Le débat économique : est-ce la fin l'inflation

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Le débat éco entre Thomas Porcher, des Economistes Atterrés, et professeur à la Paris school of business et Dominique Seux, éditorialiste à France Inter et aux Echos, se penchera sur l'accélération récente de la baisse de l'inflation. Est-ce vraiment la fin de l'inflation ?

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00:00Le débat du vendredi entre Thomas Porcher et Dominique Seux.
00:03Thomas Porcher des économistes ATR et professeur à la Paris School of Business, c'est Dominique
00:09Seux, éditorialiste à France Inter et au journal Les Echos.
00:12Bonjour messieurs.
00:13Bonjour.
00:14À l'ordre du jour de votre débat cette semaine, l'inflation, la fin de l'inflation, on va
00:19poser la question de manière brutale, ou est-ce que c'est une accélération de la
00:24baisse de l'inflation ? On apprenait que la hausse des prix en août avait atteint 2,2
00:29%. Alors on va essayer de comprendre comment ça s'explique, ce que ça a comme conséquence
00:34en termes de pouvoir d'achat et de qui est-ce le succès.
00:38Mais première question Thomas Porcher, monsieur le professeur, pourquoi est-ce qu'on parle
00:43très souvent des sacro-saints 2% ?
00:46En fait c'est un professeur du MIT qui s'appelait Stanley Fischer, qui a été aussi économiste
00:52en chef du FMI, qui dans les années 80 a sorti un article académique où il a dit
00:56qu'il fallait que le taux d'inflation se situe entre 1 et 3 %. Et donc la commission
01:02européenne a gardé 2 %, les banques centrales ont gardé 2 %, mais ça n'était pas le
01:09cas avant.
01:10Par exemple, dans les années 70 en France, on a eu des taux d'inflation à 6 %, ce qui
01:15a diminué le coût de l'emprunt et ce qui a permis à un certain nombre de français
01:18de devenir propriétaires et il n'y avait pas de problème.
01:20Mais à partir des années 80, la doctrine a changé suite à cet article d'un économiste
01:23très connu qui s'appelait Stanley Fischer, et depuis on reste fixé sur ces 2 %, alors
01:28qu'on est 2, 3 et j'irais même jusqu'à 4, en réalité si le pouvoir d'achat suit
01:32il n'y a pas de problème.
01:33Dominique Seux ?
01:34En fait c'est un compromis, c'est un compromis entre, il faut mettre un peu d'huile dans
01:38les rouages, je parle dans des termes bien moins savants que Thomas évidemment, on met
01:43un peu d'huile dans les rouages pour qu'il y ait des hausses de salaire qui se suivent,
01:47qu'il y ait des prix qui n'augmentent pas trop, et en même temps qu'il n'y ait pas
01:51de perte de pouvoir d'achat.
01:53En fait pourquoi la lutte contre l'inflation est devenue, après les années 80, un objectif
01:58commun à l'ensemble des banques centrales et tous les pays développés, c'est que
02:02la mondialisation fait qu'il y a eu une concurrence qui fait que les prix ont baissé de production,
02:08et donc on n'était plus dans un monde où l'inflation était un atout avec des salaires
02:13qui se suivaient.
02:14Et donc en fait les objectifs de politique économique ont changé, mais si vous posez
02:19la question est-ce qu'on est revenu, on revient en ce moment à une inflation de
02:25l'ordre de 2 %, la réponse est oui, l'inflation baisse, c'est une nouvelle assez surprenante
02:31parce que je me souviens des débats que nous avions il y a encore un an, on avait du mal
02:35à anticiper que les prix pourraient redescendre aussi rapidement, aussi bas.
02:40Je me souviens très très bien qu'on disait le dernier kilomètre de la lutte contre l'inflation
02:44ce sera le plus difficile parce que les investissements climatiques et les prix de l'énergie font
02:53que l'inflation resterait élevée.
02:54Thomas Porchet ?
02:55Oui, ça a baissé, c'est vrai.
02:56Après il y a encore une petite incertitude, c'est que vous savez l'inflation elle a été
03:01poussée par les prix de l'énergie, et il y a beaucoup de prix de l'énergie qu'on ne
03:04maîtrise pas, notamment les prix du pétrole qui dépendent de tensions géopolitiques.
03:07Alors il est vrai que ce qui se passe au Proche-Orient entre Israël et Gaza n'a pas eu d'effet
03:13de contagion et de réaction des pays producteurs du Golfe qui auraient pu se dire bon à un
03:18moment on va faire augmenter les prix du pétrole en baissant.
03:21C'est ce que souhaite le peuple.
03:22Mais justement les prix du pétrole ne rebondissent pas, ils entraînent dans leur sillage le
03:27prix de l'essence à la pompe.
03:28Ça c'est une bonne nouvelle pour le pouvoir d'achat et c'est malgré la guerre en Ukraine,
03:32malgré les tensions au Moyen-Orient, le pétrole glisse, le gaz est à des niveaux plus faibles
03:37qu'en 2022.
03:38Il y a quelques mois, années, en 2022, on se demandait comment on allait passer l'hiver.
03:43Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui pour que ça ne soit pas le cas ?
03:45Il y a plusieurs choses différentes.
03:47On se demandait si on allait passer l'hiver, c'était surtout sur le gaz.
03:50En fait, ce qui s'est passé sur le gaz, c'est que c'est passé deux choses en réalité,
03:55c'est que l'Europe a réussi à réorganiser ses systèmes d'approvisionnement.
04:00Et là encore, je suis désolé de donner une deuxième mauvaise, une deuxième bonne
04:04nouvelle ce matin.
04:05Vous ne vous excusez pas ?
04:06Non, mais c'est dans les médias, on fait attention à ne pas donner trop de bonnes
04:09nouvelles.
04:10Je plaisante, évidemment.
04:11Mais système d'approvisionnement vers la Norvège, vers les États-Unis, en provenance
04:17des États-Unis, le gaz naturel liquéfié qui vient des États-Unis, c'est absolument
04:22massif.
04:23Et les États-Unis sont devenus le premier producteur mondial de pétrole, on le sait
04:27aussi.
04:28Du côté du pétrole, c'est un petit peu différent.
04:30C'est qu'il y a abondance de pétrole en ce moment et puis il y a un petit effet
04:36maintenant de la bascule vers, lente encore, mais vers des véhicules électriques, ça
04:42a un petit effet.
04:43Bon, alors on va rentrer dans ce qui peut vous diviser l'un et l'autre.
04:46Est-ce que c'est d'abord un succès de la Banque Centrale Européenne et de la politique
04:50menée par Christine Lagarde ?
04:51Oui, c'est un succès, effectivement, parce que l'inflation a diminué, mais il faut
04:57voir à quel prix nous avons tué l'inflation.
05:01C'est-à-dire que nous l'avons tuée au prix d'une casse de l'activité.
05:06Aujourd'hui, le secteur du bâtiment est en crise à cause de la hausse des taux.
05:08La croissance a diminué à cause de la hausse des taux.
05:10Et je veux dire, les prix du pétrole ont diminué parce qu'il y a beaucoup moins
05:12de demandes en Europe, entre autres, à cause de la hausse des taux.
05:18Donc, en fait, pour une inflation qui était à 5%, qui n'était pas une hyperinflation,
05:22vraiment l'hyperinflation, elle a été définie par un économiste, Philippe Cagan,
05:25elle a 12 000% d'inflation par an.
05:27Donc, on n'était pas en hyperinflation.
05:29Plutôt que d'augmenter les salaires pour préserver le pouvoir d'achat, on a décidé
05:33de baisser l'activité pour faire baisser l'inflation.
05:36Et donc, il y a eu un impact très négatif sur la croissance économique.
05:39Pour vous, c'est à blâmer et c'est à rejeter du côté de l'ordre de l'oxygénétaire.
05:42On a fait le choix de tuer l'activité pour baisser l'inflation.
05:45On aurait pu faire autrement.
05:46Dominique Seux ?
05:47Alors, un, l'activité n'a pas été tuée.
05:49Deux, l'inflation était quand même montée en 2022 à 8%, puis 5% en 2023, ce qui est
05:56quand même beaucoup.
05:57On a eu une inflation qui, sur les 3-4 dernières années, approche les 20% et pour l'alimentaire,
06:01c'est un peu plus.
06:02On ne peut pas avoir dit pendant 2 ans, dans tous les bulletins d'information, il y a
06:09une catastrophe dans les caddies et les Français sont à la ramasse.
06:12Les Français n'ont plus d'argent dans leur portefeuille et sur leurs cartes bancaires,
06:16et puis dire aujourd'hui, au fond, ce n'était pas très grave cette inflation.
06:19Quel est le pays qui, aujourd'hui, a l'inflation la plus forte en Europe ? C'est la Belgique.
06:25La Belgique, le système dont on a tant vanté l'indexation automatique des salaires.
06:29C'est quand même assez curieux de regarder que ce système n'a pas fonctionné.
06:33La Banque Centrale Européenne a réussi.
06:37Après, Thomas a raison de poser la question.
06:40Au prix de l'abandon de la croissance.
06:42J'ai utilisé le mot tout à l'heure de compromis.
06:44C'est un compromis entre un freinage de la demande et la lutte contre l'inflation.
06:52Donc on accepte un ralentissement de la croissance pour faire baisser l'inflation ?
06:55Oui, il y a un léger ralentissement de la croissance.
06:58J'ai toujours tenu ce discours.
07:01Je l'ai même tenu une fois devant Patrick Cohen dans une autre émission du Service Public en 2022.
07:05Je suis toujours resté sur la même ligne.
07:07Sur le fait qu'en dessous de 10% d'inflation, il n'y a pas de problème sur la croissance économique.
07:12C'est ce que montrent les études. Il y a même des études qui vont jusqu'à 20%.
07:15Il n'y a pas de problème.
07:15Et c'est un problème à partir du moment où les salaires ne suivent pas.
07:18Mais si les salaires suivent, il n'y a pas de problème.
07:22Si les salaires sont indexés sur l'inflation, il n'y a pas de problème.
07:26Je veux dire, il n'y a pas de souci.
07:27Et nous l'avons vécu à des certaines périodes dans les années 70.
07:30Mais même certains pays ont eu des inflations assez élevées avec des forts taux de croissance.
07:33Donc il n'y a pas de souci.
07:34Mais nous avons fait le choix de ne pas augmenter les salaires.
07:36Parce que ça posait un problème pour une autre partie prenante qui s'appelle le patronat.
07:40Et donc nous avons décidé de baisser l'activité.
07:42Et au final, qu'est-ce qui s'est passé ?
07:44Regardez ce qui s'est passé.
07:45Les entreprises ont fait des super profits.
07:47Une grosse partie ont profité de l'inflation.
07:48Les dividendes ont augmenté très fortement.
07:50Et le pouvoir d'achat a diminué.
07:52Une grosse partie des Français ont perdu en pouvoir d'achat.
07:55Je pense que ce qui a été fait, c'est qu'il n'y a pas eu d'attextation automatique des salaires.
08:01Mais les salaires ont augmenté.
08:03Quand on regarde l'évolution du pouvoir d'achat, on ne va pas se battre à l'infini sur les indicateurs.
08:07Mais j'ai demandé à la Banque de France pour notre débat ce matin,
08:12de nous dire le pouvoir d'achat par unité de consommation, c'est-à-dire par personne.
08:17Concept économique de l'INSEE notamment.
08:20Le pouvoir d'achat par personne, de combien a-t-il évolué depuis le début du choc imperfectionniste,
08:25c'est-à-dire en janvier 2021 ?
08:27Il a augmenté de 1,2%.
08:30Pourquoi a-t-il augmenté de 1,2% ?
08:32C'est que les salaires ont progressé dans les entreprises,
08:36mais surtout parce que les prestations sociales,
08:38d'ailleurs, ça concerne les personnes les plus en difficulté, ont été indexées.
08:43La question à poser est exactement la question inverse de celle...
08:47Oui, mais c'est l'inverse de ce qu'a dit Thomas.
08:49C'est-à-dire, est-ce que finalement, on a mis trop de boucliers, trop de protections,
08:55et ça se retrouve dans l'endettement public ?
08:57Thomas Porcher ?
08:57Je ne contredit pas les statistiques de Dominique qui sont vraies.
09:00Le problème, c'est que vous savez, une statistique...
09:01Banque de France ?
09:03Non, mais les statistiques de Dominique sont toujours très bonnes.
09:05Mais le problème, c'est qu'ils ne regardent que la statistique...
09:07Mais trop de protections, quoi qu'il en coûte ?
09:08Non, ce n'est pas ça le vrai problème.
09:09Je vais vous expliquer quel est le problème.
09:11Déjà, la première des choses, ce qu'oblige de dire Dominique,
09:14c'est que les prestations et le SMIC sont revalorisés après-coût.
09:18Donc, il y a eu un temps de retard où les Français ont dû s'adapter.
09:21Et ça, vous pouvez leur dire ce que vous voulez,
09:22pendant un certain temps, ils ont perdu du pouvoir d'achat.
09:24Et la deuxième chose, c'est qu'effectivement, un chiffre n'est qu'une moyenne,
09:27et qu'elle ne révèle pas les inégalités.
09:28Je vais vous expliquer moi ce qui s'est passé.
09:30Ceux qui sont les plus riches, qui ne vivent pas qu'avec un salaire,
09:34qui vivent aussi avec des revenus de capitaux,
09:37eux ont vu leur pouvoir d'achat très fortement augmenter
09:40parce que les dividendes n'ont jamais autant augmenté.
09:42Par contre, les 60% des Français qui ne vivent qu'avec leur salaire,
09:45eux ont perdu du pouvoir d'achat.
09:46Donc effectivement, quand vous prenez le chiffre global,
09:48le pouvoir d'achat a légèrement augmenté.
09:50Mais il y a de fortes inégalités dans ce chiffre global,
09:53et on ne peut pas passer derrière 60% des Français qui ont perdu en pouvoir d'achat.
09:56Que répondez-vous, Dominique Seur ?
09:58Je réponds que quand on regarde dans le détail,
10:01les revenus des capitaux, les revenus des produits financiers ont augmenté,
10:05mais ça ne suffit pas à expliquer la moyenne générale,
10:11ça pèse relativement peu par rapport à l'ensemble des salaires.
10:14Il faut regarder comme les grands...
10:15Les 30% les plus riches, ils ont quasiment un tiers de leurs revenus
10:18qui sont des revenus du patrimoine, c'est-à-dire les loyers et le capital.
10:21Oui, mais sur la masse de l'ensemble des revenus des Français,
10:24ça représente malgré tout assez peu de choses.
10:26Le sujet que vous devriez mettre en avant,
10:28c'est, si j'étais à votre place, c'est de dire...
10:31Si c'est l'intérêt du débat, c'est que vous n'y êtes pas.
10:33Voilà.
10:34D'amour.
10:34C'est de dire que ce qui crée les inégalités et les différences
10:39quand il y a beaucoup d'inflation,
10:41ce n'est pas tellement le revenu, c'est le mode de vie.
10:45La mobilité, si je dois utiliser ma voiture,
10:48là, à ce moment-là, le prix des carburants compte beaucoup.
10:51Si je me chauffe au gaz, le prix du gaz a augmenté.
10:53Au fuel, c'est beaucoup plus complexe que simplement la question des salaires.
10:57Une dernière question, Thomas, puisque on arrive au terme de ce débat.
11:01Dominique a raison, mais après, il faut dire la vérité,
11:04celui qui vit très loin du centre-ville, qui utilise beaucoup sa voiture,
11:08votre statistique de hausse du pouvoir d'achat,
11:10effectivement, il ne l'a pas vécue de cette façon-là,
11:12parce que lui, de fait de sa mobilité et de fait de son revenu
11:16qui dépend majoritairement de salaire, a perdu en pouvoir d'achat.
11:18Est-ce qu'il y a une forme de magie française qui fait que,
11:21malgré l'ampleur de la dette, du déficit budgétaire,
11:24on échappe finalement à chaque fois aux politiques d'austérité ?
11:27Oui, non.
11:28Et on reviendra sur cette question qui fait qu'on passe entre les gouttes,
11:32on va dire ça comme ça.
11:34Ali Baddou, je suis extrêmement heureux de vous entendre dire
11:36qu'on échappe aux politiques d'austérité,
11:40alors qu'on entend matin, midi et soir qu'il y a des politiques d'austérité.
11:42Il y a une politique d'austérité, mais effectivement,
11:47comment vous dire,
11:49le bilan n'est pas aussi catastrophique que certains le disent.
11:53On aura l'occasion d'y revenir.
11:54Merci Dominique Seux.
11:55Thomas Porcher, c'était le téléco du vendredi.

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