Dans « le grand témoin » de Télématin, Flavie Flament reçoit Patrick Coulombel, cofondateur de la fondation Architectes de l’urgence.
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00:00Bonjour Patrick Coulombelle, merci d'être avec nous ce matin, vous êtes architecte et cofondateur des Architectes de l'Urgence,
00:07c'est vous en fait et vos équipes qui intervenez après des catastrophes naturelles telles que Chido dont la fureur s'est abattue sur Mayotte samedi,
00:14des vents à plus de 220 km heure, c'est le cyclone le plus intense que l'île ait connu depuis 90 ans.
00:20Qu'est-ce que votre regard d'expert constate sur les images qui circulent depuis maintenant 48 heures ?
00:26Une vulnérabilité importante initialement, c'est-à-dire qu'on savait pertinemment que Mayotte était en situation compliquée,
00:32notamment avec un habitat informel qui est très important, avec les problèmes migratoires que l'on connaît,
00:38donc ça c'est une vulnérabilité initiale et sur lequel on fait passer un cyclone qui n'est pas un énorme cyclone,
00:43c'est un cyclone qui est relativement modéré malgré tout.
00:46Donc les dégâts sont liés en fait à la vulnérabilité de l'île ?
00:48Évidemment, bien sûr, oui, parce que sur des constructions qui sont en dur fait de manière à peu près normale,
00:54il n'y a pas trop de problèmes, on va perdre un peu de couverture, tout ça, mais ça se remet assez bien.
00:58Par contre sur l'habitat informel, c'est ça, c'est-à-dire que ça, ça ne tient pas et ce n'est pas fait pour,
01:03et puis de toute façon, c'est des problèmes que l'on connaît, qui sont récurrents dans toutes les zones.
01:07Là, on a une problématique, le pays du tiers monde.
01:09C'est ça, c'est ce que l'on dit évidemment.
01:11Ce qui est un peu embêtant parce qu'on est quand même sur un territoire national, donc ça pose vraiment des questions.
01:16Le département le plus pauvre de France.
01:19Qu'est-ce qu'elle vit la population ? Où est-ce qu'elle se barricade quand elle vit comme ça dans un espace comme celui-ci,
01:26dont déjà on peut dire que les murs ne sont pas durs, qu'il y a beaucoup de bidonvilles, le plus grand bidonville de France aussi ?
01:31Les gens ne sont pas idiots.
01:32Lorsque ça monte, ça met un certain nombre de temps, il y a des alertes qui sont mises en place.
01:36Les gens vont se mettre dans les endroits qu'ils connaissent ou qui sont avérés plus solides, plus en dur.
01:41Les écoles ?
01:42Voilà, dans ce genre de choses, ils essaient de se stabiliser dans des endroits où ils pensent qu'ils vont être le mieux.
01:47Donc généralement, ça marche assez bien.
01:49Dans les cyclones, d'une manière générale, il y a assez peu de victimes par le vent.
01:53C'est assez peu.
01:54Le dernier gros cyclone où il y avait eu pas mal de victimes, c'était Tacloban, c'était aux Philippines,
01:59où il y avait eu plusieurs milliers de morts, mais ce n'était pas par le vent, c'était par la submersion marine.
02:04C'est-à-dire qu'on n'a pas évacué des quartiers entiers qui ont été complètement inondés avec des surcôtes d'eau.
02:08Il y avait eu plus de 2-3 mètres d'eau, et là il y a eu beaucoup de morts.
02:11Là sinon, on a généralement assez peu de victimes dans ce genre de cas de figure.
02:15On parle de plusieurs centaines, voire de milliers de morts aujourd'hui.
02:18Quelques centaines de morts, je ne serais pas étonné, ce serait presque normal.
02:22Mais du fait de la vulnérabilité, par contre, des milliers de morts, je n'y crois pas trop.
02:26Et j'espère, d'ailleurs, je l'espère.
02:28Dans une telle situation, c'est quoi les urgences pour les architectes, justement, de l'urgence ?
02:33Qu'est-ce qu'on fait ? On met des bâches ? On consolide ce qui peut être encore consolidé ?
02:37À notre niveau, le médical étant réglé, la nourriture doit s'organiser.
02:40Donc ça, c'est des choses qui se font de manière assez facile et organisées parce qu'il y a des services compétents.
02:45On a tous les gens qui vont se déployer parce que l'État fera ce qu'il faut pour cela.
02:49Par contre, nous, à notre niveau, c'est de mettre les gens en situation, on va dire, le moins précaire possible.
02:56C'est au moins de leur fournir des bâches pour qu'ils puissent être au sec pendant la saison des pluies.
02:59Et après, dans un deuxième temps, il faudra organiser, c'est la reconstruction à proprement parler.
03:03Donc il y a des architectes, il y a des ingénieurs.
03:05La Réunion qui est juste à côté, il y a des gens structurés.
03:08Il y a des organisations, il y a alors des architectes, il y a un tas de gens qui sont sur place.
03:11Il y a aussi des cabinets d'ingénieurs.
03:13Tout ça, ça va s'organiser, je ne suis pas trop inquiet sur ça.
03:15C'est la logistique, le problème.
03:17Et ça, ça risque d'être très compliqué parce que ça coûte très cher.
03:20Il y a la logistique, il y a l'humain aussi, Patrick Coulombelle.
03:22Parce que cette population, même si on dit effectivement que Mayotte est une île traversée par ces violences climatiques de façon régulière,
03:30cette population, elle est rompue au drame.
03:34Comment ça se passe ?
03:35Qu'est-ce qu'on ressent quand on vit un ouragan et qu'on se réveille un matin et qu'on voit ce décor ?
03:39On le voit sur les gens.
03:40Vous le voyez même à distance, les gens arrivent à transmettre un espèce de traumatisme.
03:43On va être sur un accompagnement post-traumatique à faire de manière à d'échelle.
03:48Parce qu'évidemment, il y a quand même pas mal de gens qui sont là-bas.
03:51Il y a des gens qui sont touchés à des degrés divers.
03:53Mais le traumatisme, il est latent.
03:55Mais il se traduit comment ?
03:56C'est violent.
03:57Vous savez, les gens, ils imaginent des choses, ils ont vu des choses.
04:00Puis après, il y a l'imaginaire qui prend le dessus.
04:02Et puis il y a des gens qui n'arrivent pas à se reconstruire.
04:04C'est un vrai sujet, ça.
04:05Vous avez dit que c'était une problématique de pays du tiers monde.
04:07Est-ce qu'on peut, sur le plan architectural, pour peu d'argent, à moins beaucoup,
04:11faire du bâti qui tient ?
04:14Oui, j'y viens là-dessus.
04:15C'est important parce qu'on exporte une réglementation qui n'est pas adaptée.
04:20C'est-à-dire que nous, on l'a déjà fait en Haïti, on l'a fait au Pérou,
04:23on l'a fait en Asie, on l'a fait dans plein de pays.
04:26On a été capable de faire des opérations de reconstruction avec les populations locales.
04:31Mais ça, en France, on n'a pas le droit de le faire parce qu'on a des codes.
04:33Il y a des réglementations qui ne nous permettent pas de le faire.
04:36Il y a eu des tentatives qui ont été faites par l'État, mais il ne s'est pas adapté
04:39parce que la réglementation...
04:40On continue à appliquer des réglementations qui sont adaptées à l'Europe, en réalité,
04:45alors qu'on pourrait faire des choses beaucoup plus simples qui pourraient fonctionner.
04:48N'empêche qu'il y aura quand même toujours un problème, c'est l'insularité.
04:51Ça veut dire qu'il y a quand même un minimum de matériaux qui vont être à importer
04:54et puis essayer de faire travailler les gens en local pour les former,
04:57pour essayer de régénérer une dynamique et puis essayer de faire de l'habitat
05:00avec des solutions locales et avec des technicités que l'on puisse adapter au territoire.
05:04Après, justement, l'insularité.
05:05Moi, pour avoir vécu à La Réunion et travaillé à La Réunion...
05:07On va en parler.
05:08On est bien à Mayotte parce que les liens entre Mayotte et La Réunion sont quotidiens
05:11sur le plan médical.
05:12On rapatrie des gens puisque les structures, effectivement, elles sont à La Réunion
05:15et pas à Mayotte.
05:16Donc la question de la reconstruction, ça va être déjà la reconstruction de l'hôpital
05:19parce qu'il a été extrêmement endommagé.
05:21Donc quand on voit l'habitat qui est précaire, comme vous le disiez,
05:23mais même l'hôpital, on se pose la question s'il était aux normes.
05:27Moi, pour y avoir passé quelques jours, c'est vrai que c'est des tôles.
05:32On voit que c'est un hôpital qui est contrairement à La Réunion où c'est un bunker.
05:35Moi, j'ai vécu un cyclone à La Réunion.
05:36C'est bunkerisé.
05:37On est restés 48 heures enfermés.
05:39Là, ce n'était pas le cas parce qu'on voit bien qu'il y a des structures un peu précaires,
05:42d'où des images terribles.
05:43Les maternités qui sont inondées, la réanimation qui est complètement soufflée,
05:48ce qui va poser des problèmes d'urgence architecturaux.
05:51C'est-à-dire qu'il va falloir rapidement reconstruire ou sécuriser l'hôpital.
05:55C'est-à-dire qu'on est…
05:56Mayotte n'a pas l'habitude de prendre des gros cyclones.
05:58C'est ça qui se passe.
05:59Il n'y a pas une habitude, comme c'est le cas à La Réunion, où tout est préparé.
06:03Et on a tous les moyens qui ont été mis en place à La Réunion.
06:06C'est là qu'on voit la différence d'ailleurs.
06:08À La Réunion, vous avez un cyclone comme celui-là qui passe,
06:10vous allez avoir quelques morts parce que ça arrive.
06:13Et puis, globalement…
06:14Souvent par les inondations.
06:15Parce qu'il y a des radines, une espèce de ravin qui se comble d'eau
06:18et les gens essayent en sortant après le cyclone, effectivement.
06:21Et c'est là où il y a des noyades.
06:23Il y a une préparation qui est faite.
06:24Et ce qui est fondamental, c'est qu'à Mayotte, malheureusement,
06:26il n'y a pas de préparation parce que la communication avec les populations,
06:29vous le disiez, non seulement l'habitant n'est pas aux normes,
06:31les communications, c'est-à-dire la phase verte, orange, puis rouge
06:35au moment du cyclone, à La Réunion, vous pouvez communiquer avec les gens.
06:38À Mayotte, c'est très compliqué avec les populations.
06:40Et puis les voies pour évacuer en amont les gens sont très compliquées aussi.
06:44Patrick Coulombelle, vous souscrivez évidemment à tout ça.
06:46Ma dernière question.
06:47Un endroit qui est traversé par un ouragan comme celui-ci,
06:50avec les dégâts que l'on est en train de constater,
06:53est-ce qu'il peut se relever un jour ?
06:56On a bien compris qu'il faut prévoir la suite et prévenir ce qui pourrait se passer.
07:00Mais est-ce qu'on se remet de ce genre de choses un jour ?
07:03Oui, bien sûr. Non seulement on s'en remet, mais ça va généralement relativement vite.
07:06Parce que sur tous les bâtiments qui sont en dur, il faut refaire de la couverture.
07:10Globalement, ce n'est pas très compliqué.
07:12C'est surtout un problème de moyens et de logistique.
07:14Après, il faut avoir les entreprises pour le faire, des gens qui soient à peu près qualifiés.
07:18Après, ça va très vite.
07:19Après, sur l'habitat informel, il y a un vrai problème initialement.
07:22C'est comment on fait pour avoir le terrain, et à qui il appartient, et comment on l'organise.
07:26Donc on est quand même dans un département français.
07:28Donc ça veut dire qu'il y a des règles qui sont appliquées.
07:30Et ça, c'est une vraie difficulté.
07:32Et c'est dès maintenant qu'il faut envisager la suite ?
07:34J'imagine qu'il y a des choses qui étaient en train de s'organiser.
07:37Mais globalement, je suis un peu pessimiste vu la situation du gouvernement actuel
07:41par rapport aux investissements qui sont colossaux, qui sont à mettre en place sur place.
07:44Merci beaucoup Patrick Coulombelle.
07:45C'était passionnant de vous entendre.
07:47On entend ce que nous disent les architectes.
07:49On entendait tout à l'heure la ministre qui nous disait
07:51qu'il y a 100 membres de la réserve sanitaire qui vont être envoyés.
07:54Alors, c'est quoi exactement la réserve sanitaire ?
07:56C'est quoi ? C'est le monde médical ici en métropole qui se mobilise ?
08:00Qui est en affronte ?
08:01Exactement. En fait, il y a deux types de secours qui arrivent là.
08:04Il y a les secours qui sont dans la région déjà.
08:06Donc c'est l'armée et la sécurité civile qui sont déjà postés de manière naturelle
08:10et au quotidien à La Réunion.
08:12Et ils arrivent très vite, parce qu'en moins de deux heures, on est à Mayotte.
08:16Ça, c'est la première, j'allais dire, réserve opérationnelle.
08:20Et puis la deuxième réserve opérationnelle, c'est cette fameuse réserve sanitaire.
08:23C'est Santé Publique France, le ministère de la Santé,
08:25qui de métropole fait partir des soignants.
08:27Alors, c'est avec l'armée, c'est avec la sécurité civile, le ministère de l'Intérieur
08:31et le ministère de la Santé, Santé Publique France.
08:33D'ailleurs, il y a un appel qui a été lancé aux soignants
08:35pour pouvoir partir en renfort avec essentiellement des spécialités.
08:39Mais après, il ne faut pas non plus qu'il y ait trop de monde trop vite.
08:42C'est-à-dire qu'il va falloir dimensionner un peu les secours,
08:44faire un premier bilan, parce qu'on n'a aucune idée du nombre de morts.
08:49Le préfet a dit une centaine, plusieurs milliers.
08:51Il faut vraiment attendre d'avoir des premiers bilans,
08:53parce que ce n'est pas une évidence.
08:54Et on espère et on croise les doigts qu'il n'y aura pas ce nombre de victimes.
08:57Quelles sont les blessures que l'on peut redouter comme ça ?
09:00Il y a des polytraumatismes, parce que quand ça vole,
09:03quand les tôles des toits vont voler, vous imaginez bien,
09:06c'est des gens qui sont dessous ou pas protégés,
09:08ou s'ils essayent de regagner un endroit un peu plus en dur,
09:12ils peuvent prendre des débris.
09:14Et c'est essentiellement des polytraumatismes.
09:16C'est ce type de blessure.
09:17Après, on va avoir, en fonction du terrain,
09:20et en fonction d'inondation ou pas, ce qui n'a pas l'air d'être le cas,
09:23parce que Mayotte est quand même assez en hauteur,
09:25mais il peut y avoir des noyades dans ces fameux ravins.
09:28Et puis après, il y a tout le problème des malades chroniques,
09:30des femmes enceintes.
09:31Tout ça, la vie continue.
09:32C'est la plus grande maternité de l'Europe.
09:34Bien sûr, il y a énormément de problèmes d'accouchement
09:37qui déjà se font parfois en dehors de la maternité.
09:40C'est-à-dire que la vie continue.
09:41Oui, la vie continue.
09:42Et donc, les pathologies chroniques, il va falloir les prendre en charge
09:45avec, malheureusement, un hôpital qui paraît être quand même pas mal à terre.
09:49Et ça va être une urgence de reconstruction assez rapide.
09:51Et comment on fait pour éviter, justement,
09:53une augmentation forte du nombre de victimes ?
09:56On peut les réduire de façon...
09:58Avec un ratio, j'imagine que les médecins connaissent ça,
10:00de 1 à 10, de 1 à 15, comment ça se passe ?
10:02Il faut rapidement qu'il y ait des secours qui arrivent,
10:04ce qui est en train d'être fait.
10:05C'est-à-dire qu'encore une fois, en quelques heures de La Réunion,
10:07il y a des gens et un hôpital de campagne
10:09qui va pouvoir être mis en place.
10:10On a vu les avions de l'armée, notamment,
10:14qui permettent de déployer très rapidement un hôpital de campagne.
10:17Oui, mais les routes ne sont pas forcément praticables.
10:18Il faut acheminer aussi les relèves.
10:20Oui, mais il y a toute une partie du génie, justement,
10:22qui permet de faire les routes.
10:23Et ensuite, le médical va arriver ou en parallèle.
10:25Mais c'est vrai qu'il y a des problèmes de communication
10:27qui vont être majeurs.
10:28Mais ça, c'est le travail de l'armée et de la sécurité civile.
10:30Et ils ont parfaitement l'habitude.
10:31Et puis après, se posera le problème de la reconstruction
10:34parce qu'on est vraiment dans une zone
10:36qui n'est pas digne d'un département français en termes d'infrastructure.
10:38Et bien évidemment, j'imagine que vos collègues qui sont sur place
10:41vont aider à l'acheminement de ce genre de choses.
10:45Nous, on a un vrai problème aujourd'hui.
10:47Vous avez déjà envoyé quelque chose.
10:48On a du matériel, il est à disposition.
10:49Il faut qu'on puisse l'envoyer.
10:51Mais c'est du matériel pour les couvertures essentiellement.
10:54Donc là, on en a pas mal.
10:55Et ça, c'est un vrai sujet pour nous.
10:57Mais ça, ça va arriver dans un deuxième temps
10:58parce qu'il y a l'urgence médicale.
10:59Il faut soigner les gens, les nourrir, trouver les problèmes d'eau.
11:02Le problème d'eau, on n'en a pas trop parlé.
11:04C'est essentiel.
11:05Parce que si vous avez un problème d'eau,
11:06là vous allez avoir une vraie crise qui va être une crise sanitaire.
11:08Et rappelez-vous, on parlait de Mayotte il y a quelques semaines avec le choléra.
11:11Merci infiniment Patrick Coulombelle.
11:13On rappellera l'appel aux dons évidemment.
11:15Merci à vous d'être venu.
11:17Rendez-vous sur le site fondationdefrance.org.