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L'Invité du 13h (13h - 11 Avril 2023 - Guénaêlle Gault et David Médioni)

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00:00 On parle d'infobésité, de surcharge d'informations, de saturation ou encore de fatigue informationnelle.
00:07 C'est ce concept qui est retenu dans un petit livre, pas de surcharge, mais danse aux éditions
00:13 de l'Aube, quand l'info épuise le syndrome de fatigue informationnelle.
00:18 Plus de la moitié des personnes interrogées en souffrent.
00:20 C'est une affaire de santé publique, l'info déprime, et de santé démocratique.
00:26 Quand on ne parvient pas à faire le tri, soit on se met en retrait, soit on se radicalise.
00:32 Peut-être recevez-vous trop d'informations, vous ne parvenez plus à vous y retrouver,
00:37 ou au contraire vous avez votre méthode, votre chemin pour retenir ce qui vous semble
00:40 intéressant.
00:41 Appelez-nous 01 45 24 7000 et l'appli France Inter.
00:45 Bonjour Gana Elgho.
00:46 Vous dirigez l'Observatoire Société et Consommation, vous enseignez à Sciences Po,
00:50 vous êtes la co-autrice de ce livre avec David Medioni.
00:53 Vous partez d'un principe qui est celui du nuage informationnel.
00:58 C'est quoi le nuage informationnel ?
01:00 Le nuage informationnel, c'est à la fois la formation à laquelle on est exposé et
01:07 la façon dont on ressent cette information.
01:09 C'est en fait une notion qui a été inventée bien avant l'écosystème actuel, par Edgar
01:16 Morin, dans les années 80.
01:17 On a essayé de déplier pour voir ce qu'il en était aujourd'hui.
01:20 C'est-à-dire qu'Edgar Morin parlait de ça avant les réseaux sociaux, avant les
01:23 chaînes d'info en continu.
01:24 Donc c'est un problème accentué aujourd'hui mais qui n'existe pas d'aujourd'hui, qui
01:27 existait avant.
01:28 Oui, je pense aussi qu'Edgar Morin dans sa grande sagesse et son observation avait déjà
01:33 anticipé quelques changements importants.
01:37 Alors c'est d'abord une question de quantité d'informations.
01:40 Tous les deux jours, écrivez-vous, l'humanité produit autant d'informations que ce qu'elle
01:45 a généré de l'aube de la civilisation à 2003.
01:48 Je ne sais pas comment vous avez obtenu ce chiffre.
01:49 Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
01:50 Alors ça, ce n'est pas un de nos chiffres.
01:52 Là, ce sont des chiffres de l'ONU, qui sont repris par des spécialistes de l'ONU.
01:59 Nous, on a plutôt interrogé les Français pour savoir comment ils vivaient tout ça.
02:02 Et ce que vous voyez, c'est qu'ils utilisent huit canaux d'informations différents, les
02:06 personnes qui s'informent.
02:07 Ça dit quelque chose de la quantité aussi ?
02:09 Ça dit quelque chose des flux d'informations, des canaux qu'on utilise.
02:15 Parce qu'en effet, on n'a plus tellement l'habitude maintenant qu'on est vraiment
02:18 dedans.
02:19 Mais quand on regarde les données, il y a dix ans, il n'y avait qu'un Français
02:23 sur cinq qui était sur les réseaux sociaux, d'une manière assez passive.
02:26 Et aujourd'hui, ce sont plus des deux tiers des Français qui sont sur les réseaux sociaux
02:30 et qui commentent, font circuler aussi et produisent de l'information, par exemple.
02:34 Donc là, on voit qu'il y a quelque chose qui a changé dans les flux d'informations.
02:38 Alors, qu'est-ce qui provoque la fatigue informationnelle ?
02:40 Je voudrais vous proposer un dialogue avec nos auditeurs.
02:43 Bonjour Jean-Claude.
02:44 Bonjour.
02:45 Vous vouliez parler de la scénarisation de l'information.
02:48 Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?
02:49 Eh bien écoutez, tout le temps devient séquentiel.
02:53 Il y a des séquences qui se succèdent et on perd le rapport au temps, à la durée,
02:58 et finalement, comment les choses se passent et comment les choses durent.
03:01 Donc on a l'impression que tout est comme un produit qui à chaque fois devrait devenir
03:07 un produit d'appel.
03:08 On est tout le temps sollicité et on oublie finalement comment les choses se produisent,
03:11 comment elles existent dans les temps longs.
03:14 Et donc je sais que France Inter fait beaucoup d'efforts là-dessus.
03:16 Il y a beaucoup d'émissions très intéressantes qui recontextualisent.
03:20 Mais je dirais que ce produit d'appel, et si vous voulez comment en parler Madame,
03:25 finalement crée une mesure parce qu'on a toujours le même type de temporalité, ça
03:28 s'en va.
03:29 Merci, merci Jean-Claude et merci pour les mots sur France Inter.
03:32 Nul n'est parfait, on n'est pas là pour donner des leçons, mais je prends quand même.
03:35 Comment dire ? Dans les entretiens que vous avez, Guénaël Gault, reviennent deux choses
03:41 qui peuvent sembler contradictoires.
03:42 On parle toujours des mêmes choses et on creuse pas assez.
03:44 Ce qui croise un peu le témoignage me semble-t-il de Jean-Claude.
03:47 Oui c'est ça.
03:48 En fait je pense que justement ce qui est intéressant, ce que souligne Jean-Claude,
03:52 c'est à la fois la fragmentation dont on parlait, c'est-à-dire le nombre de canaux
03:55 qui a explosé, qui donne en même temps potentiellement une richesse et dont les gens se sont emparés.
04:01 Mais parallèlement en fait cette fragmentation a aussi créé un univers de compétition.
04:05 Et de compétition pour notre attention.
04:07 C'est-à-dire aujourd'hui justement il faut à tout prix attraper notre attention et l'attraper.
04:14 Et vous savez en neurosciences il y a eu un certain nombre de travaux assez récents en
04:18 fait, notamment par un prix Nobel qui s'appelle Daniel Kahneman, et qui a montré qu'on avait
04:24 en fait deux cerveaux dans notre cerveau.
04:25 Un cerveau 1, système 1, qui est le système très réactif, très émotionnel, de la décision
04:30 automatique, des choses...
04:32 Et c'est important.
04:33 Mais on a le cerveau 2 qui est celui de la réflexion et qui est celui du temps justement
04:37 dont parlait Jean-Claude.
04:38 Et je pense qu'aujourd'hui dans la compétition effrénée, dans cette économie de l'attention,
04:43 c'est notre cerveau, notre système 1 qui est très sollicité et qui produit un peu
04:48 le type de fatigue que décrivait Jean-Claude Alain.
04:50 Vous dites économie de l'attention, c'est un mot clé, économie, parce qu'au fond
04:53 le modèle économique de beaucoup de plateformes repose là-dessus.
04:57 Là où par exemple le bon vieux monde époque Boeuf-Méry, une fois que le monde était
05:01 vendu, les lecteurs en faisaient ce qu'ils voulaient.
05:03 Là il faut absolument capter l'attention des personnes.
05:07 Oui alors je crois que déjà, Hubert Boeuf-Méry, il y avait déjà une première économie
05:11 de l'attention en cela que, et c'est Yves Citton, le sociologue Yves Citton philosophe
05:16 qui explique cela, que en fait vous savez déjà, à Boeuf-Méry il y avait de la pub
05:22 dans le monde.
05:23 Et en fait sans la pub, au moment de Boeuf-Méry, vous payeriez votre exemplaire du monde, je
05:29 crois que c'était 23 ou 26 euros, quelque chose comme ça.
05:32 Ça c'est la première économie de l'attention.
05:33 Mais il y a une deuxième économie de l'attention justement avec les réseaux sociaux, tout
05:40 ça s'est accéléré.
05:41 Et puis maintenant il y a une économie de l'attention aussi de vos données, c'est-à-dire
05:43 c'est plus seulement votre attention, mais il y a vos données derrière qui font aussi
05:47 l'objet de ce marché-là.
05:49 Beaucoup d'informations et souvent négatives.
05:52 Bonjour Anna, merci de nous avoir appelé.
05:54 Vous vouliez parler de ce côté anxiogène des informations.
05:57 Tout à fait, tout à fait.
05:59 Alors comme interlocuteur précédent, moi je pensais que, en fait c'est pareil, moi
06:04 je m'informe très très peu parce qu'en fait le souci c'est que j'ai très peu de
06:10 temps déjà pour le faire.
06:12 Donc j'ai des obligations familiales comme tout le monde, je travaille.
06:17 Et le peu de temps qu'il me reste, je préfère le consacrer à des activités plutôt positives,
06:25 des activités de détente.
06:26 Merci Anna pour ce témoignage.
06:29 Guéna Elgau vous écrivez dans ce petit livre, au fond c'est un enjeu de santé publique.
06:33 Un tiers des personnes interrogées disent limiter leur consultation d'informations,
06:38 l'impact est trop négatif sur leur morale.
06:40 Oui, c'est vrai qu'on voit en fait combien est corrélée cette fatigue informationnelle
06:47 avec un niveau de stress, un niveau d'angoisse, on voit aussi les gens, alors de manière
06:52 plus, dans des entretiens plus qualitatifs, nous dire que le paysage, parce que c'est
06:58 une des conséquences aussi, le paysage de l'information est trop polarisé, on entend
07:01 des mauvaises nouvelles ou des choses anxiogènes parce qu'il y a trop de conflictualité
07:06 aussi, ça peut jouer sur cette fatigue là.
07:10 Et l'enjeu il est de santé publique pour les individus mais il ne faudrait pas en faire
07:13 qu'un enjeu individuel en fait.
07:15 C'est aussi un enjeu pour démocratique, si les gens se détournent, il y a un problème
07:20 dans le débat public.
07:21 Et alors c'est là qu'on en vient effectivement au groupe, à travers ce détail, qui est
07:28 concerné au fond par la fatigue informationnelle ? D'abord, paradoxalement, si j'ose dire,
07:32 ou pas, je ne sais pas, de jeunes urbains hyper connectés et engagés si j'ose dire
07:36 dans l'information, ils sont à l'aise avec l'outil, il n'y a pas de problème,
07:39 ils ont du mal à digérer tout ce qu'ils prennent dans la figure.
07:41 Ça c'est un des premiers groupes concernés par la fatigue informationnelle.
07:44 Oui, et c'est vrai qu'on pourrait se dire c'est contre-intuitif parce qu'ils sont
07:48 précisément nés dans ces technologies, parce qu'on dit maintenant, enfin c'est
07:51 plus du tout des nouvelles technologies pour eux, ils sont nés dedans.
07:54 Mais c'est vrai, ils en sont épuisés parce qu'ils sont très actifs dans leur rapport
07:58 à l'information, c'est ce qui diffère en fait.
08:00 Et donc, ils ont à la fois ces nombreux canaux et en même temps ils sont très actifs et
08:07 ils nous disent, on voit bien, que ça leur demande beaucoup d'effort en fait.
08:11 Ça demande beaucoup d'effort et c'est un puits sans fond en fait.
08:14 C'est ça aussi la différence, c'est que c'est un puits sans fond, ça s'arrête jamais.
08:17 Remarque de Thierry sur l'appli "J'ai vécu le début du Covid avec difficulté à cause
08:22 des propos alarmistes, j'ai cessé de regarder les journaux télé et j'ai réduit la radio,
08:27 je vais beaucoup mieux, je n'ai pas repris l'écoute que j'avais auparavant".
08:30 Il y a beaucoup de gens qui se retirent et qui coupent comme ça le contact si j'ose dire ?
08:35 Oui, ça on l'a vu, alors ça peut être intermittent.
08:38 On l'a effectivement, à l'Aube secours, on avait mené une grande enquête technographique
08:43 pendant deux ans, on a observé les gens vivre cette pandémie et on a vu ce rapport spontanément
08:49 à l'information, les gens nous dirent qu'ils avaient changé, qu'ils avaient d'ailleurs
08:52 re-ritualisé aussi, c'est-à-dire qu'ils se disent "bon ben je ne regarde plus que le JT,
08:56 c'est fini, je coupe d'un seul".
08:58 On l'a vu aussi avec l'élection présidentielle, trop anxiogène, trop de débats agressifs,
09:04 trop de choses comme ça et des gens qui également se retirent en fait de leur rapport à l'information.
09:12 Deuxième groupe contacté par la fatigue informationnelle, on parlait de ces jeunes urbains hyper connectés,
09:16 engagés, un groupe distinct, plus féminin, qui a une forte défiance de base si j'ose
09:24 dire à l'égard des médias, qui a un niveau de vie modeste, qui maîtrise moins les outils,
09:28 ça c'est les deuxièmes principales victimes si j'ose dire de cette fatigue informationnelle.
09:32 Oui, en fait vous avez le groupe des plus jeunes qui sont souvent plus diplômés et
09:38 qui dans ce rapport actif, mais qui en est épuisé.
09:42 Et puis après, quand on n'a ni forcément le temps, ni forcément les ressources, il
09:50 y a deux façons de réagir.
09:52 Il y a deux groupes dont celui que vous venez de nommer.
09:54 Une façon de réagir c'est qu'il y a de la défiance en fait et ça génère de la
09:58 défiance.
09:59 On en revient là au débat démocratique.
10:00 Et voilà, et le groupe que vous venez de citer, cette défiance il la retourne contre
10:05 lui-même.
10:06 C'est souvent des femmes d'ailleurs, je précise parce que je trouve que c'est assez intéressant.
10:09 C'est-à-dire que ça crée de la décapacitation.
10:11 On se dit "je ne suis pas capable, je suis dans quelque chose que je subis, j'y arrive
10:16 pas, je ne contrôle plus".
10:17 Et la défiance se retourne contre elle-même.
10:19 Et puis il y a un autre groupe en fait, qui est à peu près le même d'ailleurs, ils
10:22 sont défiants également, mais qui ne retourne pas la défiance contre lui-même, mais contre
10:25 disons ce qu'ils appelleraient le système.
10:28 C'est-à-dire contre les médias, contre vous, mais contre les politiques, contre eux.
10:32 Parce que justement, plutôt que d'en souffrir soi-même, ou d'en faire souffrir l'image
10:37 que l'on a de soi-même.
10:38 - Parce que parallèlement effectivement la confiance dans les médias, quel que soit
10:41 le média, le taux de confiance est sous les 50%.
10:43 Même la radio est désormais passée sous les 50%.
10:46 Olga, au standard, bonjour Olga.
10:49 - Bonjour.
10:50 - Vous faites le tri, vous avez trouvé le truc pour ne pas être débordée ?
10:53 - Oui, du coup je ne sais pas trop où est-ce que je me situe entre les deux groupes.
10:58 J'espère être encore dans les jeunes, mais je suis peut-être dans les femmes d'un
11:00 peu plus tard.
11:01 Mais oui, du coup, j'écoute France Inter, bien sûr, parce qu'au moins même les
11:07 plages info, ils sont concis, mais l'essentiel y est.
11:12 Et puis sinon, c'est vrai que je regarde via les applications d'informations, soit
11:18 nationales, soit locales, pour ce qui se passe plus près de chez moi, pour pouvoir choisir
11:23 les articles que je vais lire ou pas.
11:25 Parce que, en effet, comme le disaient les auditeurs précédents, des fois même je veux
11:30 regarder le journal télévisé, je le mets même en pause pour être disponible pour
11:34 le regarder.
11:35 Quand je le regarde, je me dis "mais c'est nul, ils n'ont pas du tout développé les
11:38 choses intéressantes".
11:39 Et par contre, il y a plein de choses qui sont presque du people, qui pour moi n'a
11:44 rien à faire là, mais y est.
11:45 Et puis même chose, effectivement, sur les chaînes d'info, si on essaye de regarder,
11:49 là on se dit en effet, on n'a rien à faire là.
11:52 C'est pas de l'info et bon.
11:54 - Merci pour ce témoignage, Guenalgo.
11:56 Il nous reste une poignée de secondes.
11:57 Je voulais souligner un autre groupe que vous avez étudié dans cette enquête.
12:02 Des gens plus âgés qui s'informent avec des médias dits "classiques" et pour qui
12:07 au fond tout va très bien.
12:08 - Oui, parce qu'ils sont dans le rapport à l'information justement tel que, pour
12:14 eux le paysage n'a pas vraiment changé, ils continuent d'être un peu dans le monde
12:17 d'avant de l'information, en quelque sorte.
12:19 Avec justement, et c'est intéressant ce que disait l'auditrice, c'est-à-dire qu'une
12:23 information où il y a un début et une fin.
12:24 Un journal où il y a un début et une fin.
12:26 - Une hiérarchie.
12:27 - Il y a une hiérarchie.
12:28 Et donc là, ce qu'essayait de faire votre auditrice, c'est de reprendre la main, de
12:33 se recréer, elle, ses sommaires en quelque sorte de l'information.
12:36 - Merci Guenalgo d'être venu dans les studios de France Inter.
12:40 Quand l'info épuise le syndrome de fatigue informationnelle.
12:43 Co-écrit avec David Medioni.
12:44 Observatoire Société et Consommation, Fondation Jean Jaurès.
12:47 C'est aux éditions de l'Aube.