Retrouvez "En toute subjectivité" sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/anne-rosencher-en-toute-subjectivite
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00:007h21, en toute subjectivité, comme tous les jeudis avec la directrice déléguée de la rédaction de L'Express.
00:06Bonjour Anne Rosancher.
00:07Bonjour Ali Baddou, bonjour à tous.
00:09Ce matin, Anne, vous nous dites que les campagnes électorales sont devenues des machines à fracturer la société française.
00:15En 1995, le débat de l'entre-deux-tours de la présidentielle oppose Lionel Jospin à Jacques Chirac.
00:21Après leurs échanges, et alors qu'ils ne sont plus à l'antenne, les deux candidats se laissent aller à une conversation off,
00:28immortalisé par les caméras.
00:30C'est Chirac qui commence.
00:32« Toute agressivité, dit-il, on se fait plaisir, on fait plaisir à ses militants.
00:35Mais les Français ont horreur de ça.
00:37En face, Lionel Jospin abonde.
00:40Trente ans et un monde nous séparent de cet archive exhumé récemment par l'émission C'est à vous.
00:45Désormais, l'éthos des militants a gagné.
00:48C'est que dans une société de plus en plus fracturée, le discours politique cherche désormais à galvaniser les fidèles
00:54et à optimiser des segments électoraux, souvent en contre, en mobilisant contre l'adversaire, devenu ennemi.
01:02Pourtant, au départ, la politique, c'est une promesse inverse, celle que par l'exercice du débat, du diagnostic et du vote,
01:08on va trancher collectivement pour l'intérêt général.
01:12Mais ces dernières années, nous sommes passés de la politique à la clientèle, de la discussion rationnelle aux affects.
01:18Ajoutez à cela le poison des réseaux sociaux et de leurs algorithmes,
01:23et vous obtiendrez que les campagnes électorales sont devenues des machines à fracturer et à déprimer.
01:28Et Anne, est-ce que tous les partis y participent ?
01:30Oui, durant les européennes, l'FI s'y est particulièrement illustré, mais tous y sacrifient, y compris le parti présidentiel.
01:37C'est d'ailleurs toute l'erreur d'Emmanuel Macron, à mon sens, de n'avoir pas saisi, en avril 2022, sur quoi les conditions de sa réélection débouchaient.
01:46Outre ses fidèles du premier tour, mais on ne dirige pas un pays sur la base de ses indéfectibles,
01:52Emmanuel Macron n'a été reconduit que par la coalition des fautes de mieux et du barrage à l'extrême droite.
01:57Il ne pouvait tenir cinq ans sur un segment minoritaire.
02:01Et du côté du RN, Anne ?
02:02Eh bien, lui aussi, il mobilise contre, contre l'épouvantail gauchiste, contre Emmanuel Macron, que beaucoup dans cet électorat exècrent.
02:09Mais il y a une différence qu'on a trop peu notée, peut-être.
02:12Le RN est le seul parti qui doit moins se préoccuper de son étiage du premier tour
02:16que de rassembler le plus possible au second pour dépasser le vote barrage et les fronts républicains.
02:22C'est pourquoi, au fil des années, méthodiquement, le parti le péniste a pris un à un les sujets qui tourmentent une majorité de citoyens,
02:29puis les a labourés.
02:30Sans s'encombrer d'une quelconque faisabilité, sans s'encombrer d'une cohérence sur le long terme,
02:35changeant de promesses et de programmes en fonction des sondages, des critiques ou de la météo.
02:40Oui, c'est de l'opportunisme et de la démagogie.
02:44Mais les discours pour le dénoncer sont devenus inaudibles.
02:47Si les partis traditionnels, tout à leur surplomb moral et intellectuel, n'avaient pas laissé au RN le monopole de certaines questions,
02:55nous n'en serions pas là.
02:56Certains commencent à en prendre conscience, mais il est bien tard pour se réveiller.