Jeudi 30 janvier 2025, MANAGER L'ODYSSÉE reçoit Christophe Deshayes (Chercheur en sciences de gestion et du management)
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00:00Bienvenue dans Manager l'Odyssée sur Be Smart for Change. Aujourd'hui, pas d'immersion dans le quotidien d'un manager.
00:15Je vous propose de prendre un peu plus de recul encore grâce au regard éclairé d'un chercheur.
00:21Pour ce faire, j'ai le plaisir d'accueillir Christophe Dehais, chercheur en sciences de gestion à l'école de Paris du Management,
00:29auteur de « La transformation numérique et les patrons, les dirigeants à la manœuvre », c'est aux éditions Presse des Mines.
00:36Nous allons aborder ce que le management signifie aujourd'hui alors que les enjeux tels que la transition écologique
00:43et la transformation technologique reconfigurent profondément nos modes de fonctionnement.
00:53Bonjour Christophe. Bonjour Alix.
00:55Merci d'avoir accepté mon invitation. Christophe, je l'ai dit en introduction, ici on ne revient pas sur votre parcours de manager.
01:04J'aimerais néanmoins qu'on évoque ce parcours atypique qui conjugue une longue carrière en entreprise et une activité de chercheur.
01:13Qu'est-ce qui vous a poussé à passer de la pratique à la théorie ?
01:18D'abord, je voudrais dire une chose, c'est que quand on est petit, il y a des gens qui rêvent d'être pompier et moi je rêvais d'être manager.
01:25C'est bizarre, je n'ai jamais entendu quelqu'un d'autre prononcer ça mais j'ai été passionné par ça et je vais sans doute vous le raconter.
01:33Donc, j'ai voulu faire manager puis entrepreneur et puis j'ai fini par effectivement être tellement passionné par ces choses-là aussi,
01:43il a cherché à lire et à apprendre, que j'ai fini par être chercheur en sciences de gestion et du management parce que c'est vraiment une vraie passion.
01:52C'est rigolo quand même d'entrer dans la psychologie de qui vous étiez enfant, mais pourquoi cette envie d'être manager enfant ?
01:59Évidemment, c'est parce que j'avais des exemples et j'avais notamment un père chef d'entreprise.
02:04Vous vouliez être chef ?
02:05Non, je ne peux pas tellement être chef.
02:07Enfant, pour moi, c'est comme ça qu'on le voit.
02:09Alors justement, j'ai eu la chance d'avoir un père qui acceptait de parler et donc d'échanger très jeune.
02:17En tout cas, au moins à 14-15 ans, je pouvais déjà beaucoup parler avec lui.
02:21J'ai vu cette solitude du manager, cette instabilité face à ses aléas.
02:27Lui était chef d'entreprise ?
02:28Oui, tout à fait.
02:29Et ce qu'il faisait ?
02:30Oui, il dirigeait une petite industrie d'un millier de personnes qui avait une ETI, comme on dit aujourd'hui, qui avait à peu près tous les problèmes de la Terre.
02:40Et pour moi, il y a un côté romanesque qui ne m'a pas lâché.
02:44Ce n'est pas vrai de tous les managers, mais en tout cas, un certain nombre de managers, en tout cas ceux qui m'intéressent.
02:49Il y a vraiment un côté absolument romanesque.
02:54Et pour tout le dire, l'entreprise, déjà, il faut revenir à ce qu'est l'entreprise.
02:59Les gens imaginaient une entreprise, alors on voit tout de suite les locaux, on voit la posture, on voit un certain nombre de choses.
03:06On a l'impression que c'est solide, mais l'entreprise, c'est quelque chose de particulièrement improbable.
03:11Le fait que tout un tas de gens se mettent ensemble pour faire quelque chose dans la durée...
03:17Ils passent le coup clair de leur temps.
03:19On a déjà du mal à tenir dans la durée en couple, ou d'imaginer à plusieurs, etc.
03:24Il y a toutes les chances que ça ne prenne pas. Il y a toutes les chances pour que ça se casse la figure au bout d'un certain temps.
03:31Donc le manager est une espèce de scisif à essayer de rouler sa pierre en permanence et à avoir de grandes difficultés à partager ses doutes.
03:40Parce que s'il montre ses doutes, évidemment, ça fait plutôt peur, en tout cas, au moins une partie des gens.
03:47Ce jeu sur la certitude de là où on va, alors qu'en fait, on n'en sait pas grand chose, si on veut être honnête.
03:54Tout ça est absolument passionnant, vertigineux, et je l'ai dit, mais je le pense vraiment, romanesque.
04:00Pour être précis, pour revenir sur votre parcours, où est-ce que vous travaillez avant d'être chercheur ?
04:06J'ai d'abord eu un parcours complètement hasardeux dans l'informatique, alors que je n'ai jamais pendu une ligne.
04:13Donc j'ai été dirigeant de filiale et adjoint du directeur de la stratégie d'un groupe qui est devenu Atos,
04:20qui a les problèmes qu'on connaît aujourd'hui, mais c'était il y a très très longtemps.
04:25J'en suis sorti par un SMA, et donc j'ai créé ma première entreprise avec Atos comme co-actionnaire.
04:32Et puis ensuite, j'ai créé encore une ou deux autres entreprises sur de la veille technologique et stratégique.
04:41Donc c'est surtout ça qui m'a aussi amené finalement à la recherche, en parlant de plus en plus de veille d'information, de stratégie.
04:49Bien évidemment, il y a un lien assez fort, et puis cette passion sur ces sujets extrêmement improbables qu'est l'entreprise,
04:57et comment ça peut naître, et comment surtout ça peut durer.
05:02Mais comment on décide de devenir chercheur en management ? Il y a eu un switch, un élément déclencheur, une frustration ?
05:10Pour frustration, je ne sais pas, je suis sur une chaise, pas sur un divan, donc je ne sais pas, peut-être qu'il faudrait que je cherche.
05:17Non, mais c'est une opportunité.
05:22Alors d'abord, oui, quand j'ai fait une entreprise de veille technologique qui s'appelait Documentale,
05:29je cherchais à un moment à essayer d'expliquer l'utilité qu'on pouvait avoir pour les entreprises.
05:34Et donc j'ai commencé à rencontrer des chercheurs pour essayer d'expliquer pourquoi ça avait un intérêt de regarder à l'extérieur,
05:41de se regarder soi-même, la réflexivité, etc.
05:45Et puis là, à partir de là, j'ai commencé à entrer dans un réseau de chercheurs, des affinités, des lectures.
05:51Et puis à un moment, il y a eu une opportunité, enfin une opportunité qui a été devenue très, très progressive.
05:56Et puis à un moment, c'est devenu assez clair.
06:00C'est clair, j'ai commencé à écrire des articles sans être chercheur académique.
06:05Et puis finalement, on finit par se dire, après tout, pourquoi pas ?
06:12C'est une suite assez logique, même si ça ne paraît pas.
06:15Et je le dis quand même, on est quand même quelques dizaines de milliers de chercheurs,
06:22surtout de docteurs en sciences de gestion et du management.
06:2520% de l'enseignement supérieur est attribué à la gestion et au management.
06:31Donc le marketing, c'est du management.
06:34La DRH, c'est considéré comme des sciences de gestion et du management, la stratégie.
06:40Donc en fait, nous sommes quand même très, très, très nombreux, même si ça passe sous les radars.
06:45Et quand on dit, par exemple, aux journalistes, le management, il y a de la recherche en management.
06:51On tombe un peu des nues, on passe notre temps à écouter à la télé.
06:56Pour parler d'entreprise, on invite quoi ? On invite essentiellement des économistes,
07:00qui n'ont absolument pas les outils pour savoir ce qui se passe dans l'entreprise.
07:02Ou des entrepreneurs eux-mêmes.
07:04Bien sûr, mais sur le plan académique, on interviewe 90% des économistes.
07:10Et donc, pour en venir à la raison de votre venue aujourd'hui,
07:14dans l'une de vos tribunes publiées dans Le Monde en octobre dernier,
07:17vous mettez en avant une critique assez frontale du management contemporain.
07:23Et donc, cette vision, finalement, elle est nourrie par vos expériences,
07:26ou ce sont des observations plus générales, ou les deux ?
07:29Les deux. La première, alors là, pour le coup, on va parler de frustration.
07:34Une grande frustration. Je vous ai dit ma flamme pour le management.
07:40Il y a une espèce de paradoxe absolu.
07:43Le management a mangé absolument tout. Tout est management.
07:48Et tout ce qui ne va pas est un problème de management.
07:50L'école ne va pas. Il y a un problème de management de l'école.
07:53La police ne va pas. L'hôpital ne va pas.
07:57La caractéristique numéro un de ce qui ne va pas à l'hôpital…
08:00Ça, c'est symptomatique de l'époque.
08:02C'est le management. Ce qui est symptomatique, c'est qu'en fait, le management est partout.
08:07Et en fait, on ne sait pas ce que ça veut dire.
08:09On ne sait pas, on ne sait plus.
08:12Et ça, c'est quand même un vrai sujet d'une vraie frustration.
08:16On a des écoles de management. On fait du management, y compris dans les écoles qui ne sont pas de management.
08:21Parce que c'est partout. Et ça peut être légitime.
08:24Mais du coup, finalement…
08:26Pourquoi c'est vain ?
08:28C'est surtout qu'on n'attrape plus la chose.
08:31Et donc, ce succès quelque part du management, qui a fini par tout manger,
08:36on n'a pas ce recul et on ne sait pas vraiment ce qu'on fait.
08:41Alors moi, la première chose déjà, c'est qu'il y a trois sphères qui touchent à du management et qui ne se parlent pas.
08:47La première, c'est les praticiens.
08:49C'est tous ceux que vous recevez, des managers, des entrepreneurs.
08:53Eux, ils sont dans la pratique.
08:55Et comme toute pratique, c'est un art, le management.
08:59Et alors, comme tout art, imaginez la cuisine.
09:03Vous avez des petits mitrons, vous avez des gens qui font la plonge, vous avez des grands chefs.
09:07Vous avez même des stars.
09:09L'axe, très important, il y a des dizaines de milliers de gens qui font ça,
09:15ce sont des pratiques, des praticiens.
09:17On apprend ça un peu à l'école, on apprend ça beaucoup sur le tas.
09:20Donc, il faut de l'expérience.
09:22Il y en a une deuxième catégorie, c'est l'industrie du management.
09:25L'industrie du management, ce sont les consultants
09:28qui prennent des pratiques et qui essaient de les industrialiser,
09:31de les dupliquer, de porter un point de vue sur l'efficacité de telle ou telle pratique.
09:38Ça, c'est encore une autre chose.
09:40Et je sais qu'elle marche bien, elle aussi.
09:42Ça s'est beaucoup développé.
09:44Et puis, il y a les chercheurs, donc le point de vue académique.
09:48Et là, on produit des connaissances à partir d'études de cas,
09:53à partir de statistiques, à partir d'un certain nombre de choses.
09:55Il y a différentes écoles, bien évidemment.
09:57Et je vous ai dit, c'est plusieurs dizaines de milliers de chercheurs.
10:01Donc, ça fait beaucoup de monde et trois domaines qui, en gros, ne se parlent pas.
10:05Mais c'est ce qui explique que c'est devenu un gros mot, quelque part ?
10:08Alors, il y a deux choses.
10:10C'est que déjà, il y a aussi un vécu chez beaucoup de gens,
10:13et vous l'entendez, mon manager, avec un côté un peu critique,
10:18qui ne comprennent pas tout un tas de choses.
10:21Et il y a évidemment des postures.
10:24Et il y a, par moment, on peut penser, on peut le craindre,
10:27que le management soit devenu un gros mot.
10:29Typiquement, le manager, c'est celui qui ne sait rien faire
10:32pour un certain nombre de personnes.
10:35Alors qu'il y a évidemment des compétences.
10:38Ça, on peut y revenir.
10:40Et c'est bien mon propos, et c'est bien là où j'ai une frustration.
10:43C'est qu'il y a quelque chose de tellement intéressant à expliquer,
10:46et on est tellement dans cette incompréhension
10:49qui est entre le déni et, finalement, la mauvaise compréhension,
10:54qu'à la fin, on ne sait plus bien où on se situe.
10:57Mais selon vous, c'est dû à des erreurs qui sont systémiques,
11:02ou c'est des évolutions sociétales de presque fruit ?
11:06C'est la faute d'un petit peu tout le monde.
11:09Si je pointe les chercheurs, par exemple.
11:12Les chercheurs, on s'est répartis en certains nombres de disciplines.
11:16Je l'ai cité tout à l'heure.
11:18La gestion marketing, la gestion financière,
11:20la gestion des ressources humaines, la gestion logistique.
11:23Il y a plein de raisons à ça.
11:25Les choses sont compliquées, évidemment.
11:27Il faut se spécialiser.
11:29Du coup, on perd de vue l'ensemble.
11:32C'est quoi qui réunit toutes ces disciplines entre elles ?
11:36Qu'est-ce que c'est que la gestion ?
11:38La traduction de management, je vous le rappelle.
11:40C'est quoi la gestion ?
11:43Il y a beaucoup de monde qui serait quand même bien en peine.
11:46La gestion, c'est fondamentalement de l'organisation.
11:49Qu'est-ce que c'est que de l'organisation ?
11:52De les séparer pour les rendre plus efficaces d'une certaine manière.
11:56Mais évidemment, si on les sépare, il faut les réunir.
11:58Donc, on passe notre temps à séparer d'une autre manière.
12:01C'était avant.
12:02Pour les réunir, on les coordonne.
12:06On a plein de solutions pour réunir après avoir séparé.
12:11Et ça, c'est pour avoir quelque chose de plus efficace à la sortie.
12:15Et pourquoi on ne le fait pas, alors ?
12:16Si, on le fait.
12:17Mais on le fait sans le dire.
12:18On le fait mal.
12:19On ne l'explique pas forcément bien.
12:21Donc, les gens sont perdus.
12:24Y compris, parfois, les manageurs.
12:26Même, peut-être, parfois, les chercheurs.
12:29Pourquoi pas ?
12:30Et donc, c'est dans cette espèce de mainstrom
12:33qu'il y a quand même un vrai problème.
12:34Puisque, je vous l'ai dit avant, tout est management.
12:37Et donc, si on revient au mot d'un certain nombre de choses,
12:40effectivement, la santé aujourd'hui,
12:42pour prendre que celui-là que tout le monde connaît,
12:44c'est incontestablement pas bien managé.
12:47C'est parce que ce n'est pas bien managé.
12:49Et donc, ce n'est pas plus de management.
12:52C'est ce qu'on a essayé de faire.
12:53Alors, ça s'appelle le new public management.
12:55Depuis les années 80, on essaie de dire,
12:57on va faire comme dans le privé.
12:59Donc, en supposant que le privé a les bonnes recettes de management,
13:04on va les appliquer au public.
13:05On voit le résultat.
13:06En fait, il y a eu plusieurs couches de new public management.
13:09À l'arrivée, bon, on ne sait pas ce qu'on fait.
13:11Parce qu'il y a vraiment des choses très, très, très différentes
13:14qui s'affrontent et qui font qu'à la fin,
13:17tout pourrait être légitime unitairement,
13:20mais on perd le sens de tout ça.
13:22Et c'est bien l'absence de sens qui pose un problème à plein de gens aujourd'hui.
13:26Pourquoi est-ce qu'on se sépare de telle entreprise ?
13:30Ça faisait 20 ans que j'étais là.
13:32Et puis, d'un seul coup, on me dit que je suis vendu.
13:34Pourquoi ? Comment ?
13:35Il y a des raisons à tout ça,
13:37qui ne sont pas forcément exclusivement des problèmes
13:41de profitabilité immédiate.
13:44Des fois, ça l'est, bien sûr.
13:46Mais ça peut être beaucoup plus complexe que ça,
13:48mais ce n'est pas expliqué.
13:50Et justement, quand on parle de management en crise, par exemple,
13:53on imagine souvent des cas extrêmes de maltraitance,
13:56de déconnexion avec les équipes.
13:59C'est aussi votre constat ou le problème, c'est plus diffus,
14:02c'est plus structurel ?
14:04Quand on ne sait pas ce que c'est que le bon management,
14:06il est bien évident que dans tout métier,
14:10il y a du mauvais quelque chose.
14:12Vous pouvez définir aujourd'hui le bon management ?
14:14Je vais finir.
14:15Forcément, il y a du mauvais management.
14:17Je vais même plus loin.
14:18Il y a clairement du management toxique.
14:22Une partie du problème du management,
14:24c'est que le manager est potentiellement à la fois juge et parti.
14:29Ce qui, dans beaucoup de systèmes, montre que c'est un problème.
14:35Il y a des managers, heureusement pas très nombreux,
14:40mais qui font beaucoup de dégâts,
14:42qui ne managent pas bien et qui, en l'occurrence,
14:45n'assument pas la responsabilité de leurs actes et se défoncent
14:49sur les collaborateurs, sur les collègues, sur que sais-je encore,
14:53qui mettent plein de choses sur le tapis.
14:55Tout ça, ça se sait, c'est connu.
14:57Pour le coup, sur le plan académique, il y a du nom de littérature.
15:01Et dans la vie de tous les jours, tout le monde en parle.
15:04Beaucoup plus qu'avant, même.
15:06Oui, et dans une réorganisation, tu vas chez qui ? C'est l'angoisse.
15:10Sur les problèmes de toxicité, etc., ça va jusque-là de temps en temps.
15:18Vous avez effectivement des entreprises qui ont été pointées du doigt
15:22par des audits en disant, dans des cas de suicide,
15:25il y a vraiment eu à la fois des individus…
15:27Mais là, c'est extrême.
15:28Oui, c'est extrême, mais ça existe.
15:30Nous ne commençons pas par dire que ça n'existe pas,
15:32ou que c'est un problème individuel.
15:34Bien sûr, et je vous demandais si le problème était…
15:36C'est la dérive.
15:37Oui.
15:38C'est la dérive.
15:39Quand on ne sait pas ce qu'on fait vraiment,
15:42forcément qu'on laisse la possibilité de se développer
15:46dans une proportion supérieure à ce qui devrait être normal,
15:50d'un mauvais management, voire d'un management toxique.
15:53Et ça, c'est un vrai sujet.
15:55Je reviens sur le management, la définition du management.
15:57Il y a plein de gens qui pensent que management égale leadership.
16:01C'est sous-entendu, comment je dirige les gens, comment je…
16:04Prendre ses décisions.
16:05Management, c'est gestion.
16:06Gestion, management, c'est vraiment un synonyme.
16:11La gestion des choses et la gestion éventuellement des gens.
16:15Évidemment, quand il y a un impact sur les individus,
16:18il faut faire attention aux individus, c'est la moindre des choses.
16:21Donc, il y a une compétence sociale, voire psychologique,
16:25absolument indispensable pour les managers.
16:27Qui est négligée.
16:29Alors, qui est négligée par certains et qui est survalorisée par d'autres.
16:33Regardez le développement des coachs management,
16:36qui pour l'essentiel ont des bases plutôt psychologiques
16:41et qui souvent réduisent leur action positive à l'interaction, à la posture.
16:49Ce qui est important et qui d'ailleurs n'est peut-être pas appris
16:52dans les écoles de management, encore que c'est des choses échangées.
16:55Mais fondamentalement, vous voyez bien que ce n'est qu'une partie du problème.
17:00Et donc, à chaque fois, on fait des choses intéressantes,
17:03mais on n'a jamais la big picture.
17:06Et donc, on se dit, le nombre de fois où on va dans des formations
17:11tout à fait intéressantes, on se dit, comment je vais intégrer ça
17:14dans ma pratique quand je vais revenir avec mes collègues
17:18qui n'ont pas suivi la même formation, etc.
17:20Et justement, vous parlez de paradoxes dans le management actuel.
17:24C'est quoi les plus emblématiques selon vous ?
17:28Alors, il y en a énormément.
17:31J'ai envie de dire, c'est presque un sujet paradoxal par essence.
17:37Mais typiquement, regardez, le management, je parlais d'organisation.
17:42C'est fondamentalement de l'organisation.
17:45En organisation, nos amis anglofaxons ont deux manières de décliner
17:50qui aident à comprendre.
17:52C'est organizing, la fonction organisante,
17:56et organization, les organisations, c'est-à-dire les entreprises,
18:00mais aussi les associations.
18:03Donc, vous voyez que là, on a déjà, alors ce n'est pas forcément un paradoxe,
18:06c'est plutôt une ambiguïté, qu'on a déjà un mal fou à expliciter.
18:12Dans la façon dont on qualifie les choses.
18:16Le problème fondamental du management, c'est qu'on s'adresse à de l'efficacité.
18:21On est sur de l'action collective organisée dans le but de quelque chose
18:26qui n'est pas forcément le profit.
18:28Quand on le fait dans une association, c'est pour une finalité sociale.
18:33Oui, parce qu'ici, on ne reçoit pas que des entreprises
18:35qui ont des objectifs de croissance.
18:37Bien sûr, je parle d'organisation au sens large,
18:40c'est d'ailleurs un service public, pourquoi je citais tout à l'heure la police, la justice,
18:45c'est évidemment qu'il y a du management, ça doit être managé.
18:49Donc, on a tous ces aspects-là, et sur lesquels,
18:54si vous ne donnez pas la ligne d'horizon, le temps,
18:59il est absolument impossible de définir l'efficacité de quoi que ce soit.
19:04Ce qui est efficace à aujourd'hui, pourrait être inefficace dans un mois ou dans dix ans.
19:09Ça, c'est pareil quand on prend des décisions.
19:12À quel horizon la décision a été prise ?
19:15On ne l'explicite jamais.
19:17Donc, on ne comprend pas.
19:20Les gens se disent, moi, ça fait 20 ans que je suis là,
19:22donc évidemment, ils se projettent à encore dix ans avant d'être en retraite, etc.
19:28Donc, pour eux, leur mode naturel, c'est à la fois le quotidien et puis la décennie.
19:35Si la décision a été prise sur l'exercice ou sur les trois ans qui viennent,
19:39parce que c'est le plan stratégique, on voit bien que ça n'a pas été dit.
19:44Forcément, on ne se comprend pas.
19:46Avec l'arrivée des nouvelles générations sur le marché du travail,
19:50le management est souvent jugé trop rigide.
19:54Est-ce que c'est quelque chose que vous partagez ?
19:57Je ne sais pas.
19:58Quand on parle de ça, j'ai quand même beaucoup de mal à comprendre de quoi on parle.
20:02Pourquoi ?
20:03Parce que, si vous voulez, vous connaissez le film Hibernatus de Funès ?
20:09Quelqu'un qui est pris dans les glaces et qui se réveille 100 ans plus tard.
20:14Et puis, il ne reconnaît plus rien.
20:16Aujourd'hui, ce n'est pas 100 ans.
20:18Si vous prenez quelqu'un, vous le libernez 20 ans,
20:21vous le remettez dans la même entreprise.
20:23Je dis bien la même entreprise, pas une autre.
20:25C'est incapable de fonctionner.
20:27On ne se rend pas compte à quel point les choses ont bougé.
20:31Ce que, aujourd'hui, on considère comme insupportablement hiérarchique
20:36est déjà incroyablement transversal pour la même entreprise.
20:40Donc, ce sont des ressentis.
20:42Des ressentis par rapport à quel référentiel ?
20:44Par rapport à la start-up ?
20:46Oui, peut-être.
20:47La start-up qui a zéro client, qui est en train de se chercher, etc.
20:50Elle a la belle affaire.
20:51Oui, bien sûr qu'elle est agile.
20:52Elle peut prendre tous les engagements qu'il faut pour avoir son premier client.
20:55Je vous fais noir aujourd'hui.
20:57Vous voulez du gris ? Pas de problème, je vous fais gris.
21:00Quand vous avez des centaines de clients,
21:02quand vous avez des milliers de personnes, etc.
21:04Vous ne pouvez pas faire ce genre de choses.
21:07Donc, on a des confrontations de référentiels, effectivement, qui se perturbent.
21:12Mais au moins, il faut se poser la question.
21:14Oui, mais je ne dis pas le contraire.
21:16Mais incontestablement, si vous regardez l'histoire,
21:19ce n'est pas vrai qu'on est encore sur des modèles qui sont des modèles d'il y a 20 ans.
21:25Et alors, je vais aller beaucoup plus loin.
21:27C'est qu'on a l'impression que…
21:29Alors là, c'est le pire.
21:30Pour moi, c'est une catastrophe absolue.
21:32On a l'impression que le management est dans une espèce d'amélioration.
21:37On va vers des formes plus ouvertes, plus responsabilisantes, etc.
21:42Mais le management, ça a au moins deux siècles.
21:46On vous l'avait cité tout à l'heure, l'école des mines.
21:49Tout ça, c'est du storytelling, c'est marketing ?
21:52Non, mais je peux vous donner des textes qui ont deux siècles,
21:56de gens qui s'intéressent à des organisations responsabilisantes.
22:00C'est-à-dire qu'il y a eu comme un bug.
22:02On a perdu, d'un certain point de vue, un rapport au management de proximité,
22:10la compréhension des hommes, etc.
22:12Ça, ça s'est fait, évidemment, avec des gens comme Taylor, avec un certain nombre de trucs.
22:17Mais avant ça, il y avait déjà des gens qui théorisaient le management.
22:21En fait, on revient aux sources.
22:23Oui, alors ça, ce n'est pas forcément très grave.
22:25Mais quand on imagine qu'avant, c'étaient les âges sombres du management,
22:30c'était causette, il n'y avait que ça.
22:32Alors, je ne dis pas que ça n'existait pas.
22:34Mais pour ceux qui voudront s'intéresser, etc.,
22:38vous pouvez lire le rôle de l'ingénieur social.
22:43Vous le trouverez sur Internet.
22:45Vous verrez, ça doit dater de 1880.
22:48Et vous reconnaîtrez aujourd'hui des organisations qui pourraient s'appeler responsabilisantes.
22:55Dans les années 70, tout ce qu'on dit aujourd'hui existait aussi,
23:02alors d'une certaine manière très politisée.
23:04Et ça s'appelait l'autogestion.
23:08Aujourd'hui, tout le monde est d'accord pour évoluer vers des organisations plus responsabilisantes.
23:12Si on disait, si on prenait le vocabulaire des années 70,
23:16aller tous vers l'autogestion, je pense que d'un seul coup,
23:19beaucoup moins de monde serait favorable.
23:22Néanmoins, on fait plus attention à l'humain aujourd'hui qu'avant.
23:26C'est un fait.
23:28Si c'était général, on serait très heureux.
23:32En tout cas, il y a une injonction à le faire qui n'existait pas à l'époque.
23:35Alors, il y a une injonction à faire.
23:37Est-ce que le management bienveillant, par exemple,
23:42pour citer quelque chose de sérieux, solide, etc.,
23:47forcément, c'est positif.
23:49On ne peut être que d'accord.
23:51Qu'est-ce que ça veut dire derrière ?
23:53Sur quelle base, j'ai envie de dire scientifique, ça s'appuie ?
24:02C'est intéressant, mais je ne suis pas là pour le contester.
24:05Je dis que ça avait déjà des existences avant.
24:08Est-ce que c'est un mot qui enchâsse l'autre ?
24:11Mais incontestablement, il ne faut pas opposer la performance
24:16qui est le sujet numéro un du management.
24:20On fait des choses pour avoir une certaine forme d'efficacité
24:24ou d'efficience ou de création de valeur indépendamment,
24:27de savoir comment on se la répartit derrière, etc.
24:29Ça, c'est ce qui fait le corps de la gestion du management.
24:33Justement, la question de toutes les questions,
24:35comment un bon manager trouve le juste milieu,
24:37le bon équilibre entre la souplesse et la prise de décision d'autre part ?
24:43Je crois que là, on commence à toucher au cœur du sujet.
24:47Oui, le management, ce n'est pas fait pour des gens qui veulent des certitudes, etc.
24:52Il n'y a pas de blanc, il n'y a pas de noir, il n'y a que du gris.
24:55C'est dans le doute permanent.
24:57Dans le doute permanent et dans l'équilibre, dans la recherche d'équilibre.
25:00Et donc, quand vous assénez que c'est ça, la vérité, etc.,
25:04c'est déjà une erreur managériale totale.
25:07Changez la ligne d'horizon et votre résultat ne sera pas le même, déjà.
25:12Et ensuite, c'est une appréciation et c'est là où il faut de l'expérience.
25:17Le management, en partie, je suis désolé, ça repose sur un minimum d'expérience.
25:25On peut l'acquérir quand même par des lectures, bien évidemment.
25:28Mais il faut se poser plein de questions pour arriver à juger de différentes manières.
25:33Si vous ne voyez les choses que d'une certaine manière,
25:35vous n'avez aucune chance de faire un bon équilibre.
25:38Il faut regarder les choses d'une certaine manière.
25:40C'est-à-dire consulter d'autres personnes aussi, avoir des mentors ?
25:44Par exemple, tout problème doit pouvoir se regarder de différents points de vue.
25:49Ça, c'est la base.
25:52Combien de fois, dans une réunion, c'est interdit de le faire
25:55parce qu'on veut une solution et celui qui pose la question
25:59« mais est-ce qu'on s'est déjà bien compris sur le vocabulaire ? »
26:02Non, non, on ne peut pas poser ce genre de questions.
26:06Bien évidemment, il faut avancer, il ne faut pas faire retarder tout le monde, etc.
26:09Mais on voit bien qu'on a cette difficulté qui est,
26:13on devrait en permanence se poser la question de l'équilibre.
26:16Est-ce que ma décision est équilibrée ?
26:18Et équilibrée à quel horizon ?
26:20Et équilibrée pour qui ?
26:21Et équilibrée pour quoi ?
26:22Et c'est quoi une décision équilibrée ?
26:24Ça, c'est un jugement qui est forcément partiel.
26:28Mais le moins partiel il peut être, mieux c'est.
26:32Et plus il peut être partagé,
26:34et plus évidemment il est facile à comprendre, facile à appliquer.
26:38Et à ce moment-là, on retrouve du sens.
26:41Si je vous explique que ça, c'est l'équilibre qu'on peut percevoir pour aujourd'hui,
26:45et c'est ce qu'on cherche à résoudre pour aujourd'hui,
26:47mais que ça ne veut pas dire que cet équilibre sera durable,
26:51et qu'il va falloir, on pourrait même dire le contraire.
26:53Je vous l'ai dit tout à l'heure,
26:54l'entreprise c'est quelque chose en déséquilibre permanent,
26:57et qui a toutes les chances de se casser la figure.
26:59Malgré les beaux immeubles, les belles usines endures, etc.
27:03C'est tout à fait improbable comme chose,
27:08des centaines ou des milliers de personnes
27:10qui vont travailler pendant des années.
27:12Le sujet va changer, les gens ont des vies privées,
27:16tout va changer.
27:18Comment on fait encore du lien ?
27:20C'est mystérieux, c'est absolument incroyable.
27:23Vous parliez du sujet de l'entêtement chez un manager.
27:26Vous pensez qu'un manager doit partager ses doutes,
27:30ses erreurs parfois, à ses salariés ?
27:34Certainement pas tous.
27:37Certainement pas tous ses doutes,
27:39c'est certainement pas à tout le monde tout le temps.
27:42Maintenant, oui, il y a forcément une prime, je pense,
27:47à ne pas cacher sciemment trop de choses.
27:52Et donc on revient à un problème d'équilibre.
27:55Après, il faut que le manager soit lui-même équilibré,
27:59et donc il y a des astuces pour qu'il ne soit pas tout seul,
28:03parce que là c'est vraiment très déstabilisant,
28:05dans cette recherche d'équilibre,
28:07de ne pas pouvoir en parler à tout le monde, tout le temps, etc.
28:10Donc comment le manager lui-même
28:13essaye de trouver un équilibre personnel,
28:16ça c'est une question fondamentale,
28:17parce que s'il n'est pas équilibré lui-même,
28:19il va avoir évidemment beaucoup de mal
28:21à assurer cette fonction de recherche d'équilibre
28:24et de partage de cet équilibre collectif.
28:27Merci beaucoup.
28:28Merci, c'est déjà la fin de cet entretien.
28:30C'est passé très vite, Christophe Day.
28:32On aurait pu continuer longtemps.
28:33Merci pour cet éclairage.
28:35Votre vision et vos propositions
28:37ouvrent de nouvelles perspectives.
28:39Quant à moi, je vous dis à la semaine prochaine
28:42pour un nouvel épisode de Manager l'Odyssée.