Législatives 2024 : Si le programme de la majorité "manque de souffle", ceux des autres partis reposent sur "des hypothèses qui les arrangent à tous les étages", estime un chef économiste d'Asteres

  • il y a 2 mois
À deux jours du premier tour des législatives de dimanche, Sylvain Bersinger, chef économiste au cabinet Asteres, commente sur franceinfo les différents programmes économiques des principaux partis.

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00:00Bonsoir à toutes et à tous, et bonsoir à vous Sylvain Bersinger, vous êtes chef économiste au sein du cabinet Asterès, vous avez épluché les différents programmes économiques pour les législatives,
00:14et vous avez publié une série de notes de synthèse, on va revenir sur le contenu de tous ces programmes.
00:20Mais avant cela, on voit que la prime de risque sur les obligations d'Etat n'a jamais été aussi élevée depuis la crise de l'euro en 2012,
00:27pareil pour l'écart de taux d'emprunt avec l'Allemagne, cette fébrilité des marchés financiers, est-ce qu'elle a lieu d'être, à votre avis, ou est-ce qu'elle est disproportionnée ?
00:36Non, je pense qu'elle n'est pas complètement absurde, cette légère défiance que vous mentionnez des créanciers de la France, qui se détourne un petit peu,
00:44ce n'est pas un tsunami, mais qui se détourne un petit peu des obligations d'Etat français, ce qui fait monter le taux.
00:49On voit qu'il y a des programmes, si on prend les sondages, qui sont les principaux parties en tête, qui ont des programmes, on va le dire, clairement pas du tout financés,
00:59enfin, qui prétendent...
01:00On va revenir sur le financement.
01:02Mais au vu du gouvernement qui pourrait sortir des programmes tels qu'on les voit ou tels qu'on les comprend,
01:09ce n'est pas surprenant, je trouve, dans un contexte où il y a déjà beaucoup de dettes publiques, un déficit élevé...
01:14Dettes de plus de 3000 milliards d'euros.
01:16Voilà, 110% du PIB, à peu près.
01:18Un nouveau chiffre qui est tombé ce matin.
01:20Et donc, ça ne me surprend pas énormément. Si vous regardez, l'exemple, je trouve, le plus proche qu'on a, c'est celui d'Eastrust en 2022,
01:29en Grande-Bretagne, où elle avait annoncé des baisses d'impôts de 45 milliards de livres, un peu comme ça, sorti du chapeau.
01:34Et ça avait fait une petite panique, à l'époque, sur la livre, sur le marché des bons du Trésor britannique.
01:39Elle avait été obligée de rétropédaler, elle avait démissionné ensuite.
01:41Donc, quand on voit ce 45 milliards de livres, avec les trous potentiels que pourraient faire dans le budget des programmes qui sont actuellement en tête dans les sondages,
01:51on se dit que ce n'est pas totalement surprenant.
01:53Alors, les sujets économiques, ils sont au cœur du débat.
01:56Les retraites, le pouvoir d'achat, les salaires, est-ce que c'est toujours le cas dans des élections ?
02:00Ou est-ce que cette fois-ci, c'est plus que d'habitude ?
02:02J'ai l'impression que c'est plus que d'habitude.
02:04C'est vrai qu'on a vraiment l'impression que tous les partis placent la question du pouvoir d'achat un peu en tête de leur programme.
02:10C'est probablement lié au fait qu'on sort d'un contexte inflationniste assez inédit, depuis une quarantaine d'années,
02:16même si les chiffres d'inflation ce matin étaient plutôt encourageants, 2,1% d'engagement annuel.
02:20Mais bon, on a connu une inflation forte, des salaires qui n'ont pas toujours suivi, ou qui ont suivi avec un décalage.
02:25C'est vrai que pour un certain nombre de Français, il y a des pertes de pouvoir d'achat.
02:28Donc, dans ce contexte, ce n'est peut-être pas totalement surprenant que la question économique et le pouvoir d'achat soient en tête des programmes.
02:34Il y a des ressemblances parmi les programmes, vous les avez notées ces ressemblances, sur le pouvoir d'achat notamment.
02:40Oui, c'est vrai que si on regarde le programme du Nouveau Front Populaire et du Rassemblement National, on trouve quand même beaucoup de ressemblances.
02:46Il y a des différences, mais il y a beaucoup de ressemblances.
02:48Il y en a une déjà, c'est la question de la fermeture.
02:51On a une vision de l'économie qui est plutôt une vision fermée, hostile à la mondialisation,
02:55avec l'idée que c'est en se protégeant qu'on pourra garder des emplois chez nous, donc à terme du pouvoir d'achat.
03:00Ce qui, à mon avis, est assez absurde, parce que le but du commerce international, c'est avant tout d'importer, d'acheter ce que les autres font mieux et moins cher que soi-même.
03:07Le Nouveau Front Populaire parle de blocage des prix, il ne parle pas de fermeture.
03:11Il y a une renégociation de tout un tas d'accords commerciaux, donc il y a quand même une vision du commerce international.
03:15Donc, ressemblances sur ce point-là déjà.
03:17Et ressemblances aussi très fortes, je trouve, sur l'idée que l'économie doit être stimulée par tout un tas de dépenses.
03:25Alors que ça, ça peut être des dépenses sur les services publics, ça peut être des dépenses, au bout du compte, sur les retraites.
03:32Parce que si vous ramenez l'âge de la retraite à 60 ou 62 ans, c'est un engagement supplémentaire financier pour l'État, des dépenses...
03:40Alors, c'est des dépenses par la demande, enfin, du Nouveau Front Populaire.
03:45Et d'ailleurs, dans votre note, vous êtes extrêmement dur vis-à-vis de ce point-là, vous dites que c'est du kénésisme vulgaire.
03:53Alors, j'ai repris le mot de Paul Krugman, c'est pas de moi, je cite...
04:00Enfin, vous le dites quand même.
04:01Oui, je reprends cette idée, parce que Paul Krugman, qui est lui-même du courant néo-kénésien...
04:05Et l'idée, c'est relancer la consommation avec des hausses de salaire.
04:08Plus d'argent, les gens ont plus d'argent, ils consomment plus.
04:10Pour expliquer un peu ce terme, l'idée de Keynes, c'est de relancer l'économie par la demande, par la consommation.
04:17Mais de relancer l'économie par la consommation quand l'économie souffre d'un manque de consommation et de demande.
04:22Or, mon analyse actuellement, c'est que l'économie française ne souffre pas d'un manque de demande.
04:27L'économie française souffre d'une difficulté sur l'offre, d'une difficulté à produire plus.
04:31Ça se voit au déficit commercial, ça se voit aux difficultés de recrutement, ça se voit à une inflation qui a beaucoup baissé mais qui est toujours présente.
04:37Et le terme de Krugman, de kénésisme vulgaire, c'est l'idée que...
04:41C'est une surinterprétation de Keynes dans laquelle il faut toujours relancer l'économie par la demande.
04:47Et Keynes dit, c'est très différent, Keynes dit qu'il faut relancer l'économie par la demande
04:51quand elle souffre d'un manque de demande.
04:53Et ce qui n'est pas le cas...
04:54A mon avis, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
04:55Et alors, vous dites aussi que ce programme notamment, comme le programme du Rassemblement National, sous-estiment les dépenses et surestiment les recettes.
05:03Alors qu'on a vu quand même que le nouveau Front Populaire avait mis en avant le financement de son programme.
05:10Les recettes qui sont prévues dans leur programme, selon vous, sont surestimées et notamment les nouvelles recettes fiscales.
05:18En fait, ce qui est assez marrant...
05:19Avec des taxes sur les super-profits, de nouvelles taxes pour les super-riches, etc.
05:22Mais ce qui est assez paradoxal dans ce programme, c'est que plusieurs choses.
05:26Il affiche un impact budgétaire nul.
05:29C'est-à-dire, en gros, les dépenses compenseront à peu près les recettes.
05:31Alors, ce qui est très paradoxal, c'est qu'il va...
05:33Vous dites que c'est 50 milliards de dépenses supplémentaires, de déficit.
05:35Oui, mais déjà, ce qui est très paradoxal, c'est qu'il veut revenir sur le pacte de stabilité européen.
05:40Donc, c'est totalement contradictoire.
05:41Mais je reviens.
05:43Ensuite, il détaille un peu les principaux postes.
05:46Quand vous faites, ne serait-ce que la somme des chiffres qui sont annoncés,
05:48partons du principe que les chiffres de recettes et de dépenses soient exacts,
05:51vous ne tombez même pas sur un équilibre.
05:53Et si on creuse un petit peu plus sur tout un tas de chiffrages,
05:57à la fois sur le coût de certaines dépenses et sur les recettes qu'ils attendent d'autres,
06:00si on fait un calcul de coin de table,
06:02on trouve que les chiffres sont totalement...
06:04Voilà, ils ont vraiment pris les hypothèses qui les arrangent à tous les étages.
06:08Et si on fait un chiffrage, je dirais, un petit peu plus objectif,
06:11on tombe sur...
06:12Effectivement, grosso modo, c'est une estimation à la louche.
06:14Mais à peu près un trou de 50 milliards,
06:16sachant que dans ce trou-là,
06:18on ne prend pas en compte tout un tas d'engagements et de promesses
06:22qui étaient dans le programme, on va dire, général
06:24et qui ne sont pas reprises dans les dépenses.
06:26Dernier point, parce que le temps presse.
06:28Pour Renaissance, le parti de la majorité présidentielle,
06:31il n'y a quand même pas grand-chose dans leur programme.
06:33D'ailleurs, votre note de synthèse est extrêmement courte.
06:36C'est quand même étonnant quand on vient de dire
06:38qu'il y avait une dette à plus de 3000 milliards au premier trimestre,
06:41110% du PIB.
06:42Il n'y a pas d'économies supplémentaires,
06:44pas de recettes en plus non plus.
06:46Oui, c'est un programme assez creux.
06:48Vous avez totalement raison.
06:50C'est un programme assez creux qui creuserait un petit peu le déficit public.
06:53Probablement pas beaucoup de quelques milliards, peut-être 10 milliards.
06:56Mais c'est vrai qu'il y a un programme qui met en avant
06:58ce qu'on appelle une règle d'or anti-hausse d'impôt.
07:01Donc, il s'engage à ne pas augmenter les impôts.
07:03Et on a quand même quelques mesures sur le pouvoir d'achat
07:05qui coûteraient à l'État.
07:06Mais pas énormément, mais quelques-unes.
07:08Donc, ça creuserait probablement un petit peu le déficit public.
07:11Mais c'est vrai que c'est un programme qui, je trouve,
07:13manque peut-être un peu de souffle,
07:15manque peut-être de quelques réformes audacieuses.
07:17Quand on le lit et qu'on a fini de le lire,
07:19on se dit « Ah bon, c'est que ça ! »
07:21Alors, c'est un programme qui ne fait pas de mal, j'ai envie de dire.
07:24Il n'y a pas de mesures qui mettraient en prévue l'économie française.
07:27Mais il n'y a aucune mesure dans laquelle on peut parler,
07:29qu'on peut débattre, qu'on peut analyser ?
07:30Oui, il y a quelques mesures sur le pouvoir d'achat.
07:32Alors, il y a la prime dite Macron qui passe à 10 000 euros,
07:34quelques mesures comme ça.
07:35Mais c'est un programme, je trouve, qui manque un petit peu de souffle.
07:42On vous attend pour de nouvelles notes d'analyse
07:44entre les premiers et seconds tours.
07:46Vous étiez l'invité Éco de France Info ce soir.

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