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Dans Destins de Femmes, Judith Beller reçoit Dounia Hadni, journaliste et auteur de "La Hchouma" - Ed. Albin Michel

"Destins de Femmes" nous raconte les parcours des femmes extraordinaires qui tissent le lien de notre République. Nous explorons des thèmes universels tels que la lutte pour l’Egalité des genres, la liberté d’expression, la diversité culturelle, le droit à disposer de son corps. Emission tirée du livre de Valérie Perez-Ennouchi, "Destins de Femmes", sorti chez Ramsay, prix Edgard Faure 2021.

Une émission de Judith Beller.

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##DESTIN_DE_FEMMES-2025-02-08##

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Transcription
00:00La caisse d'épargne Ile-de-France, fière de soutenir toutes les femmes, vous présente Sud Radio, Destin de Femmes, Judith Beller.
00:09Bienvenue à toutes et tous dans Destin de Femmes sur Sud Radio.
00:12Votre rendez-vous du samedi à 13h30, c'est une émission inspirée du livre de Valérie Pérez.
00:17Aujourd'hui, vous êtes en compagnie de l'écrivaine Dunia Adni, qui nous vient avec l'Archouma.
00:21Son premier roman chez Albain-Michel Dunia.
00:23Vous avez quitté le Maroc à 18 ans pour vous installer à Paris, devenir journaliste.
00:27Vous êtes passée chez nos confrères de chez Libération pour finalement vous consacrer à l'écriture.
00:31Et le voilà donc, votre premier livre d'une longue lignée, on l'espère pour vous.
00:34Vous allez nous raconter tout ça. Bienvenue sur Sud Radio, Dunia Adni.
00:37Merci Judith.
00:38Avec plaisir.
00:39Sud Radio, Destin de Femmes, Judith Beller.
00:42Alors Dunia, on a quatre questions, ou cinq d'ailleurs, dans cette émission qu'on pose à toutes les femmes pour savoir un peu comment elles se positionnent.
00:49Donc vous allez avoir la grande liberté de dire tout ce que vous avez envie, surtout parlons vrai sur Sud Radio.
00:54On commence par la première, Dunia Adni, quelle est votre définition du féminisme ?
00:59Alors, le féminisme, pour moi il n'y a pas un seul féminisme, il y a plusieurs façons d'être féministe.
01:06Et je pense qu'il faut prendre en compte les différents contextes dans lesquels on est femme pour comprendre le féminisme.
01:13Par exemple, je ne pense pas qu'il doit y avoir un seul féminisme dominant à l'occidentale, par exemple.
01:21Je pense par exemple qu'il y a différents féminismes musulmans et que c'est important aussi de prendre ça en compte.
01:28Voilà, je ne pense pas qu'il y ait un féminisme monolithique en réalité.
01:33Alors dans votre livre, vous nous disiez notamment qu'il y a un axe sur le voile en fait,
01:39et que le voile vous en foutez du voile et que ça ne doit pas être un sujet finalement.
01:43Alors moi ça a résonné tout particulièrement chez moi forcément, avec ce qui se passe en ce moment,
01:48avec nos sœurs iraniennes qui se battent pour le droit à ne pas le porter,
01:51et les certaines françaises qui se battent pour le droit à le porter,
01:55et c'est un combat féministe selon elles.
01:57Donc effectivement, comment vous interprétez ça vous, justement en tant que féministe ?
02:02Que ça devienne un combat, ce droit-là ?
02:07Je pense que, et c'est très clair dans le roman, ma narratrice qui s'appelle Cilia en fait,
02:12en réalité elle n'en peut plus qu'on parle à la place des concernés, quels que soient les concernés.
02:17C'est-à-dire que les personnes, évidemment les femmes qui portent le voile,
02:20alors qu'elles n'ont pas choisi de le porter, c'est intolérable pour Cilia et pour moi y compris,
02:26et comme en fait les femmes qui veulent le porter, qui le portent,
02:30et qui sont réduites à, qui sont réifiées, et qui sont, auxquelles en fait on nie la capacité,
02:41le choix de décider quoi.
02:43Oui c'est ça, tout à fait.
02:45Est-ce que les hommes peuvent être féministes selon vous ?
02:47Oui bien sûr.
02:49Vous avez des exemples autour de vous ?
02:51Oui j'ai des exemples, après j'ai des exemples qui sont insuffisants,
02:57mais comme pour les femmes finalement, je sais pas si on peut être vraiment totalement et pleinement féministes,
03:02je pense que c'est comme les identités en réalité, je pense que c'est quelque chose qui est en mouvement,
03:08je pense qu'on doit se battre constamment pour rester féministes,
03:12je pense que c'est quelque chose qui est en mouvement et à laquelle on doit s'adapter finalement,
03:18hommes comme femmes, je pense qu'il y a des hommes qui pensent l'être et qui finalement n'y arrivent pas,
03:26parce que c'est des choses qui les dépassent, parce qu'ils ne vivent pas certaines pressions dans leur chair
03:35et qu'ils ne peuvent pas comprendre forcément.
03:37D'où je pense aussi l'invention d'une certaine intersectionnalité dans les féminismes,
03:42puisque les minorités s'y reconnaissent en fait peut-être, qu'est-ce que vous en pensez ?
03:48Peut-être, je n'ai pas d'idée, arrêtez sur la question.
03:52Alors selon vous, pourquoi est-ce que le droit des femmes a des difficultés à avancer ?
03:57On parle de la France évidemment, pourquoi ça avance aussi doucement ou pas aussi vite qu'on voudrait ?
04:04Je pense que ça avance, je pense que ça avance bien, je pense qu'au Maroc comme en France,
04:08parce qu'en l'occurrence dans mon livre je parle vraiment de la condition des femmes au Maroc aussi,
04:15ça avance mais il y a toujours des progrès à faire et je pense qu'il faut vraiment écouter toutes les femmes
04:27et leur donner la possibilité, la même place pour s'exprimer dans les médias surtout.
04:36Parce que quand on leur donne trop de place, on dit qu'il y a une espèce d'hystérisation du débat aussi,
04:41donc c'est toujours une histoire d'images qu'on s'en fait, c'est ça le problème dans notre société ?
04:45Je ne vois pas du tout, honnêtement je ne vois pas ce qu'il y a d'hystérique, ce qu'il peut y avoir d'hystérique.
04:52Ça dépend des revendications quoi.
04:54C'est-à-dire ?
04:55Il y a un certain type de féministes qui parlent plus fort que les autres et celles-là sont souvent targuées d'hystérique.
05:03Peut-être après, je pense qu'aussi quand on prive des personnes de parole pendant longtemps,
05:12forcément quand elles l'ont, ça peut donner des réactions un peu fortes et un peu explosives entre guillemets,
05:18mais je pense que ça ne doit pas être une raison de taire et de censurer des paroles.
05:24Donc c'est compréhensible en fait pour vous et ça doit passer par la voix portée aussi.
05:29Oui, encore une fois ça dépend de qui vous parlez.
05:32Mais c'est ce que vous faites en même temps, un petit peu, en écrivant ce livre.
05:35Vous portez haut et fort votre voix, même si c'est un roman, il y a évidemment beaucoup de votre histoire personnelle dedans.
05:40C'est un peu un pamphlet pour la liberté quoi.
05:44Oui, ce que j'ai voulu raconter c'est une histoire qu'on n'entend pas justement.
05:50C'est comment en fait, à cause des injonctions au Maroc, mais aussi en France,
05:54y compris dans des milieux privilégiés, intellectuels, etc.,
05:58on peut être ramené toujours au silence parce que toujours ramené, enfermé dans des cases
06:06et qu'au bout d'un moment, c'est insupportable.
06:09C'est insupportable et ça peut attaquer la santé mentale comme ça a été le cas pour ma narratrice Sylvia
06:15qui s'y retrouve quand même en état de décompensation psychique.
06:19C'est une histoire personnelle ça aussi ?
06:22Ça m'est arrivé, oui.
06:24Qu'est-ce qui fait que le droit des femmes, il bouge par contre dans le bon sens selon vous ?
06:31Je n'ai pas de réponse à cette question.
06:36D'accord, vous avez le droit.
06:39On parle vrai sur Sud Radio, on va parler un peu de vous.
06:41Simone de Beauvoir nous disait qu'on ne n'est pas femme, on le devient.
06:44Est-ce qu'il y a un moment en particulier où vous êtes devenue femme ?
06:48Donia ?
06:50Je pense qu'en écrivant ce livre, oui, je le suis.
06:54Vous avez accouché d'un bébé ?
06:56Oui, c'est ça, tout à fait.
06:59Je pense que je n'ai pas décidé en réalité d'être féministe,
07:04c'est-à-dire que c'est quelque chose qui s'est imposé de lui-même.
07:08Comme je n'ai pas décidé par exemple de grandir dans la honte,
07:11dans l'archouma qui veut dire la honte en arabe,
07:14dans cette espèce de conditionnement du corps,
07:19du poids des apparences, du culte des traditions, etc.
07:25Je n'ai pas choisi de grandir là-dedans,
07:27je n'ai pas choisi non plus d'être confrontée à un certain racisme en arrivant en France.
07:32Je pense que l'identité c'est quelque chose qui est en mouvement,
07:35comme le féminisme que je disais tout à l'heure.
07:38Ce titre, l'archouma justement, c'est la honte en arabe,
07:41ça décrit cette honte aussi profondément ancrée,
07:44pas que chez les femmes, mais dans l'esprit et le corps de nombreux Marocains,
07:48comme quelque chose qu'il faut déconstruire en fait,
07:51et qui est dû à un poids énorme de la société, c'est ça que vous racontez.
07:55Et c'est ça dont il faut se détacher.
07:57Est-ce que vous avez l'impression d'ouvrir un peu la voie ?
08:01J'espère, j'espère.
08:04En tout cas, ce que j'ai essayé vraiment de dire dans mon livre,
08:08ce n'est pas du tout d'avoir une posture surplombante moralisatrice.
08:13Ce qui est intéressant dans l'histoire de Cilia,
08:16c'est qu'elle hérite de cette violence de la société, de son milieu, etc.
08:21Mais en fait, elle aussi finalement reproduit cette violence malgré elle,
08:25alors qu'elle s'était jurée de ne pas le faire.
08:27Je donne un exemple précis à un moment dans le livre.
08:31La mère de la narratrice, la mère de Cilia,
08:34la traite de pute parce qu'elle tombe sur des tampons.
08:37Et donc évidemment, Cilia, ça l'a traumatisée,
08:40et elle s'est promise à ce moment-là de ne jamais faire ça à qui que ce soit.
08:45Et quelques années après, elle se retrouve avec sa sœur
08:49et à lui dire qu'elle a traité de tous les noms
08:52parce qu'elle tombe sur des préservatifs en fait.
08:55En réalité, c'est comment ça nous dépasse,
08:58comment ça dépasse Cilia, comment ça a dépassé sa mère,
09:01comment ça dépasse...
09:03C'est une transgénérationnalité du subconscient presque, quand on vous écoute.
09:07Oui, tout à fait.
09:08Je pense que c'est quelque chose de systémique et qu'il faut dénoncer.
09:12Je pense qu'il faut légiférer, il faut faire de l'éducation.
09:16Ce n'est pas pour fustiger.
09:19Ce conditionnement du corps d'une mère qu'on découvre très aimante aussi,
09:23parce qu'elle aime sa fille clairement,
09:25et elle est en même temps écrasée par ses dictates de la société
09:29qu'elle lui impose aussi, mais par amour en fait.
09:32Donc c'est ça qui est difficile, je suppose, pour Cilia aussi,
09:36c'est de savoir que c'est fait par amour.
09:38Cette haine, elle est faite par amour.
09:41Oui, en fait, sa mère veut protéger son enfant.
09:44Elle a peur pour son enfant.
09:46Dans un pays où les relations sexuelles hors mariage
09:50ne sont pénalement répréhensibles par la loi,
09:53où c'est vu comme une espèce de malédiction,
09:59quelque chose de honteux réellement.
10:01Forcément, elle veut préserver sa fille de ça.
10:05C'est comme la nounou de Cilia aussi.
10:07Qui lui dit de fermer les jambes.
10:08Oui, elle lui dit tu fais ce que tu veux tant que tu gardes tes jambes fermées.
10:12C'est d'une violence qui est terrible,
10:14c'est d'une violence verbale, une violence corporelle, une violence morale.
10:18Qui la suit en plus, dont elle a du mal à se détacher.
10:21Elle a du mal à se détacher, même quand elle est totalement libre,
10:25libérée de ses mouvements, etc.
10:28En France, par exemple.
10:30Ce qu'on entend dans ce que vous dites, c'est le non-dit.
10:33C'est un non-dit qui passe plus fort parfois que les mots.
10:39Les mots, on les recharge aussi.
10:43C'est-à-dire qu'en arabe, dans l'arabe dialectal,
10:47quand on parle de sexualité,
10:50il y a déjà très peu de mots pour en parler.
10:52Et c'est toujours très cru, très violent.
10:54Donc en fait, évidemment, quand on doit parler crûment d'une réalité
11:00qui n'est pas censée être sale, qui n'est pas censée être honteuse,
11:04ça conditionne tellement de choses.
11:06Ça conditionne notre attitude, ça conditionne notre rapport à la langue.
11:11Et ça peut faire vriller plein de jeunes et plein de gens.
11:15Et ce qui se passe, c'est ce qui arrive à s'y lire.
11:18Allez, vous restez avec nous sur Sud Radio pour Destin de Femmes
11:20avec l'écrivaine Dunia Adni et son premier roman, L'Archouma.
11:23C'est sorti chez Albin Michel. À tout de suite.
11:25La Caisse d'Épargne, Île-de-France, fière de soutenir toutes les femmes,
11:29vous présente Sud Radio, Destin de Femmes, Judith Belair.
11:34Destin de Femmes sur Sud Radio, c'est l'émission qui vous raconte
11:36les femmes qui s'engagent pour la République et dans leur chemin.
11:38Tout simplement, vous êtes en compagnie de l'écrivaine Dunia Adni
11:41qui nous vient avec L'Archouma.
11:42L'Archouma, c'est son premier roman et c'est sorti chez Albin Michel.
11:45Alors, Dunia, jamais assez marocaine, ni jamais assez française.
11:49Ça, c'est un truc qui est marquant aussi dans votre livre.
11:53Je vous cite, je ne suis ni une racisée, ni une francisée,
11:55ni une assimilée, ni une blédarde, ni une islamo-gauchiste,
11:58ni une islamophobe, ni une bobo, ni une musulmane pratiquante,
12:01ni une musulmane non pratiquante.
12:03Et surtout, je m'en fous du val.
12:05Bon, le vol, on en a déjà parlé.
12:07Mais ce qui est intéressant, c'est que toutes ces étiquettes
12:09sont des étiquettes que colle la société en permanence.
12:11Alors là, on parle de la société française, clairement.
12:14Comme si on avait besoin de ranger les gens dans des cases
12:16pour se rassurer, en fait, pour être dans le connu.
12:19C'est un peu ça.
12:20Et ça, c'est quelque chose auquel vous, vous avez été confrontée directement.
12:23Oui, tout à fait.
12:25J'ai été confrontée à ça très vite, quand je suis arrivée,
12:28quand j'étais étudiante en classe préparatoire.
12:30Dès qu'il y avait une chanson, dans le livre, je cite la chanson
12:36Aïcha de Chaperelette que tout le monde connaît.
12:39En fait, c'était ma chanson.
12:40Donc oui, Sylvia, c'est ta chanson.
12:43Alors oui, bien sûr, ça peut amuser, mais deux minutes,
12:47quand ça devient quelque chose de répétitif, c'est fatigant.
12:51Et puis aussi, je ne sais pas, par exemple, Sylvia,
12:54quand elle boit de l'alcool ou quand elle mange du porc,
12:58elle est confrontée à un regard parfois qui est approbateur,
13:03mais parce qu'elle est totalement assimilée de ce côté-là.
13:09Et en fait, elle, ce regard-là, c'est pesant aussi.
13:13Donc l'approbation dans ce regard, c'est comme si tout d'un coup,
13:16ça la validait alors qu'elle n'en a pas besoin.
13:18Pour elle, ce n'est pas un élément, manger un morceau de saucisson
13:21ou un verre de vin.
13:22C'est tout à fait.
13:23Comme le fait de ne pas avoir d'accent.
13:25Elle, elle ne rejette pas le fait d'être marocaine.
13:31Alors c'est ça qui est particulier aussi dans cette histoire,
13:33c'est que Sylvia n'est pas une enfant d'immigrés née ici.
13:37Non, c'est une enfant de grande famille marocaine.
13:39C'est une enfant d'une famille privilégiée au Maroc,
13:42qui arrive à 18 ans.
13:44Donc ce n'est pas la même chose.
13:45C'est encore différent, la question de l'identité.
13:47C'est-à-dire qu'elle est pleinement marocaine,
13:49et elle arrive en France, et donc ce n'est pas pareil.
13:52Mais je pense que ce livre, il peut parler aussi à des gens issus de l'immigration.
13:57Oui, parce qu'ils vivent la même chose.
13:58Parce que oui, ils sont habités forcément,
14:00ils sont construits par différentes identités,
14:02par des valeurs qui peuvent parfois se heurter
14:05et être contradictoires,
14:07et parfois ils ont du mal à se placer,
14:09parce que ce n'est pas simple.
14:11Et alors vous, il y a une autre étiquette,
14:13pour Sylvia en tout cas,
14:14qui est l'étiquette de bourgeoise en fait.
14:16Puisque c'est une grande famille,
14:17et qu'elle est habillée en marque,
14:19et que quand ses parents descendent à Paris,
14:20ils descendent à Saint-Germain-des-Prés.
14:21Donc ça aussi, c'est une espèce de dichotomie
14:23dans l'image qu'on se fait de l'immigré,
14:25ou de l'immigration en général.
14:26On n'imagine pas qu'il y a aussi des grandes familles
14:28qui ont des appartements à Saint-Germain.
14:30Et donc pour elle, la normalité du verre de vin
14:32et du morceau de saucisson,
14:34va avec cet appartement-là aussi.
14:36C'est-à-dire qu'elle a été élevée comme ça,
14:38malgré tout, même si sa mère lui dit le contraire.
14:42Oui.
14:44Oui, c'est vrai que quand elle arrive
14:48dans un quotidien de gauche,
14:50elle se rend compte qu'elle est une anomalie,
14:53parce qu'elle est issue d'une minorité.
14:58Les Arabes sont minoritaires.
15:02Dans les rédactions, je ne vous l'apprends pas.
15:05Sauf que c'est une minorité
15:07qui n'est pas là où on l'attend.
15:09C'est-à-dire que, oui, elle a de l'argent,
15:11elle est privilégiée.
15:13Ce n'est pas une Arabe de cité ou de quartier,
15:15ou une Marocaine qu'on doit sauver.
15:19Et elle ne vote pas LHI, a priori.
15:21A priori, non.
15:23Alors ce n'est pas dit dans le livre.
15:25Oui, parce que vous parlez du voile des insoumis aussi,
15:27à un moment donné.
15:33Il y a aussi son mari, qui est à la base un bon Français,
15:35qui fait le chemin inverse.
15:37Lui qui va aller se convertir,
15:39parce qu'il faut se convertir pour épouser une Marocaine,
15:41même s'il le fait juste comme ça.
15:43Et qui fait un chemin inverse.
15:45C'est-à-dire qu'il épouse une Marocaine
15:47dans son pays de la liberté,
15:49et il fait un chemin inverse
15:51dans la considération de sa fameuse.
15:53Oui, mais je pense que
15:55c'est quelque chose d'universel.
16:01Contrôler des femmes
16:03ou penser qu'on peut
16:05les protéger,
16:07c'est quelque chose qui...
16:09La protection, c'est du contrôle, en fait.
16:11Oui, parce qu'elle est sous couvert
16:13d'être protégée par ses parents, etc.
16:15C'est vraiment du contrôle.
16:17Ses parents appellent un détective privé
16:19pour être sûr qu'elle ne fréquente pas
16:21un mec dangereux, alors que c'était juste
16:23un petit voyou.
16:25Un sadiste, presque.
16:27D'ailleurs, c'est pour ça que je parle
16:29et que je me réfère beaucoup
16:31au personnage de Mabel dans
16:33Une femme sous influence de John Cassavetes.
16:35Justement, cette Mabel qui est jouée
16:37par Gina Rolands dans
16:39Une femme sous influence de John Cassavetes,
16:41c'est sorti en 1974.
16:43C'est une référence centrale du roman.
16:45Ce qui m'a marquée personnellement dans ce film,
16:47qui m'a beaucoup marquée,
16:49c'est la magnifique interprétation
16:51de Gina.
16:53C'est combien elle est enfermée, malgré tout,
16:55dans des convenances qui la rendent
16:57folle, parce qu'elle essaie
16:59de le faire, mais elle n'est pas faite pour ça.
17:01Elle pète les plombs,
17:03un peu comme votre personnage,
17:05qui n'en peut plus,
17:07dans un carcan qu'il n'a pas choisi.
17:09C'est un carcan permanent,
17:11qu'elle soit dans un pays ou dans l'autre.
17:13C'est pour ça qu'elle vous a tellement touchée ?
17:15Oui, tout à fait. C'est pour ça
17:17qu'elle m'a touchée et qu'elle m'a bouleversée.
17:21C'est une femme
17:23qui se bat pour être
17:25entendue alors que
17:27personne ne l'entend.
17:29Elle ne lâche pas ça du début
17:31jusqu'à la fin du film, même après
17:33un passage en hôpital psychiatrique.
17:35Quand elle revient, elle n'arrive pas
17:37à se fondre dans aucun moule. Elle n'arrive pas
17:39malgré sa volonté. Elle est vraiment
17:41fondamentalement et viscéralement libre.
17:43Ça me bouleverse.
17:45Et puis,
17:47c'est d'autant plus touchant
17:49que c'est une femme
17:51mère de famille
17:53qui évolue dans les années 70
17:55dans la middle class américaine.
17:57A priori, elle est tellement loin de Cilia
17:59et de moi.
18:01Et en fait, tellement proche.
18:03Pour qui vous l'écrivez, ce livre ?
18:05Pour vous,
18:07pour les auditeurs, pour tous
18:09les futurs lecteurs.
18:11Et surtout,
18:13pour les personnes qui
18:15vivent sous des injonctions
18:17qui ont plusieurs identités.
18:19C'est quand même marqué le coup.
18:21Dans le prisme militaire
18:23aujourd'hui,
18:25moi, en tant que lectrice,
18:27je ne trouve pas de modèle
18:29ou pas assez de modèle, de référence.
18:31Le fait que je sois
18:33happée par
18:35Mabel comme modèle,
18:37c'est parlant.
18:39Ça parle de lui-même.
18:41Je ne peux pas
18:43m'identifier
18:45à des personnages
18:47dans le cinéma, dans le théâtre
18:49ou même dans la littérature.
18:51Parce qu'en fait, même dans les livres,
18:53alors oui, bien sûr, il y a...
18:55Vous parlez de femmes arabes, c'est ça ?
18:57Il n'y a pas de femme arabe à laquelle vous puissiez vous identifier ?
18:59Ben non.
19:01Mais finalement, est-ce que c'est important, ça ?
19:03Oui, bien sûr.
19:05Vous venez de dire que c'est la même chose.
19:07Que cette Mabel, elle est blonde
19:09et qu'en fait, elle se rejoigne complètement dans le combat.
19:11Le combat des femmes, vous ne croyez pas qu'il est universel,
19:13quelle que soit la couleur de cheveux ?
19:15Bien sûr qu'il est universel, mais je pense que
19:17c'est quand même
19:19important d'avoir des référents,
19:21d'avoir des personnalités
19:23dans lesquelles on peut
19:25se reconnaître, dans lesquelles on peut s'identifier
19:27ou pas forcément s'identifier, mais
19:29où il y a un vrai lien.
19:31Je pense que c'est important.
19:33Sinon, on est déconnecté du monde. Sinon, on n'existe pas.
19:35Notre parole n'existe pas. On est quand même différents.
19:37Bien sûr, il y a des valeurs universelles,
19:39mais on ne vient pas du même contexte,
19:41on ne vient pas de la même culture.
19:43Je pense que ce n'est pas interchangeable.
19:45Donc du coup, pour vous,
19:47c'est important de marquer le coup aussi
19:49pour les jeunes filles qui viennent derrière vous,
19:51potentiellement.
19:53C'est de leur donner des clés.
19:55Je n'ai pas cette prévention-là,
19:57mais sinon, il faut que je contribue.
19:59Elle lutte pour sa liberté, en tout cas.
20:01Le fait de lutter pour sa liberté,
20:03c'est déjà être libre,
20:05de le faire. Qu'est-ce que vous en pensez ?
20:07Je ne vais pas vous contredire.
20:09Votre mère, elle l'a lu, vos livres ?
20:11Qu'est-ce qu'elle en a pensé, alors ?
20:13Elle le trouve très, très fort.
20:15Elle trouve que c'est nécessaire qu'il soit lu
20:17par des jeunes femmes et par des parents aussi.
20:19Et votre père aussi, il l'a lu ?
20:21Oui. Il adore aussi.
20:23C'est mon premier fan club.
20:25Pour vous, c'est important aussi de marquer le coup
20:27avec votre famille, du coup.
20:29J'ai envie de dire.
20:31Qu'ils l'accueillent bien, c'est important.
20:33Après, ce n'est pas pour ça que je l'ai fait.
20:35Ce n'est pas un journal intime, c'est un roman
20:37sur lequel j'ai beaucoup travaillé.
20:39Ça a été un travail artisanal.
20:41Je l'ai lu pendant une insomnie.
20:43Je l'ai lu vraiment d'entrée.
20:47Si vous aviez un souhait aujourd'hui,
20:49qu'est-ce que ça serait, Dounia Adni ?
20:53Qu'on puisse
20:55entendre
20:57de nouvelles voix, en fait,
20:59en littérature, dans les arts,
21:01que ce soit au Maroc
21:03ou en France. Vraiment.
21:05Des voix hybrides, des voix qui dérangent, parfois.
21:07Des voix qui ne sont pas attendues.
21:09Je trouve que c'est hyper important.
21:11C'est hyper riche. On ne peut en sortir
21:13que grandi, qu'on soit d'accord ou pas.
21:15C'est vrai. Est-ce que vous avez
21:17un dernier message à passer à nos auditrices,
21:19à nos auditeurs, avant qu'on se quitte ?
21:23Lisez largement.
21:27Ça, j'allais le dire, parce que je le recommande
21:29fortement, effectivement.
21:31Vous l'avez écrit en combien de temps, ce livre ?
21:33Ça m'a pris trois ans, avec une coupure de un an
21:35au milieu. Parce que vous avez dû respirer
21:37entre-temps ? Parce que je me suis
21:39retrouvée bloquée dans l'écriture.
21:41Après, j'ai dû reprendre.
21:43C'est compliqué d'écrire un livre.
21:45C'est très compliqué.
21:47Et en même temps, il n'est pas plus satisfaisant
21:49quand ça sort.
21:51Bravo, en tout cas.
21:53Bravo pour votre premier livre.
21:55Je vous reconseille à tous
21:57et à toutes, évidemment,
21:59le tout dernier livre, le tout premier livre
22:01de Dounia Adni, qui est très agréable à lire
22:03et qui parle de choses qui nous touchent tous.
22:05C'est chez Albin Michel et c'est chez tous les bons
22:07libraires. Merci beaucoup, Dounia Adni.
22:09Nous, on a rendez-vous demain à 19h
22:11pour cet excellent. Et samedi prochain, à 13h30
22:13pour un nouveau Destin de Femme. Je vous embrasse.
22:15A plus tard. Bye.

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