«La désinvolture est une bien belle chose» : Philippe Jaenada est l'invité de Culture médias

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Transcript
00:00Vous écoutez Culture Média sur Europe avec Thomas Hill jusqu'à 11h et ce matin, votre invité Thomas, vous recevez l'écrivain Philippe Jainada.
00:09Et oui, vous venez de publier votre 16e livre, Philippe. La désinvolture est une bien belle chose et alors vous poursuivez dans la veine des livres en quête extrêmement fouillés que vous avez pu écrire ces dernières années.
00:20Mais là, c'est assez différent puisque votre recherche ne porte pas sur un meurtre, mais sur un suicide.
00:25Celui d'une jeune femme à qui tout semblait réussir et qui est tombée ou s'est jetée d'une fenêtre en 1953 à l'âge de 20 ans.
00:34Qui était Jacqueline Arispe, dite Kaki ? Racontez-nous.
00:38Alors Jacqueline Arispe, c'était une jeune femme, une très jeune femme même, qui était à Saint-Germain-des-Prés.
00:46Alors c'est au tout début des années 50 et Saint-Germain-des-Prés, c'est le quartier, l'un des quartiers les plus pauvres de Paris.
00:52Oui, c'était beaucoup moins chic qu'aujourd'hui.
00:54Ah oui, c'était même l'inverse de chic, c'est-à-dire que c'était le quartier où se retrouvaient tous les jeunes, les fugueurs,
00:59les gens qui n'avaient pas d'argent, pouvaient manger pour presque rien, boire pour presque rien.
01:03Et donc elle, c'était un peu la reine du quartier.
01:07Alors ce n'était pas du côté des existentialistes, du tabou, de viande, Judith Greco et tout ça, c'était des jeunes qui étaient encore plus détachés.
01:14C'était un peu des punks avant l'heure quoi, c'était des jeunes qui étaient dans un bistrot qui s'appelait Chez Moineau.
01:20Et qui passaient leurs jours et leurs nuits là-dedans.
01:23Des photos ont été faites par un type en hollandais, un routard hollandais, un peu clodo, qui passait par là et qui avait un appareil photo dans son sac,
01:30qui est devenu un photographe très connu dans le milieu de la photographie, qui s'appelle Ed van der Helsken.
01:35J'ai trouvé les photos et je me suis dit, je savais que ce n'était pas possible, mais je me suis dit, je vais essayer de savoir qui sont ces jeunes gens.
01:42Ce sont des photos magnifiques, on les voit qui pleurent, qui s'embrassent, qui dorment, qui jouent, enfin bon, ce sont vraiment de très belles photos.
01:49Aucun d'eux n'a fait quoi que ce soit par la suite dans la vie qui puisse se permettre de le retrouver.
01:54Jacqueline, elle, elle a été un peu mannequin pour Dior ?
01:56Ouais, alors Jacqueline c'était la plus belle du quartier, c'était la reine du quartier.
01:59Elle couchait avec tous les garçons, tout le monde l'admirait.
02:02Elle a été mannequin pour Dior, mais pendant trois semaines, elle en a eu marre et elle est partie.
02:07Et puis c'était vraiment apparemment, c'était la lumière de ce quartier.
02:11Et puis à 20 ans, un matin d'automne 53, elle s'est jetée par la fenêtre de sa chambre d'hôtel, ou elle est tombée, ou on ne sait pas, bref, la version à l'époque ça a été un suicide.
02:22Et puis j'ai trouvé, donc j'ai entendu parler d'elle, elle a servi de modèle à un livre de Patrick Moediano qui s'appelle Dans le café de la jeunesse perdue,
02:28où il a vraiment beaucoup, beaucoup romancé, mais bon, c'est elle le modèle de base.
02:32Et je me suis dit, je vais essayer de savoir qui était cette jeune femme, qui étaient tous ces jeunes gens.
02:36Pourquoi justement c'est devenu une obsession pour vous ? Pourquoi est-ce que vous ne pouviez pas rester sans comprendre les raisons qui ont poussé cette jeune femme à se suicider ?
02:43Parce qu'après tout, il y en a beaucoup des suicides, pourquoi elle en particulier ?
02:46Je ne sais pas, c'est un truc d'amour, je pense.
02:48Je suis curieux déjà, mais comme vous dites, il y en a plein des suicides ou des histoires inexpliquées, ou des gens dont on aimerait retrouver la vie, il y en a plein.
02:55Mais là, à travers ces photos, moi je me suis vraiment senti happé.
03:00J'ai eu l'impression d'être leur grand frère, ou d'être parmi eux.
03:03Parce que les bars, c'est un milieu que je connais un petit peu.
03:06Et on le comprend dans le livre aussi.
03:08Et donc voilà, je ne sais pas, je me suis pris d'amour pour tous ces jeunes gens.
03:12Et puis surtout, j'étais persuadé que je ne trouverais rien.
03:14C'est-à-dire que si là, vous allez dans un bar à côté d'ici, vous faites 200 photos,
03:19dans 70 ans, quelqu'un qui essaierait de retrouver qui sont les gens sur les photos.
03:24Et mon éditeur, ça fait 10 ans qu'il me dit, je t'en supplie, essaye de me faire un livre de moins de 850 pages.
03:29Pitié, au secours.
03:31Ça me coûte trop cher en papier.
03:32Et là, je lui ai dit, ça y est, j'ai mon sujet, si j'arrive à faire 200 pages, c'est un miracle.
03:35Parce que je pensais que je ne trouverais rien.
03:37Et au final, vous avez trouvé beaucoup, et vous en avez fait 500 pages.
03:40Ce qui n'est pas mal quand même, c'est la moitié de d'habitude.
03:43Aidez de vos amis archivistes, comme d'habitude, vous allez fouiller, reconstituer l'histoire de Jacqueline,
03:49l'histoire aussi de cette petite bande de Saint-Germain-des-Prés,
03:52qui sont des enfants qui avaient une dizaine d'années sous l'occupation.
03:55Donc, ils n'ont pas vraiment eu d'enfance.
03:57C'est ce que vous expliquez, finalement, c'est un peu de leur enfance qu'ils veulent récupérer en se retrouvant tous comme ça dans ce café.
04:02Je pense, sans faire de la psychologie de comptoir ou de studio de radio,
04:08mais je pense, en fait, 10 ans pendant la guerre, c'est le mauvais âge.
04:13Enfin, tous les âges sont mauvais, mais quand on est bébé, on se rend compte de rien.
04:18Et on ne peut rien faire, évidemment, parce qu'on est bébé.
04:20Quand on a 16-17 ans, on se rend compte de ce qui se passe, du cauchemar dans Paris et ailleurs.
04:24Mais on peut agir, on peut être résistant ou collabo ou ce qu'on veut.
04:28Quand on a 10 ans, on se rend compte de tout et on ne peut rien faire.
04:31Et on voit ses parents, tous ses mômes ont eu des parents, la plupart sont morts, soit déportés,
04:37soit collabos, fusillés, soit morts pendant la guerre.
04:43Et en fait, oui, je me suis rendu compte en creusant un peu après
04:47qu'ils n'ont pas vécu cette partie de l'enfance qui est très importante,
04:51qui n'est pas l'adolescence, qui n'est pas la petite enfance,
04:53qui est là où vraiment on s'éveille, ils n'ont pas vécu.
04:55Et je pense qu'il y en a un qui a interviewé 10 ou 15 ans plus tard,
04:59c'est assez triste, il a vieilli, il a trop picolé, il est tout seul.
05:03Et il dit, je me rappelle quand j'étais petit, quand j'étais malade,
05:07c'est mes meilleurs souvenirs, ma mère me donnait de la limonade et des illustrés.
05:10Et en fait, je pense que c'est ce qu'ils cherchaient tous,
05:13de la limonade et des illustrés en version un peu plus grande.
05:16La limonade, c'était du vin ou du cognac ou je sais quoi.
05:19Les illustrés, c'était les jeux puis les trucs amoureux.
05:22Mais je crois que c'est ce qu'ils cherchaient et ils voulaient rester enfants.
05:25Et le problème, c'est qu'autant on peut rester jeune toute sa vie,
05:28il y a plein de gens qui sont jeunes à 75 ans.
05:30C'est la promesse de mai 68, par exemple.
05:32Exactement, et ça a marché. Autant eux, la génération de 15 ans plus tôt,
05:35qui voulaient rester enfant, ça c'est pas possible.
05:37On ne peut pas rester enfant au-delà de 20 et quelques.
05:40Donc ils ont tous eu des destins pas forcément joyeux.
05:44C'est tragique.
05:45Cette recherche, c'est ce double d'un fil rouge dans ce livre,
05:48qui est votre Tour de France par les bords.
05:50De Dunkerque à Maubeuge, en passant par Cherbourg ou la Grande Note,
05:54vous avez fait 5000 kilomètres en solitaire et en Ford Kuga.
05:58On est assez loin du Tour de France cycliste,
06:01d'autant que votre truc, c'est plutôt les bistrots.
06:03Vous le racontez, votre priorité à chaque fois,
06:05c'est de trouver un bistrot ouvert dans chaque ville où vous vous rendez
06:08pour pouvoir observer les gens, c'est ça ?
06:11D'abord parce que j'aime ça.
06:13Je ne voulais pas faire un Tour de France touristique
06:15ou des monuments ou de l'âme des habitants, etc.
06:19Je cherchais non seulement un bistrot ouvert, mais un bon bistrot.
06:22Et puis tout le livre, eux sont en plein cœur de Paris
06:25dans un bistrot de 30 mètres carrés, enfermé tout le temps.
06:28Moi je fais le tour, donc je fais le contraire d'eux,
06:30je vais au large, mais j'ai essayé de retrouver des bistrots.
06:33Et puis c'est ce que j'aime, c'est la désinvolture dont parle le titre,
06:38c'est la désinvolture que cherchaient ces jeunes gens.
06:40Mais c'est aussi moi, pendant mon Tour de France,
06:42j'ai vécu les 24 jours les plus fabuleux et extraordinaires de ma vie.
06:46J'étais tout seul, je n'ai pas de téléphone,
06:48donc personne ne pouvait me joindre.
06:50Je n'avais aucune responsabilité, aucune contrainte.
06:53Je roulais, j'arrivais dans une ville, je cherchais un hôtel, un bar, un resto.
06:56Je buvais, je mangeais, je dormais.
06:58Et le lendemain matin, je repartais sans raison,
07:00sans rien à faire que me promener pendant 24 jours.
07:03On se met à 19h ou 19h30 en général.
07:05Ça, ça a été une découverte cruelle.
07:08On va continuer à parler de ce livre,
07:09la désinvolture est une bien belle chose.
07:11Et puis, dans un instant, Nicolas Caro va nous parler d'un autre livre.
07:14Vous, vous avez voulu nous présenter un livre un peu dans l'esprit,
07:17justement, de ceux de Philippe Jaénada.
07:19Oui, vous m'avez demandé.
07:20Essayez de trouver un truc qui ressemble un peu à Philippe Jaénada,
07:22mais pas trop non plus, pour pas faire...
07:24J'ai trouvé un truc super.

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