Ali Baddou reçoit Denis Podalydès, comédien, sociétaire de la Comédie Française, metteur en scène, scénariste et écrivain à l’occasion de la publication en poche de Célidan a disparu aux éditions Folio Gallimard.
15' de plus par Ali Baddou sur France Inter (13 Décembre 2024)
Retrouvez toutes les chroniques d'Ali Baddou sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/15-de-plus
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00:0015 minutes de plus ce matin sur les planches d'un théâtre, et de quel théâtre ? Le
00:15théâtre par excellence, la comédie française, avec l'un de nos plus grands comédiens,
00:20il en est sociétaire depuis 25 ans, acteur, metteur en scène, écrivain, son livre « Célidon
00:27paru » vient d'être édité en poche chez Folio, Denis Podalides de la comédie française,
00:33bonjour et bienvenue, heureux de vous recevoir, comme chaque semaine, on va démarrer avec
00:39une expérience de pensée, Denis Podalides, imaginons qu'on est dans votre peau, dans
00:44votre tête, qu'on est sur les planches de la comédie française, devant une salle
00:49qui comble, le rideau se lève, on est Alceste, le misanthrope de Molière, qu'est-ce qui
00:56se passe dans votre tête, comment est-ce qu'on donne vie à un tel personnage ?
01:01Alors là, ça me rappelle directement une expérience que j'ai vécue, c'est de jouer
01:05Alceste en 1999, encore jeune pensionnaire de la comédie française, acteur relativement
01:11expérimenté mais pas tant que ça, je devais avoir 37 ans, moins que ça, 35 ans, enfin
01:19ça fait jeune, et j'avais un trac absolu, et c'est une expérience ambivalente parce
01:26que le spectacle a été un relatif succès, pas du tout un succès critique, et j'ai
01:31eu le sentiment de manquer la cible, de ne pas incarner véritablement, je me souviens
01:38d'une critique qui me disait que je n'avais pas les épaules, donc c'est une expérience,
01:42je dirais pas mitigée mais ambivalente.
01:44Mais sur le coup, sur le moment, dans l'instant où vous êtes sur scène, qu'est-ce qui
01:50se passe dans votre tête ? Est-ce que vous avez une mémoire phénoménale ? On dit de
01:54vous que vous êtes hyper mnésique, mais est-ce que vous avez malgré tout la peur
01:59de rater une tirade, de manquer un mot ?
02:03Je crois que j'étais tellement pétrifié par la peur que les soirs, dans les premières
02:08représentations, j'étais un autre, j'étais quelqu'un d'autre, j'étais un être en carton,
02:12je ne sais pas, et j'avais l'impression, je repensais à cette scène de Lino Ventura
02:16qui doit traverser un champ de tir en courant, je crois que c'est dans l'armée des ombres,
02:21et vous savez, pour sauver sa vie, il doit courir aussi vite qu'il peut.
02:25Je crois, je superpose ces deux scènes, j'ai dû courir dans les verres, vous savez le
02:30premier mot que dit Alceste, c'est « Laissez-moi, je vous prie », et c'est peut-être la seule
02:35phrase que j'ai dit de manière authentique ce soir-là, j'avais envie d'être ailleurs,
02:41j'avais envie d'être mort, j'avais envie de courir, de disparaître.
02:44Donc c'est cette expérience-là qui me revient aussitôt.
02:47Après, le bonheur du rôle, le bonheur de l'habiter, un temps soit peu, c'est venu
02:53après.
02:54Après, aujourd'hui, il y a le bonheur, il y a la sensation d'un réel bonheur physique
03:00sur scène.
03:01Le bonheur physique, il n'est pas toujours dans les premières fois, la peur est toujours
03:06aussi forte, mais assez vite, oui, il y a une sorte de grand calme qui s'installe,
03:13et qui est le pur bonheur de l'interprétation, d'incarner, de jouer, de dire.
03:17Et pourtant, vous dites que pour jouer, il faut être désincarné, en tout cas c'est
03:21un mot qui a été employé par Jouvet, il y a le paradoxe du comédien, on y revient
03:26finalement toujours de Nippo d'Alides, on pourrait croire que le meilleur acteur, le
03:31meilleur comédien, c'est celui qui met le plus de lui-même dans ce qu'il joue,
03:36et en fait c'est le contraire, il faut être totalement de sang-froid ?
03:39Alors ça, je ne sais jamais, parce que c'est complètement, Diderot, il faut toujours se
03:44rappeler que Diderot n'était pas comédien, mais était fasciné par les comédiens, qu'il
03:48adorait et détestait, et c'est lui qui a théorisé ce paradoxe, que la plupart des
03:53comédiens et des comédiennes, c'est pas qu'ils le rejettent, mais ils n'en font
03:58pas une arme de guerre, ils n'en font pas un concept opératoire, comme on dirait, parce
04:05que toutes les représentations, quand même, peuvent se jouer parfois de pur sang-froid,
04:10avec une forme même d'indifférence, voire d'extrême fatigue, de deuil quelquefois,
04:16et ça joue quand même, des gens qui, moi ça m'est arrivé de jouer dans le deuil
04:21le plus profond, mais vous devez assurer la représentation, donc votre tête, et même
04:27une scène de comédie, alors qu'au fond de vous, vous êtes en larmes.
04:31C'est une division, ça c'est sûr, Diderot en fait il disait, ces gens-là, comment peuvent-ils
04:38être pleurés tous les soirs, à l'heure fixe ? C'est pas possible, donc forcément,
04:44ils ont fabriqué une espèce de robot, c'est à la fois vrai, et c'est à la fois faux,
04:50parce que finalement, dans la pièce que je joue en ce moment, Écubes Pas Écubes, il
04:53y a un personnage qui dit, même les larmes d'un acteur ou d'une actrice qu'il verse
04:58en scène, ce sont des vraies larmes, même si elles sont fictives, c'est un autre paradoxe,
05:03même si elles sont fausses, même si c'est pour de fausses raisons, enfin les raisons
05:06de la pièce, les larmes, elles, elles sont vraies, et ça c'est peut-être un paradoxe
05:11du paradoxe, c'est-à-dire que même quand on est divisé en deux, même quand ce robot
05:16pleure de vraies larmes.
05:17Tout part de la mémoire de Nipote Halides ? Vous avez une grande mémoire, je le disais,
05:23mais en l'occurrence dans Célide en Disparu, c'est un livre sur lequel vous revenez, sur
05:27votre vie, sur l'enfance, sur la manière dont vous vous êtes emparé de ce drôle
05:32de métier qui est le vôtre maintenant depuis longtemps ?
05:35Oui, et la mémoire, elle est fondamentale parce que d'abord j'ai toujours aimé lire
05:41des mémoires, des souvenirs, des journaux intimes, voilà, j'ai toujours aimé lire
05:48ça, et le passé, curieusement, m'attire prodigieusement.
05:53J'aime toujours les souvenirs d'enfance, si vous m'étiez à me raconter un souvenir
05:58d'enfance, là je serais immédiatement séduit, capté, et je ressens ça un peu
06:06comme une curiosité, et puis évidemment la mémoire est fondamentale dans le goût
06:10du théâtre que j'ai eu, puisque le goût à la fois de faire l'istrion, d'incarner,
06:14de monter sur scène, de me faire voir, d'être beau, d'être drôle, et le goût de dire
06:18des textes.
06:19Donc pour le goût de dire des textes, il faut les apprendre, il faut les savoir, il
06:22faut les avoir par le cœur.
06:24Donc, l'exercice de mémorisation, qui est un exercice quand même assez fastidieux,
06:30assez débile si on y réfléchit, c'est débile parce que vous ressassez, et à un
06:34moment vous êtes condamné au ressassement.
06:36C'est pour ça que les gens d'ailleurs, la plupart du temps, ne font pas cet exercice-là,
06:40parce qu'ils en sentent quand même l'inanité si on veut, mais nous, comme on doit jouer
06:46sur scène avec une mémoire absolue, on est condamné à ce ressassement qui au bout d'un
06:51moment est tellement répétitif qu'on a épuisé tous les charmes de ce texte et
06:55qu'on doit encore reprendre.
06:57C'est comme le remanger de la nourriture en permanence, qu'on aurait un peu régurgité,
07:01qu'il faudrait la remanger.
07:02Donc il y a des moments, tous les acteurs et les actrices vous le diront, il y a un
07:05moment de, parfois, dans l'exercice de mémorisation, de dégoût, de « je n'en peux plus ».
07:11Donc on a besoin de répéter, de mettre en jeu tout le corps, d'être avec les autres,
07:15et ensuite avec le public pour que tout cet exercice débilitant redevienne soudain traversé
07:21par l'esprit.
07:22Et alors justement, on est vendredi matin, il est 9h15, en attendant la nomination éventuelle
07:27d'un Premier Ministre, je ne sais pas si vous partagez cette impatience ou pas, mais
07:33justement, je ne sais pas dans quel état d'esprit vous êtes, mais est-ce que vous
07:36auriez quelques mots, quelques dialogues, un monologue éventuellement à nous réciter,
07:43comme ça, qui correspondrait à ce jour qui se lève et à la journée qui va commencer
07:49Denis Faudalides ?
07:50On est au dépourvu, évidemment, quand je dois, je ne sais plus rien.
07:55Les fourberies de Scapin, vous les connaissez par cœur ?
08:00Non, pas du tout, mais je ne sais pas si, je l'ai mis en scène, je ne l'ai pas joué,
08:05moi.
08:06C'est curieux, j'aimerais trouver, évidemment, quelque chose qui est pile poil, qui dirait
08:13à la fois notre situation de là, à cet instant, avec vous, et qui dirait aussi la
08:17situation d'un nouveau gouvernement.
08:21Est-ce qu'il y a une extraordinaire différence entre Barnier et Bayrou ? La différence théorique,
08:30la différence idéologique, elle n'est pas évidente pour moi, mais bon.
08:36Oublions ça et revenons sur la scène, en l'occurrence, alors je ne sais pas si c'est
08:40de la tragédie ou de la farce, mais les mots, les mots, n'y a-t-il pas quelques dangers
08:45à contrefaire la mort, le mort ?
08:48Oui, le mort, oui.
08:49Alors ça, c'est une phrase magnifique de Molière, dans le livre sur Molière, que
08:54j'ai fait, je consacre un texte, c'est pour moi une phrase qui m'a toujours interpellé,
09:00n'y a-t-il pas quelques dangers à contrefaire le mort ? Je m'étais tout de suite rappelé
09:04que dans mon enfance, j'aimais, j'adorais faire le mort.
09:07Chez les enfants, il y a une fascination, non seulement de la mort, mais du cadavre.
09:12Très souvent, enfant, on n'en a jamais vu, jamais vu des vrais.
09:15Et le premier cadavre qu'on voit, c'est son propre corps imitant le cadavre.
09:21Donc j'ai toujours eu ce sentiment que, et de frôler par là, quelque chose, une
09:25zone d'ombre absolument impénétrable.
09:28Et chez Molière, ça fait penser aussi, à force, c'est la vieille question qui rejoint
09:36peut-être la question du paradoxe, c'est à force de jouer des états faux, fins, est-ce
09:44qu'on n'en finit pas par être traversé ? Par exemple, jouer la folie, n'y a-t-il
09:50pas quelques dangers aussi à jouer le fou ? Est-ce qu'on ne pourrait pas devenir fou ?
09:54Est-ce que les acteurs…
09:55Ça, c'est une question que vous vous posez régulièrement justement, l'importance
09:58de la folie dans votre métier.
10:00Alors, moi, je me la suis posée de manière très concrète et j'ai un texte dans « Célidins
10:03disparus » qui raconte mon expérience quand je voulais me faire réformer.
10:07J'ai dû passer par… C'est le hasard qui a fait ça, mais j'ai passé 36 heures
10:13en hôpital psychiatrique à l'hôpital Percy de Clamart et j'étais, je me sentais
10:18avec de vrais fous et j'ai eu le sentiment, étant parmi de vrais fous, d'être moi-même,
10:25de tomber, de glisser doucement dans une vraie folie alors que je ne faisais que semblant.
10:30Alors, pour essayer de lutter contre ça, j'essayais de faire une sorte de petit reportage
10:36mental sur les comportements des gens autour de moi en me disant « ça va servir mon métier
10:42d'acteur, je fais une expérience capitale pour mon apprentissage ». Mais ça ne calmait
10:47pas du tout mon angoisse et il a fallu quand même qu'on me donne un cachet qui m'a
10:52anesthésié.
10:53C'est un médicament, c'est un infirmier qui me l'a donné parce que j'étais extrêmement
11:00de plus en plus nerveux et le dimanche matin, je voulais absolument sortir parce qu'on
11:04m'avait dit que la commission de réforme n'obligeait pas à ce qu'on m'hospitalise.
11:10Et devant ma nervosité, cet infirmier m'a donné un cachet et donc là, en me réveillant
11:14un peu de ce cachet, de la torpeur dans laquelle il m'avait fait sombrer, je me suis dit
11:19« mais je suis passé par la folie ». Et je ne peux pas dire que ça m'ait vraiment
11:22appris quelque chose en tant qu'acteur parce que c'est le problème du fou et de l'acteur,
11:27on en arrête pour des heures, évidemment, et des pages et des pages.
11:32Vous avez inventé un langage quand vous étiez en France que vous racontez dans « Célidon
11:37a disparu » et vous avez des mots, par exemple, de cette langue, le « pénère » ?
11:41Oui, le « pénère », c'est le mot que j'avais donné arbitrairement.
11:44À cette langue qui a une grammaire qui se parle, que vous parlez ?
11:47Que je parlais.
11:48Alors si je voulais dire « je parlais », je dirais « sialrap ». Voyez, c'est tout
11:54bête, j'inverse simplement les lettres.
11:56Ce qui est un exercice mental fastidieux, encore plus fastidieux que l'apprentissage
12:01d'un texte et particulièrement désagréable à l'oreille.
12:04Si je dis « je s'y asseparle », « énu », « eugnal », vous voyez, je m'empêtre.
12:13Mais c'était l'obsession de parler une autre langue que la langue maternelle.
12:20Et la langue que vous avez inventée, la langue de Denis Podalides, d'un mot avant de retrouver
12:25Rebecca, la morale de l'histoire, quoi de neuf, Molière ! Sacha Guitry ?
12:29Oui, je la connais cette phrase, je ne suis pas sûr qu'elle soit bonne, cette phrase.
12:34Je crois qu'il disait ça contre lui-même.
12:36Non, parce que ça tend à un discours un peu conservateur, quoi de neuf, il n'y a rien
12:42de nouveau depuis Molière.
12:44Alors qu'en fait, il y a tous les jours des choses nouvelles.
12:46Ce sera la morale de l'histoire.
12:48Merci infiniment Denis Podalides d'avoir été l'invité de France Inter ce matin.
12:51Et je rappelle donc Célidon disparu qui est publié chez Folio.