Lundi 16 septembre 2024, SOUS LA ROBE reçoit Solange Doumic (Avocate pénaliste et membre du Conseil de l'Ordre du Barreau de Paris)
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00:00Bonjour Solange Doumik, on est très heureux de vous recevoir pour ce premier épisode
00:17de Sous la robe, est-ce que vous pouvez rapidement vous présenter ?
00:20Je suis Solange Doumik, je suis avocate depuis 1994.
00:25Vous êtes très connue du grand public, en réalité pour un fait un peu particulier
00:32dont on va en reparler juste après, vous avez conduit à ce que Guy Georges avoue un
00:39acte qu'il a commis en audience, vous étiez à l'époque avocat de partie civile, est-ce
00:45que vous pouvez rapidement revenir sur ce moment et nous dire surtout si pour vous c'est
00:51le rôle de l'avocat que de faire avouer quelqu'un en audience ?
00:54Vous voulez que je vous raconte comment j'ai fait avouer Guy Georges ?
01:01Oui.
01:02Guy Georges avait reconnu l'effet une première fois en garde à vue, mais après il était
01:10resté silencieux tout le temps de l'instruction, et à l'arrivée de son procès il niait tout,
01:17et cette négation était extrêmement lourde à vivre pour toutes les familles de victimes.
01:22D'abord parce que c'était comme nier la réalité de ce qui s'était passé, et
01:29ensuite parce qu'il y avait toujours le risque, on ne sait jamais, d'un acquittement,
01:33Guy Georges expliquait que ce n'était pas lui, qu'il allait expliquer pourquoi
01:38on l'accusait à tort, on ne savait pas ce qu'il allait dire, il n'y avait pas
01:42son ADN sur toutes les scènes de crime loin de là, il disait qu'il avait été manipulé
01:47pendant la garde à vue, et ça nous faisait peur.
01:49Vous aviez prévu de le faire ? Je n'avais pas prévu de le faire avouer, non.
01:55En revanche, j'avais espéré qu'il avoue, et j'avais souhaité qu'il avoue du plus
02:01profond de moi parce que c'était franchement insupportable.
02:04Or, il y avait un expert en découpe de vêtements qui expliquait que les vêtements avaient été
02:11tranchés sur les victimes par quelqu'un qui tenait le couteau par la main gauche,
02:16et Guy Georges expliquait que ce n'était pas possible parce que lui était droitier,
02:21et uniquement droitier, donc ça ne pouvait pas être lui.
02:24Or, j'ai vu à l'audience qu'effectivement, il utilisait parfois sa main gauche et parfois
02:30sa main droite.
02:31Je savais aussi que quand quelqu'un est accusé sur quelque chose de faux, il peut
02:37se cristalliser dans une position de déni en disant « puisqu'on pourrait m'accuser
02:42alors que ce ne serait pas moi sur un élément faux, en gros je suis innocent puisque la
02:48preuve qu'on a contre moi n'est pas la bonne ». Visiblement, Guy Georges était
02:51là-dedans.
02:52Il finissait par presque s'auto-persuader que ce n'était pas lui puisque lui était
02:55droitier et que le meurtrier, l'assassin, c'est ça, il finissait par se duper lui-même.
03:00Et je lui fais donc remarquer en fin d'audience, au bout de la fin de la première semaine,
03:09un vendredi soir, quand enfin les choses s'apaisent un peu, qu'on sent que le week-end arrive,
03:13que tout le monde vit l'espoir du boxe en fait, où on va retourner comme les chevaux
03:19à l'écurie.
03:20Je lui fais remarquer qu'il dit qu'il est droitier mais qu'en fait il fait défiler
03:26les photos avec la main gauche et il bouge le micro avec la main gauche.
03:28Et là, Guy Georges vacille, et pour expliquer qu'il est droitier, il me mime son geste.
03:37Il dit « oui d'accord les photos c'est comme ça, mais sinon… » et il lève son
03:40poing.
03:41Et je lui dis « oui Guy Georges, donc quand vous frappez, c'est avec la main droite
03:47? » Il dit « oui ». Il abaisse son poing, il mime son acte, et je lui dis « donc quand
03:52vous tenez un couteau, c'est avec la main droite ? » Et il répond « oui », parce
03:55qu'il est dans le geste, en fait il le revit lui-même.
03:58Par mes questions, il s'est replongé dans le moment où il assassinait.
04:01Et quand il mime ça, en même temps qu'il le mime, il change complètement de visage.
04:05Depuis le début du procès, on avait un homme affable, qui répondait bien aux questions,
04:09et là on a vraiment le visage de l'assassin.
04:12Ses yeux qui se plissent, ses joues qui se durcissent…
04:15La réalité revient d'une certaine manière.
04:17La réalité revient, mais au galop, et c'est terrifiant.
04:22Et il mime son geste, en même temps qu'il le mime, il se rend compte qu'il le mime,
04:27il s'assied extrêmement violemment, et puis il a répondu à cette question « oui, quand
04:31je tiens un couteau, c'est avec la main droite ».
04:32Et alors ?
04:33Donc c'est énorme.
04:34Donc il y a un petit flottement dans l'audience, un témoin qui vient pour autre chose, tout
04:39le monde reste là-dessus, et son avocat cherche à le récupérer, parce que jusque-là, il
04:44avait été extrêmement malin quand on le confrontait à son casier, etc.
04:47Il disait « oui, mais je ne suis pas un ange ». Donc son avocat se lève et lui dit « mais
04:51Guy-Georges, qu'est-ce que vous avez voulu dire tout à l'heure sur les questions de
04:54la partie civile ? »
04:55Et on pense tous qu'il va se rattraper aux branches, qu'il va redevenir affable, et
05:00qu'il va nous expliquer que oui, il n'est pas un ange dans les bagarres de rue, le couteau
05:03il vient par la main droite.
05:04Et bien pas du tout.
05:05Il est tellement dans son acte qu'il est hors de lui.
05:08Il se lève, il hurle, il m'insulte en disant « c'est elle, elle m'a eu, elle m'a piégé
05:14! »
05:15Il montre du doigt, il s'assied dans le box, en me menaçant du regard, avec une violence
05:20inouïe.
05:21Et il hurle aussi « pour elle c'est un jeu », ce qui fait que l'ambiance est telle
05:26que autour de moi les gens s'écartent, parce qu'on voit vraiment qu'il me menace,
05:31que son avocate s'écroule à côté de lui, parce qu'elle sent que c'est fini, qu'il
05:38n'a pas…
05:39C'est fini, oui.
05:40Et donc lui reste là, silencieux, menaçant, et que le président est forcé de suspendre
05:45l'audience jusqu'au lundi.
05:46Et ça s'est arrêté là.
05:48Et donc, à ce moment-là, il a avoué, il a mimé son geste, le président suspend l'audience
05:54pour d'abord une demi-heure, mais quand Guy-Georges revient, il est uniquement dans
05:58l'insulte, il dit qu'il pisse sur la justice, il dit que…
06:02Lui il sait que c'est fini.
06:03Tout le monde sait que c'est fini, les jurés ont noté.
06:07Il a vraiment mimé son geste, en fait il a avoué avec son corps, qu'il a été plus
06:13fort que ses mots.
06:14Ça l'a dépassé d'une certaine manière.
06:17Ça l'a complètement dépassé, il tenait le couteau quand il…
06:20On a tous vu son geste avec le couteau qui s'abat sur la pauvre victime, c'était
06:25effrayant.
06:26Et vous, en tant qu'avocate, votre rapport à la vérité, vous diriez qu'il est comment ?
06:32Comment vous concevez la vérité ?
06:34Je déteste le mensonge.
06:36D'accord.
06:37Alors je cherche à chasser le mensonge vraiment de tous les coins de ma vie.
06:44Mais pour vous, un avocat ne ment pas ?
06:47Non, un avocat ne ment pas.
06:50En revanche, on ne doit pas forcément tout dire.
06:54On n'est pas là pour rechercher nous-mêmes la vérité.
06:58On est là pour défendre notre client, pour l'épauler, pour l'accompagner, pour traduire
07:05ce qu'il vit, pour l'expliquer.
07:07On est là pour contraindre la justice à ouvrir les yeux sur la réalité d'une situation
07:12et non pas sur un fait acquis trop simple que forcément l'homme est coupable de s'être
07:18trouvé là au mauvais moment ou que le mauvais geste a été fait d'une mauvaise manière.
07:23On est là pour aider.
07:26On n'est pas là, nous, pour chercher la vérité.
07:29En revanche, je déteste ce mensonge.
07:31Hervé Temim a dit « Mon métier en un mot, c'est défendre ». Est-ce que c'est comme
07:37ça que vous vivez vous aussi votre métier ?
07:39Ah oui.
07:40C'est vrai ?
07:41C'est vrai.
07:42Hervé avait raison.
07:43La seule chose pour laquelle on est fait, c'est défendre, et c'est la plus belle
07:46chose du monde.
07:47Comment vous vous êtes rendu compte de ce que ça voulait dire pour vous « défendre
07:51» dans votre carrière ? Est-ce qu'il y a eu quelque chose en particulier qui a fait
07:54que vous avez compris vraiment ce que ça voulait dire ?
07:57Un jour, je défendais un Algérien en situation irrégulière qui était accusé d'avoir
08:07assassiné un homme pour pouvoir le cambrioler.
08:11Et l'affaire, c'était pas ça du tout.
08:14Mais il avait quand même tué quelqu'un.
08:17C'était un client pour lequel j'avais vraiment beaucoup d'affection, et on avait
08:22énormément travaillé ensemble.
08:24Pendant combien de mois ? Pendant combien de mois vous travaillez comme ça, parce qu'on
08:29se rend peut-être pas compte ?
08:30L'instruction avait duré presque trois ans, entre le temps d'instruction et puis le
08:34temps d'attente de l'audiencement.
08:35Donc ça faisait trois ans que je le connaissais, au moment où il a comparu aux assises.
08:42Et pendant la suspension qui précède le moment où on va plaider, juste après les
08:49réquisitions, j'étais dans le fond de la salle en train de me concentrer sur mes notes,
08:55sur ma plaidoirie, sur ce que j'allais dire.
08:58Et tout d'un coup j'ai levé les yeux, parce que mon père était venu assister à
09:07l'audience, il était venu assister à ma plaidoirie parce qu'il savait que c'était
09:11un dossier qui me tenait particulièrement à cœur.
09:14Et il m'avait demandé s'il pouvait aller parler à mon client, et j'avais dit bien
09:17sûr.
09:18Et tout d'un coup en levant les yeux, qu'est-ce que je vois ? Je vois mon père qui
09:23tenait dans ses mains, la main de mon client, et les deux qui se parlaient, d'ailleurs
09:28je sais pas ce qu'ils se sont dit, mon client était penché vers mon père et les deux
09:32échangeaient.
09:33Et là tout d'un coup je me suis dit, mon père serre la main de quelqu'un qui a étranglé.
09:42Vous avez une rencontre de sphères qui sont à priori pas les mêmes, l'intime d'un
09:49côté, votre vie professionnelle de l'autre.
09:52Et des sphères qui sont pas les mêmes non plus pour les parcours.
09:56Et au moment où j'ai vu ce geste, je me suis tout d'un coup rendue compte que moi,
10:03ces mains, je les avais serrées mais sans cesse depuis trois ans, j'avais vu mon client
10:09un nombre incalculable de fois.
10:14Et je me suis, je sais pas, je crois qu'à ce moment-là, je me suis rendue compte de
10:21la beauté qu'il y avait à défendre.
10:25Voilà, quel que soit le parcours de l'homme qu'on défend.
10:29Qu'est-ce que c'est pour vous une bonne avocate ?
10:32Une bonne avocate, c'est comme un bon avocat.
10:35C'est quelqu'un de courageux.
10:37Et une grande avocate ? Qu'est-ce qui fait d'une bonne avocate une grande avocate ?
10:42Eh bien, beaucoup de courage !
10:45C'est quand même...
10:47L'avocature, ça peut être perçu comme un monde d'hommes.
10:51Ça l'est de moins en moins, mais ça a pu l'être dans l'imaginaire collectif.
10:55Est-ce que vous, vous avez eu tôt dans votre carrière des modèles, que ce soit des hommes
11:01ou des femmes, qui vous ont porté ?
11:05Oui.
11:07Jean-Louis Tixier vient en cours, qui est à mon avis le plus grand avocat du XXe siècle,
11:12parce qu'il a réussi à faire plier le pouvoir politique, et que quand le politique s'incline
11:17devant le judiciaire, grâce à un avocat, voilà...
11:22Madame Petit, qui a été la première à prêter serment, et qui nous a ouvert...
11:27C'était en quelle année ?
11:291903, je crois.
11:33C'est une femme extraordinaire qui a eu un courage fou.
11:38Qui a été la première des premières des premières.
11:41Qu'est-ce que vous ne ferez jamais en tant qu'avocate ?
11:44Chercher volontairement à nuire à quelqu'un.
11:47Pour vous, c'est ça le plus grave ? C'est de nuire volontairement ?
11:51Ou est-ce que c'est une limite importante ?
11:54Est-ce qu'il y a quelque chose où vous avez eu peur de dépasser cette ligne,
11:58et où vous avez su vous retenir ?
12:02Euh...
12:06Est-ce que vous voulez dire qu'il faut tout faire quand on défend, sauf ça ?
12:11Quand on défend, on ne doit pas tout faire.
12:15Défendre, c'est défendre loyalement, c'est défendre avec autant de force
12:22et de courage qu'on peut, c'est ne jamais reculer devant l'adversité.
12:29Il y a plein de choses à ne pas faire.
12:32Il ne faut pas reculer, il ne faut pas tricher,
12:36il ne faut pas être fourbe, il faut se donner.
12:42Tout ça, c'est essentiel.
12:44Il y a beaucoup de choses à ne pas...
12:46À ne pas faire.
12:47Et qu'est-ce que vous vous dites, ça je dois toujours à mon client,
12:50ça je dois toujours le faire ?
12:55La vérité de ce qu'on pense.
12:57Avoir le courage aussi de dire à son client,
12:59non là c'est pas bon, là c'est dangereux,
13:01contrairement à ce que vous croyez,
13:03ces pièces-là, ces déclarations-là ne sont pas bonnes.
13:06Ne pas faire croire que, mais oui, tout va bien aller, tout...
13:10Voilà, c'est...
13:11C'est rester honnête.
13:12Ah oui.
13:13C'est très important.
13:14Il y a des clients qui ne sont pas du tout contents
13:16si on leur dit que leur dossier est fragile
13:19ou que ce qu'ils croient ne tient pas.
13:21Mais il faut leur dire.
13:24Vous avez été, et vous êtes, avocat à la fois de partie civile,
13:30vous êtes aussi du côté de la défense,
13:32qu'est-ce qui est le plus difficile pour un avocat ?
13:34Ça dépend des affaires.
13:36Il y a des dossiers...
13:38Alors, on est presque toujours beaucoup plus seul en défense
13:42que quand on est partie civile,
13:43parce que quand on est partie civile,
13:44on est normalement appuyé par l'accusation.
13:46Mais c'est pas toujours le cas.
13:48J'ai un souvenir notamment d'être partie civile aux Assises,
13:52extrêmement douloureux avec tout le monde contre moi
13:56qui était pourtant partie civile.
13:58Donc voilà, c'est pas toujours le cas,
14:00mais généralement, on est beaucoup plus seul en défense.
14:03En revanche, la difficulté de la partie civile,
14:05c'est la finesse de sa position.
14:08On ne doit pas être dans l'accusation.
14:10On est là pour défendre.
14:11Un avocat défend toujours.
14:13Donc un avocat de partie civile...
14:14Ce que vous voulez dire, vous n'allez pas dire,
14:16parce que ça fait un écho un peu à ce qu'on évoquait en début d'émission,
14:21mais du coup, vous n'allez pas plaider le fait
14:26que quelqu'un soit condamné, qu'il ait une peine ?
14:28C'est ça que vous voulez dire ?
14:29Même en tant qu'avocat de partie civile ?
14:30En avocat, c'est ça.
14:31En tant qu'avocat de partie civile,
14:33on est là pour défendre nos clients,
14:35c'est-à-dire défendre ce qu'ils ont vécu,
14:37défendre leurs souffrances, défendre leurs difficultés.
14:40On n'est pas là pour accuser, demander une peine,
14:44rappeler un casier judiciaire.
14:45Ça, c'est une autre question.
14:47En défense, ce qui est magnifique,
14:49c'est qu'on se lève, seule, face à tous,
14:53et que, voilà, là, c'est toute la grandeur de l'avocat.
14:57Je vous posais la question tout à l'heure,
14:59mais en préparant l'émission,
15:00je vous demandais si vous aviez déjà eu peur,
15:03et vous m'aviez plutôt répondu non.
15:06Vous parliez de courage aussi.
15:09Est-ce que ça fait partie de vous ?
15:11Est-ce que ça a toujours fait partie de vous, ça, le courage ?
15:14Je ne sais pas, j'espère.
15:18Ce que je sais, c'est que...
15:19Alors, pas peur, j'ai jamais eu peur de mes clients,
15:22j'ai jamais eu...
15:23Mais, en revanche, j'ai très peur avant de plaider, par exemple.
15:26D'accord.
15:27C'est une autre...
15:28Je n'ai pas peur du combat,
15:31mais j'ai quand même peur avant de rentrer dans l'arène.
15:36Votre plus grande victoire, c'est quoi, aujourd'hui ?
15:43C'est difficile.
15:44C'est très difficile.
15:45Il n'y en a peut-être pas encore une, mais...
15:48Je trouve que j'ai eu une très belle décision en appel
15:54dans l'affaire dite des suicides de France Télécom,
15:57où j'ai obtenu la relaxe du DRH Groupe.
16:01C'était important pour vous, cette...
16:03C'était très important parce qu'il y avait eu l'instruction,
16:06le parquet contre nous,
16:08le jugement de première instance de condamnation,
16:11le parquet contre nous en appel,
16:13les parties civiles extrêmement nombreuses,
16:16et surtout l'air du temps,
16:18le courant médiatique extrêmement fort
16:21qui voulait la condamnation de mon client.
16:24Vous étiez très seule, c'est ce que vous disiez tout à l'heure.
16:27Là, vous avez été en défense et très seule.
16:29Et nous avons réussi à nous faire entendre,
16:32et les magistrats ont rendu une décision très juste,
16:35mais en ayant eu cette capacité d'écoute.
16:38Voilà, donc ça, c'était...
16:40Et votre plus grand regret ?
16:43Avoir été trop loin dans l'appel.
16:45Avoir fait appel de décision parce que je l'ai trouvée injuste.
16:49Et en fait, avoir aidé mon client ou encouragé,
16:54j'ai jamais fait appel évidemment seule,
16:56mais voilà, encourager mon client dans la voie de l'appel,
17:00alors qu'en fait, en appel, ça a été plus lourd qu'en première instance.
17:04Vous le portez sur vos épaules, ce genre de décision ?
17:07Ah oui, et puis ça, on y pense très longtemps après.
17:10Évidemment, au moment où on encourage le client dans cette voie,
17:14on est sûr que ça va mieux marcher.
17:17Donc ça, c'est très lourd.
17:19Vous parliez de la plaidoirie tout à l'heure,
17:21et du fait que vous étiez encore stressée avant vos audiences.
17:26Georges Keijman disait
17:30« Si on est prisonnier d'un texte rédigé, on cesse d'être éloquent ».
17:36Est-ce que vous êtes d'accord avec ça ?
17:38Et comment on fait pour bien plaider ?
17:41Alors d'abord, Georges Keijman parlait de l'éloquence judiciaire,
17:44parce qu'il y a des éloquences différentes,
17:46où à mon avis, au contraire, il faut être pris dans son texte.
17:49Pour la plaidoirie, bien sûr, si on s'enferme dans quelque chose,
17:55et qu'on voit dans le regard des juges que ça ne marche pas du tout,
17:57et qu'on n'est pas capable de bouger,
17:59là, ça ne va pas, il faut être libre.
18:02Un avocat, par essence, doit être libre
18:04du début jusqu'à la fin de son exercice professionnel, à chaque seconde.
18:08Donc, il doit être libre aussi quand il plaide.
18:10En revanche, une plaidoirie, ça se prépare, ça se prépare beaucoup.
18:13Ça se prépare…
18:14Vous passez combien de temps à peu près ?
18:16Préparer une plaidoirie ?
18:17Oui.
18:18Mais en fait, on la prépare depuis qu'on connaît le client,
18:20donc ça peut durer sept ans le temps de l'instruction, dix ans parfois.
18:24Mais vraiment, on la prépare de plus en plus au fur et à mesure du procès,
18:29puis on l'adapte en fonction des arguments qui viennent,
18:31puis on l'adapte en fonction des réquisitions,
18:33on l'adapte dans la nuit qui précède la plaidoirie,
18:35et après, on l'adapte en plaidant en fonction du regard des juges.
18:39Donc c'est un travail mouvant qui dure des mois.
18:43Est-ce que vous avez un petit tic avant l'audience,
18:47quelque chose que vous faites pour vous rassurer ?
18:50Des tocs, des tics ?
18:52J'ai besoin d'être seule.
18:53D'accord.
18:54Avant de plaider, j'ai besoin d'être seule un certain temps,
18:57dans ma bulle.
18:59Donc là, il ne faut pas qu'on me dérange, sinon je suis extrêmement désagréable.
19:03Et parfois, j'ai besoin d'avoir quelqu'un, un proche du cabinet par exemple,
19:10qui a travaillé avec moi le dossier, mon associé,
19:15qui est juste là pour que je puisse lui poser une question,
19:18et si je dis ça, et puis voilà.
19:20Mais sinon, je suis dans ma bulle.
19:22En vous écoutant, j'ai presque l'image comme ça,
19:24qu'on voit des boxeurs avant de rentrer dans le ring,
19:26quelque chose de très concentré comme ça, avant de...
19:29C'est ça, c'est exactement ça.
19:30Avant de se lancer.
19:32Vous disiez, j'ai besoin de silence.
19:35J'imagine que du coup, vous éteignez votre téléphone ou pas ?
19:40Ah oui.
19:41Ouais.
19:42Là, ça fait quelques minutes qu'on discute,
19:45vous n'avez pas votre téléphone avec vous dans vos mains.
19:48On est tous un peu accros aujourd'hui.
19:50Est-ce que vous, ça va là-dessus ?
19:52Ça va assez mal, parce que je déteste mon téléphone.
19:55D'accord. Pourquoi ?
19:57Et qu'en même temps, je ne supporte pas de le perdre,
19:59je passe mon temps à le chercher.
20:01Donc franchement, si on avait pu ne jamais inventer les téléphones portables,
20:05moi je trouve que ça aurait été génial, mais bon, c'est fait, c'est fait.
20:08Vous êtes accros comme tout le monde, quoi.
20:10Oui, parce que c'est par là qu'on me joint,
20:12j'ai besoin de savoir que je peux être jointe.
20:15Mais il est souvent loin de moi,
20:18il est souvent sur vibreur.
20:20C'est pas votre amie, quoi.
20:22Non. Parce que le problème du téléphone, c'est que ça coupe, je trouve,
20:26à la fois la création, le rêve,
20:29et les relations entre les gens.
20:31C'est insupportable cette manière qu'on a de s'envoyer plein de SMS
20:34sans décrocher son téléphone pour entendre la voix de l'autre,
20:36ça prend trois secondes quand même en fait,
20:38et ça dérange moins, en réalité, que de s'envoyer quinze SMS dans la minute.
20:42C'est vrai que pour un avocat, en plus,
20:44on se dit en vous écoutant forcément,
20:46vous savez que ça compte et que vous n'êtes pas prêts de l'oublier.
20:51Il y a un autre objet dont je voudrais parler avec vous,
20:53c'est votre robe, elle est derrière vous,
20:55vous avez accepté de l'amener.
20:58Est-ce que vous pouvez nous dire ce que ça représente pour vous ?
21:02Ma robe, c'est très important pour moi.
21:04C'est à la fois mon armure et mon panache.
21:09Ma robe, c'est le fait que je deviens vraiment avocate quand je la mets.
21:14Je ne suis plus que moi.
21:16Je suis là pour quelqu'un d'autre.
21:18Je suis dans une enceinte judiciaire,
21:20je parle à des magistrats et je ne parle pas en tant que moi-même.
21:22Je parle parce que je défends.
21:24On sent presque de l'émotion quand vous en parlez.
21:26Est-ce que c'est votre première robe ?
21:28Non, c'est ma deuxième.
21:30C'est votre deuxième robe.
21:32Vous l'avez eue...
21:34Quand vous avez prêté serment, c'est l'une des premières choses...
21:36Oui.
21:38Est-ce que vous avez un souvenir de ce moment-là,
21:42où c'est loin et que vous avez l'habitude ?
21:44Je me rappelle très bien.
21:46Quand on va choisir sa robe,
21:48j'étais chez Bosque, boulevard du Palais,
21:50en face de ce qu'est aujourd'hui la cour d'appel.
21:52La boutique est magnifique.
21:54A l'époque, on pouvait choisir entre plusieurs tissus.
21:58J'ai préféré un noir vraiment noir
22:00plutôt qu'un noir avec une once de gris
22:02parce que je trouvais que c'était plus gay le noir vraiment noir.
22:04Vous avez quand même eu un petit choix,
22:06donc elles ne sont pas complètement identiques.
22:08Non, elles sont toutes sur mesure.
22:10Qu'est-ce que vous donneriez comme conseil
22:12à un jeune avocat
22:14qui démarre dans le monde d'aujourd'hui ?
22:16De douter.
22:18Douter ?
22:20Douter. Il faut qu'on doute.
22:22On a un métier magnifique
22:24parce que jusqu'au bout,
22:26nous progressons.
22:28Nous apprenons de nos confrères,
22:30de nos clients,
22:32des magistrats, de nos erreurs.
22:34Et donc, il faut douter.
22:36C'est un peu loin de l'image de l'avocat sûr de soi
22:38qu'on peut avoir parfois.
22:40Le doute.
22:42Je trouve que c'est le doute
22:44qui nous construit, qui nous fait avancer.
22:46Le doute et le courage. Il faut avoir le courage
22:48de le dépasser ce doute.
22:50Mais il faut douter. On n'est sûr de rien.
22:52On voulait vous demander
22:54de nous expliquer
22:56un texte, un principe de droit.
22:58Profitez de ce moment-là
23:00pour prendre un petit peu
23:02de votre savoir et que vous nous expliquiez
23:04ce monde un peu compliqué
23:06du droit et de la loi.
23:08Est-ce que vous pouvez
23:10en quelques mots nous expliquer
23:12un texte, un principe qui compte pour vous ?
23:14Pour moi aujourd'hui, le principe le plus essentiel,
23:16c'est le secret professionnel
23:18de l'avocat.
23:20Le secret professionnel, c'est le fait
23:22que nous ne devons pas,
23:24nous avons l'interdiction de révéler
23:26ce qui nous est dit par nos clients.
23:28Quelle qu'en soit la forme, que ce soit à l'oral, à l'écrit,
23:30le secret professionnel,
23:32c'est quelque chose qui est inviolable.
23:34Le client lui-même ne peut pas dire
23:36« Oui, je vous l'ai dit, mais vous avez le droit de le raconter. »
23:38Ce n'est pas possible.
23:40C'est l'assurance
23:42dans une société
23:44que nous pouvons avoir une vraie défense.
23:46Qu'il reste
23:48une possibilité de tout dire
23:50et d'être vraiment pris entièrement
23:52comme on est.
23:54Je trouve qu'il ne faut surtout
23:56jamais y porter atteinte.
23:58Aujourd'hui, c'est de plus en plus difficile de le faire respecter.
24:00Par exemple, dans les dossiers sensibles,
24:02on ne peut pas parler avec nos clients par téléphone
24:04parce qu'ils sont sur écoute,
24:06mais que l'écoute n'est pas coupée
24:08quand c'est l'avocat qu'ils appellent.
24:10Ce qui en soit est inadmissible.
24:12On peut même retrouver dans des dossiers pénaux
24:14des écoutes de l'avocat.
24:16Ce n'est pas l'avocat sur écoute,
24:18mais c'est le client qui a été mis sur écoute.
24:20Il faut qu'on fasse une requête
24:22afin de nulliter, pour faire supprimer ces passages.
24:24C'est inadmissible.
24:26On sent que ce sujet
24:28est compliqué,
24:30mais on voit bien que dans la société actuelle,
24:32il est peut-être de moins en moins compris
24:34d'une manière assez générale.
24:36Je ne sais pas si les gens
24:38sont aussi
24:40enclins à faire attention
24:42à leur secret, à leur vie privée.
24:44Il y a une remise en question un peu générale.
24:46Le secret, c'est comme l'intimité.
24:48Vous n'avez rien à cacher,
24:50et pourtant, quand vous sortez dans la rue, vous êtes habillé.
24:52C'est les vêtements, quoi.
24:54Le secret, c'est pareil.
24:56On ne peut pas avoir un avocat
24:58qu'on puisse lui confier, sans risque,
25:00qu'il appelle après le procureur pour dire,
25:02au risque que lui-même serait mis en prison sinon,
25:04« Ah ben, je viens d'apprendre que
25:06mon client que vous soupçonnez de vol,
25:08en fait, a commis un habit de bien social. »
25:10C'est martien comme histoire.
25:12Ce que vous dites, d'une certaine manière,
25:14c'est que sans secret, il n'y a pas de défense.
25:16Sans défense, il n'y a pas de justice.
25:18Il y a quelque chose de fondement
25:20de la démocratie, même, presque.
25:22C'est ça. Sans secret, il n'y a pas de démocratie.
25:24Le secret professionnel de l'avocat,
25:26c'est la garantie d'un état de droit.
25:28Quand il n'y a plus de secret professionnel,
25:30on est dans un régime totalitaire.
25:32On entend de plus en plus
25:34que les relations entre avocat et magistrat
25:36sont difficiles.
25:38Hervé Tenim disait même que les relations
25:40entre avocat et magistrat ont toujours été mauvaises.
25:42Qu'est-ce que vous en pensez ?
25:46Je pense qu'il est naturel que ce soit des relations
25:48qui soient épineuses.
25:50On est les uns en face des autres.
25:52Les magistrats jugent nos clients.
25:54Nous sommes toujours persuadés
25:56que nous avons raison.
25:58Les magistrats, parfois, nous donnent tort.
26:00Évidemment, ça part mal.
26:02Après, les relations peuvent être
26:04plus ou moins bonnes.
26:06Il y a des magistrats que je respecte
26:08beaucoup. Il y a des magistrats
26:10qui respectent beaucoup certains avocats.
26:12Ça dépend des personnes.
26:14Je pense qu'il est très important
26:16d'avoir des relations de respect mutuel
26:18et d'avoir des relations où on se parle,
26:20où on se comprend, où on comprend
26:22les difficultés de chacun.
26:24Vous diriez que ce n'est pas toujours génial,
26:26mais ça va ?
26:28Je dirais que ça dépend.
26:30Plus généralement, l'état de la justice
26:32inquiète
26:34un peu tout le monde.
26:36Certains avocats, certains magistrats,
26:38certains greffiers,
26:40les justiciables eux-mêmes
26:42se plaignent de la justice,
26:44surtout en disant qu'elle est éventuellement
26:46trop lente.
26:48Où sont les solutions,
26:50selon vous ?
26:52Je ne sais pas.
26:54Vous ne savez pas ?
26:56Je pense qu'il faut que chacun fasse son travail
26:58au mieux possible, avec le plus de cœur
27:00et avec le plus d'espérance.
27:02Je crois qu'il ne faut pas se désespérer.
27:04Ce n'est pas une solution.
27:06On trouvera des choses
27:08pour que ça marche mieux.
27:10Qu'est-ce qui vous révolte aujourd'hui ?
27:14La lâcheté
27:16et
27:18la détention inutile.
27:22Ça vous arrive souvent d'être confrontée
27:24à la détention inutile, comme vous dites ?
27:26Trop souvent.
27:28Georges Kejman disait
27:30« Il vaut mieux être un avocat brillant qu'un ministre bien modeste ».
27:32Je me permets
27:34de dire que vous êtes une avocate brillante.
27:36Est-ce que ça vous tenterait un jour
27:38de devenir une ministre même
27:40modeste ?
27:42Pourquoi modeste ?
27:44En tout cas,
27:48c'est magnifique.
27:50C'est passionnant.
27:52Seulement, en ce moment,
27:54j'ai des très
27:56beaux dossiers avec des clients que j'aime beaucoup.
27:58Et si je devenais garde des souffres
28:00et que je les laisse tomber ?
28:02Non, en tout cas pas avant
28:04d'avoir fini ces affaires-là.
28:06D'accord, ce sont vos clients
28:08qui vous tiennent et c'est pour eux que vous travaillez.
28:10C'est d'abord à eux que vous pensez.
28:12Mais j'entends quand même
28:14que vous trouvez que c'est
28:16un métier formidable quand même,
28:18une expérience sûrement extraordinaire.
28:20Là, si on peut faire quelque chose pour la justice,
28:22je pense que c'est...
28:24Là, on peut. Là, on a les moyens.
28:28Question courte, réponse courte sur l'ange du mic.
28:30Convaincre ou gagner ?
28:32Gagner.
28:34Combat ou empathie ? Combat.
28:36Qu'est-ce qui vous empêche de dormir la nuit ?
28:42Le poids de certains dossiers.
28:44Votre film préféré ?
28:46Forrest Gump.
28:48Le dernier livre que vous avez lu ?
28:50En Syrie,
28:52de Joseph Kessel.
28:54Et enfin,
28:56un mot que vous voudriez dire
28:58à un confrère ?
29:04Je crois qu'il va se reconnaître.
29:06Ce serait quand même sympa d'accepter le renvoi la semaine prochaine.
29:10Merci beaucoup sur l'ange du mic.
29:12Qu'est-ce que vous souhaitez pour finir cet entretien ?
29:14De relax dans les mois qui viennent.
29:16Je vous le souhaite.
29:18Merci beaucoup.
29:20Merci à vous.
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