Budget 2025 : Rigueur inévitable ? - Le débat économique

  • il y a 9 heures
Aujourd'hui, à 7h45, c'est le débat éco avec Thomas Porcher, économiste « atterré » et professeur à la Paris school of business, et Dominique Seux, éditorialiste à France Inter et aux Echos. Michel Barnier a présenté le projet de loi de finances pour 2025, que pensent nos débatteurs de ce budget ?

Retrouvez tous les débats économiques de Dominique Seux et Thomas Porcher sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-economique

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00:00Ils n'ont pas dormi de la nuit pour éplucher les centaines de pages du budget de la France
00:05pour 2025 ! Des documents rendus publics à 20h hier soir, Thomas Porchet, économiste
00:11atterré et professeur à la Paris School of Business, c'est Dominique Seux, éditorialiste
00:16à France Inter et aux Echos, bonjour messieurs, pas besoin de long discours d'introduction,
00:22on vient d'écouter Patrick Cohen, alors allons directement dans le vif du sujet avec
00:26une première question, comment qualifiez-vous ce budget en un ou deux mots, et je vais
00:31compliquer l'exercice messieurs, interdit de dire les mots « cure d'austérité »
00:35ou « matraquage fiscal » ? Thomas Porchet ?
00:38Alors je dirais une saignée, une saignée pour certains postes, on va en parler plus
00:45tard, mais je dirais une saignée au sens propre et figuré, parce que c'est une saignée
00:49parce que ça va être dur et aussi figuré parce que c'est une saignée à la manière
00:53des médecins de Molière, c'est-à-dire qu'ils pensent que ça va marcher mais ça
00:55ne va pas marcher.
00:56Dominique Seux ? Tristesse, tristesse parce que c'est un immense
01:00gâchis en fait.
01:01Ça peut être une joie un budget ? Non mais c'était écrit en fait, ça fait
01:06quand même un bout de temps qu'on sait que le dentifrice ne rentrera pas dans le
01:09tube, on en a souvent parlé ici, on en a souvent débattu ici, je disais un jour les
01:17amis ça va quand même être plus compliqué, on ne peut pas tout avoir, on ne peut pas
01:20tout avoir, des dépenses en plus, des impôts qui baissent parfois trop et à la fin on
01:27a un déficit qui est quand même… En 2026, la France sera le seul pays européen à avoir
01:32un déficit supérieur au fameux 3% de PIB.
01:36La charge de la dette, les intérêts de la dette dans le budget, c'est les trois
01:40quarts l'année prochaine de ce que rapporte l'impôt sur le revenu, donc on est quand
01:43même… En fait c'est un grand gâchis et une partie des contribuables peuvent même
01:48aller en colère.
01:50Je rebondis sur ce que dit Dominique, c'est vrai que c'est un grand gâchis et nous
01:54l'avons dit mais de manière différente, c'est-à-dire que Dominique ça fait des
01:57années qu'il nous dit qu'il y a trop de dépenses publiques, qu'il veut couper
02:00la dépense publique et moi ça fait des années, au moins depuis qu'il y a Macron et même
02:04le CICE, que je dis que la politique de contre-révolution fiscale ne va pas porter les fruits escomptés
02:11et c'est ce qui s'est passé pour moi en grosse partie, c'est-à-dire qu'on a
02:13baissé massivement les impôts et que ça n'a pas eu l'effet sur le PIB.
02:16Je vais vous donner un chiffre très simple pour vous prouver ça.
02:18C'est-à-dire que le taux de prélèvement obligatoire, avant qu'Emmanuel Macron arrive
02:24au pouvoir, il était de 45,1% du PIB, on a baissé de 70 milliards les impôts et vous
02:30savez il était de combien l'année dernière ? De 45,3% du PIB.
02:34Il n'avait pas bougé, tout simplement parce que ça n'a pas eu l'impulsion qu'il
02:39espérait.
02:40Et on va rentrer dans les mesures concrètes qui vont impliquer ou impacter la vie quotidienne.
02:48En fait, ce qui se passe, c'est que les dépenses publiques et les prélèvements
02:53obligatoires en France augmentent depuis une trentaine d'années, continuellement
02:57par palier.
02:58Et à chaque fois, il y a 20 ans on était pour les prélèvements obligatoires autour
03:03de 43, maintenant on est à 45 et c'est habituel, 43-45, les dépenses publiques
03:09augmentent par palier.
03:10Et à la fin, on voit qu'il y a une insatisfaction sur les services rendus, il y a du ras-le-bol
03:16fiscal et il y a du déficit, donc on devrait peut-être se dire « peut-être que nous
03:20avons un problème ».
03:21Les deux, trois mesures qui pour vous semblent importantes à retenir pour la vie quotidienne
03:27parce que c'est vrai qu'un budget c'est complexe et qu'il y a des centaines de
03:31propositions qui doivent encore être discutées au Parlement.
03:35Le Premier ministre a dit d'ailleurs hier que le budget qu'il présentait est un
03:40budget « perfectible ». Jamais un Premier ministre n'a dû fabriquer un budget pour
03:45la France en une période de 15 jours, ce n'est pas possible de tout bien faire en
03:49aussi peu de temps.
03:50Malgré cet exercice d'humilité, Thomas Porcher, qu'est-ce que pour vous il faut
03:55retenir ?
03:56Trois mesures.
03:57Alors moi ce qui me choque d'abord c'est les coupes dans l'éducation, je ne comprends
04:01pas moi qu'on puisse à un moment se dire que l'on va couper dans l'éducation.
04:05Je sais que pour beaucoup parmi vous c'est une dépense éducation, pour moi c'est plutôt
04:09un investissement puisque quand on éduque bien les gens, on forme les futures personnes
04:13qui vont travailler et qui vont être plus productives donc ça, ça me choque.
04:16Les coupes dans le sport après les JO, parce que là on a beaucoup parlé des JO, c'était
04:21super, il fallait se réjouir et là il y a des coupes drastiques dans le sport et dans
04:25la santé aussi.
04:26Dans la santé je trouve ça choquant parce que normalement ça va à l'inverse du bon
04:31sens, c'est-à-dire qu'on est une société qui vieillit, la majorité des dépenses de
04:34santé se font après 60 ans et on va faire des économies aujourd'hui sur la santé.
04:38Alors trois mesures mais avant, les dépenses de santé augmentent l'année prochaine de
04:422,8% donc elles augmentent, il y a des économies mais elles augmentent, trois mesures.
04:48Le prix de l'électricité, donc les prix de l'électricité pour les particuliers vont
04:55moins baisser que s'il n'y avait pas eu une hausse d'impôt, c'est compliqué mais ça
04:59est compliqué oui, en français.
05:00Ils auraient dû, parce que les prix de marché, les prix sur les marchés internationaux ont
05:05beaucoup baissé depuis la crise ukrainienne et donc ils auraient dû baisser au début
05:11de l'année prochaine et ils baisseront un peu moins.
05:13C'est un mauvais signal, alors je comprends sur le plan budgétaire, mais c'est un mauvais
05:17signal parce que nous devons électrifier nos usages, par exemple la voiture électrique,
05:23par exemple le chauffage et donc c'est un contre-signal.
05:26Et les factures devraient baisser pour les ménages d'à peu près 9-10% ?
05:28Alors pas pour tout le monde mais pour la majorité des français, donc c'est un mauvais
05:31signal.
05:32Deuxième, sur la baisse des allégements de charges, il y a une économie qui est faite
05:36sur les allégements de cotisations sociales au niveau du SMIC, le système peut être
05:43amélioré mais c'est vrai qu'il y a 6 mois on nous disait qu'il faut dé-smicardiser
05:46la France et pour dé-smicardiser la France on augmente le coût du travail au niveau
05:52du SMIC.
05:53Intellectuellement je comprends, ça doit inciter les entreprises à augmenter les salaires
05:57mais c'est quand même légèrement contre-intuitif et je m'inquiète pour des secteurs où il
06:01y a beaucoup de SMIC, par exemple la propreté.
06:03Et troisième signal, la hausse du ticket modérateur pour la santé, évidemment ça
06:08va augmenter le tarif des mutuelles, je ne dis pas qu'il ne fallait pas le faire mais
06:12je dis que c'est un changement, vous donnez plus de pouvoir aux mutuelles par rapport
06:16à l'assurance maladie.
06:17Ça c'est une question qui est très régulièrement avancée par ceux qui ont étudié ce budget,
06:22c'est justement le montant des mutuelles qui va augmenter nécessairement, Thomas Porcher.
06:27Oui, là on a un exemple très concret, on ne veut plus de dépenses publiques, parce
06:31qu'on ne veut plus qu'une partie de la santé soit prise en charge par le public,
06:35et donc qu'est-ce que l'on fait ? On passe le pouvoir à la dépense privée.
06:41C'est-à-dire que c'est une question de vastes communicants, c'est-à-dire que si
06:44vous avez une dépense publique qui est plus faible, vous avez une dépense privée qui
06:46augmente.
06:47On le voit bien avec là, si la Sécurité Sociale rembourse moins les médecins, vous
06:50avez des mutuelles qui vont prendre cette partie et qui vont augmenter les tarifs à
06:53la fin.
06:54C'est le consommateur qui le paiera.
06:55Et donc, en réalité, vous voyez, c'est comme pour les collectivités locales.
07:00Les collectivités locales, on ne veut plus qu'elles dépensent d'argent, très bien,
07:04donc elles ne vont plus payer des fonctionnaires pour faire par exemple le ménage ou le nettoyage
07:08dans leur ville.
07:09Elles vont avoir recours à des entreprises privées et donc elles vont baisser, certes,
07:12leur masse salariale publique, mais elles vont augmenter leur consommation intermédiaire.
07:16Donc c'est un jeu de vastes communicants.
07:17Donc en fait, on fait un transfert de la sphère publique à la sphère privée.
07:21Alors, je le vois un peu sous un autre rond, puisqu'on rentre vraiment sur quelque chose
07:24de concret.
07:25Donc, il y a l'arbitrage qu'on a évoqué tous les deux entre ce qui est pris en charge
07:28par l'assurance maladie et ce qui est pris en charge par les mutuelles.
07:31Le choix qui a été fait, c'est que cette mesure ne touchera pas les patients, les 13
07:36millions de personnes de Français qui sont dans le système ALD, affection de longue
07:40durée.
07:41Un chiffre qui augmente continuellement.
07:43Ça, elles sont touchées à 0%.
07:46Donc, on préserve l'intégralité du coût de la santé pour les personnes malades, très
07:53malades et pour les personnes légèrement malades, qui vont voir un médecin de temps
07:58en temps, ce sera un peu plus cher indirectement par les mutuelles.
08:01Est-ce qu'il n'y a pas à mettre sur la table une réflexion sur les ALD ?
08:06Les gens font déjà des arbitrages, les plus pauvres pour aller voir un spécialiste font
08:12des arbitrages.
08:13Et là, ça risque d'augmenter encore plus leur arbitrage.
08:17Il faut reprendre la question que posait Patrick et qu'il vous adressait, comment diminuer
08:23la facture et en l'occurrence, il y a le problème des retraites.
08:27Est-ce que vous comprenez justement qu'il soit efficace sur le plan technique de geler
08:34les retraites pendant 6 mois pour les 14 millions de retraités qui sont affiliés à des régimes
08:39obligatoires de base ?
08:41Les retraités devront eux aussi contribuer à l'effort collectif.
08:45Thomas Porchene.
08:46Les retraités ne sont pas tous riches.
08:47Enfin, ceux qui sont riches, c'est ceux qui ont du patrimoine.
08:48Et moi, ce qui me dérange dans ce budget, c'est que quand on taxe, on va taxer les
08:53très hauts revenus, alors pourquoi pas, on peut en discuter, mais on ne touche pas au
08:56patrimoine.
08:57Et d'ailleurs, la taxation des très hauts revenus rapporterait moins que de revenir
09:00sur l'ISF.
09:01Parce que ça rapporterait 2 milliards, on ne va pas dire de chiffres, et l'ISF c'était
09:03plutôt 4 milliards.
09:04Et là, chez les retraités, ce qui fait que certains retraités sont très riches, c'est
09:07qu'ils ont du patrimoine.
09:08Après, sur les pensions de retraite, quand on regarde en moyenne, ils ne sont pas extrêmement
09:12riches.
09:13Donc, de redécaler de 6 mois, alors qu'il y avait un rattrapage qui s'était fait
09:17après coup, avec l'inflation, je pense qu'encore une fois, ce n'est pas parce
09:22qu'il y a eu des erreurs de cadrage, de l'ingénierie comptable, pour ne pas dire
09:26autre chose, à Bercy, qui ont amené à ce trou-là, qu'il faut qu'ensuite, ou
09:31que la politique de l'offre n'ait pas fonctionné, qu'il faut qu'ensuite, ce
09:33soient les retraités et les malades qui payent.
09:35Techniquement, c'est une mesure qui vous paraît efficace, Dominique ?
09:38Alors, on ne peut pas dire qu'on a un problème de dépense publique et à chaque fois qu'une
09:41économiste présente, dire « il n'en est pas question », c'est la mauvaise.
09:44Ça ne me semble pas un drame absolu, ce gel pendant 6 mois.
09:49De toute façon, nous savons qu'il ne survivra pas au Parlement, puisque la plupart des partis
09:55politiques sont contre, notamment parce que ce sont les retraités qui votent encore en
09:59masse aux élections.
10:01Donc, c'est une mesure à laquelle on ne va pas consacrer beaucoup de temps de parole,
10:05puisqu'elle ne survivra pas au Parlement.
10:06Passons donc au dernier temps de ce débat, messieurs.
10:09Est-ce que ce budget-là vous paraît tout simplement crédible ? On a vu les critiques
10:14émises par Pierre Moscovici, mais ce budget-là est-il suffisant et va-t-il assez loin pour
10:21maîtriser les dépenses publiques et augmenter les recettes ?
10:24Il y a eu un dérapage très clair du déficit.
10:28Il y a eu effectivement des gros problèmes de prévision et là, il faudra que Bercy
10:33rende des comptes.
10:34C'est aussi un peu le bilan de la politique de Macron, de la politique de Love, qui n'a
10:38pas eu les effets escomptés.
10:39Mais maintenant, est-on obligé d'avoir des coupes aussi sévères ?
10:44Parce que là, nous allons, je le dis devant témoin parce qu'on est la première matinale
10:47de France, nous allons rentrer en récession.
10:48Nous allons rentrer en récession économique, très clairement dans les prochaines années,
10:52si le budget est appliqué.
10:53Malgré les problèmes de prévision, nous enregistrons ce qui vient d'arriver.
10:56Oui, nous aurions pu le faire de manière beaucoup plus douce, sur des temps beaucoup
11:00plus longs.
11:01Parce qu'à part, finalement, notre engagement envers nos partenaires européens, rien ne
11:07nous obligeait d'avoir des coupes aussi fortes.
11:09On n'était pas dans le cas de la Grèce.
11:10Dominique Seux ?
11:11Il y a beaucoup plus d'impôts que d'économies.
11:15On voit peu d'économies structurelles à moyen terme.
11:17Et dans la mesure où on voit assez peu d'économies structurelles, je ne vois pas trop comment
11:21les hausses d'impôts seraient seulement temporaires.
11:24Pourquoi ce serait différent dans deux ans ?
11:25Et on doit quand même se poser la question, est-ce qu'il fallait créer un bonus réparation
11:30pour le textile, un pass culture pour acheter des mangas ?
11:33Est-ce qu'il est normal que la Cour des comptes nous dise la semaine dernière que vous avez
11:39en moyenne, le temps de travail dans les collectivités locales, est inférieur de trois semaines
11:44à ce qu'il est dans la fonction publique de l'État ?
11:46C'est le budget de la France 2025, est-ce que c'est un budget pour la France ou est-ce
11:49que c'est un budget pour l'Union Européenne ou est-ce que c'est un budget pour les agences
11:53de notation et fiches par exemple qui va donner son verdict et son évaluation demain ?
11:57Alors, c'est certainement pas pour l'Union Européenne, l'Union Européenne, vous savez,
12:00on lui fait porter toujours le chapeau, mais c'est juste, l'Union Européenne, sur ces
12:05questions-là, elle essaye de faire en sorte que l'euro, la monnaie euro ne saute pas,
12:10que la caisse ne parte pas, et donc c'est un budget, il faut un peu de sérieux budgétaires
12:16pour nous-mêmes.
12:17Ce sera le mot de la fin Thomas Porcher.
12:19C'est les deux derniers, je pense que ce ne sera pas un budget pour la France, et après,
12:23je veux dire, j'entendrais Dominique dans quelques temps nous dire qu'on a été les
12:26grands naïfs de la mondialisation et qu'on a fait une erreur avec ce tournant de la rigueur
12:29comme il l'a dit en 2010.
12:31Merci messieurs, merci Thomas Porcher, merci Dominique Seux, les explications vendredi prochain.

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