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Dans son édito du 29/03/2025, Mathieu Bock-Côté revient sur [thématique de l'édito]

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00:00M. Sensal est condamné à 5 ans de prison.
00:03Les mobilisations pour sa libération n'auront rien donné, Mathieu Bocoté.
00:08Plusieurs y voient une condamnation à mort.
00:11Il m'est difficile, voyant cela, de ne pas penser à Solzhenitsyn.
00:15Est-ce aussi votre cas, Mathieu Bocoté ?
00:17Absolument, absolument.
00:18Solzhenitsyn, c'est le dissident, on pourrait dire, de référence au XXe siècle.
00:23Je le répète, qu'est-ce qu'un dissident ?
00:26Ce n'est pas quelqu'un qui révèle quelque chose d'absolument inconnu,
00:30une vérité qui était ignorée par tous.
00:34Un dissident, c'est quelqu'un qui révèle une vérité par tous connues,
00:38mais généralement tue, parce que la révélation de cette vérité,
00:42vous aurez une sanction inévitable et particulièrement qui peut aller très loin.
00:48Par exemple, on le voit en France aujourd'hui, si je peux me permettre,
00:51lorsqu'on parle de Crépole.
00:52Donc, il y a la notion de dissidence, je veux dire quelque chose.
00:55Dans le cas de Boalem Sansal, on est devant un cas très particulier,
00:59parce que, pourquoi est-il en prison ?
01:01Pour avoir remis en question l'intégrité du territoire algérien.
01:05Donc, il remet en question une certaine lecture de l'histoire.
01:08Pour cela, on le met en prison.
01:10Je note, et je ne sais pas si vous êtes sensibles à ça,
01:12sur les réseaux sociaux, comme on dit, des influenceurs islamistes, probablement,
01:17ou à tout le moins liés au régime algérien,
01:19ne cessent de nous expliquer que Boalem Sansal l'a quand même cherché.
01:22Il ne cesse de nous dire que, fondamentalement,
01:25il a créé les conditions pour qu'on le mette en prison.
01:28On n'aurait peut-être pas dû aller jusque-là,
01:30mais franchement, si on ne veut pas aller en prison,
01:32on ne devrait pas tenir les propos qu'il a tenus.
01:34Ça, je le lis avec quelque effarement.
01:36On le présente comme un écrivain islamophobe
01:39qui, de ce point de vue, ne mérite pas sa liberté d'expression.
01:42C'est quand même fascinant.
01:43Alors, nous, en Occident, évidemment, ça nous choque.
01:45Ça nous choque parce qu'on a intégré, je pense,
01:47notre civilisation est fondée sur la quête de la liberté.
01:49Je pense que ça remonte aux Grecs, ça remonte aux Romains,
01:51ça traverse l'histoire de l'Occident.
01:53La liberté est une valeur absolument fondamentale.
01:55Or, qu'est-ce qu'on voit ici,
01:57c'est qu'un homme qui a usé de sa liberté de parole
01:59et qui était par ailleurs devenu citoyen français, ne l'oublions pas,
02:01est traité aujourd'hui comme un individu qu'on veut,
02:04il doit servir d'exemple
02:06parce qu'il a transgressé un tabou du régime algérien.
02:10Après, il y a une dimension un peu universelle là-dedans.
02:13Le pouvoir, partout sur Terre, n'aime pas qu'on le contredise.
02:17Je pense que ça, il faut le savoir.
02:19Bertrand Juvenel, un auteur un peu oublié aujourd'hui,
02:21mais qui avait écrit « Du pouvoir »,
02:23avait réfléchi à cette question.
02:25Le pouvoir, par définition, aime s'étendre.
02:27Le pouvoir, par définition, aime s'emparer des consciences.
02:30Le pouvoir, par définition, aime qu'on le célèbre.
02:33Le pouvoir, par définition, aime qu'on répète ses slogans.
02:37Le pouvoir, par définition, veut que nous voyons le monde avec ses propres yeux.
02:41De ce point de vue, j'ai parlé de Juvenel, on pourrait parler d'Orwell.
02:45Orwell parle du totalitarisme, mais qu'est-ce que le totalitarisme ?
02:48Si ce n'est un pouvoir absolument dévoyé qui va jusqu'au bout de toutes ses pathologies.
02:54Le pouvoir n'aime pas non plus qu'on le dévoile.
02:57Et ça, c'est absolument fondamental de l'avoir à l'esprit.
02:59Il n'aime pas qu'on le dévoile, il n'aime pas qu'on dévoile ses mécanismes.
03:03Il n'aime pas qu'on dévoile son mode de fonctionnement.
03:05Il n'aime pas qu'on explique de quelle manière il nous a servi.
03:09Voilà pourquoi il ne cesse de multiplier, dans sa nature propre on pourrait dire,
03:13les interdits pour nous amener en fait à nous y soumettre.
03:18L'originalité du monde occidental, c'est d'avoir cherché à composer un système politique
03:23qui limite le pouvoir, qui limite les abus de pouvoir,
03:27qui fait en sorte que le pouvoir ne peut pas tout faire.
03:30Alors l'État de droit, c'est ça qui est absolument tragique.
03:32L'État de droit aujourd'hui, c'est devenu l'autre nom du gouvernement des juges
03:35qui pratique son propre arbitraire pour paralyser le peuple français.
03:38Mais l'État de droit dans sa véritable définition, sa définition antérieure,
03:42c'est le culte des libertés publiques, c'est le culte de la liberté d'expression,
03:46c'est le refus de l'arbitraire, c'est la possibilité pour chaque homme
03:49de contester le pouvoir sans risquer sa peau.
03:52Et je crois que c'est Churchill qui disait « Quel est le propre d'une dictature ? »
03:57En fait dans la dictature et la démocratie, c'est en dictature,
04:02si ça sonne à 6h du matin chez vous, vous avez terriblement envie de fuir immédiatement.
04:06Vous savez que ce n'est pas votre voisin, vous savez que ce n'est pas votre fils qui vient chercher refuge.
04:10À 6h du matin quand on vient sonner chez vous, vous vous inquiétez.
04:13De ce point de vue, je pense que Boislem Sansal est le grand dissident de notre temps.
04:18Il joue un rôle absolument essentiel, presque c'est une figure devenue sacrificielle
04:23qui incarne la possibilité pour un homme de se tenir droit
04:26et de ne pas céder devant ceux qui veulent le casser.
04:29À vous entendre, la liberté semble s'éclipser comme si notre époque ne savait plus qu'en faire.
04:35Est-ce vraiment votre avis Mathieu Boccotta ?
04:37Oui, il y a un paradoxe de la liberté.
04:39La liberté est un élan naturel, je pense que c'est un élan au cœur de l'homme.
04:42Mais ensuite, le propre du pouvoir, je l'ai dit, c'est de chercher à toujours limiter la liberté,
04:47de la confiner dans le domaine le plus intime.
04:49C'était l'Allemagne de l'Est, on parle souvent de cet exemple-là.
04:52L'Allemagne de l'Est maximisait le domaine des plaisirs intimes.
04:55Pourquoi ? Parce que l'homme qui se perd simplement dans les plaisirs intimes et privés,
04:59va oublier la chose publique.
05:01De ce point de vue, ça fait un peu penser à notre civilisation, vous ne trouvez pas ?
05:04C'est-à-dire, on nous dit amusez-vous, divertissement en temps plein,
05:07liberté de divertissement et liberté de l'intime en temps plein.
05:10Mais la chose publique, ne vous en mêlez pas, c'est trop compliqué pour vous.
05:14Donc, il y a un élan naturel de la liberté, mais il faut avoir ensuite le courage de la liberté,
05:18pour reprendre la formule du sociologue québécois Fernand Dumont.
05:21Le courage de la liberté.
05:22Et le courage de la liberté, il peut venir pour quelques-uns très naturellement,
05:26comme une sorte de piqûre de naissance.
05:28Pour la plupart, il faut s'y éduquer.
05:30Il faut s'y éduquer et c'est le passage par la culture, c'est le passage par les œuvres,
05:34c'est le passage aussi par les épreuves nécessaires qui nous éduquent à la liberté civique.
05:38La pente naturelle de l'humain moyen, quoi qu'on en dise, c'est le conformisme.
05:42L'homme ordinaire aujourd'hui a compris qu'il doit répéter le slogan du moment pour faire carrière.
05:48Et on le voit, la classe politique que nous avons, les élites que nous avons,
05:51il y a quand même aujourd'hui un taux de médiocrité assez élevé.
05:53Pourquoi? Parce qu'ils ont compris, l'idée c'est la répétition du slogan,
05:57la répétition du même, la soumission à l'opinion du moment,
06:00quitte à embrasser une opinion contraire le lendemain, tout simplement,
06:03tout simplement parce qu'on veut progresser.
06:05Et de temps en temps, un homme libre se dresse, un homme véritablement libre se dresse.
06:09C'est Boislem-Sensal dans les circonstances actuelles.
06:11Il montre l'exemple, il réveille en chacun la flamme et le désir de la liberté.
06:15Et de ce point de vue, Boislem-Sensal est le dissident de notre temps.

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