de l'État.
01:09:59 Donc dans cette violence-là, il y a de la décivilisation.
01:10:05 Mais ne vous méprenez pas.
01:10:07 Ne soyez pas comme celle et ceux que Césaire désignait, c'est-à-dire à considérer
01:10:14 toujours que ce qui n'est pas civilisé, c'est l'étranger ou les barbares qui sont très
01:10:22 loin.
01:10:23 Ce qui doit nous questionner, c'est comment nos sociétés se décivilisent parce qu'elles
01:10:31 génèrent un certain nombre de violences liées à des structures qui doivent évidemment
01:10:40 être combattues.
01:10:41 Si je peux me permettre, on a un problème ici.
01:10:44 Alors vous avez dit à propos de la définition que j'en proposais, c'est réactionnaire.
01:10:48 Je vous ai demandé ce que vous entendez par réactionnaire, vous ne l'avez pas répondu.
01:10:51 Je vous l'ai redemandé, vous ne l'avez pas répondu.
01:10:52 Et votre absence de réponse est symptomatique.
01:10:55 Parce qu'elle représente bien cette tentation aujourd'hui quand on a une définition qui
01:10:58 ne nous plaît pas plutôt que de répondre au contenu qui nous ont proposé de coller
01:11:01 une étiquette censée abolir la réflexion.
01:11:04 On l'a vu cette semaine, le président de la République utilise ce mot.
01:11:07 Et là, on a un journaliste, un commissaire politique dont le nom m'échappe qui est dans
01:11:11 un journal en ligne qui dit « extrême droite », Renaud Camus.
01:11:13 Une fois qu'on a dit ça, on n'est plus supposé réfléchir.
01:11:15 Le mot « extrême droite » a été lancé.
01:11:17 La réflexion doit s'abolir.
01:11:18 On doit simplement vivre les deux minutes de la haine comme chez Orwell en répétant
01:11:23 en cœur « attention, très dangereux ».
01:11:24 Vous utilisez le mot réactionnaire sans prendre la peine de le définir, ce qui serait une
01:11:28 bonne chose.
01:11:29 Parce que pour l'instant, vous lancez le terme sans prendre la peine de le définir
01:11:31 alors qu'on sait qu'il est là pour fonction de censurer le désaccord.
01:11:34 Je vais vous faire plaisir.
01:11:35 Vous allez le définir.
01:11:36 Tout le monde a constaté que votre analyse est très progressiste.
01:11:40 Un instant.
01:11:41 Progressiste, c'est-à-dire ? Ah non, c'est amusant, vous connaissez les étiquettes.
01:11:46 Vous êtes un politique, vous êtes là pour ça.
01:11:47 Alors je pourrais dire que, pour m'en mêler et peut-être pour mettre de l'huile sur
01:11:52 le feu, allez savoir, on pourrait dire qu'on se demande effectivement ce que c'est que
01:11:55 la civilisation, vous l'avez dit.
01:11:57 Mais surtout si le mot « décivilisation » fait référence à une civilisation qu'on
01:12:04 qualifierait d'universelle.
01:12:05 C'était un peu le propos de Norbert Elias, par exemple, ou d'Amide Bazarslan, dont
01:12:11 je parlais tout à l'heure, qui a écrit « Crise, violence et décivilisation ».
01:12:14 Ou si on parle d'une civilisation française, à ce moment-là, qui serait elle-même en
01:12:19 délicatesse.
01:12:20 Dans le cas du propos d'Emmanuel Macron, on comprend qu'il parle d'un processus
01:12:23 universel au sens où nous sommes un retour de la violence, un retour du refoulé primitif,
01:12:28 un retour de la tentation justement de régler les différents, non plus par le désaccord,
01:12:33 donc la conversation civilisée, mais la tentation de la violence et plus largement l'invective,
01:12:36 la violence contre les élus.
01:12:37 On comprend que c'est ce à quoi il faisait référence.
01:12:39 Donc le débat en ce moment porte là-dessus.
01:12:41 Si on veut proposer une autre définition dans un autre contexte porté par un autre
01:12:44 homme, très bien, mais ce n'est pas le sujet de la semaine.
01:12:46 – On est bien d'accord.
01:12:47 Il y a eu une tribune de Michel Vivorca, justement, où lui incriminait, comme vous, le fait
01:12:57 que l'État ne joue plus son rôle, que les services publics sont en délicatessence.
01:13:03 Et c'est effectivement la réponse, on va dire, entre guillemets, pour faire simple,
01:13:10 de gauche à l'idée de décivilisation.
01:13:13 Mais dans votre livre, à vous, Emmanuel Pierrage, il voyait encore autre chose.
01:13:18 Vous reprochez, par exemple, au président de la République d'avoir dit, en ce qui
01:13:23 concerne les gens qui ne voulaient pas se faire vacciner, il les a traités de non-citoyens.
01:13:28 Et là, on pourrait dire qu'il y a aussi décivilisation à partir du moment où on
01:13:35 dit qu'il y a un certain nombre de citoyens qui ne sont plus…
01:13:37 – Qui n'en sont plus, non, qui ne sont plus des citoyens.
01:13:38 – Voilà.
01:13:39 – On en parle dans "La prison de verre", effectivement, dans ce livre "Sexe, argent
01:13:42 et politique", parce que pour moi, il y a quelque chose de très stigmatisant, évidemment,
01:13:45 et d'excluant, pour utiliser un vocabulaire assez simple à comprendre.
01:13:49 Et évidemment, je pense que Emmanuel Macron joue à la… il y a l'enregistre politique,
01:13:55 à la violence dénoncée, la violence extrême, celle qui aboutit à tuer quelqu'un dans
01:14:02 un hôpital public et puis des policiers, même accidentellement, mais à les tuer.
01:14:06 Et puis, de l'autre côté, il y a le civisme général, où ce que chacun observe sur le
01:14:10 comportement, on va dire, très individualiste, de ne pas tenir la porte, de ne pas dire bonjour,
01:14:14 etc.
01:14:15 Il y a plusieurs niveaux de lecture qui sont mélangés.
01:14:17 Et Emmanuel Macron lui-même donne le pire exemple quand il désigne effectivement nos
01:14:22 concitoyens non-vaccinés de cette façon-là.
01:14:24 Sachant qu'il n'est pas obligatoire de se vacciner.
01:14:30 Il n'est pas obligatoire de se vacciner.
01:14:31 Donc à partir du moment où l'État de droit permet de ne pas être vacciné, on ne peut
01:14:34 pas exclure une partie de nos concitoyens et leur enlever un brevet de civilisation.
01:14:39 Vous avez raison de parler de l'État de droit, parce que les reculs en matière d'État
01:14:47 de droit dans toute l'Europe aujourd'hui, mais même à l'échelle globale, sont des
01:14:55 éléments de décivilisation.
01:14:57 Et nous devons essayer de comprendre pourquoi est-ce que cela arrive maintenant.
01:15:03 Pour le 14 juillet prochain, Emmanuel Macron va recevoir Modi, Narendra Modi, le Premier
01:15:11 ministre de l'Inde.
01:15:12 Premier ministre de l'Inde.
01:15:13 Ceux qui observent un peu la situation en Inde, ce sont des reculs considérables sur
01:15:19 le plan des libertés, de la démocratie et de la mise en cause même de la constitution
01:15:26 indienne.
01:15:27 La mise en cause des légalités, des cours constitutionnels partout en Europe doit nous
01:15:34 interroger.
01:15:35 On en parlera peut-être tout à l'heure sur la résurgence des mouvements anti-avortement,
01:15:41 etc.
01:15:42 Partout.
01:15:43 Ce sont des éléments, des processus de décivilisation à l'échelle de toute l'Union européenne
01:15:51 qui doivent nous inquiéter grandement.
01:15:54 Il faut, je crois, éviter le propre de bon concept, c'est qu'on ne leur peut pas prendre
01:15:58 une définition abusive.
01:15:59 Donc là, on ne peut pas, parce que le terme a été utilisé cette semaine, faire entrer
01:16:03 tout ce qu'on n'aime pas dans les temps présents sous le concept de décivilisation.
01:16:07 Ou par exemple, la critique aujourd'hui du gouvernement des juges que certains appellent
01:16:11 le recul de l'état de droit.
01:16:12 Il y a des accords.
01:16:13 On peut avoir un camp ou l'autre là-dedans, ça ne rentre pas dans la décivilisation.
01:16:17 Quand on parle, vous voyez l'exemple, je pense que ça désigne un phénomène relativement
01:16:21 précis où on peut l'élargir un peu.
01:16:24 Mais si finalement des non-vaccinés au recul de l'état de droit, en passant par les réchauffements
01:16:29 climatiques, on remonte tout ça dans la décivilisation.
01:16:32 Non, ce n'est pas ce que je voulais dire.
01:16:33 Moi, je pensais plus au fait que tout à coup, un certain nombre de citoyens n'ont plus confiance
01:16:40 dans l'État et l'État, par la même question, n'a plus confiance dans le certain nombre
01:16:44 de ses citoyens.
01:16:45 Là, on peut dire qu'il y a un processus.
01:16:46 Ça, je pense que c'est une crise démocratique.
01:16:49 C'est du non nature.
01:16:50 On peut donner un exemple.
01:16:51 Rappelez-vous les récentes élections italiennes.
01:16:52 Quand la commission européenne, Mme von der Leyen, dit que si les gens votent mal, on
01:16:58 a les moyens de les mater.
01:16:59 Je donne ça de manière imaginaire, mais c'est globalement ce qu'elle dit.
01:17:02 On a les moyens de punir les gens s'ils votent mal.
01:17:04 Ce n'est pas une question de civilisation ou décivilisation.
01:17:06 C'est la tentation autoritaire de l'Union européenne, par exemple.
01:17:09 Donc, il faut simplement chercher à nommer les choses correctement.
01:17:11 Sinon, un seul concept en vient à englober toute la réalité, que ce soit extrême gauche,
01:17:16 extrême droite, décivilisation, faites la liste.
01:17:18 Si on ne prend pas la peine de définir correctement les concepts, très rapidement, on est noyé
01:17:22 sous un seul concept.
01:17:23 Et puis, finalement, chacun se lance au visage comme une grenade.
01:17:25 J'entends votre critique et j'en viens à la question que je voulais poser à Michel
01:17:31 Baffé-Zoli.
01:17:32 J'avais l'impression, moi, qu'il y avait aussi, de l'autre côté, une perte de confiance
01:17:37 à la part d'une partie de la population en la civilisation, justement.
01:17:41 Et qu'au fond, c'est un peu ce que vous racontez dans vos théories sur la postmodernité.
01:17:44 Oui, c'est ce que je raconte.
01:17:46 Voilà, c'est pour ça que je vous ai invité.
01:17:48 Vous savez que je ne fais pas du concept, moi.
01:17:51 Je réfléchis, je renifle.
01:17:54 Oui, c'est fini, l'universalisme.
01:17:57 Sinon que, d'une certaine manière, le wokisme, c'est une forme finale des Lumières.
01:18:03 C'est-à-dire quand on va universaliser une particularité.
01:18:07 Couleur de la peau, du genre, etc.
01:18:11 Mais ce n'est pas ça le problème de la décivilisation.
01:18:14 Ce mot, pour moi, ce n'est pas un concept.
01:18:16 Les concepts, vous savez, vous connaissez, pour les gens de mon âge, Mercedes a une
01:18:26 Begriff, on disait en allemand.
01:18:28 C'est-à-dire, c'est un concept.
01:18:29 Il faut laisser le concept, on met à l'urgiste.
01:18:32 Ce que nous avons à dire, nous, c'est tout simplement des mots les moins faux possibles.
01:18:36 Actuellement, la civilisation, c'est le rapport des uns par rapport aux autres.
01:18:40 Or, qu'est-ce que ce rapport des uns par rapport aux autres, avec les deux, trois ans
01:18:45 qui viennent de s'écouler, où on ne pouvait pas aller enterrer nos morts, où on sacrifiait
01:18:51 les enfants, où on ne permettait pas la relation au travers des gestes barrières et autres
01:18:56 sottises du même ordre.
01:18:58 Le port de la muselière en étant l'expression absolue.
01:19:00 Voilà, c'est ça la vraie civilisation.
01:19:03 - Ça existait aussi sous la peste noire, on a fermé les églises aussi.
01:19:07 - J'entends, mais nous vivons quelque chose de cet ordre.
01:19:09 Une épidémie est toujours apocalyptique, mais l'apocalypse, c'est la révélation de
01:19:13 notre monde.
01:19:14 Donc, ce qui est en jeu actuellement, c'est la fin, je répète mon idée, moi, je n'ai
01:19:19 pas 50 idées dans la vie, c'est la fin d'une époque.
01:19:22 Et or, globalement, les élites contemporaines en France, où on a inventé la modernité,
01:19:28 on a une frousse vers quelque chose d'autre qui est en gestation, la post-modernité.
01:19:32 Ce n'est plus le jeu, c'est le nous qui est en gestation actuellement.
01:19:35 Et donc, la décivilisation, qui est un mot comme ça, qui était un mot théâtral, vous
01:19:41 avez compris, que moi, le président actuel est un théâtreux, il fait de la théatrocratie,
01:19:46 c'est Platon qui l'a apporté, quand il a la dégénérescence de la démocratie, il
01:19:49 y a de la théatrocratie.
01:19:50 Voilà, c'est un mot pour dire tout simplement, c'est ce que lui et sa caste ont programmé,
01:19:57 dans le fond, c'est-à-dire cette déliaison, alors ne disons pas désocialisation, dé-machin-chose,
01:20:02 mais déliaison.
01:20:03 Et dès le moment où il y a de la déliaison, c'est la fin d'un monde qui est là, c'est
01:20:08 évident, voilà.
01:20:09 Mais ce n'est pas bien grave tout ça.
01:20:10 - Perdre conscience de se plonger ?
01:20:12 - Non, je vais terminer ma phrase, Frédéric.
01:20:14 Quand on regarde ces jeunes générations, eux, ils ne sont pas désocialisés, il y
01:20:19 a une manière d'être qui fait qu'il y a une vraie vie actuellement.
01:20:22 Et ce n'est pas ces discours politiques qui ne sont d'aucun intérêt.
01:20:26 Ce n'est pas les discours des experts de divers ordres, encore une fois, j'ai dit,
01:20:30 qui parlent pour ne rien dire.
01:20:31 Non, il faut savoir regarder, il faut voir un peu cette vitalité qui est là en jeu
01:20:36 et qui fait qu'il n'y a pas décivilisation.
01:20:38 Il y a une autre culture en gestation, une culture qui nous échappe, bien évidemment,
01:20:43 en tout cas pour les gens de mon âge.
01:20:44 Et parce que moi, je suis un petit peu cultivé, je lis, machin-chose, etc.
01:20:49 Eux, ils ont un autre type de culture.
01:20:51 Et qu'est-ce qui se passe ? Peut-on parler de dé-machin-chose ? Dès le
01:20:56 moment où on regarde ce qu'il en est actuellement des réseaux sociaux, où il y a des vrais
01:21:00 rapports, où des mots simples comme partage, échange, solidarité, des mots archaïques
01:21:07 sont en train de revenir, si vous voulez.
01:21:09 Alors, vous voyez, c'est ça qui me paraît étrange.
01:21:11 - Alors, une minute pour conclure.
01:21:12 - Non, je vous écoute avec beaucoup d'attention et je me dis qu'il y a des jeunes qui vous
01:21:18 écoutent également.
01:21:19 Et ils ne sont pas désabusés et beaucoup ont confiance dans l'avenir par les luttes
01:21:28 qu'ils mènent, par les combats qu'ils mènent.
01:21:31 Mais à toutes celles et tous ceux qui considèrent que le monde d'avant est toujours mieux, je
01:21:37 leur dis mais profitez du monde d'aujourd'hui parce que selon vous, le monde de demain
01:21:42 sera encore pire que le monde d'aujourd'hui.
01:21:45 - Un mot ? - Il arrive que le monde d'avant soit mieux.
01:21:50 Ce n'est pas toujours le cas.
01:21:51 Vous savez, la chute de Rome, c'était mieux avant la chute de Rome qu'après pour les
01:21:55 cinq siècles environ qui ont suivi.
01:21:56 Il se peut que si le monde occidental tel qu'on l'a connu chute, il se peut que les
01:22:00 années qui suivent ne soient pas à la hauteur de ce qu'on avait appris à aimer.
01:22:03 C'est possible aussi, tout ne va pas toujours mieux demain.
01:22:06 - Emmanuel Pira ? - Il faut se réjouir que les ventes d'Honorbert
01:22:09 Tellias fassent un pitch ou un bouffe à l'Olympe.
01:22:12 - Absolument inouïe dans l'histoire de la pensée sociologique.
01:22:15 - C'est un livre à la fois fort intéressant et assez compliqué.
01:22:18 Mais quand même, il est un mot que j'aimerais redire ce soir, tout à l'heure.
01:22:21 Un décadence.
01:22:22 En effet, vous avez raison.
01:22:23 Freund, ce livre de Freund qui vient d'être réédité, est un livre passionnant.
01:22:26 Quand j'étais jeune, on parlait de la décadence romaine.
01:22:29 Maintenant, on dit l'Antiquité tardive.
01:22:32 Il n'y a plus de gens en gros, il n'y a que des gens en surcharge pondérale, par exemple,
01:22:36 etc.
01:22:37 Non, décadare, ça veut dire que quelque chose tombe.
01:22:39 Et chaque fois qu'il y a une décadence, il y a une renaissance.
01:22:42 - Mais posez-vous la question, et j'ai posé la question au début, sur le modèle capitaliste,
01:22:50 sur la société de consommation, sur les révolutions technologiques.
01:22:55 Je crois que vous trouverez beaucoup de réponses à ce que vous nommez décadence ou abandonnement.
01:22:59 - Mais bien sûr, moi je considère qu'actuellement la postmodernité, c'est la synergie de l'archaïque
01:23:03 et du développement technologique.
01:23:04 C'est-à-dire le retour des formes archaïques fondamentales plus les tribus.
01:23:09 Et que c'est ce qui est en gestation actuellement.
01:23:11 Ce ne sont plus les télés, ce ne sont plus les journaux qui suscitent l'interrogation.
01:23:18 L'interrogation, elle est sur les réseaux sociaux.
01:23:21 Pour moi, c'est la communion des saints postmodernes.
01:23:23 - Oui, mais pour beaucoup de gens, c'est la décivilisation.
01:23:26 - Mais ce n'est pas grave, ça.
01:23:27 - Parce que c'est pas la loi de la jungle.
01:23:28 - Mais ce n'est pas grave, ce n'est pas grave.
01:23:29 - Oui, mais alors j'admire l'éthique du détachement que Michel m'a fait selier.
01:23:33 Je me donne le droit de ne pas la partager.
01:23:35 Et je crois qu'il est permis à l'homme de pleurer la fin d'un monde qui était de
01:23:40 sien.
01:23:41 - Non, non.
01:23:42 - Oui, oui, oui.
01:23:43 La nostalgie et la mélancolie ne sont pas des pathologies de l'âme.
01:23:44 C'est une manière d'aborder quelquefois le sentiment d'une perte, d'une perte pour
01:23:47 laquelle on est inconsolable.
01:23:48 Ça ne veut pas dire que tout demain sera moche.
01:23:50 Ça ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de progrès.
01:23:51 C'est-à-dire qu'il se peut quelquefois que l'homme entre dans une basse époque.
01:23:55 Il est possible de croire que tel est notre lot aujourd'hui.
01:23:57 Ça ne veut pas dire qu'on doit s'effondrer ni pleurer.
01:23:59 Ça ne veut pas dire qu'on ne va pas se mentir en se faisant croire que tout est merveilleux.
01:24:01 - Non, ça, c'est typiquement le marxisme actuel, la marxisation des esprits, dont il
01:24:05 est un bon au fond.
01:24:06 - Non, marxisme actuel.
01:24:07 - C'est naturel.
01:24:08 - C'est quand même extraordinaire.
01:24:09 - L'esprit qui toujours dit non.
01:24:10 - Non, mais ça, c'est l'éthique du détachement de l'homme qui se veut détaché de tout.
01:24:15 - Mais moi, je suis détaché, c'est évident.
01:24:16 - Oui, mais ça vous appartient.
01:24:17 - Le savant est le politique.
01:24:18 Mais écoutez-moi, écoutez-moi.
01:24:19 - Oui, mais vous êtes le quartier 2.
01:24:20 - Écoutez-moi.
01:24:21 Dire oui à la vie, c'est quelque chose d'important.
01:24:24 - On peut dire oui à la vie et c'est peut-être pour ça qu'on dit non à l'époque présente.
01:24:27 - Non, non.
01:24:28 - On s'arrêtera là.
01:24:29 On va s'intéresser maintenant à Véra Nikolsky, qui a été extrêmement discrète jusqu'à
01:24:35 présent.
01:24:36 Elle n'a jamais voulu intervenir.
01:24:37 Elle ne m'a jamais fait de signe.
01:24:39 D'abord, le rappel des titres par Isabelle Piboulot et ensuite, on va s'intéresser
01:24:43 à cet ouvrage passionnant qui est féminicène.
01:24:46 - Alerte au centre dentaire des Hospices Civils de Lyon.
01:24:53 5 000 patients sont appelés à se faire dépister du VIH et des hépatites B et C.
01:24:58 Un courrier leur a été envoyé suite à la découverte de négligence entre le mois de
01:25:03 mai dernier et décembre 2022.
01:25:06 Des manquements dans les procédures de stérilisation de certains instruments dentaires.
01:25:10 L'hôpital évoque des dépistages nécessaires par principe de précaution.
01:25:14 La crise du plastique au cœur des négociations demain à Paris.
01:25:20 175 nations doivent s'accorder sur les premiers contours d'un texte très attendu en vue
01:25:25 d'un traité international.
01:25:27 L'enjeu est de taille.
01:25:28 La production annuelle de plastique a plus que doublé en 20 ans pour atteindre 460 millions
01:25:34 de tonnes et pourrait encore tripler d'ici 2060.
01:25:38 Recep Tayyip Erdogan, congratulé par la classe politique après sa réélection à la tête
01:25:43 de la Turquie.
01:25:44 Le président ukrainien a adressé ses félicitations et espère un renforcement des liens entre
01:25:50 les deux pays.
01:25:51 Vladimir Poutine, lui, a évoqué un résultat logique.
01:25:55 Côté français, Emmanuel Macron a félicité son homologue turc, estimant que les deux
01:26:00 pays ont d'immenses défis à relever ensemble, comme le retour de la paix en Europe.
01:26:06 Véra Nikolsky, vous êtes docteur en sciences politiques.
01:26:11 Vous qui avez coordonné l'ouvrage collectif "La souveraineté, l'Europe et le peuple"
01:26:15 en hommage à Coralie de Laume qui nous a quittés en 2020.
01:26:17 Mais c'est pour féminicène que je vous ai invité ce soir.
01:26:21 Féminicène, c'est un néologisme qui signifie l'ère des femmes.
01:26:25 Dans cet essai, vous expliquez que l'émancipation des femmes depuis 150 ans n'a pas été provoquée
01:26:30 par les luttes féministes, comme on a tendance à le croire, mais par la révolution industrielle
01:26:34 et les progrès qui s'en sont suivis.
01:26:37 C'est vrai que quand on vous lit, ça parait une évidence.
01:26:39 On a l'impression qu'au fond, de l'avoir toujours su.
01:26:41 D'ailleurs, aussi bien Emmanuel Todd qui a publié "Où en sont les femmes",
01:26:45 ou "Où en sont-elles" pardon, que Jean-Marc Jancovici, à qui l'on doit le monde sans fin,
01:26:50 ont immédiatement salué votre ouvrage avec l'air de se dire "Pourquoi je n'y ai pas pensé ?"
01:26:54 Alors à votre avis, pourquoi est-ce qu'on n'y a pas pensé plus tôt ?
01:26:57 Je pense que beaucoup de gens y ont pensé, beaucoup de gens le pensent.
01:27:02 D'ailleurs, il y a énormément de gens qui me disent que effectivement, mon livre est
01:27:06 en tissu d'évidence, mais peut-être bien relié entre elles.
01:27:09 Je suis assez d'accord avec cette appréciation.
01:27:12 Je trouve aussi que mon livre dit plutôt des choses simples, des choses qui sont des faits,
01:27:17 qui sont des faits historiques, qu'il s'agit juste de relier entre eux,
01:27:21 parce qu'ils ne le sont pas souvent.
01:27:22 Ce sont des phénomènes qui sont très bien connus, tout ce qui s'est passé depuis la révolution industrielle,
01:27:26 mais aussi du côté de l'évolution des droits des femmes.
01:27:29 Mais effectivement, ces deux ordres de phénomènes, aujourd'hui dans le discours public,
01:27:33 ne sont pas souvent liés entre eux.
01:27:35 Alors pourquoi ils ne le sont pas ?
01:27:36 Eh bien, parce que, à mon avis, ma conviction profonde, c'est parce qu'au fur et à mesure
01:27:41 qu'on s'éloigne du monde pré-industriel, on oublie complètement les conditions d'existence
01:27:47 qui ont été celles de l'humanité dans ce monde d'avant.
01:27:50 Et plus on les oublie, moins on leur accorde de l'importance.
01:27:53 Et donc, on ne se rend plus compte de tout ce qu'on leur doit.
01:27:56 C'est-à-dire qu'on naturalise complètement tout notre environnement qui est finalement
01:28:03 un environnement exceptionnel au regard du reste de l'histoire humaine.
01:28:06 C'est vrai que vous remontez jusqu'aux origines.
01:28:09 Il faut partir des origines pour comprendre votre livre, Véra Nikolsky.
01:28:13 C'est la différence biologique entre les sexes qui est à l'origine de la division
01:28:18 du travail chez nos ancêtres chasseurs-cueilleurs.
01:28:21 Les hommes partent à la chasse pendant plusieurs jours, tandis que les femmes travaillent à domicile,
01:28:26 si on peut parler de domicile à l'époque où on se promenait tout le temps,
01:28:29 pour pouvoir garder les enfants.
01:28:31 Ça répondait aux nécessités de l'époque.
01:28:33 On vivait dans un environnement hostile.
01:28:36 Mais ça a donné une division du travail qui va se prolonger pendant plusieurs siècles ensuite,
01:28:40 y compris pour des raisons idéologiques.
01:28:43 Oui, tout à fait. C'est-à-dire que pour moi, les différences biologiques,
01:28:46 lorsque je parle des différences biologiques, c'est quelque chose qui est très mal vu aujourd'hui.
01:28:49 Il ne faut jamais mentionner la biologie parce que c'est tout de suite considéré comme réactionnaire.
01:28:54 Mais je dis toujours que les biologistes ne se considèrent pas, eux, comme des gens réactionnaires.
01:28:59 En général, ce sont plutôt des scientifiques d'un esprit positiviste assez contemporain.
01:29:04 Quand je parle des différences biologiques, c'est vraiment un ensemble de différences très limitées.
01:29:09 Il ne s'agit pas du tout d'affirmer que les hommes et les femmes ont des natures différentes,
01:29:12 ou que, je ne sais pas, ils sont différents de fond en comble.
01:29:15 Et encore moins de dire qu'ils devraient être différents,
01:29:18 que c'est bien et que c'est ainsi qu'il faudrait que ce soit.
01:29:21 Non, il s'agit vraiment de noter quelques différences physiologiques
01:29:24 entre les organismes féminins et masculins,
01:29:26 et notamment leur rôle différencié dans la reproduction,
01:29:28 parce que jusqu'à preuve du contraire, nous ne sommes pas des bactéries,
01:29:31 donc on ne se multiplie pas par partogenèse.
01:29:34 La reproduction sexuée est inégale, inégalitaire.
01:29:38 La femme porte le plus grand poids dans cette reproduction de l'espèce,
01:29:42 et elle est de ce fait dans des conditions de nature,
01:29:45 qui étaient celles de nos ancêtres,
01:29:47 et effectivement soumise à plus de contraintes, à plus de contingences que l'homme.
01:29:52 Et en effet, c'est probablement ces différences dans le rôle reproductif
01:30:00 qui ont lancé cette division sexuelle du travail
01:30:04 qui a marqué l'ensemble des sociétés du paléolithique et du néolithique.
01:30:12 Et y compris après, y compris pour des raisons idéologiques.
01:30:15 Voilà, et ce qui me semble absolument fondamental de noter,
01:30:17 c'est que faire cette observation ou cette déduction logique,
01:30:21 parce que les vestiges de ces époques sont très pauvres,
01:30:23 donc il s'agit essentiellement de l'observation des sociétés restées à l'état primitif
01:30:27 par les ethnologues à partir du XIXe siècle,
01:30:29 qui permettent de parvenir à ces conclusions, et quelques petits vestiges.
01:30:32 Mais faire cette observation ne devrait pas du tout conduire à négliger les facteurs sociaux.
01:30:37 Ça ne veut pas du tout dire, quand on parle de ces différences,
01:30:39 ça ne veut pas du tout dire qu'on néglige les rôles sexués qui se grèvent par-dessus.
01:30:43 Au contraire, l'être humain n'est pas un animal.
01:30:46 Toute différence est tout de suite pensée, conceptualisée et traduite,
01:30:51 souvent d'ailleurs, en inégalité ou en domination.
01:30:54 Donc effectivement, à partir de ces quelques petites différences physiologiques
01:30:58 qui ont permis aux hommes d'être plus mobiles et aux femmes de l'être un peu moins,
01:31:01 parce que voilà,
01:31:03 eh bien à partir de ces petites différences,
01:31:05 l'humanité a tout de suite fabriqué des inégalités et des idéologies
01:31:08 qui, après, ont eu une force propre, une force autonome,
01:31:12 partiellement de contraintes...
01:31:14 Et ce qui va changer la donne, dites-vous, c'est la révolution industrielle
01:31:17 qui est déclenchée par l'invention de la machine à vapeur,
01:31:21 parce que la force physique, considérée comme l'apanage des hommes,
01:31:24 tout à coup s'en trouve dévalorisée.
01:31:26 Et à partir de ce moment-là, les femmes peuvent travailler.
01:31:31 Oui, c'est-à-dire que ce qu'il faut bien avoir en tête,
01:31:34 c'est que jusqu'à la révolution industrielle,
01:31:36 l'humanité a toujours vécu sous un régime quasiment stationnaire.
01:31:39 Disons que la croissance était très faible.
01:31:42 Ce n'était pas stationnaire, mais c'était quasiment stationnaire.
01:31:44 Il y avait des montées, il y avait des reculs,
01:31:45 il y avait un peu de hausse de PIB par tête, il y avait un peu de baisse.
01:31:49 Il n'y avait jamais eu de vrai décollage avant la révolution industrielle.
01:31:53 Le gros décollage de toutes les courbes de concert
01:31:56 commence précisément à cette époque-là.
01:31:59 L'invention de la machine à vapeur, vous dites, effectivement...
01:32:02 La machine à vapeur avait déjà été inventée à d'autres époques,
01:32:05 donc elle était connue.
01:32:06 Mais à ce moment-là, en Occident, il y a une conjonction de facteurs
01:32:10 qui fait que le progrès technologique devient cumulatif.
01:32:14 Et il s'insère dans le système capitaliste
01:32:17 qui exploite ce progrès technologique
01:32:21 pour en extraire le plus de bénéfices possible.
01:32:23 Et donc, ça donne une boucle, une réaction en chaîne
01:32:26 avec une production de plus en plus massive de capital
01:32:30 grâce au recours massif à l'énergie.
01:32:33 C'est ça qui marque vraiment notre époque.
01:32:35 On parle de l'entrée dans l'anthropocène
01:32:37 avec cette débauche d'énergie extraite des éléments naturels,
01:32:41 hydraulique, ensuite les hydrocarbures, plus tard le nucléaire,
01:32:45 et qui permet d'écupler, d'augmenter
01:32:48 d'une façon absolument inouïe et inégalée dans l'histoire,
01:32:52 la possibilité pour l'homme de modeler la nature,
01:32:54 de modeler son environnement,
01:32:56 et également à construire toute une infrastructure technologique
01:32:59 et industrielle qui, aujourd'hui, nous entoure.
01:33:01 Et qui permet à la femme de se voir supprimée progressivement
01:33:07 aux quantités de travaux domestiques
01:33:10 qui lui étaient dévolus jusque-là,
01:33:11 que ça soit d'aller chercher l'eau au puits,
01:33:14 de coudre ses vêtements, de préparer le repas,
01:33:17 de laver le linge, de faire la vaisselle, etc.
01:33:20 Tout ça va venir progressivement,
01:33:21 mais ce qui va lui permettre de libérer du temps
01:33:24 pour faire des études, pour travailler.
01:33:26 Elle travaille déjà parce que la force physique, c'est d'évaluer,
01:33:29 ce qui lui permet d'avoir une indépendance financière,
01:33:32 mais là, encore plus de temps se libère.
01:33:35 Et ça, ça va contribuer considérablement
01:33:38 à l'émancipation des femmes depuis 150 ans, dites-vous.
01:33:41 Oui.
01:33:43 En fait, la révolution industrielle apporte,
01:33:45 je parle dans mon livre, de la richesse inouïe d'Equidam.
01:33:47 Chacun d'entre nous vit dans un monde
01:33:49 où il est d'une certaine façon plus riche que Louis XIV.
01:33:53 Louis XIV ne pouvait pas prendre un petit cachet
01:33:55 et ne plus avoir mal à la tête.
01:33:56 Il ne pouvait pas aller à Bordeaux en deux heures de TGV.
01:33:58 Il ne pouvait pas.
01:34:00 Nous, on peut faire tout ça.
01:34:02 La plupart d'entre nous, en tout cas,
01:34:03 on a accès à l'eau chaude, à l'eau froide,
01:34:05 à toute heure du jour et de la nuit.
01:34:07 On peut allumer la lumière par une pression de bouton,
01:34:09 ce qu'il ne pouvait pas faire.
01:34:10 Donc, c'est tout un ensemble de biens
01:34:11 qu'on naturalise complètement, auxquels on ne pense plus.
01:34:13 On ne considère plus ça comme la richesse.
01:34:15 Mais effectivement, pour les femmes,
01:34:17 c'est particulièrement important parce que, comme vous dites,
01:34:19 c'est elles qui supportaient une grande charge
01:34:20 des travaux domestiques.
01:34:22 Et cette technologisation du quotidien
01:34:24 va leur libérer énormément de temps
01:34:25 pour qu'elles peuvent employer dans ce cas-là
01:34:28 à autre chose, aux études, au travail,
01:34:30 à la réflexion aussi sur leurs conditions.
01:34:33 Mais ce n'est pas la seule chose
01:34:34 que produit le progrès technologique.
01:34:37 Cette technologisation du quotidien,
01:34:39 on caricature parfois, je l'ai vu sur les réseaux,
01:34:41 cette position en disant "Moulinex libère la femme".
01:34:43 Je ne suis pas du tout en train de dire
01:34:44 que Moulinex libère la femme.
01:34:47 Si la femme est toujours préposée au Moulinex,
01:34:48 elle reste relativement dominée.
01:34:50 Mais cela dit, avoir déjà beaucoup,
01:34:52 beaucoup de Moulinex et tout le reste qui l'entoure,
01:34:54 c'est déjà un petit peu mieux que d'abord porter
01:34:56 l'eau du puits sur ses épaules et porter les manettes.
01:34:59 Ce que vous dites qui est plus important encore,
01:35:01 évidemment, Véra Nikolsky,
01:35:03 c'est le progrès médical qui découle
01:35:05 de la révolution industrielle.
01:35:07 En réduisant la mortalité infantile,
01:35:10 tout à coup, la femme ne va plus être obligée
01:35:12 de faire sept ou huit enfants,
01:35:13 ce qui lui prenait quand même six, sept ans,
01:35:17 de temps où elle était enceinte.
01:35:19 Elle ne va plus avoir besoin de faire
01:35:20 sept ou huit enfants pour qu'il y en ait deux
01:35:22 qui puissent survivre.
01:35:23 Et ça, ça m'a libéré considérablement du temps.
01:35:26 Ça, c'est un autre facteur qu'il me semble
01:35:28 qu'on a complètement oublié.
01:35:29 On l'a évacué de notre conscience
01:35:30 parce que c'est quelque chose de très douloureux.
01:35:32 Imaginer la mort des enfants
01:35:33 n'est pas une chose agréable.
01:35:35 Et j'ai l'impression que dans notre société,
01:35:37 c'est vraiment une question
01:35:40 dont on ne parle jamais, qui est complètement oubliée.
01:35:41 Le fait que jusqu'à la fin du XIXe siècle,
01:35:44 les enfants mourraient très souvent.
01:35:46 Un enfant sur deux quasiment n'atteignait pas l'âge adulte
01:35:49 dans le monde avec des variations
01:35:50 selon les époques, etc., les endroits.
01:35:52 Mais globalement, c'était à peu près ces chiffres-là.
01:35:55 Dans un monde où un enfant sur deux ne survit pas,
01:35:57 effectivement, je le dis un peu
01:35:59 sous la forme d'une boutade,
01:36:01 est-ce que la pilule,
01:36:02 dont on parle beaucoup comme l'un des outils
01:36:05 qui ont permis aux femmes d'avoir la maîtrise de leur corps,
01:36:09 est-ce que la pilule aurait été utile
01:36:10 à nos aïeuls du Moyen Âge ?
01:36:12 On le voit bien en Afrique,
01:36:14 d'ailleurs dans les pays où il y a une grande mort infantile,
01:36:16 même s'il y a un planning familial,
01:36:18 les femmes n'y vont pas.
01:36:19 Oui, c'est-à-dire, est-ce que ça aurait été utile ?
01:36:22 Peut-être dans certaines situations personnelles, oui,
01:36:24 mais globalement, en tant que groupe,
01:36:26 en tant que moitié de l'humanité,
01:36:29 pas vraiment, ou en tout cas beaucoup moins qu'aujourd'hui,
01:36:31 parce que de toute façon, il fallait produire ces enfants.
01:36:33 Il les fallait à l'échelle du groupe,
01:36:35 parce qu'un groupe doit se reproduire,
01:36:36 mais il les fallait aussi pour les parents eux-mêmes,
01:36:38 parce qu'il n'y avait pas non plus de système de sécurité sociale,
01:36:41 les personnes n'allaient s'occuper d'eux dans leurs vieux jours.
01:36:43 Donc si on n'avait pas d'enfants valides,
01:36:44 en bonne santé, qui survivaient lorsque vous étiez vieux,
01:36:47 eh bien, voilà, vous ne pouviez plus continuer à vivre
01:36:50 si vous n'étiez plus productifs.
01:36:52 Donc, faire des enfants était une nécessité
01:36:54 à la fois collective et individuelle.
01:36:57 Et donc, les femmes les faisaient,
01:36:58 parce que les hommes ne savent pas faire.
01:37:00 Ils ne savaient pas faire, en tout cas, à l'époque.
01:37:03 - Vous insistez aussi sur d'autres progrès médicaux
01:37:05 qu'on a oubliés, parce que ça fait partie du quotidien.
01:37:08 L'invention du tampon hygiénique, par exemple.
01:37:11 - Oui, tout à fait.
01:37:11 - Et d'ailleurs, la publicité, j'ai retrouvé la publicité,
01:37:15 la première publicité utilisée par Tampax,
01:37:18 dans les années 30, au moment de l'invention du...
01:37:20 C'est eux qui... Enfin, c'est elle,
01:37:21 parce que c'est une femme qui était à la tête de Tampax.
01:37:24 C'est "ça ouvre une nouvelle ère pour la féminité",
01:37:26 pour les femmes.
01:37:27 Et c'est ce que vous dites, au fond.
01:37:29 - Oui, c'est ce que je dis, en effet.
01:37:31 Mais je voulais juste revenir un instant sur la mortalité infantile.
01:37:34 Dans mon livre, j'essaye de dénumérer toutes les conquêtes scientifiques
01:37:37 qui ont permis des conquêtes majeures,
01:37:40 qui, à l'époque, étaient célébrées comme des victoires immenses du genre humain.
01:37:44 La vaccination, la pasteurisation, l'asepsie,
01:37:47 et plus tard, les antibiotiques.
01:37:48 Ce sont des choses qui, quand on regarde la courbe de la mortalité infantile,
01:37:51 elle n'a pas arrêté de plonger à chaque fois que ces inventions étaient...
01:37:56 Ces produits, ces médicaments étaient inventés.
01:37:58 Et ensuite, lorsqu'ils étaient généralisés et mis en circulation,
01:38:03 parce qu'il ne suffit pas d'inventer l'antibiotique,
01:38:06 il ne suffit pas d'inventer la pilule, il ne suffit pas d'inventer le vaccin,
01:38:09 il faut qu'ils soient produits à une échelle industrielle
01:38:12 et distribués à l'ensemble de la population,
01:38:14 dans quelque chose qui soit organisé.
01:38:16 Donc, c'est toute cette organisation économique et sociale,
01:38:22 ensemble avec cette infrastructure technologique en dessous,
01:38:25 qui a permis ça.
01:38:26 Effectivement, j'évoque des produits du quotidien,
01:38:29 auxquels on ne pense pas non plus.
01:38:31 Oui, le tampon, les serviettes hygiéniques,
01:38:33 ce sont aussi des produits qui ont permis aux femmes,
01:38:35 y compris d'occuper l'espace public,
01:38:37 de changer de mode vestimentaire, d'avoir plus d'assurance, etc.
01:38:42 - D'aller faire des études, de travailler, etc.
01:38:44 Et au fond, ce que je comprends en lisant votre livre,
01:38:47 c'est que tout ça, la révolution industrielle,
01:38:50 l'indépendance financière,
01:38:51 le fait que le capitalisme ait eu besoin de beaucoup de main d'œuvre,
01:38:54 que les femmes étaient les bienvenues,
01:38:56 même si elles étaient exploitées,
01:38:57 on ne leur donnait qu'un seigneur de complément,
01:39:00 parce que leur mari était censé déjà travailler.
01:39:02 Elles ont ensuite investi le secteur tertiaire,
01:39:05 plus tous les programmes médicaux.
01:39:07 Au fond, vous dites que les luttes féministes
01:39:09 sont venues, à la fin, couronner quelque chose qui était déjà là.
01:39:14 Le droit de vote, l'égalité sexuelle avec la légalisation de l'avortement
01:39:21 ou l'adoption de la pilule.
01:39:24 Ça vient à la fin, au fond.
01:39:26 Oui, quand on regarde la chronologie des luttes
01:39:30 pour l'égalité entre les hommes et les femmes
01:39:32 et les droits qui ont été accordés,
01:39:35 on ne voit pas vraiment de concordance entre les deux.
01:39:39 À partir du XVIIIe siècle, lorsqu'émergent les premières revendications,
01:39:42 au moment de la Révolution française,
01:39:44 et ensuite au XIXe siècle, autour des deux révolutions.
01:39:47 Ce sont des revendications isolées.
01:39:49 Ce sont des figures exceptionnelles,
01:39:52 de femmes très courageuses d'ailleurs, qui protestent,
01:39:54 qui écrivent des pamphlets, qui essayent de faire des publications.
01:39:58 Mais on ne voit pas de traces d'un quelconque rapport de force réel
01:40:02 qu'elles auraient pu établir avec le pouvoir en place.
01:40:05 On ne voit pas du tout quel intérêt les dominants,
01:40:08 en l'occurrence les hommes, le pouvoir masculin de l'époque,
01:40:12 auraient eu à leur céder des pans entiers de ces privilèges
01:40:15 alors qu'ils n'étaient pas réellement contraints
01:40:18 par une quelconque violence, chantage économique,
01:40:21 de pression de grande ampleur.
01:40:23 Donc c'est un peu mystérieux.
01:40:24 C'est en fait ça le point de départ de mon livre.
01:40:26 C'est vraiment quelque chose qui me paraît...
01:40:28 Pourquoi tout à coup on accorde tout ?
01:40:29 C'est parce qu'il y a eu...
01:40:31 Oui, et alors après, il y a une conjonction de facteurs.
01:40:34 C'est-à-dire que je ne dis pas que la Révolution industrielle
01:40:36 produit mécaniquement l'émancipation des femmes.
01:40:39 Je raisonne davantage en termes de conditions de possibilités.
01:40:43 Cette Révolution industrielle et la dynamique du capitalisme,
01:40:46 qui effectivement a besoin de bras,
01:40:48 eh bien ça rend la liberté des femmes
01:40:50 et l'égalité entre les femmes et les hommes
01:40:51 d'abord possible, techniquement, physiquement possible,
01:40:54 physiquement viable, et ensuite utile,
01:40:56 utile au système économique.
01:40:58 Et la conjonction de ces deux facteurs,
01:41:01 avec tout un ensemble d'autres caractéristiques de l'Occident
01:41:03 qui étaient placées dans des conditions idéales,
01:41:05 avec l'affaiblissement de la religion,
01:41:07 et puis comme le remarque Emmanuel Todd,
01:41:09 une structure familiale à la base
01:41:11 qui n'était pas la plus oppressive
01:41:12 de toutes les structures qui existent,
01:41:14 eh bien c'est ce qui a effectivement permis ensuite
01:41:17 à cette égalité de s'imposer d'une façon...
01:41:19 Alors je vais dire relativement facile,
01:41:21 c'est pas par provocation que je le dis,
01:41:23 c'est vraiment à l'échelle historique qu'il faut regarder.
01:41:25 Il n'y a pas eu d'affrontements sanglants.
01:41:27 Il n'y a pas eu d'affrontements sanglants
01:41:28 et surtout ça fait suite à des millénaires
01:41:31 et des millénaires d'un ordre social figé.
01:41:33 Mathieu Bobcoté, réaction ?
01:41:36 Je trouve ça tout à fait passionnant.
01:41:37 Je n'ai pas la prétention...
01:41:39 Enfin, vous écoutant, j'ai l'impression que le mouvement
01:41:42 le féministe tel qu'on l'a connu
01:41:43 dans la deuxième moitié du XVIe siècle,
01:41:45 s'est approprié des victoires qui n'étaient pas nécessairement
01:41:47 "les siennes", entre guillemets,
01:41:48 à planter un drapeau sur un mouvement qu'il n'avait pas initié.
01:41:51 Est-ce que j'en comprends ?
01:41:52 C'est qu'il avait initié mais qu'il n'avait pas été suivi...
01:41:55 C'est-à-dire que, en fait, oui,
01:41:57 je ne nie pas que les combats féministes
01:41:59 ont effectivement apporté des changements,
01:42:00 mais il me semble que ces changements
01:42:02 relèvent plutôt de la deuxième moitié du XXe siècle.
01:42:05 Lorsque les femmes ont déjà acquis un certain point dans la société,
01:42:08 où elles ont acquis des moyens de pression,
01:42:10 y compris dans la rue, dans les entreprises, dans le travail,
01:42:12 elles ont pu peser sur les choses.
01:42:14 On a vu les mouvements autour du droit à disposer de son corps,
01:42:18 ça a été aussi des mouvements féministes
01:42:19 qui l'ont porté dans la rue et qui ont revendiqué.
01:42:22 Et je pense que ça a produit des effets,
01:42:24 y compris parce que l'idée commençait à devenir majoritaire.
01:42:27 Les gens commençaient à se dire, effectivement,
01:42:29 "Bon, dans le monde d'aujourd'hui,
01:42:31 c'est peut-être un archaïsme de ne pas l'accorder."
01:42:33 Mais ce que vous dites aussi dans votre livre,
01:42:34 et d'où ce titre féminicène,
01:42:37 c'est qu'avec la crise environnementale,
01:42:40 le réchauffement climatique,
01:42:43 le risque de disposer de moins de ressources,
01:42:49 d'avoir moins d'énergie aussi,
01:42:51 puisque l'énergie c'est très important
01:42:52 dans la révolution industrielle et dans les progrès
01:42:54 qui ont été faits pour les femmes.
01:42:57 S'il y a moins d'énergie, il risque d'y avoir,
01:43:00 pas tout de suite, mais une régression du statut des femmes.
01:43:05 Au fond, si on perd tous nos esclaves énergétiques,
01:43:07 dont parle Jean-Marc Jancovici dans "Le Monde sans fin",
01:43:12 les premières qui en sont victimes, ce seront peut-être les femmes.
01:43:16 Oui, je cite dans le livre Barjavel,
01:43:19 qui dans une interview explique qu'il a eu une révélation un jour,
01:43:25 en réfléchissant à la civilisation qui était en train de prendre forme autour de lui,
01:43:29 cette civilisation qui est tellement dépendante de l'énergie,
01:43:32 que c'était son point faible.
01:43:34 Et que si cette énergie en venait à manquer,
01:43:36 eh bien cette civilisation connaîtrait un effondrement,
01:43:40 un cataclysme majeur.
01:43:41 Et c'était l'idée qui a donné le roman "Ravage", qui est très marquant.
01:43:45 Alors, on n'est pas...
01:43:46 C'est pas... Il y a la fiction et puis il y a la réalité.
01:43:49 Mais en effet, on est confrontés aujourd'hui,
01:43:51 et ça commence à être bien documenté quand même,
01:43:53 à une conjonction de crises qui menacent l'humanité dans son ensemble.
01:43:56 La crise climatique qui est due à ce même progrès technologique
01:44:01 et à un système productiviste qui a d'abord apporté de grands bienfaits,
01:44:06 mais qui aujourd'hui menace de déstabiliser complètement l'écosystème global.
01:44:12 Et puis, la crise des ressources elle-même.
01:44:14 C'est-à-dire que si notre économie est basée sur une utilisation massive,
01:44:18 massive de l'énergie et d'un tas d'autres matières premières,
01:44:22 notamment les métaux, qui ne sont pas en quantité infinie sur notre planète,
01:44:26 eh bien, c'est deux crises qui se télescopent,
01:44:28 plus tout un ensemble d'autres phénomènes très déplaisants
01:44:32 que j'explore dans le livre,
01:44:33 notamment lié à l'émergence de l'antibioresistance massive,
01:44:37 qui est un phénomène totalement négligé,
01:44:39 risque de se télescoper à peu près au même moment.
01:44:41 C'est une espèce de, j'emploie l'expression de "perfect storm",
01:44:45 de tempête parfaite, qui malheureusement nous menace tous.
01:44:50 Et je pense que les femmes,
01:44:52 on peut discuter de la géographie,
01:44:54 qui seront les régions les plus touchées, les premières touchées.
01:44:56 On parle souvent des pays du Sud.
01:44:58 Et en fait, ce n'est pas si clair,
01:45:00 parce que comme je le dis, plus on monte haut, plus on tombe bas,
01:45:02 et une société très technologisée qui ne produit plus grand-chose,
01:45:06 quand elle s'effondre, ça peut être encore pire
01:45:07 qu'une société très rustique,
01:45:09 qui finalement est habituée à vivre du travail de ses mains.
01:45:12 Mais une chose me semble certaine,
01:45:13 c'est qu'entre les hommes et les femmes,
01:45:15 ce sont les femmes qui seront les plus touchées,
01:45:17 parce que ce sont les femmes qui ont le plus bénéficié de ces progrès,
01:45:23 parce qu'entre autres, ça les a libérées de cette servitude que représentait
01:45:28 la nécessité d'avoir une progéniture nombreuse
01:45:30 et de supporter en même temps toute une quantité de travaux physiques domestiques.
01:45:37 Eh bien, ce sera le dernier mot, parce que l'émission est terminée.
01:45:40 Je ne pourrais pas vous donner la parole.
01:45:41 Vous avez été très, très respectueux.
01:45:46 Merci Véronique Olski, merci tous les quatre.
01:45:49 Merci de nous avoir suivis.
01:45:51 Rendez-vous au prochain numéro, samedi prochain à 22h.
01:45:55 Je vous souhaite une très bonne nuit.
01:45:57 Merci.

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