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Dans « le grand témoin » Télématin reçoit l'ex-négociateur du RAID Frédérick Martin.

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Transcription
00:00Nous sommes le 7 janvier et on vous parle évidemment beaucoup de l'anniversaire de Charlie,
00:02mais souvenez-vous deux jours plus tard, le 9 janvier, il y avait eu,
00:05on l'avait vécu en direct, les assauts contre les terroristes de Charlie
00:08et aussi de l'hypercachère.
00:10Et bien votre grand témoin ce matin, Flavie, il était présent ce jour-là.
00:13Bonjour Frédéric Martin.
00:14Bonjour.
00:14Merci d'être avec nous ce matin.
00:17Le vendredi 9 janvier 2015, vous ne pouvez pas l'oublier,
00:20vous étiez dans une camionnette aux abords de l'hypercachère,
00:23dans lequel s'était retranché le terroriste Hamedi Koulibaly.
00:26À ce moment-là, il y a quatre personnes qui gisent au sol.
00:29Il y a 16 personnes qui sont sous la menace de ce terroriste.
00:33Et vous, c'est votre toute première négociation pour le Raid.
00:38Vous ne l'aviez jamais fait auparavant.
00:39Vous étiez en train de terminer votre formation
00:41et vous commencez sur l'opération la plus complexe
00:43qu'ait connue la police à ce jour.
00:46Quel souvenir précis est-ce que vous en gardez ?
00:49Le souvenir précis, il est assez multiple.
00:52Alors effectivement, j'étais jeune négociateur.
00:55C'est une première qui a impact, on s'en souvient.
00:58Mais j'ai fait partie du groupe de négociation.
01:00Il faut comprendre que c'est tout un groupe.
01:01Vous n'étiez pas seul.
01:02Je n'étais pas seul, non.
01:05Mais j'avais passé 15 ans à l'intervention avant.
01:07Donc c'est un milieu que je connaissais à peu près.
01:10Malgré tout, ça vous impacte.
01:12Mais de là à négocier avec un terroriste,
01:14qu'est-ce que vous saviez justement d'Hamedi Koulibaly
01:16quand vous êtes arrivé sur le site ?
01:19On a très peu d'informations.
01:20C'est des informations qui sont très parcellaires.
01:23Ça, c'est la force et l'excellence d'un service comme le Raid,
01:27comme l'ABR également, comme tous ces services d'intervention.
01:30Mais moi, je viens du Raid et le Raid, on travaille en équipe,
01:33avec une équipe structurée, avec des bases arrières
01:35et avec une fluidité avec les services de renseignement.
01:38Donc toutes les informations nous arrivaient petit à petit.
01:40Et vous aviez quoi comme infos sur lui ?
01:42On avait l'information sur tout le passé,
01:46le passif de cette personne.
01:47Également les liens qu'il pouvait avoir avec cette opération
01:51qui était connectée.
01:52Donc c'était toute la difficulté également sur une première,
01:55une opération connectée, avec un public assez sensible
01:58et dans un grand volume.
01:59Quand vous dites une opération connectée ?
02:01Une opération connectée avec Damartin, avec les frères Quachy.
02:05C'était effectivement dans le même temps quasiment
02:07que les choses se déroulaient.
02:09Comment est-ce qu'on rentre en contact avec un terroriste ?
02:11On arrive sur le site, on sait que 16 personnes sont sous sa menace,
02:15dans un supermarché aux abords de Paris.
02:18On n'a quoi ? On n'a pas grand-chose finalement
02:21pour entrer en contact avec lui.
02:22On n'a pas ses coordonnées. Comment ça se passe ?
02:24On n'a pas grand-chose, mais on sait qu'il est dans le magasin.
02:28Dans le magasin, il y a des lignes fixes
02:30et on va essayer d'entrer en contact par l'intermédiaire de ces lignes fixes.
02:33Donc en appelant l'hypercachère ?
02:35En appelant l'hypercachère.
02:36Mais le problème, c'est qu'on ne va pas pouvoir y arriver
02:38parce qu'il va y avoir une espèce de...
02:42Et ça, je suis toujours dans cette incompréhension.
02:44Mettez-vous à ma place, parce que la plupart du temps,
02:47sur des forcenés, les forcenés ne veulent pas entrer en contact
02:51avec la police, alors que sur les prises d'otages terroristes,
02:54parce qu'ils attendent.
02:54Ils attendent ça.
02:56Et là, le terroriste souhaite rentrer en contact avec nous, nous aussi,
02:59mais on ne peut pas parce que vous avez vos collègues d'une chaîne extérieure
03:02qui bloquent les lignes.
03:03Certains journalistes qui, effectivement,
03:06ont eu les coordonnées de l'hypercachère
03:08et ont eu ce réflexe d'appeler l'hypercachère.
03:11Vous l'avez contacté comment, au final ?
03:13On a eu la chance de...
03:14Moi, j'étais leader coordinateur,
03:16c'est-à-dire que je faisais le lien avec le PC opérationnel,
03:20dynamiser également le groupe Négo
03:22et puis pouvoir voir les gens qui pouvaient nous aider.
03:24Donc, il y a le beau-frère d'un des otages
03:26qui va nous apporter un téléphone.
03:28On est en contact avec un otage au centre, à l'intérieur,
03:31et avec le terroriste, par l'intermédiaire de ce téléphone,
03:34on va pouvoir commencer les négociations.
03:35C'est quoi le but, en fait, quand on a un terroriste au bout du fil ?
03:40C'est d'établir, comment dire, une sorte de relation de confiance
03:44qui fait qu'on va rester en contact avec lui
03:47et on pourra ne pas le perdre quelque part de vue et de surveillance ?
03:51Une crise, c'est un capharnaüm qu'il faut organiser.
03:55Sans ça, ce n'est pas une crise.
03:57Et nous, ce qu'on essaie, c'est de reprendre du terrain,
03:59de stabiliser la situation.
04:00Donc déjà, c'est de prendre contact avec lui
04:02puis de se présenter, comme on s'est présentés tout à l'heure, nous deux.
04:05C'est bonjour, voilà qui je suis, voilà pourquoi je suis là.
04:08On essaie d'humaniser la relation.
04:10C'est ça.
04:11Alors déjà, c'est se présenter, expliquer qui je suis
04:14et quel est mon rôle.
04:15Voilà.
04:16Et moi, ensuite, je vais être l'interlocuteur,
04:18enfin je vais être l'interlocuteur, le groupe ou le négociateur.
04:20Un va être l'interlocuteur avec cet individu
04:22et ensuite, on va essayer de stabiliser la situation.
04:24Donc, on établit un premier contact avec lui.
04:27Oui.
04:28Le but, c'est quoi ?
04:29C'est de le retourner, de gagner du temps ?
04:32De préparer l'intervention ?
04:34De préparer l'intervention.
04:35Alors, le but premier pour un négociateur,
04:38c'est de créer du rapport et puis de lui proposer une sortie honorable pacifique.
04:42Ensuite, il y aura des objectifs secondaires
04:44qui seront des objectifs stratégiques
04:46qui seront définis par le leader opérationnel.
04:48Mais on fait comment ? On leur dit quoi, en fait ?
04:49Eh bien, on va encore une fois se présenter,
04:51lui dire voilà qui je suis et pourquoi vous êtes là
04:54et quels sont vos besoins et quelles sont vos attentes.
04:56Ah oui, donc c'est vraiment de la négo-froide clinique.
04:59Absolument.
05:00On ne rentre pas dans quelque chose d'humain.
05:01Vous aviez en face de vous…
05:03Ah si, si, on rentre, je suis désolé,
05:04on rentre dans quelque chose d'humain
05:05et le but, c'est de travailler sur le temps.
05:07C'est pour ça qu'il nous faut du temps pour la négociation,
05:09pour créer de la connexion.
05:11Mais celui que vous avez eu en ligne à Mehdi Koulibaly,
05:13vous l'avez senti comment à ce moment-là ?
05:15Il était déterminé ? Il était agité ?
05:18Alors, il faut savoir qu'une situation comme ça,
05:21c'est le royaume des paradoxes.
05:22C'est-à-dire que vous avez un individu
05:24qui est ultra offensif sur ses premières phases d'opération
05:27et puis ensuite, c'est un individu qui va être complètement posé
05:30et qui va avoir un échange très stable avec nous
05:32et notamment avec les otages sur des questions quasiment géopolitiques
05:37avec un ton complètement cordial et stable.
05:40Vous avez dit qu'il était connecté avec les frères Kouachi
05:42et c'est vrai que l'assaut a eu lieu juste après
05:44que les frères Kouachi sortent et se fassent abattre par le GIGN.
05:47Est-ce que c'est à cause de ça que les négociations se stoppent
05:49et que vous lancez l'assaut ?
05:50Non, c'est surtout à cause de vos collègues journalistes
05:53de la chaîne concurrente qui ont refusé,
05:57parce qu'ils ont diffusé un bandeau
06:00qu'à Mehdi Koulibaly pouvait lire sur l'écran
06:03qu'il avait au centre de l'hypercacher
06:05et lorsque ce bandeau passe avec un retrait de 2 à 5 minutes
06:10et il va falloir qu'on m'explique ce qu'on peut faire
06:11entre 2 et 5 minutes lorsqu'on a plus de 100 kilos sur le dos
06:14et qu'on est à 80 mètres de la porte,
06:16là on n'a pas de choix.
06:18On sait que Mehdi Koulibaly a des chances
06:21de pouvoir voir ce bandeau
06:22et si jamais il voit que ses collègues ont été abattus
06:25en état de légitime défense,
06:27il y a de fortes chances qu'il passe à l'action
06:29pour une tuerie supplémentaire sur les otages.
06:31Donc ça précipite notre intervention.
06:33Mais si les choses ne s'étaient pas précipitées comme ça,
06:35est-ce que vous aviez senti dans les conversations
06:37que vous aviez avec lui qu'il pouvait y avoir une faille
06:39quelque part chez Mehdi Koulibaly ?
06:40Ce que vous appelez faille, nous on appelle ça des qualités humaines
06:45et qu'on essaie de faire ressortir chez l'autre
06:47pour dire que vous avez choisi ce choix
06:50de combattre en soldats low cost,
06:52ça ne correspond pas à notre système.
06:54Nous on est là pour vous remettre un peu dans le rang
06:56et un peu la négociation,
06:58c'est un peu comme disait Al Capone,
07:00on peut tout obtenir avec un sourire,
07:02surtout quand on a un flingue dans la main droite.
07:04Et donc c'est ce qu'on a fait, nous, force est restée à la loi.
07:07L'individu n'a pas voulu s'en rendre,
07:09et bien on est passé après.
07:10Pour le commun des mortels, ce que vous avez vécu,
07:12c'est un cauchemar.
07:13Est-ce que vous, vous en avez fait des cauchemars par la suite ?
07:15Ah non, non, je n'en ai pas fait des cauchemars,
07:17ni mes collègues.
07:19C'est impactant, c'est vrai,
07:21mais on a la force du débriefing,
07:23et puis du débriefing à chaud et du débriefing à froid,
07:25ce qui nous permet de diffuser.
07:26Et de l'accompagnement après.
07:27Oui, absolument.
07:28Vous n'êtes pas seul avec tout ça,
07:29j'imagine que quand tout est terminé,
07:31on ressent quand même une sorte de soulagement et un grand vide.
07:34Et puis de la violence du silence aussi,
07:36ce qui est perturbant.
07:37Lorsque vous avez été impacté par autant de rythmes
07:39et il n'y a plus rien tout à coup,
07:40c'est assez impactant.
07:42Merci infiniment d'être venu ce matin sur le plateau Télématin.
07:45Vous avez accepté de raconter votre histoire
07:47au travers de cette nouvelle BD intitulée
07:49Janvier, le jour où nous avons été applaudis.
07:51C'est signé Macchio, Grézy et Casal-Anguida
07:54et c'est aux éditions du Rocher.
07:55Merci beaucoup.
07:56Avec plaisir.

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