• il y a 5 mois
Transcription
00:00Oui, bonjour à toutes et à tous. Merci à Yann, le Bion et les compagnons du Devoir
00:11pour l'invitation à présenter des éléments de ma recherche doctorale que j'ai tenue
00:16il y a quelques mois seulement à l'Institut Paris-Malaquais. En fait, ce n'est pas la
00:21première fois que je suis au pavillon de l'Arsenal en lien avec la pierre, car j'étais
00:25chargée de recherche et de production pour l'exposition qu'a mentionné Dominique Pierre
00:34qui a été conçue par l'agence parisienne Barreau-Présseco et qui s'est tenue ici
00:37en 2018 et qui, à mon sens, a marqué une étape importante dans la normalisation de
00:44l'image de la pierre de taille dans l'architecture contemporaine dans les contextes français.
00:48Aujourd'hui, six ans plus tard, le nombre de projets publiés, d'articles, de formations,
01:05des conférences, des journées d'études comme celle-ci, je pense que montre et fait
01:09preuve d'engouement pour ce matériau de construction largement délaissé par les
01:15soi-disant modernes de la part des professionnels mais aussi du grand public. Et c'est suite
01:22à cette exposition qui visait à vérifier la disponibilité de la ressource concrètement
01:29de la pierre calcaire dans un rayon de 100 km autour de Paris pour des futurs chantiers
01:36de logement dans la capitale que je me suis interrogée sur l'usage contemporain du matériau
01:44dans d'autres pays d'Europe occidentale, à savoir la Suisse, l'Espagne et le Royaume-Uni.
01:51Outre la Scandinavie, un peu plus récemment, c'est surtout dans ces pays limitrophes à
01:55la France que se regarde intérêt pour ce matériau, pour la construction en pierre
02:04massive à trouver des échos plus récemment. A titre d'exemple, le nom de l'exposition
02:12Eastern Age qui s'est tenue au Building Centre à Londres en 2020. Le nom était particulièrement
02:19optimiste quant à la place de la pierre qu'elle pourrait occuper bientôt dans l'architecture
02:24britannique. En Suisse, une curiosité pour ce matériau s'est notamment manifestée
02:31au sein des écoles où il y avait une pléthora de studios d'architecture dédiés à ce
02:38matériau, ainsi que de nombreuses recherches académiques. En Espagne, c'est notamment
02:43le travail du pailleur social Ipavi qui a ressuscité l'image de la pierre locale en
02:52tant que matériau structurel contemporain. Malgré l'intérêt que suscite la pierre
03:01de taille sur les chantiers, son utilisation demeure pourtant très minoritaire par rapport
03:07à d'autres matériaux produits industriellement. Je pense que c'est aussi la raison d'être
03:11de cette journée d'étude. Convaincue pour ma part que le long développement de la construction
03:20en pierre massive ne peut être attribuée aux seuls obstacles dits techniques, par exemple
03:26liés à la réglementation et à la certification, l'intention de ma recherche doctorale a été
03:34d'explorer l'utilisation de ce matériau dans le cadre plus large de la culture de
03:38la construction. Ce cadre s'inspire de la définition donnée par l'historien britannique
03:53d'architecture, à savoir, c'est un système coordonné de connaissances, de règles, de
03:59procédures, d'habitudes qui entourent les processus de construction dans un lieu et
04:04à un moment donné. J'y rajouterai aussi des aspects subjectifs et relationnels de
04:11la pratique, même si parfois très difficiles à interpréter. Dans ma recherche, j'ai
04:16aussi prêté attention aux croyances, aux espoirs, aux craintes, aux désirs, mais aussi
04:23aux dégouts liés à la pierre. Afin d'apporter de nouvelles connaissances sur ce que ce choix
04:31de la pierre en structure engage très concrètement pour l'architecture contemporaine, tant du
04:37point de vue de la forme que de la pratique, j'ai entrepris de suivre un série de projets
04:42utilisant ce matériau de manière structurelle. En Suisse, j'ai suivi la construction d'un
04:50projet de logement collectif en périphérie de Genève, dessiné par l'atelier Archiplin
04:55et l'agence de Gilles Perroudin. En Espagne, une crèche à Palma de Mallorca, dessinée
05:08par l'agence Aulet, qui a finalement été construite en bois, on verra pourquoi après,
05:13et une série de projets expérimentaux par ce buyer social IBAVI. Enfin, en Angleterre,
05:26il s'agissait d'un centre universitaire pour Downing College à Cambridge, dessiné par
05:30l'agence Caruso St John Architects. Tous les projets répondent aux critères d'un bâtiment
05:36pour un usage quotidien, par exemple par une construction éphémère, et en cours
05:42de réalisation. Avec l'accord des architectes, je me suis donc rendue disponible pour observer
05:49la pierre dans la conception de ces projets pendant une période de 8 semaines. Ma recherche
05:57a associé l'observation directe des situations quotidiennes dans les agences d'architecture,
06:08mais aussi des visites de sites et de carrières, des entretiens avec une diversité des acteurs
06:16impliqués dans les projets et l'analyse des documents de travail. Voici une liste
06:26des acteurs professionnels avec qui j'ai pu échanger. Je vous laisse un instant pour regarder.
06:44Trois par trois, c'est le principe d'organisation de cette recherche. Trois chapitres pour chacun
06:50des trois terrains. Chaque chapitre commence avec une courte histoire issue du terrain,
06:57décrivant un événement, une conversation, une situation qui touche un aspect spécifique
07:02de la construction en pierre massive aujourd'hui. L'ordre des chapitres suit plus ou moins
07:08l'avis d'un projet allant du choix initial de la pierre à l'entretien du bâtiment.
07:15Les thématiques abordées sont les suivantes, toujours posées de la façon à la forme,
07:21suit-elles la provenance de la pierre, la pierre telle qu'elle se trouve dans le sol,
07:27l'expertise en matière de construction en pierre, les croyances morales autour de la
07:33pierre, le travail manuel avec la pierre, les connotations sociales liées à ce matériau,
07:39la nature de l'innovation avec la pierre, ses associations stylistiques, et pour finir,
07:47la durabilité de la pierre.
07:53Au vu du peu de temps que nous disposons aujourd'hui, je vous ferai un tour très rapide de la façon
08:00dont ces questions se sont posées sur mes terrains et les conclusions que l'on peut
08:05en tirer. À mesure que la place de la pierre dans l'architecture continue à évoluer,
08:12cette grille de lecture, et c'est comme ça que je l'ai imaginée, peut être appliquée
08:16à d'autres projets encore plus récents. Donc je ne pourrai pas vraiment rentrer dans
08:20les détails des projets, pour ça il faut lire la thèse, vous allez regarder de près
08:24vous-même. Les images servent principalement pour vous projeter sur les terrains.
08:36Pour rappel, les trois premiers projets de cette recherche traitent du projet de logement
08:45collectif, en large partie sociaux à Plans-les-Ouattes, en périphérie de Genève, dessiné par Atelier
08:51Archipel et Gilles Perraudin. Il s'agit de quatre bâtiments mitoyens allant de quatre
08:55à huit étages en hauteur, dont l'intégralité de la structure verticale est organisée en
09:02trois noyaux concentriques et réalisés en pierres de taille. Le premier chapitre explore
09:08la controverse qui survient au moment de la perte d'offres sur la définition d'une
09:14pierre « locale ». Cette controverse conduit les acteurs du projet non seulement à interroger
09:20avec raison les avantages environnementaux d'utiliser la pierre par rapport au béton
09:27dans ce cas, en raison de la distance qu'elle doit parcourir pour arriver sur le chantier.
09:31Cette controverse révèle aussi le poids des raisons émotionnelles, voire politiques
09:40inavouées qui ont motivé le choix de la pierre nationale, en l'occurrence suisse,
09:47au stade de concours. Au départ, les architectes avaient prévu d'utiliser du gneiss du canton
09:53de Grison, de la Moleste de Fribourg et de la pierre calcaire du canton de Jura. Ce choix
10:01s'est avéré très vite trop coûteux. Après les concours, les architectes ont dû changer
10:07la structure des façades de façon assez radicale, passant d'une ostature à des murs percés,
10:18pour s'adapter justement aux propriétés de la pierre française qu'ils allaient finalement
10:23utiliser. En conséquence aussi, la flexibilité des plans, qui était très importante au
10:32début, a également été considérablement réduite. L'exemple montre à quel point
10:38il est important de prendre en compte la très grande diversité des pierres, c'est difficile
10:42de parler de la pierre de façon générique, et de rentrer en dialogue avec les carriers
10:48locaux dès les premières phases du projet pour des questions de faisabilité mais aussi
10:52de forme architecturale qui, dans le cas de Plans-les-Ouattes, suit la provenance de
10:59la pierre malgré les intentions initiales des architectes.
11:02Dans le deuxième chapitre, j'observe comment la pierre principalement employée pour les
11:19façades de ce même projet à Plans-les-Ouattes a du mal à reprendre à plusieurs attentes
11:24qui s'appliquent conventionnellement à des matériaux produits industriellement, l'une
11:29d'entre elles étant l'absence de variation, qu'il s'agisse de la taille, de la couleur,
11:35de la texture. Ma visite dans l'ouest de la France, qui a fourni une grande partie des
11:41blocs pour le projet, me permet de comprendre que l'hétérogénéité intrinsèque de ces
11:46matériaux rendait pratiquement impossible de répondre à cette attente de manque de
11:54variation, sans générer beaucoup de soi-disant déchets, en tout cas des grandes quantités
12:00de pierres sans utilité immédiate comme vue sur la photo.
12:05En essayant d'extraire des blocs de très grande dimension pour ce projet, les carrières
12:12ont vu énormément de blocs se casser, ce qui a aussi généré des retards pour la
12:17construction. Sur la base de ces observations, je vais expliquer comment les architectes
12:22pourraient mieux adapter le travail de conception à ces variations naturelles de la ressource,
12:28par exemple en utilisant des blocs de taille plus petite, plus en adéquation avec ce qui
12:32s'extrait dans la carrière, ou en concevant des façades avec des courses des auteurs
12:38différents. C'est quelque chose qui était très répandu dans le passé, mais qui a
12:42largement disparu de la pratique. En d'autres termes, ce chapitre traite de comment la forme
12:49des bâtiments aujourd'hui pourrait mieux suivre la pierre telle que se trouve dans
12:53le sol, et les habitudes professionnelles, ainsi que des conventions esthétiques, comme
12:57par exemple ces auteurs variables de courses, ça demanderait de changer.
13:08Le troisième chapitre se focalise sur la notion de l'expertise en matière de construction
13:13en pierre massive. Boucaud a déjà écrit sur la façon dont la pierre m'était et
13:20continue à m'être à l'épreuve de l'expertise des ingénieurs structures, qui n'ont pas
13:25pour la plupart aucune formation liée à la pierre ni expérience pratique de ce matériau.
13:32Le développement d'une expertise dont les structures en pierre exigent effectivement
13:38que les architectes et les ingénieurs se réapproprient certains outils d'évaluation de la stabilité
13:44des structures, comme par exemple la géométrie graphique, ou qu'on soive des nouveaux outils
13:51spécifiquement pour la pierre, et non comme des variantes de la maçonnerie en béton
13:56ou en brique. Sans cette adaptation, j'ai pu voir sur ce projet comment la forme de
14:01bâtiments en pierre pouvait continuer à suivre l'expertise sur d'autres matériaux.
14:06Mais ce n'est pas vraiment de cela que je voulais parler en lien avec l'expertise,
14:13je voulais rapidement évoquer la construction de ce projet. Alors qu'il y avait des entreprises
14:19de poste qui avaient répondu au moment des appels d'offres avec des tailleurs de pierre
14:25dans leurs équipes, le coût associé à ce niveau d'expertise était trop élevé
14:33pour cette opération. Et le projet a été construit par des maçons d'une entreprise
14:40générale, travaillant avec la pierre de taille pour la première fois, qui ont procédé
14:43par l'erreur. Francis Jacquier, un des associés de l'atelier Archiplein, qui est aussi architecte
14:50diplômée de l'école de Chaillot, avec des connaissances du milieu des bâtiments
14:58historiques, a constaté que, clairement, la qualité de la pose a certainement souffert
15:05du manque d'expertise des maçons en termes de précision. Ces imprécisions ont été
15:15en partie rattrapées par une équipe spécialisée qui a réalisé un ravalement imprévu à
15:19la fin du chantier, mais pour la plupart, elles sont assumées par les architectes en
15:26tant que telles. Et je pense que ce serait intéressant, envisageable en tout cas, d'un
15:32point de vue économique sur de telles opérations, d'engager des tailleurs de pierre en tant
15:39que consultant, notamment sur des questions techniques et les outils de levage, de calage
15:47et de la mise en œuvre des joints. Les trois prochains chapitres, en partie ici, traitent
16:02des mécaniques d'études en Espagne, à Mallorque plus précisément. Dans les quatre
16:09chapitres, je commence par montrer comment le projet initial de la structure de la crèche
16:16à Yubi, à Mallorque, qui consistait en 30 colonnes de marais, c'est un gré local,
16:27n'a pas tenu compte des propriétés intrinsèques de ce matériau, à savoir sa grande résistance
16:32à la compression et sa faible résistance à la torsion. Le marais, comme la plupart
16:39des pierres tendres, s'est prétenu à des structures murales, fait des murs, qu'à
16:45des structures en ossature, comme c'était dessiné dans ce cas. Pour rendre les colonnes
16:52résistantes à des poussées latérales, l'ingénieur structurel préconisait de les
16:57renforcer avec du béton armé. À l'écran, vous voyez un bloc avec des perforations pour
17:05ce genre de renforcement sur un autre chantier à Mallorque. Dans le cadre de la crèche
17:12à Yubi, estimant que la proposition de l'ingénieur de renforcer la pierre de cette façon était
17:20en quelque sorte fausse ou immorale vis-à-vis de la pierre, les architectes ont remplacé
17:24les éléments porteurs en pierre par du CLT, du bois, des facteurs renforcés par la colle
17:32issue de l'importation. Il y avait comme un double standard pour la pureté de la mise
17:38en œuvre des matériaux qui m'interpellaient. Mes échanges avec les architectes ont révélé
17:47à quel point leurs choix formels pour la structure de ce bâtiment sont liés à des
17:53codes moraux, notamment l'idée de la vérité constructive ou la légèreté, qui se sont
17:59développées dans des époques révolues, souvent avec d'autres types de matériaux.
18:07La discussion dans ce chapitre s'articule autour de la révélation nécessaire des codes
18:12moraux liés à l'usage de la pierre en structure aujourd'hui, qui permettrait à réfléchir
18:19à l'alliage de la pierre avec d'autres matériaux plus subtilement. Je pense que renforcer ou
18:24ne pas renforcer la pierre pourrait vraiment constituer un débat passionnant.
18:29Dans le cinquième chapitre, j'observe comment la nature et l'organisation du travail manuel,
18:40dont l'extraction, la transformation et l'assemblage de la pierre à maillot, sont intimement liés
18:46aux dimensions standards, faites les mêmes depuis l'Antiquité, des blocs utilisés.
18:52Quasi l'intégralité des carrières sur l'île, environ une douzaine en total, travaillent
18:58avec des blocs standards qui mesurent 80 cm de long, 40 de haut et 40 en profondeur. Contrairement
19:08aux tentatives d'industrialisation de la filière pierre en France dans la période
19:13de l'après-guerre, le travail avec des modules à Mayork aujourd'hui ne sert pas des objectifs
19:19de la production continue, mais limite plutôt le recours à des machines de lévage consommatrice
19:26d'énergie. Dans les carrières, comme sur les chantiers, les blocs restent manutentionnables
19:33à l'aide des outils relativement petits et parfois purement mécaniques qui ne nécessitent
19:38que de l'énergie des ouvriers. Comme le montrent les projets expérimentaux de IPAV, dont vous
19:47voyez à l'écran un des chantiers, les modules de ces dimensions de 80 x 40 x 40 sont particulièrement
19:56polyvalents en termes d'assemblage, pouvant être coupés en longueur par exemple pour
20:01fabriquer des éléments de 20 ou 10 cm en profondeur, pour servir de croisants ou des
20:12couches de murs doubles. Ces modules concilient ainsi la régularité et la répétition avec
20:20une grande diversité des formes architecturales. En France, aujourd'hui, il n'y a pas à ma
20:26connaissance de tentative d'établir de telles dimensions standards ni à l'échelle des carrières
20:37individuelles ni à l'échelle nationale, qui prendraient en compte à la fois la matière
20:42telle que c'est présente dans le sol, mais aussi les enjeux énergétiques de l'extraction,
20:51de la transformation, de l'assemblage de la pierre.
20:53Dans le sixième chapitre, j'explore la tendance actuelle à Mallorque de laisser les éléments
21:08de structure en pierre apparent, sans enduit ni peinture pour les recouvrir. L'adoption
21:17du mur double de maçonnerie, dans les cas mallorcains, c'est très souvent un mur extérieur
21:25de 10 cm, un vide de 10 cm et puis un mur intérieur de 20 cm. L'adoption du double
21:32mur de maçonnerie, qui a été introduit sur l'île par l'architecte Danway-John Hudson
21:40en 1970, quand il construit sa célèbre maison Canlis, a permis aux architectes d'Ibavi
21:46de laisser la structure en grès local visible à l'intérieur et à l'extérieur des logements.
21:52Ce que vous voyez sur l'image, c'est la finition telle qu'elle est livrée. Cela a d'abord
22:03provoqué un certain choc esthétique au sein de la population locale, à commencer par
22:13les habitants eux-mêmes. Ils ont perçu cela comme une finition pauvre, voire comme
22:18une absence de finition. La même ambivalence planait sur la pierre dans le cadre du projet
22:26appelant les Watt, où le maître d'ouvrage a gardé une provision pour recouvrir le mur
22:32en placo-plâtre si jamais les habitants n'acceptaient pas de vivre avec la pierre à l'intérieur
22:40de leur logement. En Espagne, ce n'est que quand l'architecte en chef d'Ibavi a parlé
22:47aux habitants d'un nouveau style, rustique mallorquien, pour justifier ce choix de finition
22:54brute qui faisait allusion à l'architecture rurale vernaculaire de l'île, qu'ils ont
23:01pu s'approprier ce nouveau imaginaire d'un mur intérieur qui n'est pas celui d'une
23:09surface blanche, on pourrait dire immatérielle, à laquelle nous sommes toutes et tous habitués.
23:17Les trois derniers chapitres s'articulent autour du projet pour un nouveau centre universitaire
23:26à Cambridge, en Angleterre, dessiné par Caruso Saint-Jean Architects. Il s'agit d'un bâtiment
23:33de deux étages qui associe des façades autoporteuses en kettlestone, une pierre calcaire locale,
23:41à des dalles et des murs en glulam. Le septième chapitre décortique la compréhension que
23:53ont les architectes et les ingénieurs de ce qu'est l'innovation avec la pierre dans
23:58les premières phases du projet, alors qu'ils débattent des vertus relatives des façades
24:04porteuses versus autoporteuses en pierre. L'innovation dans la proposition des architectes
24:11pour les façades réside dans l'adaptation du mur double associant la pierre et la brique,
24:18présente dans la quasi-totalité des bâtiments existants de Downing College à Cambridge,
24:23le site du projet. Cette ouverture temporaire dans un mur sur le campus universitaire permet
24:30de voir cette solution constructive qui était historiquement privilégiée pour des raisons
24:37d'économie de matière et de coût, la pierre locale étant disponible en quantité très
24:50variable selon les époques. La proposition des architectes est motivée par les désirs de
24:56maintenir une continuité visuelle entre le nouveau bâtiment et son contexte, de par
25:03l'utilisation de la pierre tout en améliorant la rapidité et la facilité des
25:10constructions en employant une structure intérieure porteuse en panneau de bois préfabriqué.
25:16Les façades et les structures internes pourraient aussi être montées de façon indépendante.
25:24Par contraste, la proposition de l'ingénieur structure, de remplacer le mur extérieur
25:36auto-portant par un seul mur porteur en pierre, visait avant tout la nouveauté à tout prix
25:43puisque cette solution était jusqu'alors inédite dans le contexte anglais. Il cherchait à optimiser
25:49la performance structurelle de la pierre seule au détriment d'autres considérations.
25:54L'évolution de la forme du bâtiment à laquelle j'ai assisté sur le terrain suit clairement
26:00ses différentes interprétations de l'innovation.
26:04Le huitième et avant-dernier chapitre examine la manière dont les différents acteurs impliqués
26:12dans la conception du nouveau centre universitaire abordent la notion de la tradition.
26:21Contrairement à l'interprétation stylistique faite par des maîtres d'ouvrage de la tradition
26:28du classicisme du Downing College, axée essentiellement sur les ordres classiques et les éléments
26:34de sculpture, les architectes de Caruso-St-John proposent une interprétation centrée sur
26:40les matériaux et leur assemblage. Ils peuvent revendiquer des racines communes avec certains
26:48des bâtiments néoclassiques, comme celui au deuxième plan, sur le campus, ainsi que
27:00des bâtiments grec-anciens qui ont inspiré ces derniers, dans leur réponse rationnelle
27:05aux besoins et aux moyens de construction contemporains. Ce cas britannique a révélé
27:12comment la forme des bâtiments en pierre de Thaï aujourd'hui peut facilement suivre
27:17des interprétations stylistiques de l'architecture historique avec ce matériau et courir le
27:23risque du pastiche. Mais elle peut aussi, comme le proposent les architectes de Caruso-St-John,
27:29s'inscrire dans une tradition principalement basée sur une rationalité constructive.
27:34Cette rationalité constructive, je pense, est susceptible de générer de nouveaux styles
27:40qui sont propres à notre époque et qui vont peut-être aller au-delà des façades en
27:45pierre généralement très très lisses, qu'on a encore tendance à savoir. A titre personnel,
27:54je pense que repenser l'ornementation des bâtiments en pierre de Thaï aujourd'hui
27:59à long des moyens contemporains, et peut-être justement en discussion avec les compagnons
28:04de devoir, mériterait plus de recherches. Enfin, le 9e et dernier chapitre, dans ce
28:21chapitre, je m'appuie sur les travaux de restauration effectués au Downing College
28:27par hasard pendant mon travail de terrain, et sous l'intention des architectes de Caruso-St-John
28:34de construire un bâtiment qui pourrait continuer à être utilisé pendant 200 ans. Ce chapitre
28:41examine la grande capacité de la pierre par rapport à d'autres matériaux à être reparés.
28:47Pour promouvoir la pierre comme un matériau vertueux d'un point de vue environnemental,
28:54nombreux acteurs mobilisent la métaphore des bâtiments en pierre massifs comme des
29:01carrières perpétuelles. Cela s'inscrit dans l'enthousiasme populaire pour le reemploi.
29:08Mais si la déconstruction des bâtiments en pierre et la réutilisation des éléments
29:16pour de nouvelles constructions, parfois appelées spolia, étaient des pratiques courantes
29:23depuis l'Antiquité jusqu'au XIXe siècle, il faut souligner qu'elles étaient largement
29:27considérées comme un dernier recours. La réutilisation des bâtiments entiers en pierre
29:34par le biais de leur entretien demeurait l'option privilégiée, nécessitant beaucoup moins
29:40d'énergie. Ce chapitre explore comment la forme des bâtiments en pierre peut suivre
29:46la prédisposition du matériau à durée en privilégiant la polyvalence spatiale et la
29:51réparation à la déconstruction et le reemploi. Pour minimiser l'entretien des bâtiments
29:57en pierre, les architectes gagneraient à s'approcher des experts de la maintenance,
30:01mais aussi des géologues et des chimistes qui étudient la dégradation des pierres
30:09de construction. C'est un champ scientifique, à mon sens passionnant, qui montre bien en
30:14fait que la pierre n'est pas inerte, mais en interaction recente avec son environnement.
30:23Quant à la polyvalence spatiale, je pense que savoir créer des espaces qui restent
30:29pertinents dans la durée est au cœur du métier de l'architecte et je pense que la pierre
30:36nous invite justement à penser à la permanence ou les permanences à nouveau.
30:42En résumé, mes recherches sur ces trois terrains ont permis d'identifier ces neufs
30:52façons d'aborder la relation entre le matériau pierre et la forme des bâtiments qu'il emploie
30:56en structure aujourd'hui. Cela s'applique à des formes d'espaces, des structures,
31:01des assemblages et des surfaces des bâtiments. Entre les lignes de ma thèse, on peut lire
31:07comment le choix de la pierre en structure remet en question non seulement la façon
31:11dont nous construisons habituellement, mais promeut également un basculement de valeurs
31:18qui dépasse la limite de la discipline. Ces valeurs sont largement liées à des notions
31:22de la modernité comme l'abondance, la régularité, la nouveauté ou bien la performance. C'est
31:31autour de ces questions, de ces notions, que la recherche sur le renouveau de la pierre
31:37pourrait ou mériterait, à mon sens, d'être développée davantage et dans la pratique.
31:43J'espère que ce panorama rapide des observations européennes apportera de la matière pour
31:55notre discussion aujourd'hui et je vous remercie pour votre attention.
32:07Merci beaucoup Nathalia pour ta présentation. On a 10 minutes d'échange avec Nathalia si vous avez des questions.
32:15On a une première main levée là-bas. Le micro arrive si vous voulez. Pour les questions,
32:27s'il vous plaît, est-ce que vous pourriez vous présenter votre structure et peut-être...
32:30Donc je me présente, Christophe Deveau, Société Granite et Matériaux, on est poseur de pierres.
32:36Merci pour votre présentation. Ce qui me rassure, c'est que je pense qu'on n'a rien
32:41enlevé à nos confrères européens. Quand j'ai vu les photos de ce qui a été montré,
32:48et je rassure quand même les maîtres d'ouvrage, les architectes, j'étais quand même assez
32:52stupéfait qu'on mette un temps infini en Suisse à monter des bâtiments comme ça,
32:56qu'on s'est obligé de faire du ravalement pour essayer de rattraper la misère ou à
33:01l'intérieur en Espagne, faire du placo pour limiter la casse sur la pierre qui devait
33:05être apparente et visible. Donc tout ça pour vous dire, c'est un métier qui s'apprend
33:12au fur et à mesure. Les compagnons de devoir sont là pour nous accompagner, les entreprises.
33:16C'est des métiers qui sont en tension. Donc normalement, nous on travaille maintenant
33:24à former nous-mêmes nos propres compagnons avec des gens qui ont de l'expertise et qu'on
33:30développe au fur et à mesure. Donc ça prend beaucoup, beaucoup de temps. Nous, on est
33:34demandeur d'avoir des compagnons. Alors pas forcément en pierre de taille, parce qu'aujourd'hui,
33:40si on veut rester dans une économie intéressante, il faut industrialiser le process. Donc pour
33:45revenir à ce que vous disiez tout à l'heure, aujourd'hui, on arrive à industrier le process
33:50avec les carrières du bassin parisien. J'ai vu les calpineurs, Hubert Carpentier qui était
33:57là. Donc on calpine. Généralement, on utilise des épaisseurs de 23 cm. C'est un
34:02peu la norme. Des hauteurs d'assises qui varient en fonction des calpins des architectes
34:06entre 60 et 80 cm. 40 d'épaisseur, ce que vous disiez tout à l'heure, c'est un peu
34:10beaucoup. Et ensuite, en moyen de levage, on utilise les grues à tour et nos cadences
34:16de pose. Si on veut être dans une économie qui est intéressante, il faut qu'on pose
34:20au moins 30 m² par jour, à peu près l'équivalent d'un smear mark. Donc ça, c'est des précisions
34:25que je voulais dire. Normalement, il n'y a pas besoin ensuite de réhabiller de placo
34:28ou je ne sais pas quelle histoire. On est capable de faire des produits finis de très
34:34grande qualité. Et simplement, ce que je voulais vous dire, c'est qu'il faut prendre
34:41des entreprises qui ont des références, qui connaissent le métier de la pierre. Et là,
34:46les compagnons de devoir sont bien dits. Et puis promouvoir un peu mieux notre profession.
34:51Mais ne y ait crainte, les français savent construire, savent construire en pierre massive.
34:56On construit de plus en plus. Je ne dis pas de mieux en mieux parce que c'est des métiers
35:00où je pense qu'il n'y a pas trop de, si on prend des bons professionnels, de difficulté
35:05à travailler un matériau aussi noble que la pierre.
35:13Je tiens peut-être juste à préciser que cette provision pour recouvrir les murs intérieurs
35:25en pierre apparente avec du placo plâtre a finalement n'a pas été utilisée. Mais
35:30c'était en raison du caractère inédit d'avoir cette finition à l'intérieur des logements.
35:37C'était une question d'esthétique et d'usage. C'était une question d'habitude.
35:41Je rebondis peut-être sur cette question parce que c'est un sujet intéressant qui est développé.
35:48Au final, effectivement, c'est un panorama aussi à l'échelle européenne où vous n'avez
35:52pas forcément observé la France dans cette étude, en tout cas qui ne faisait pas partie
35:57des pays étudiés. Et en lien justement avec la mécanisation de la production que vous
36:02évoquez, moi j'avais retenu un sujet en lien avec l'expertise parce qu'au final, ce qui
36:06est questionné, ce n'est pas tant le façonnage en amont mais aussi l'expertise en mise en
36:11oeuvre aussi sur le terrain. Vous évoquez qu'au final, et ça pourquoi on pourrait
36:16à priori être tiré à un parallèle aussi avec la France, là où forcément toutes
36:20les entreprises de taille de pierre ne sont pas forcément missionnées sur les chantiers
36:24de construction en pierre, où c'est aussi des entreprises de maçonnerie qui exécutent
36:28la mise en oeuvre. Là où on revient sur une logique assez ancienne où c'était le
36:32maçon qui posait les cailloux du tailleur de pierre. Vous amorcez des synergies possibles
36:39entre les deux, alors à la fois où le tailleur de pierre peut se positionner pour accompagner,
36:44Hervé introduisait ce matin aussi le rôle de l'appareilleur, le concepteur pierre qui
36:50est tailleur de pierre à la base et qui apprend à concevoir des façades, des ouvrages complexes
36:55avec son matériau. Quelle synergie serait possible entre les deux, plutôt avoir la
37:03place d'un concepteur, d'avoir un appareilleur sur ses chantiers pour à la fois guider la
37:08production, mettre en place un système de formation ou de transfert de compétences
37:12là où le tailleur de pierre est resté attaché au même matériau tout le long des années,
37:18heureusement puisque tailleur de pierre c'est dans le nom, mais le maçon non, pas forcément.
37:25Comment vous voyez ça un peu cette synergie entre les deux ou cette bascule de compétences,
37:30cette nouvelle bascule de compétences ?
37:32Je pense que les synergies sont à trouver par les acteurs dans les différents contextes,
37:37après dans ce cas en Suisse, comme j'ai évoqué c'était financièrement impossible
37:44d'engager des tailleurs de pierre pour la durée des travaux de construction.
37:51Les discussions qu'on a eues avec les architectes a posteriori allaient plus dans le sens d'un
37:58accompagnement peut-être au début du chantier des maçons de l'entreprise générale pour
38:04leur montrer concrètement certaines techniques et peut-être partager des outils liés au
38:12lévage, au calage et à la mise en oeuvre des joints.
38:17Cet accompagnement serait limité dans le temps pour des raisons économiques, puisqu'il
38:24s'agit d'une opération de logements sociaux à une assez grande échelle, soumis à des
38:31budgets très restreints du comptant.
38:37Merci.
38:40Bonjour.
38:46Bonjour, Gaspard Closet, l'architecte.
38:48J'ai une question très rapide par rapport à l'analyse que vous avez des différents
38:53projets dans les différents pays.
38:55On sait qu'il n'y a pas de la pierre partout et dans la même quantité.
38:58Quelle est la part de l'absence de ressources dans les différents projets ?
39:05Quel impact ça a sur les projets en fait ?
39:09En Suisse, il y a moins de pierres qu'en France.
39:16Il y a beaucoup de pierres en Suisse.
39:19Il y a l'architecte Elie Moussaiebi, qui est aussi professeur à l'ETH, qui a reçu
39:24une grande subvention du gouvernement pour étudier les perspectives de la construction
39:34en pierre massive en Suisse.
39:36Donc la ressource, elle est là, mais elle est différente en nature.
39:39En fait, comme j'évoquais, pour ce projet, ils avaient prévu d'utiliser du gneiss,
39:43une pierre beaucoup plus lourde que la pierre calcaire, qui allait générer des coûts
39:55supplémentaires de part son emploi, puisque c'est plus difficile à extraire, à transporter, etc.
40:03Donc la disponibilité de la ressource dans ce contexte allait être liée plus à la nature
40:08de la ressource qu'au manque de pierres dans l'absolu.
40:13C'est pour ça qu'ils sont allés chercher la pierre finalement en France.
40:17Dans le contexte anglais, là on était dans un contexte patrimonial en plus, où il fallait
40:29utiliser la même pierre qui était présente dans les autres bâtiments du campus,
40:35ou une pierre semblable. Cette pierre, elle est quasiment épuisée.
40:41D'où aussi la raison de l'employer en structure autoportante sur l'extérieur
40:48et de l'associer à une structure en bois derrière.
40:52C'est la même logique d'économie de matière qui a fait qu'autrefois, à Cambridge,
40:59ils construisaient avec la pierre et la brique en association.
41:10Bonjour, Éloïse Roy, architecte.
41:17Je voulais savoir simplement si votre étude était disponible en ligne, en accès libre ?
41:23Pas pour l'instant, il y a un embargo. Je pense à un livre qui va sortir bientôt.
41:33Pour les prochains, encore un an et six mois, ce n'est pas encore disponible,
41:39mais bientôt en tant que livre, j'espère.
41:42Merci.
41:44Une dernière question, peut-être ?
41:51Bonjour, Sylvia Berdy, architecte. Je voulais savoir le lien qu'il y avait entre la commande initiale,
41:59le désir que vous avez évoqué, au moins, si j'ai bien compris, pour IBAVI,
42:04qui est initié de la maîtrise d'ouvrage, et la différence que vous avez pu constater
42:10dans le besoin de pédagogie. De quel acteur il y avait plus besoin de pédagogie ?
42:15Puisqu'apparemment, il y a aussi de la pédagogie vers les habitants.
42:18Suivant, de qui vient la demande et le souhait de Pierre, au départ,
42:23entre maîtrise d'ouvrage et maître d'œuvre ?
42:25Si c'était quelque chose d'imposé, au départ, dans la commande ou non ?
42:29Merci.
42:32Oui, je pense que la volonté de la maîtrise d'ouvrage, au départ, pour la pierre,
42:38a été assez clé, certainement, sur le projet en Suisse et en Espagne.
42:47En Suisse, le client avait envisagé, sans le dire, évidemment, c'était un marché public,
42:55un bâtiment en bois, alors qu'ils avaient découvert qu'ils allaient construire un bâtiment en pierre,
43:03sans aucune référence en Suisse.
43:07Il y avait un travail très important de la part des architectes de pédagogie, justement,
43:13pour montrer la faisabilité et aussi l'intérêt d'employer la pierre.
43:22Ce choix a été remis en question de nombreuses fois pendant le processus de conception
43:30et même pendant les appels d'offres, puisque le premier appel d'offres était complètement infructueux,
43:36il n'y avait aucune réponse qui rentrait dans les budgets du tout.
43:45Alors que dans le cas d'Eibavis, l'initiative vient du pailleur social, de la maîtrise d'ouvrage,
43:55donc ils avaient passé le travail de médiation à faire.
44:02Ils ont pris en charge tout le travail exploratoire de recherche nécessaire pour pouvoir construire une pierre locale.
44:14Merci beaucoup Nathalia pour qu'on arrive au terme de cette enquête.
44:25Merci de nous avoir fait voyager par le chantier, par la technique,
44:30je suis sûr que ça parle à de nombreux professionnels dans la salle aujourd'hui,
44:35pour nous avoir partagé ce panorama global qui convoque plein de choses,
44:41qui a introduit de nombreuses thématiques de la journée,
44:44l'acceptabilité autour du matériau, le domaine de l'expertise sur lequel on reviendra cet après-midi,
44:51le domaine aussi de la formation, du transfert de compétences.
44:56Et également, l'une des premières questions que vous posez, c'est la forme suit-elle la provenance ?
45:02Avec l'exemple justement de la Suisse où ça questionne au final quelque part la faisabilité du circuit court,
45:09où vous notez que les pierres locales n'ont pas été retenues car trop chères visiblement.
45:16Le sujet du circuit court et de cet écomite projet, c'est le sujet de notre intervenant suivant,
45:21Vincent Reynaud, qui est secrétaire général du SNROC,
45:26qui est un acteur majeur de la filière pierre et qui porte ses sujets.

Recommandations