Une autre politique économique est-elle possible ?

  • le mois dernier
Emmanuel Macron a reconnu que la politique suivie depuis sept ans doit évoluer, à l'issue des résultats des législatives. Mais qu'est-ce qui est aujourd'hui possible ?

Retrouvez tous les débats économiques de Dominique Seux et Thomas Porcher sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-economique

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00:00On n'est pas plus avancé, mais on va malgré tout ouvrir le débat, le débat éco qui
00:04fait sa rentrée.
00:05Thomas Porcher, Dominique Seux, bonjour messieurs, Thomas Porcher, membre des économistes atterrés,
00:11Dominique Seux, éditorialiste à France Inter et au journal Les Echos, on va donc s'emparer
00:16de cette situation politique toujours très incertaine.
00:19La France n'a plus, et Patrick doit le savoir, depuis combien de jours la France n'a plus
00:24de Premier ministre ?
00:25Ça doit faire 46.
00:27Ah oui, bravo, et donc en capacité de vraiment gouverner, malgré tout, Patrick Cohen le
00:33disait dans sa chronique, il y a la question de savoir ce que voudraient les Français,
00:38quelles politiques ils aimeraient mettre en œuvre et voir mises en œuvre, qu'est-ce
00:44qui est possible ?
00:45On va parler salaire, on va parler impôts, on va parler réforme des retraites, mais
00:48d'abord, question toute simple, celle que formulait Marion, est-ce qu'une autre politique
00:53est possible ?
00:54Thomas Porcher ?
00:55Oui, bien sûr.
00:56En fait, quand on regarde l'économie sur des temps longs, on se rend compte qu'il
00:59y a eu plusieurs modes de régulation de l'économie.
01:01Le mode de fonctionnement de l'économie depuis les années 80 n'est pas le même
01:05que celui qu'il y avait entre les années 50 et 70, qui n'était pas le même que
01:08celui qu'il y avait avant la crise de 1929.
01:10Et puis même quand on regarde les économies capitalistes, on se rend compte qu'il n'y
01:14a pas eu qu'un seul modèle, il y a eu plusieurs capitalismes.
01:16Il y a un très bon livre de Bruno Hamal qui s'appelait « Les cinq capitalismes »
01:19qui est sorti il y a 20 ans, qui expliquait que les développements étaient différents
01:22en Asie, en Europe et aux Etats-Unis.
01:25Donc en économie, il y a plusieurs avenirs.
01:27Mais restons en France !
01:28Oui, mais en économie, il y a plusieurs avenirs et il faut en débattre sur un pied d'égalité.
01:32C'est bon pour la démocratie.
01:33Une autre politique économique est-elle possible, Dominique Seux ?
01:36Oui, une autre politique économique est toujours possible, sinon ce serait la dictature de
01:40la pensée unique, et vous savez, comme la dictature de la pensée unique est une mauvaise
01:44chose.
01:45Mais vous vous souvenez de la phrase de Margaret Thatcher, « There is no alternative ».
01:48Il n'y a pas d'alternative, il y a toujours des alternatives.
01:52Mais évidemment, parmi les autres politiques, il y en a certaines qui nous mènent dans
01:54le mur.
01:55Et il faut être assez conscient que si on regarde les résultats électoraux, les Français
02:01ont dit certainement non à Emmanuel Macron, mais ils n'ont pas dit oui, très loin de
02:05là, au programme du nouveau Front populaire.
02:07L'enquête de l'Ipsos, évoquée par Patrick Cohen tout à l'heure, le dit bien.
02:13Il faut bien se rendre compte que quand Jean-Luc Mélenchon, deux minutes après le résultat
02:18des élections législatives, disait tout le programme, rien que le programme, c'était
02:23125 milliards d'euros d'impôts en plus, en très très peu de temps, alors que chaque
02:29année, au moment du budget notamment, on discute à l'infini pour savoir si 1 ou 2
02:34milliards, de plus de moins, ça va mettre la France par terre.
02:37Donc on voyait qu'on était complètement dans le décor.
02:39Mais une fois qu'on a dit ça, oui, il y a des bougées qui sont possibles, naturellement,
02:43et on va en parler, sur la fiscalité.
02:46Sur la fiscalité, sur les retraites, il y a certainement des choses qui vont bouger.
02:50Mais attention, quand même, un des acquis des dix dernières années, c'est vraiment
02:55la période 2014-2024, 2014 c'est à peu près la moitié du mandat de François Hollande,
03:00il y a eu une amélioration de la compétitivité de l'économie française, et il me semble
03:05qu'il serait dangereux de remettre ça en cause.
03:07Avant de parler de la situation économique du pays, en cette entrée, Thomas Porcher,
03:12Dominique Seux, il y a malgré tout la France qui s'est engagée à réduire son déficit
03:16public auprès des instances bruxelloises, il y a les recettes de l'État qui seront
03:22moins bonnes qu'attendues en 2024, et c'est pour le coup un insoumis, le président de
03:27la commission des finances, Éric Coquerel, qui l'a affirmé après une réunion à Bercy.
03:31Il y a moins de rentrées fiscales qu'espérées en matière d'impôt sur le revenu, ou d'IS
03:36d'impôt sur les sociétés.
03:37C'est pour ça qu'on pose la question de savoir s'il y a une autre politique économique
03:41possible.
03:42D'ailleurs, quand Dominique Seux parle des quelques milliards qu'on cherche à droite
03:47et à gauche, il faut dire que sous le quinquennat d'Emmanuel Macron, on a rayé 70 milliards
03:51de recettes fiscales.
03:52Et là, c'était quand même 70 milliards, ce n'était pas 1 ou 2 milliards, dont 40
03:56milliards pour les entreprises.
03:57Mais les contraintes sont là ?
03:58Non.
03:59En réalité, non.
04:00Effectivement, on a un déficit de 5,5% du PIB, on a une dette à 110% du PIB, notre
04:05déficit est égal à celui du Royaume-Uni ou du Japon, et en dessous de celui des États-Unis,
04:10et notre dette est en dessous de celle des États-Unis et celle du Japon.
04:13Après, la vraie question, c'est est-ce qu'on utilise le déficit pour rembourser
04:16la dette ou pour être un élément de la politique macro-économique ?
04:19Je donne deux exemples.
04:20Les États-Unis, eux, creusent leur déficit pour soutenir leur activité, il n'y a aucun
04:25problème.
04:26La Chine, elle, vient de recreuser son déficit pour soutenir son activité, elle n'a pas
04:31le dollar, elle n'a même pas l'euro, elle a le yuan, il n'y a pas de problème.
04:35On a souvent dit dans cette émission qu'on avait été les grands naïfs de la mondialisation
04:38face à la Chine, face aux États-Unis, et pourtant, nous faisons exactement l'inverse.
04:42Et même Goldman Sachs, aujourd'hui, dit que la politique budgétaire menée en Europe
04:46a un impact sur l'activité économique, il ne faut pas refaire les mêmes erreurs
04:49que 2010.
04:50Pour moi, je retire qu'il faut absolument nommer d'urgence Thomas Porcher au ministère
04:53des Finances, puisqu'à la question « Y a-t-il des contraintes ? », il nous dit qu'il
04:56n'y a pas de contraintes, ce qui est quand même assez extraordinaire.
04:59Évidemment qu'il y a des contraintes, il y a deux différences par rapport aux États-Unis.
05:05C'est la raison pour laquelle vous parliez de bouger et non pas de changement ou d'alternative
05:09économique.
05:10De changement totalement radical de cap.
05:11Tout le monde regarde, et notamment au ministère des Finances, mais pas seulement, tous les
05:16matins quels sont les taux d'intérêt auxquels on emprunte.
05:18On emprunte quand même 300 milliards d'euros par an au marché financier.
05:23Alors, on peut dire que les marchés financiers, ce sont des gnomes de Zurich, mais en fait,
05:28ils prêtent quand même de l'argent, et ils le prêtent à un certain taux.
05:30Et on se souvient qu'il y a une première ministre britannique, Listerus, qui en quelques
05:35jours a dû plier bagage, parce qu'elle partait complètement dans le décor.
05:39Il y a maintenant les dossiers qu'on va aborder les uns après les autres, et en l'occurrence,
05:43vous l'évoquiez tout à l'heure Dominique Seux, le chantier de la réforme des retraites.
05:47Ce sera l'une des urgences du prochain Premier ministre.
05:51Il va devoir s'emparer de ce sujet explosif, puisqu'il y a évidemment le Front populaire,
05:58le Rassemblement national, qui exige l'abrogation de la loi qui avait été votée sous le gouvernement
06:04Borne.
06:05Est-ce que c'est quelque chose sur laquelle on peut revenir d'après vous ?
06:08Bien sûr ! Un moment, quand on décide d'une politique économique, tout est possible.
06:17Je veux dire, les 70 milliards de baisse de recettes fiscales, elles ont été faites.
06:21Le gel du Point Nadis des fonctionnaires qui a fait perdre 20% de pouvoir d'achat aux
06:24fonctionnaires.
06:25Personne ne s'est dit « Ah bah tiens, les fonctionnaires, comment ils vont réagir ? ». Ça a été fait,
06:28ça a été un choix de politique économique.
06:29Quand François Hollande, pour financer le CICE, a baissé de 10 milliards les dotations
06:33aux collectivités locales, on n'a pas demandé aux maires des villes pauvres qu'est-ce qu'ils
06:37allaient faire avec un budget de l'État qui était greffé de moitié.
06:39Ça a été un choix de politique économique.
06:41Donc aujourd'hui, demain, si on veut revenir à un âge pivot de 62 ou de 60, bien sûr
06:46que c'est possible.
06:47C'est un choix.
06:48L'objectif commun du droit à la retraite à 60 ans, c'est l'objectif de la France
06:51insoumise.
06:52Pour un âge pivot à 60 ans.
06:53Dominique Seux ?
06:54Oui, il y aura un bouger sur la retraite, quel que soit le gouvernement.
06:58Il y en aura.
06:59D'ailleurs, on a même François Bayrou qui dit qu'il faut améliorer la réforme.
07:03Le grand sujet, c'est de savoir si l'âge légal de retraite passera, reviendra de 64
07:08à 62 ans.
07:09Non seulement ce serait une humiliation pour Emmanuel Macron, mais sur le plan purement
07:16financier et économique, avec la réforme qui a été mise en œuvre, on voit qu'il
07:21y a toujours des déficits.
07:23On ne voit pas très bien comment on trouverait par miracle 15, 20, 25 milliards d'un coup.
07:28Rappelons quand même que les statistiques…
07:30Entre 70 et 2020, comment on a fait ? Parce qu'il y a eu un choc démographique qui
07:34a été élevé.
07:35On est passé de 3 retraités pour 10 employés en 70 à 6 retraités pour 10 employés en
07:432020.
07:44Comment le système de retraite a tenu ?
07:46Eh bien, l'âge de la retraite, il est monté de 60 à 62.
07:50On a cotisé aussi dans la joie.
07:52C'était un choix politique.
07:53On a cotisé dans la joie, c'est extraordinaire.
07:55Mais Thomas, il est très probable qu'à chaque réforme qui a été proposée, depuis
08:0093, puis 2008, puis 2010, vous avez peut-être exprimé une hostilité aux réformes qui
08:07ont été mises, ce qui s'avère aujourd'hui nécessaire.
08:10Donc je crains que dans quelques années, vous disiez « remonter l'âge de 62 à
08:1563, voire 64, était utile ».
08:16Je rappelle quand même, c'est les statistiques de l'OCDE, pardon d'utiliser des statistiques
08:22qui sont normalement non contestables, les hommes français ont la durée à la retraite
08:28aujourd'hui la plus élevée du monde.
08:29Et les femmes, quasiment aussi derrière le Luxembourg.
08:32La conclusion, c'est que des choses sont possibles probablement sur les carrières
08:37longues, essentiellement sur les carrières longues et les femmes, mais l'essentiel
08:45de la réforme sera très difficilement remis en cause.
08:48Mais Dominique, en bon financier, oublie de rajouter une chose à la statistique, c'est
08:54qu'effectivement…
08:55On peut augmenter les cotisations, c'est ça !
08:56Non, non, c'est pas ça.
08:57C'est que la France et le Luxembourg ont aussi le taux de pauvreté des retraités
09:00le plus faible au monde, ce qui est une bonne nouvelle, donc vous voyez, il faut toujours
09:03regarder les deux côtés.
09:04La question de la fiscalité, vous l'évoquiez, est-ce que le prochain Premier ministre…
09:09Non mais donc, on n'est pas d'accord sur les retraites, manifestement.
09:10Vous n'êtes pas d'accord sur les retraites, c'est l'intérêt d'ailleurs de ce débat
09:14et on verra de toute façon de quel côté pencherait la balance, mais si on prend la
09:17question de la fiscalité avec le problème de l'ISF, est-ce que c'est quelque chose
09:22qui sera ou qui devra de nouveau être mis sur le tapis ?
09:27Moi, je pense qu'il y aura, j'ai évoqué le mot « bouger » à plusieurs reprises,
09:32il y aura un débat qui va sauver sur la fiscalité.
09:36La grande question, ce sera s'il y a des hausses d'impôts sur les entreprises ou
09:43sur les plus aisées, est-ce que ce sera annoncé comme au nom de la morale, au nom de la lutte
09:49contre les inégalités et dans ce cas-là, ça soulèvera dans les milieux économiques
09:54qui contribuent quand même assez largement aux finances publiques aujourd'hui, ça soulèvera
09:59vraiment des mouvements d'inquiétude ou alors ce sera, est-ce qu'il y a un moyen
10:04de faire des hausses d'impôts temporaires, c'est-à-dire pour 5 ans, pour dire, on relève
10:10un petit peu l'impôt sur les sociétés, les bénéfices des sociétés, le prélèvement
10:14forfaitaire unique sur les revenus financiers, on dit pour 3 à 5 ans, la situation des finances
10:20publiques est mauvaise, donc à mon avis, dans cette hypothèse, la réaction ne sera pas la même.
10:25Thomas Parcher ?
10:26La suppression, la transformation de l'ISF en fait ne s'est pas transformée en investissement
10:30comme ça avait été promis au départ, c'est France Stratégie qui le dit, en tous les
10:34cas, pas pour le moment, mais ça fait quand même maintenant plus de 5 ans et vous savez...
10:39Sauf que vous savez, on a perdu quand même pratiquement 4 milliards de rentrées fiscales,
10:44on nous disait que ça faisait fuir les très riches à l'étranger, il y avait 0,2% des
10:48assujettis qui quittaient la France, 0,2%, vous en aviez 500 par an en dette, 800 qui
10:54partaient, 300 qui revenaient, donc on a perdu 4 milliards pour les 1% les plus riches qui
11:01détiennent 25% du patrimoine français et ça ne s'est pas transformé en investissement,
11:05donc il faut parfois accepter, quand on a testé quelque chose, que ça n'a pas fonctionné
11:09et revenir dessus.
11:10Alors je ne fais pas du tout le même diagnostic, il y a ce qu'on appelle en France une vingtaine
11:17de licornes, c'est-à-dire d'entreprises, notamment de start-up du numérique...
11:19Qui valent plus d'un milliard d'euros ?
11:21Absolument, et bien, à ma connaissance, aucune n'est partie depuis ces dernières années
11:25aux Etats-Unis ou ailleurs, et ça c'est quelque chose de totalement nouveau dans l'histoire
11:30économique française récente, et alors sur l'ISF, il y a quelque chose d'extraordinaire...
11:34Vous savez, l'âge moyen de départ, c'était quel âge Dominique, quand on quittait la
11:37France et qu'on payait l'ISF ? C'était 57 ans, donc ce n'étaient pas les start-uppers
11:41de 30 ans là qu'on nous vantait, c'étaient des gens vieux...
11:43Oui, mais il y avait beaucoup de départs, et il y en a...
11:470,2% des assujettis, ça c'est les chiffres du ministère des Finances Dominique, donc
11:51on ne va pas les contester sur 10 ans.
11:53Sur le SMIC justement, faut-il l'augmenter ? Peut-on l'augmenter sans nuire à la compétitivité
12:00dont parlait Dominique Seux tout à l'heure ?
12:02Écoutez, oui, bien sûr, parce que l'économie est un circuit, donc il peut y avoir un premier
12:07impact négatif, mais ensuite il y a une hausse de la consommation, il y a une hausse des
12:12offres d'emploi, les gens vont plus vouloir travailler à ce salaire-là, donc il peut
12:16y avoir un impact effectivement positif.
12:18Dominique ?
12:19La hausse du SMIC, oui, sur le papier le SMIC doit naturellement augmenter, d'ailleurs
12:24ça tombe plutôt bien, il a beaucoup augmenté ces dernières années, il a augmenté plus
12:28que l'ensemble des autres salaires, et d'ailleurs c'est la raison pour laquelle il y a beaucoup
12:31plus de SMICards aujourd'hui, de personnes au SMIC, je n'aime pas le mot SMICard, de
12:36personnes au SMIC qu'il y a 5 ans, il y en a environ 19%, ça n'est pas parce que la
12:41France est paupérisée, c'est parce que le SMIC a rattrapé les autres salaires, si
12:45le SMIC était remonté à 1600€ net, nous aurions en gros un salarié sur 4 en France
12:51qui est SMICard.
12:52En un mot, puisque c'est la rentrée, la situation économique elle est bonne ou mauvaise
12:56? Thomas Porchet ?
12:57Elle n'est pas catastrophique.
12:58Un mot, pas catastrophique Thomas ?
13:00Non, elle n'est pas catastrophique, mais il y a quelques nuages qui arrivent, notamment
13:04sur des incertitudes internationales.
13:06Merci Thomas Porchet, merci Dominique Seux, c'était le débat éco.

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