Les débats de l'été avec avec Marc Chassillan, ingénieur militaire et expert des industries de défense
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00:00l'Ukraine dont on a beaucoup parlé puisque les fameux avions, les fameux F-16 sont enfin arrivés.
00:05Ils ont survolé hier le ciel d'Odessa, c'est quelque chose qu'on n'espérait plus ici
00:10et on va être au téléphone avec Marc Chassilian. Est-ce que vous êtes avec nous Marc, bonjour.
00:16Oui, bonjour Maxime, bonjour à tous.
00:18Merci d'être avec nous, je suis ravi de vous accueillir.
00:20Vous êtes l'ingénieur militaire et expert des industries de défense
00:23qu'il nous faut absolument ce matin pour comprendre ce qui est en train de se passer
00:27actuellement sur le sol ukrainien.
00:30La première question semble évidente et naturelle,
00:33c'est quand même une annonce qui a été faite dans la torpeur de l'été, on ne s'y attendait pas.
00:38Est-ce qu'on sait les coulisses de ce deal pour qu'au beau milieu de l'été, début du mois d'août,
00:44ces F-16 traversent le ciel d'Odessa ?
00:48Alors je ne pense pas que l'opération consistait à rompre la torpeur de l'été.
00:54Je pense que c'est tout simplement le résultat de la construction d'un programme
00:59avec un calendrier extrêmement rigoureux qui est bâti depuis maintenant plus d'un an,
01:04puisque je rappelle que l'annonce des transferts de F-16, ça date de 2023, au printemps 2023,
01:12et que tout ceci a pris beaucoup de temps.
01:15Donc en fait, je veux dire que calendairement, ça tombe comme ça tombe,
01:18voilà au milieu du mois d'août.
01:19Mais on ne les espérait plus, c'est ce que je veux dire, on ne les espérait plus.
01:22Oui, alors il ne faut pas y voir malice.
01:24Alors on ne les espérait plus parce qu'en fait, on ne transfère pas un avion,
01:30on transfère ce qu'on appelle un système F-16.
01:32L'avion et le pilote ne sont que la petite partie émergée de l'acteur,
01:38mais sous l'ombre, vous avez une monstruosité qui s'appelle le système F-16
01:44et qui comprend plusieurs choses.
01:47D'abord, ça comprend une très longue formation des pilotes,
01:50puisque les pilotes doivent parfaitement maîtriser leur machine
01:53dans tout le domaine de vol, en clair, ils doivent voler avec,
01:55ils doivent savoir voler avec et savoir tirer parti de leur machine.
01:59Il faut qu'ils apprennent tout le système d'armes,
02:01c'est-à-dire le fonctionnement du radar, des systèmes électroniques,
02:05la mise en œuvre des armements, c'est-à-dire les missiles, les bombes, etc.
02:08Et donc, ils doivent apprendre énormément de procédures au temps pour ça.
02:13C'est un long apprentissage.
02:17Et puis, la partie émergée de l'iceberg,
02:22c'est que quand vous avez un pilote et un F-16 dans le ciel,
02:25vous avez entre 20 et 30 personnes au sol pour l'assister,
02:29c'est-à-dire qu'il faut des équipes d'entraînement.
02:31Maintenant, c'est très complexe, très lourd.
02:34Il faut que toutes ces personnes soient formées
02:36et il faut qu'à un moment donné du calendrier,
02:39toutes les lignes du calendrier se rejoignent en un point,
02:41c'est-à-dire il faut un avion en bon état, un pilote entraîné,
02:45des équipes au sol entraînées,
02:48du matériel de maintenance et d'entretien,
02:51des armements, des infrastructures,
02:54c'est-à-dire je pense que les Ukrainiens ont dû aussi
02:57modifier un petit peu leur base aérienne pour accueillir les F-16,
03:00s'équiper, s'adapter, voilà.
03:02Et donc, en fait, c'est toutes ces pièces du puzzle
03:06qui doivent s'assembler à un moment donné.
03:07Et s'il vous manque une ou deux pièces du puzzle,
03:10le puzzle n'est pas complet.
03:11Ça signifie en clair que d'un point de vue opérationnel,
03:14vos F-16 ne sont pas utilisables s'il vous manque une des pièces du puzzle.
03:18Voyez ?
03:18Bien sûr, mais est-ce que vous pouvez...
03:19C'est pour ça que ça prend du temps.
03:20Est-ce que vous pouvez nous expliquer clairement
03:22avant qu'on rentre un peu plus dans le concret,
03:25qu'est-ce que les F-16 et pourquoi les F-16
03:27étaient si attendus que cela en territoire ukrainien ?
03:31Alors, il y a plusieurs raisons.
03:34La première, c'est qu'en fait l'armée de l'air ukrainienne est totalement épuisée.
03:38Elle a été en grande partie détruite au sol par l'aviation russe
03:43dans les premières semaines du conflit en 2022.
03:46Donc, il ne restait plus que quelques avions disponibles
03:48dans l'armée de l'air ukrainienne.
03:49Donc, en fait, l'armée de l'air ukrainienne, elle était clairement squelettique.
03:53Donc, les F-16 vont lui permettre de regagner du muscle,
03:57si j'ose dire, donc de regagner en volume.
04:01Et donc, la possession d'une armée de l'air tactique
04:09avec un volume critique donné,
04:11c'est une donnée absolument essentielle
04:13pour la poursuite de la guerre en Ukraine.
04:16Et en particulier, ça permettra de soulager les défenses anti-aériennes
04:21qui s'emploient tous les jours et toutes les nuits
04:23à essayer de protéger les villes ukrainiennes.
04:25Et qui étaient visiblement un peu fatiguées.
04:28Non seulement elles sont fatiguées, elles sont fatiguées techniquement,
04:32mais il y a aussi un problème d'approvisionnement en missiles,
04:34c'est-à-dire que les stocks de munitions
04:38que les occidentaux sont capables de transférer en Ukraine s'amenuisent.
04:42Et donc, il était temps que les F-16 prennent un peu le relais
04:44parce que, bon, F-16, évidemment, c'est capable d'abattre des avions dans le ciel,
04:48mais aussi des missiles de croisière et des drones.
04:50Donc, ça va un peu soulager les batteries anti-aériennes au sol.
04:52Mais selon vous, Marc Chassilian, est-ce que pour vous,
04:54cette livraison de F-16, alors évidemment, tous ne sont pas encore arrivés,
04:58mais est-ce que c'est le fameux game changer qu'on attendait
05:01depuis le début de cette guerre, c'est-à-dire le retournement de situation
05:04qui fait que peut-être dans les prochains mois,
05:06l'Ukraine peut gagner cette guerre, enfin ?
05:10Alors, moi, je suis toujours très prudent avec le mot de game changer
05:13parce que game changer, ça veut dire c'est celui qui change le jeu.
05:17Bon, je ne pense pas que les F-16, aujourd'hui, vont changer le jeu,
05:21mais ils vont faciliter le jeu des Ukrainiens.
05:23Voilà, en clair, tant que les pays occidentaux
05:28n'autorisent pas ces fameux F-16 à frapper le territoire russe,
05:33ce qui, là, changerait effectivement la donne.
05:36Et changerait sans doute un peu la pyjamie de la guerre.
05:38On n'en est pas là.
05:40Donc, aujourd'hui, les F-16, ils vont rester au-dessus du territoire ukrainien
05:43à faire du mieux qu'ils peuvent pour contrer les offensives russes.
05:47Parce que vous abordez un point essentiel.
05:49Parce que durant les derniers mois, on a écouté, je pense,
05:52les auditeurs de Sud, nous, ici, en studio,
05:54tous les experts nous racontaient que le problème des livraisons
05:57de certaines armes, c'était qu'il ne fallait pas frapper
06:00le directoire ukrainien, il ne fallait, russe, pardon,
06:04ne pas frapper certaines infrastructures.
06:06Donc, là, on se dit, concrètement, qu'est-ce que vont changer ces avions,
06:08si ce n'est pour ne pas frapper, éventuellement, les infrastructures stratégiques,
06:14éventuellement, les réserves d'essence, les réserves d'armes russes ?
06:18Est-ce qu'on va encore avoir cet éternel débat, à savoir,
06:21il faut frapper, pas frapper ?
06:24Alors, vous avez noté que depuis février 2022,
06:28où on s'était engagé à livrer des pansements et des casques à l'Ukraine,
06:31on a quand même franchi plusieurs paliers.
06:33Là, on en est à livrer, maintenant, des F-16.
06:35Donc, vous voyez l'écart absolument considérable de posture politique
06:39que les pays occidentaux.
06:41C'est assez frappant, voilà.
06:43Donc, aujourd'hui, si vous voulez,
06:45les dons ou les cessions de matériel
06:50s'accompagnent d'un certain nombre de limitations dans leur emploi.
06:53Ce qui est vrai aujourd'hui pour les F-16 était déjà vrai depuis un an,
06:57avec les missiles Scalp et les missiles Storm Shadow
07:00que les Anglais et les Français avaient livrés.
07:02De même qu'avec les missiles Atakems que les Américains avaient livrés.
07:06C'est-à-dire que ces matériels,
07:08on avait dit aux Ukrainiens,
07:10vous pouvez taper tous les territoires occupés par les Russes,
07:14c'est-à-dire la Crimée, le Donbass, etc.
07:16parce que c'est un territoire ukrainien,
07:18ou supposait-elle, donc vous pouvez y aller.
07:20Par contre, ligne rouge, vous ne pouvez pas taper
07:23les objectifs pourtant extrêmement juteux,
07:27pardonnez-moi l'expression, qui se trouvent sur le territoire de la Russie.
07:30Avec les F-16, on est exactement dans cette même posture.
07:33Alors, est-ce qu'il y aura un changement ?
07:35On offre un tour de piste supplémentaire aux Ukrainiens ?
07:37Excusez-moi, mais on va se parler franchement.
07:39Est-ce que ce n'est pas un peu hypocrite ?
07:41C'est-à-dire qu'on franchit un peu des lignes,
07:43on parlera dans quelques instants du rôle de la France,
07:45notamment dans la formation des pilotes de F-16,
07:47mais est-ce que ce n'est pas un peu hypocrite ?
07:49C'est-à-dire qu'on donne le moyen à l'Ukraine
07:52de faire un tour de piste supplémentaire,
07:54mais sans leur permettre non plus
07:56d'aller frapper ou de prendre en charge
08:00certaines cibles pour que ça puisse vraiment déterminer
08:03un éventuel tournant dans la guerre.
08:05Est-ce que, de la part des Occidentaux,
08:07ce n'est pas un peu hypocrite ?
08:11En fait, on peut juger cette position hypocrite,
08:15mais tout ceci revient à une chose,
08:18c'est quelle est la conduite politique
08:21de la guerre par les Occidentaux ?
08:23En clair, où veut-on en arriver ?
08:26Quel est le but de tout ça ?
08:28Est-ce que c'est de donner aux Ukrainiens
08:31les moyens de gagner la guerre ?
08:33Tout à fait entre nous, puisqu'on se parle franchement,
08:36je crois que ça va être extrêmement compliqué,
08:39parce que si on considère que la victoire,
08:41c'est la reconquête des territoires occupés,
08:43je pense que ça va prendre beaucoup de temps
08:45et ça demanderait énormément de moyens.
08:47Pour donner quelques repères,
08:49la Russie occupe actuellement 18% du territoire ukrainien,
08:52c'est bien ça ?
08:54C'est ça, plus la Crimée.
08:57Je pense qu'aujourd'hui,
09:00c'est un objectif extrêmement difficile à atteindre,
09:03mais je suis prêt à débattre sur le sujet.
09:06L'autre objectif qu'on pourrait se donner,
09:09ce serait d'arriver à un cessez-le-feu,
09:12ou à un arrêt du conflit,
09:15avec un certain nombre de négociations,
09:18qui restent bien sûr à déterminer.
09:21Mais pour ça, pour négocier, il faut être deux.
09:24Quel est le moyen que nous envisageons,
09:28pour que la partie adverse, en clair les Russes,
09:31consente à se mettre à cette table de négociation ?
09:36Donc il faudrait vraiment que M. Poutine,
09:39et je ne dis pas le couteau sous la gorge,
09:42mais commence à sentir que les choses tournent,
09:45pas forcément en sa faveur,
09:47ou qu'il va véritablement s'enliser,
09:49que ça va commencer à lui coûter extrêmement cher,
09:51je consens à venir discuter.
09:54Mais pour ça, il faut que la situation sur le terrain
09:57soit favorable aux Ukrainiens.
09:59Or, aujourd'hui, tant que l'Ukraine n'est pas capable
10:02de frapper des cibles en Russie,
10:05qui vraiment pourraient contrarier
10:10la manœuvre russe et la guerre menée par les Russes,
10:14on ne voit pas très bien qu'est-ce qui amènerait M. Poutine
10:18à s'installer à la table des négociations.
10:21Donc, au-delà du F-16, il y a vraiment
10:24cette conduite politique de la guerre.
10:26Et dernière question, Marc Jassilien, avant de se quitter.
10:29Qu'est-ce qu'on peut répondre maintenant aux partisans
10:31de la crainte de l'escalade permanente
10:33entre la Russie et les pays de l'OTAN ?
10:34On a dit qu'on ne livrait pas certaines armes,
10:36on les a livrées.
10:37On a dit qu'on ne formerait pas forcément
10:39les pilotes des avions de chasse, on l'a fait.
10:41On a dit qu'on ne livrerait pas les F-16, on l'a fait.
10:43Que répondre à ceux qui, aujourd'hui,
10:45nous accusent de faire le jeu de l'escalade ?
10:48Eh bien, il faut leur répondre que
10:51l'évolution de la guerre depuis maintenant
10:54deux ans et demi et l'évolution des positions occidentales
10:57font que les pseudo-lignes rouges n'ont cessé
10:59d'être bousculées et d'être reculées.
11:01Donc, en fait, la question qu'il faut se poser,
11:03c'est, y a-t-il des lignes rouges ?
11:05Puisque, à chaque fois, on les a allègrement franchies,
11:07même si elles étaient totalement virtuelles.
11:09Alors, il y en a sans doute une
11:11qui est, effectivement, quand on peut qualifier
11:13de ligne rouge, c'est l'intervention au sol
11:15de troupes de l'OTAN.
11:17Ça, effectivement, c'est la vraie ligne rouge.
11:19Mais pour ce qui concerne la livraison
11:21des matériels et leur emploi,
11:23en fait, je doute qu'il y en ait une.
11:25Mais ce n'est qu'un avis très personnel.
11:27Mais merci de l'avoir donné, ici, sur l'antenne
11:29de Sud Radio, Marc Chassillon. Merci beaucoup d'avoir répondu
11:31à mes questions. On se retrouve dans
11:33quelques instants sur Sud Radio, parce que c'est l'heure
11:35du grand débat de l'été. On se retrouve avec
11:37Claudia Cohen, évidemment,
11:39du Figaro, Gaspar Ganzer, évidemment,
11:41et la députée sortante,
11:43Fanta, Béreté, et on attend, évidemment,
11:45vos coups de fil au standard de Sud Radio,
11:470800 326 326.