Le Conseil européen s’est terminé hier avec une décision des 27 d’accroître les moyens de la défense européenne. "Se réarmer : à quel prix ?" : c’est ce dont nos deux spécialistes vont débattre.
Retrouvez « Le débat éco » présenté par Dominique Seux et Thomas Porcher sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-economique
Retrouvez « Le débat éco » présenté par Dominique Seux et Thomas Porcher sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-economique
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Le réarmement, mais à quel prix ? C'est la question au cœur du débat écho de ce
00:05vendredi entre Thomas Porcher et Dominique Seux.
00:08Bonjour messieurs, ravis de vous retrouver au lendemain de ce conseil extraordinaire
00:13où les 27 ont adopté ce plan « Réarmer l'Europe » qui prévoit une enveloppe de
00:19800 milliards d'euros, une manière de renforcer leur capacité de défense alors que la crise
00:25en Ukraine se prolonge et certains plaident pour une autonomie stratégique, d'autres
00:31pour un accroissement de la capacité des 27 à se protéger, à assurer leur sécurité.
00:37Le président de la République avait pris les devants dès mercredi soir en annonçant
00:42qu'il faudra investir davantage.
00:44On va en parler avant de parler de chiffres, avant de regarder la joie qui secoue les bourses
00:52mondiales puisque les valeurs européennes de la défense sont en train de flamber, 16%
00:58de hausse pour Thalès, près de 15% de hausse pour Dassault Aviation et je ne parle pas
01:04de BAE Systèmes ou de Rheinmetall qui, elles, sont vraiment en train d'atteindre des valeurs
01:10qui ressemblent à une bulle spéculative.
01:13D'abord, faut-il se réarmer ? Thomas Porcher ?
01:16Écoutez, compte tenu des changements politiques qui entraînent des changements d'alliances,
01:22compte tenu de la brutalité qui s'est imposée dans les relations internationales, du fait
01:25que certains états ne respectent plus le droit international, il faut effectivement
01:29gagner en autonomie sur les questions de défense.
01:32Après, quand on parle de réarmement, ce n'est pas que l'achat de chars ou d'avions,
01:38ou la construction de chars ou d'avions si c'est de la construction européenne,
01:41mais ça ce n'est pas pour demain, ce n'est pas pour tout de suite en tous les cas, c'est
01:45aussi par exemple un système de surveillance satellitaire, un système contrôlé à cœur
01:48informatique et tout un tas de choses qui vont mettre quand même un certain nombre d'années.
01:53Donc c'est bien qu'on s'en rende compte aujourd'hui, parce qu'il y a une forme d'urgence,
01:57mais il faut bien comprendre que l'autonomie stratégique totale de l'Europe va mettre
02:02quand même un certain nombre d'années et le président l'a dit.
02:04Donc il faut, à mon sens, moi je suis assez mal à l'aise avec une forme d'escalade
02:08alors que nous ne sommes pas prêts.
02:09Faut-il se réarmer, Dominique Seux ?
02:11Écoutez, cette question posée comme ça dépasse le cadre d'un débat éco, je n'ai pas de
02:17compétences particulières et je reconnais sur le sujet.
02:19En revanche, je note les déclarations qui vont dans le même sens du premier ministre
02:26polonais depuis des mois, de mardi soir du chancelier allemand qui a dit « nous devons
02:32changer d'époque » et du président Emmanuel Macron en France.
02:35Donc il y a manifestement une crainte fondée sur des informations, des informations répétées
02:40depuis assez longtemps sur le fait que le désengagement américain change la donne.
02:48Et donc le désengagement américain nous oblige à revoir à la hausse les moyens de
02:55défense.
02:56Ce qui est frappant sur ce qui s'est passé cette nuit à Bruxelles, c'est évidemment
03:00réarmer l'Europe, l'Europe 1957, depuis 1957, c'est une force, un ensemble créé
03:08pour la paix après la seconde guerre mondiale.
03:11Là, on change, il faut se défendre et donc, c'est-à-dire que du fait du désengagement…
03:16Et l'échelle de la communauté européenne de défense, c'est quand même une date importante
03:19dans l'histoire de la construction européenne.
03:21C'est très loin, 1954, et c'est vrai que ça fait très longtemps que les Français
03:24disent « il faut changer de pied, il faut nous autonomiser ». Moi ce qui me frappe,
03:29c'est que cette nuit, les efforts que tu as annoncés cette nuit n'ont pas l'air
03:33de convaincre Donald Trump.
03:34Qu'il y a manifestement un effet, j'allais dire, faire de la gonflette pour montrer à
03:41Donald Trump que oui, l'Europe est prête à se prendre en charge.
03:45Cette nuit, Donald Trump a dit « écoutez, l'OTAN, moi je ne suis pas certain de continuer
03:49à faire des chèques pour ça ».
03:51Alors, parlons chiffres.
03:52De quels chiffres parle-t-on et quelles conséquences ça peut avoir, notamment en France, sur
03:57les politiques sociales, notamment sur la transition écologique ? Est-ce qu'on passe,
04:02comme certains le disent, du vert au kaki dans un marché ?
04:05On parle de 40 à 50 milliards d'investissements.
04:08Quand on regarde l'investissement dans la défense, c'est souvent de l'investissement
04:12public.
04:13Donc là, il y a une vraie question.
04:16En fait, il faut, à mon avis, faire une hiérarchie entre les urgences.
04:20Effectivement, si on parle d'économie de guerre, c'est qu'il y a une guerre.
04:26On y entre ?
04:28Encore une fois, j'ai du mal avec cette escalade qui a été mise.
04:34Le président Emmanuel Macron est quand même le premier président d'une grande puissance
04:39européenne qui a désigné très clairement les volontés russes et le président russe
04:45comme un ennemi.
04:46Tout en reconnaissant que nous n'étions pas prêts.
04:49Il n'a pas prononcé le mot « d'ennemi ».
04:50Non, pas d'ennemi, mais il a quand même dit qu'il y avait une volonté de la Russie
04:54d'aller plus loin dans des attaques contre l'Europe, tout en reconnaissant que nous
05:00n'étions pas prêts avant 2030.
05:02Donc c'est ça, moi, qui me pose un problème.
05:05Après, sur les financements, si on n'est pas prêts, on déclare pas une guerre pour
05:11moi.
05:12Mais après, c'est un avis purement personnel.
05:13Mais maintenant, quand même, il y a une montée des tensions.
05:17Il y a quand même un dialogue, vous l'avez vu, entre Vladimir Poutine et Emmanuel Macron.
05:20Il y a une escalade de la tension, disons-le.
05:28Je ne sais pas, peut-être que je suis un peu plus sensible, mais je pense qu'il y a une
05:30escalade de la tension.
05:32Maintenant, les 40-50 milliards, si cette urgence, c'est la guerre, si, c'est pas moi de l'établir,
05:39si cette urgence, c'est la guerre, on ne doit pas mettre tout dans le même sac, comme l'a
05:42fait par exemple Antoine Armand, un ancien ministre de l'économie, qui dit « si on
05:47augmente les dépenses militaires, il va falloir couper dans les dépenses de santé, dans
05:49les dépenses sociales en 2026 ». Ça, ce n'est pas entendable.
05:52Donc, je pense qu'il faut être extrêmement prudent sur tous les chiffres qui sont mis
05:56sur la table.
05:57Encore une fois, l'ambition de l'Union Européenne et de la France, c'est de montrer aux Etats-Unis
06:03qu'on est prêt à changer d'époque et à consacrer davantage de moyens dans la défense.
06:07Tout ce plan « Réarmer l'Europe », je le rappelle, une enveloppe de 800 milliards
06:10d'euros, de quoi s'agit-il ?
06:11Donc, il faut prendre les chiffres vraiment avec une certaine distance, avec des pincettes.
06:17Il y a un aspect communication qui est très important.
06:20On parle d'ambition, ce n'est pas pour demain matin, c'est pour les années qui
06:25viennent.
06:26Et les chiffres, on mélange les trucs pluriannuels, les enveloppes annuelles, on mélange l'investissement,
06:32on mélange le fonctionnement.
06:34Sur les 800 milliards, d'abord sur l'Union Européenne, les 800 milliards, c'est pour
06:40l'essentiel, pour les trois quarts, c'est la possibilité donnée à chaque Etat de
06:47remonter leurs moyens de défense, en les finançant personnellement, en pourcentage du PIB.
06:52Donc, ce n'est pas un chèque qui arrive de l'Union Européenne, c'est 800 milliards
06:58par an, c'est 800 milliards sur 4 ans.
07:01Je rappelle qu'on parle de 800 milliards sur 4 ans, le PIB de l'Union Européenne,
07:07c'est 17 000 milliards, donc ce n'est pas non plus la fin du monde, il faut se calmer.
07:11Du côté français, le ministre Sébastien Lecornu a évoqué hier, le budget annuel
07:18de la défense, en 2025, c'est 50 milliards.
07:21C'est le deuxième budget de l'Etat derrière l'éducation nationale.
07:25Voilà, et il a dit qu'il faudrait le monter de l'ordre de 90 milliards, c'est-à-dire
07:31probablement en 2030.
07:33Ça donne l'impression, vous avez repris ce chiffre, que c'est plus 40 milliards.
07:36Je note déjà, premier point, que ce qui est déjà voté, la loi de programmation
07:42pluriannuelle, porte de 50 à 70 milliards.
07:45Donc, on a déjà la moitié du chemin qui est déjà programmé.
07:48Je note, quand je lis par exemple Figaro ce matin, qu'il dit qu'en réalité, ce
07:53que souhaite le ministère de la Défense, c'est augmenter de 10 milliards, de plus
07:59que ce qui est prévu.
08:00Donc, ce n'est pas non plus le changement, et donc je trouve que le débat…
08:05Ce n'est pas une rupture historique.
08:06Je trouve que le débat sur la remise en cause du modèle social, ça nous fait tomber
08:10immédiatement dans une sorte de réflexe pavlovien.
08:12Je pense que, par ailleurs, il faut revoir le modèle social.
08:15Mais si on fait le lien entre les deux immédiatement, vous êtes sûr que vous n'allez pas avoir
08:18de consensus sur les questions de défense.
08:21Je suis d'accord avec Dominique.
08:22Vous êtes d'accord avec lui ?
08:23Pas sur la deuxième partie, mais sur la première partie.
08:24Ça m'inquiète un peu.
08:25Non, non, mais quand il dit qu'on ne peut pas appeler à l'unité, tout en commençant
08:29à opposer les dépenses entre elles, y compris d'autres débats qui vont ressortir en disant
08:33que pendant toutes les guerres, on a mis à contribution les plus riches.
08:36Tous ces débats-là vont diviser la société plus que la réunir, ce qui était le vœu
08:40du Président de la République dans son discours.
08:44Maintenant, on est obligé de constater quand même qu'on nous a dit pendant un certain
08:48nombre de mois que la situation budgétaire était très grave, que la situation de la
08:52dette était extrêmement grave.
08:54Et du jour au lendemain, on peut faire sauter par un coup de baguette magique les critères
08:58de Maastricht et nous dire qu'on va retirer finalement les dépenses concernant la défense
09:03et militaire des critères de Maastricht et il n'y aura pas de souci là-dessus, tout
09:06va bien tenir.
09:07Alors on se dit, on ne pouvait pas le faire par exemple pour les questions climatiques,
09:12on ne pouvait pas le faire pour les questions sociales, on peut le faire d'un coup de
09:14baguette magique pour les questions militaires.
09:16Donc ça veut dire quoi ? Je vais finir là-dessus, ça veut dire que nous sommes effectivement
09:22aujourd'hui dans un capitalisme qui nous amène toujours à l'urgence.
09:26Il y a eu crise sur crise, et donc il va falloir à un moment remettre en cause tous ces traités
09:31qu'on a mis en place dans les années 80.
09:32Oui, il y avait l'urgence climatique, elle a été oubliée, maintenant c'est l'urgence
09:35militaire qu'on a porté.
09:36Il y a eu l'urgence aussi médicale avec le Covid.
09:39Alors expliquez-nous comment faire pour ne pas remettre en cause certains éléments
09:42du modèle social, je termine.
09:44Par exemple la question des retraites qui est posée aujourd'hui à la une de plusieurs
09:47journaux.
09:48Oui tout à fait, je vais vous expliquer, il y a un triangle d'incompatibilité en
09:50économie, on ne peut pas faire des investissements dans le militaire ou dans la transition énergétique
09:55ou ailleurs, défendre notre modèle social et en même temps vouloir réduire les déficits.
09:59Il y a un des trois qui doit sauter.
10:00Et moi je pense que la réduction des déficits, les critères de Maastricht établis en 90,
10:04on n'était pas du tout dans le même monde.
10:05Oui mais pas du tout dans les années 90, j'ai dit, donc 92, on n'était pas du tout
10:08dans le même monde.
10:09Eh bien ces critères-là, on doit les revoir et la preuve, on peut les revoir d'un coup
10:12de baguette magique quand il y a une urgence.
10:13Dominique Seu.
10:14Thomas Porcher a été exaucé depuis des années puisqu'ils ont été largement revus
10:18en France les critères de déficit, puisque moi j'ai regardé un peu la presse européenne
10:23depuis hier et nous sommes à peu près le seul pays où on se pose immédiatement la
10:27question comment va-t-on financer ça ? Parce que nous avons déjà cramé la caisse très
10:33largement.
10:34Et non pas une fois, deux fois, trois fois, mais nous la cramons un peu en permanent.
10:37Je rappelle que nous avons un déficit qui est sortir les dépenses de défense des critères
10:43de Maastricht.
10:44Mais même quand on les sort nous, on est toujours en dehors des clous.
10:47On est le seul pays en Europe à être en dehors des clous, même quand on sort les
10:52dépenses de défense.
10:53Donc tout ça, ce que je vous ai dit tout à l'heure Ali, c'est qu'arrêtons de considérer
11:02que ce sont des chiffres absolument considérables et hors d'atteinte.
11:05On parle de 10 à 20 milliards d'euros supplémentaires pour la défense dans les années qui viennent.
11:12Par an, je rappelle que les dépenses publiques en France c'est 1700 milliards d'euros.
11:17Si on n'arrive pas à trouver 10, 20, 25 milliards de plus, chaque année ça augmente
11:23de plusieurs dizaines de milliards d'euros les dépenses publiques.
11:26Donc ne nous laissons pas complètement, j'allais dire, illusionnés par ces chiffres qui sont
11:33massifs.
11:34Mais par ailleurs, notre modèle social est devenu absolument infinançable.
11:38Et c'est vrai que les négociations qui ont lieu tous les jeudis pour dire comment on
11:42va faire pour rabaisser l'âge de départ à la retraite, c'est quelque chose qui est
11:46totalement irréel.
11:47Irréel peut-être alors, mais quand même, Thomas Porchet, il y a quand même la question
11:53de l'industrie.
11:54On parle de réindustrialisation depuis maintenant des années.
11:56La France est le deuxième exportateur d'armes au monde.
11:59Est-ce que c'est une bonne nouvelle pour ces industries, en termes de création d'emplois,
12:04de réarmer le pays et donc de faire tourner à plein régime les industries de l'armement française ?
12:09Si le surcroît de dépenses peut profiter à ces entreprises, ce serait une bonne nouvelle
12:13pour ces entreprises-là.
12:14Après, j'en suis pas sûr complètement.
12:16Est-ce que c'est une bonne nouvelle d'avoir des entreprises qui sont plutôt bien placées
12:20dans la compétition mondiale pour produire des armements ?
12:23C'est plutôt une bonne nouvelle ou il faut en avoir honte ?
12:25Non, ça dépend comment on utilise...
12:27Encore une fois, là vous voulez me piéger, j'ai bien compris, Dominique il veut me piéger,
12:30alors qu'il a fait une envolée lyrique sur le fait qu'il est revenu sur les retraites
12:34alors qu'on parle de la défense.
12:35Mais bon, non, c'est important d'avoir aujourd'hui, comme on le dit, des entreprises de défense.
12:40Oui, il faut assurer sa défense, il faut être autonome sur la défense, là-dessus,
12:43j'ai aucun problème.
12:44Après, si c'est des entreprises de guerre pour aller faire des guerres un peu bizarres
12:49comme en Irak à l'époque, non, je suis contre.
12:52Nous n'y sommes pas allés d'ailleurs.
12:53Dans ce qui a été décidé cette nuit, sur les financements européens, il y a une clause
13:00qui est intéressante, dont personne ne parle, qui est de dire que les armements devront
13:05être « made by Europe ».
13:07Oui, mais ça risque d'être difficile au début.
13:10Et on y reviendra avec du sucre, après, le Luxman à 8h20.