Avec Philippe Val, journaliste, ancien directeur de Charlie Hebdo et auteur de "Rire" - Ed. L'Observatoire
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NewsTranscription
00:00 En toute vérité, 11h30 sur Sud Radio, Alexandre Desvecquiaux.
00:04 En toute vérité, chaque dimanche, entre 11h et midi, sur Sud Radio,
00:08 sécurité, économie, numérique, immigration, écologie.
00:12 Pendant une heure chaque semaine, nous débattons sans tabou
00:14 des grands enjeux pour la France d'aujourd'hui et de demain.
00:16 Et ce dimanche, nous avons le plaisir de recevoir Philippe Valle,
00:19 le journaliste essayiste, ancien directeur de Charlie Hebdo et de France Inter,
00:23 viendra nous parler de son nouveau livre,
00:25 Rire, qui vient de paraître aux éditions de l'Observatoire.
00:28 Peut-on rire de tout et avec n'importe qui ?
00:31 Existe-t-il un humour de gauche et un humour de droite ?
00:34 Notre société est-elle dévorée par l'esprit de sérieux et par la censure ?
00:38 Le rire est-il devenu dangereux ?
00:40 Tout de suite, les réponses de Philippe Valle, en toute vérité.
00:43 En toute vérité, sur Sud Radio, Alexandre Desvecquiaux.
00:47 Philippe Valle, bonjour.
00:48 Bonjour Alexandre.
00:49 Ravi de vous recevoir sur ce plateau.
00:52 Nous allons parler pendant une heure de votre livre Rire,
00:56 qui vient de paraître aux éditions de l'Observatoire.
01:00 Peut-être une réaction à ce qui est aussi l'actualité ?
01:05 On doit beaucoup vous en parler en ce moment.
01:07 Vous défendez le rire, vous êtes un adversaire de la censure,
01:10 vous êtes favorable à la liberté d'expression
01:13 et en même temps, vous n'êtes pas forcément client de l'humour de Guillaume Meurice.
01:18 Qu'est-ce que vous pensez de sa mise à pied de France Inter,
01:22 sans doute préalable à un licenciement ?
01:25 Dans votre question, il y a une réponse.
01:29 C'est une question de goût.
01:31 Moi, je n'aime pas beaucoup l'humour de connivence,
01:36 ce qu'on appelle le rire de connivence.
01:38 On est d'accord, j'ai un public que j'ai pratiqué,
01:42 je fais mon Méa Cool par un lien longtemps.
01:44 On est d'accord, je vais dire quelque chose avec lequel vous êtes d'accord
01:50 et vous allez m'applaudir parce que j'ai dit ce que vous pensez.
01:54 Ça, c'est quelque chose qui ne me plaît pas trop.
01:56 Donc, par conséquent, le chemin que prend Guillaume Meurice
02:01 pour parler aux gens de son public,
02:05 c'est quelque chose que je ne pratique pas et que je n'aime pas.
02:08 Et quand on est directeur d'un média,
02:10 que ce soit un journal, une radio,
02:13 on doit faire des choix de ses collaborateurs,
02:16 on doit avoir la liberté du choix de ses collaborateurs.
02:18 Si on n'est pas d'accord avec l'esthétique,
02:20 ou avec le style, ou avec le fond même,
02:23 on a le droit de dire non.
02:24 On ne le censure pas.
02:26 On a une cohérence éditoriale.
02:30 Alors, le problème que pose Meurice,
02:32 je suis vraiment pour qu'il puisse s'exprimer,
02:35 mais sincèrement, je trouverais ça scandaleux
02:37 que Guillaume Meurice ne puisse pas parler librement.
02:41 Mais pas forcément n'importe où.
02:43 Sur France Inter par exemple, qui est une radio publique.
02:47 C'est d'ailleurs grave.
02:48 Si tous les humoristes sont du même côté politique,
02:52 alors que la radio est publique et payée avec l'argent de tous les français,
02:55 je trouve ça un peu bizarre.
02:57 Ou alors on contrebalance en face.
03:01 Avec des humoristes de droite d'une certaine manière.
03:04 Et puis l'humour n'est pas forcément idéologique.
03:08 Oui, c'est ce que j'allais vous dire.
03:09 Mais là, dans ce cas-là,
03:10 vous estimez que le monde de Guillaume Meurice est idéologique ?
03:13 L'humour de Guillaume Meurice est idéologique.
03:16 Par exemple, il est pro-palestinien.
03:19 Bon, on a le droit d'être pro-palestinien,
03:22 mais c'est idéologique d'être pro-palestinien.
03:24 Voilà.
03:27 Il est pro-je sais pas quoi, il est pro-France Insoumise,
03:32 il est contre les riches pour les pauvres,
03:34 il est contre le mal, il est pour le bien.
03:38 Donc c'est idéologique.
03:40 Moi je pense que le bien et le mal,
03:42 il faut un point de vue et que si on commence à penser
03:45 le mal sans bien et le bien sans mal,
03:47 on se retrouve dans des sociétés totalitaires dangereuses.
03:50 Je suis un sceptique.
03:52 Justement, est-ce que c'est seulement de l'idéologie ?
03:54 Est-ce qu'il est seulement pro-palestinien ?
03:56 Ou est-ce que ça va plus loin que ça ?
03:58 La fameuse blague qui a mis le feu aux poudres
04:00 où il compare finalement les juifs aux nazis,
04:04 est-ce que vous iriez jusqu'à dire que ça flirte avec l'antisémitisme
04:08 ou ça reste une blague et une blague de mauvais goût
04:10 comme il peut y en avoir partout ?
04:14 Comment vous dire ça ?
04:15 D'abord, je parle pas en tant qu'ancien patron d'Inter,
04:17 je parle en tant qu'auditeur.
04:18 Parce qu'une fois qu'on n'est plus patron,
04:20 on redevient un auditeur lambda parmi les millions d'auditeurs.
04:24 Et on n'a pas droit plus que d'autres à avoir un jugement.
04:28 Donc en tant qu'auditeur,
04:30 il y a quelque chose que je n'aime pas,
04:32 que ça vienne de qui que ce soit,
04:34 et que je déteste depuis très très longtemps,
04:37 depuis que j'ai une petite conscience politique,
04:42 c'est que...
04:47 on assimile les juifs à des nazis.
04:52 Par exemple, Meurice, il parle de Netanyahou, nazi sans prépuce.
04:56 Déjà, j'aime pas ça.
04:58 On peut dire toutes les critiques qu'on veut sur Netanyahou
05:01 en évitant de parler de nazis, parce que ça, ça pose un vrai problème.
05:04 Ensuite, il parle de Gabriel Attal,
05:09 qui compare à Goebbels.
05:11 Donc il a un problème de confusion entre juifs et nazis.
05:15 Et ça, pour moi, c'est tabou, c'est interdit.
05:18 C'est moi, je ne peux pas l'interdire au monde.
05:21 C'est pas mon...
05:23 Je refuse ça, je déteste ça, je veux pas entendre ça.
05:29 Et si je suis patron d'un média
05:31 où quelqu'un commence à dire des trucs comme ça,
05:34 personnellement, je...
05:35 - C'est ce que vous aviez fait avec Cine à l'époque,
05:38 quand vous dirigeiez Charlie Hebdo ?
05:39 - Absolument, tout à fait, oui, bien sûr.
05:42 D'ailleurs, ça m'a coûté cher,
05:45 mais si c'était à refaire, je le referais.
05:48 C'est comme ça, c'est la vie, on se refait pas.
05:51 C'est marrant, parce que quand j'étais gosse,
05:55 c'est pas très héroïque, j'étais fan de Zola,
05:59 je lisais les Rougon-Macquart,
06:01 pour moi, c'était comme une bible, j'adorais Zola.
06:04 Et puis jusqu'au jour où j'ai découvert Zola dans l'affaire Dreyfus,
06:07 je m'intéressais à Zola, j'ai lu des biographies, tout ça, bon.
06:10 Et puis donc, j'ai découvert l'affaire Dreyfus.
06:12 J'étais un ado, j'avais 15 ans, je sais pas.
06:16 Et j'avais pas d'idée politique.
06:19 J'ai commencé à me former politiquement par l'affaire Dreyfus.
06:22 C'était ma première conscience politique.
06:25 Et c'est sans doute un truc qui m'a marqué profondément.
06:29 J'ai fait des exposés en classe sur l'affaire Dreyfus.
06:32 Enfin, ça m'a éduqué.
06:34 Et peut-être que c'est indélible.
06:41 Et justement, on parle du conflit israélo-palestinien aujourd'hui.
06:44 Vous avez le sentiment qu'au-delà de ce conflit,
06:46 les juifs continuent à être les boucs émissaires,
06:49 même si le contexte est totalement différent.
06:52 Vous avez dit que Guillaume Meurice était en réalité proche des idées de LFI,
06:56 de l'extrême gauche.
06:58 Est-ce qu'aujourd'hui, LFI flirte avec l'antisémitisme
07:01 ou se sert d'un électorat,
07:04 enfin, fait des clins d'œil à un électorat antisémite ?
07:08 L'antisémitisme, ce n'est pas simplement quelqu'un qui dit
07:11 "j'aime pas les juifs" ou "les juifs..."
07:13 qui reprend la propagande nazie,
07:19 c'est-à-dire "les juifs et l'argent",
07:20 c'était la base de la propagande nazie.
07:24 Qui reprennent ça, bon, ce n'est pas forcément ça.
07:26 C'est aussi les gens qui sont compatibles avec les antisémites.
07:30 L'antisémitisme, c'est l'antisémitisme
07:31 et la compatibilité avec l'antisémitisme.
07:34 Je pense que, en voulant capter l'électorat émigré musulman
07:42 supposé antisémite,
07:44 LFI signe une charte antisémite.
07:50 LFI existe à travers cet antisémitisme.
07:56 Voilà, c'est comme ça.
07:58 C'est triste à dire, j'aurais préféré ne jamais avoir à dire ça
08:02 et à penser ça dans mon pays, mais c'est comme ça.
08:04 Parce que je pense profondément, d'abord, deux choses.
08:08 Un, que l'antisémitisme est quelque chose qui mute lentement,
08:14 mais en permanence.
08:16 Alors, on va commencer avec la fuite en Égypte
08:19 et puis le retour à la terre promise.
08:21 Mais ensuite, les Romains, Saint-Paul, l'antisémitisme polinien,
08:25 un antisémitisme chrétien qui mute au 19e siècle,
08:29 il devient un antisémitisme idéologique.
08:31 Et idéologique, on va dire nazisme, etc.
08:34 Et maintenant, l'antisémitisme est géopolitique,
08:37 il s'est concentré sur Israël.
08:39 Qu'est-ce que ça veut dire ?
08:40 Par exemple, si vous aimez l'Italie,
08:44 vous dites "j'aime bien l'Italie, Florence, Naples, Venise",
08:49 on va vous dire "ah bon, t'as raison, moi aussi".
08:52 Et si vous dites "j'aime bien Israël", on va dire "t'es juif ?"
08:56 "Qu'est-ce que ? Non, moi j'aime bien Israël, je ne suis pas juif."
09:00 Donc il y a un petit problème géopolitique,
09:04 il y a un gros problème.
09:07 Aujourd'hui, l'antisémitisme s'exprime par la haine d'Israël.
09:12 Moi, je suis évidemment, j'imagine comme vous,
09:15 critique de la politique israélienne.
09:18 - De Benjamin Netanyahou, du gouvernement israélien.
09:20 - Du gouvernement israélien, comme je suis critique du gouvernement italien,
09:24 comme je suis critique du gouvernement, tout ce que vous voulez, en France,
09:28 mais je ne suis pas critique de l'existence de l'État d'Israël.
09:33 Il est aussi légitime que l'Italie, que la France et que l'Allemagne.
09:38 D'ailleurs pour moi, Israël, c'est un pays d'Europe.
09:41 Parce que l'Europe est le produit de cette hybridation judéo-grecque.
09:51 Et partout, enfin, ça produit de l'Europe cette hybridation judéo-grecque.
09:57 Et Israël est né, il produit de ça.
10:00 - D'ailleurs, il y a une haine d'Israël qui est peut-être aussi une haine anti-occidentale plus large.
10:06 Pour en revenir au sujet de votre livre,
10:10 j'allais dire pratiquement au sujet de votre vie,
10:13 qui est le rire, la liberté d'expression,
10:15 on voit qu'on est quand même dans un contexte compliqué,
10:17 puisque vous-même vous dites "bon, j'ai du mal à rire de certaines choses"
10:23 justement, quand on te blague sur l'analyse.
10:26 Et donc, qu'est-ce que vous répondez à ceux qui disent,
10:30 qui considèrent que Guillaume Meurice, c'est une forme de censure malgré tout ?
10:34 Est-ce qu'il y a deux poids, deux mesures ?
10:37 Est-ce que c'est plus facile aujourd'hui de rire des musulmans que des juifs ?
10:41 Ou est-ce que ça...
10:43 - Non, absolument pas.
10:45 - Comment implique le principe de... Pardonnez-moi d'être l'avocat du...
10:49 C'est-à-dire, c'est un absolu le principe de liberté d'expression ?
10:54 - Mais ça... Enfin... D'abord, il y a plusieurs questions là.
10:59 L'humour, c'est une question de goût aussi.
11:01 Moi, j'ai fait un livre sur l'humour de surprise.
11:05 C'est-à-dire le rire de surprise.
11:07 Je me surprends à rire.
11:09 Qu'est-ce que ça veut dire que...
11:11 Que de voir en moi...
11:13 Enfin, et chez l'autre, cette surprise face à une blague qu'on n'attend tellement pas,
11:19 quelque chose de comique qui arrive et qu'on n'attend pas.
11:23 C'est de l'inattendu.
11:24 C'est associé de commun avec le reste de la manifestation de la réalité.
11:28 C'est que c'est imprévisible.
11:30 Donc, c'est ce rire imprévisible dont il est question.
11:33 Et là, il n'y a pas de question de droite, de gauche, de limite ou pas de limite.
11:38 Quand ça surgit, on rit ou on ne rit pas.
11:41 Il y a le spasme qui vient.
11:43 C'est physique.
11:44 Ça s'associe presque de commun avec l'acte sexuel même,
11:47 qui est un spasme qui nous échappe.
11:51 Et à partir du moment où ça nous échappe, ça échappe au jugement.
11:55 Ça échappe à la morale.
11:57 Le rire est amoral.
11:59 Si c'est bon, on peut rire de tout, évidemment.
12:03 Eh bien, on continue à en parler.
12:05 Je vous laisserai finir après la pause.
12:07 C'est la première pause dans cette émission.
12:10 Et effectivement, on continuera.
12:12 Je vous demanderai si on peut vraiment rire de tout avec n'importe qui.
12:16 Vous allez commencer à me répondre.
12:17 Mais la suite, après une courte pause sur Sud Radio.
12:20 Nous sommes de retour sur Sud Radio avec Philippe Valle.
12:28 En toute vérité, il nous parle de son nouveau livre "Rire"
12:31 qui vient de paraître aux éditions de l'Observatoire.
12:33 Avant la pause, Philippe Valle, je vous demandais si on pouvait rire de tout.
12:36 Vous commencez à me dire oui.
12:38 Si en même temps, la liberté d'expression, la liberté de rire était un absolu.
12:42 Et en même temps, vous reconnaissiez qu'il y a certains rires, ricanements qui vous gênent.
12:46 Non, le ricanement et le rire, ce n'est pas pareil.
12:49 D'une part.
12:50 D'autre part, ce rire est un rire qui n'est pas un rire...
12:54 Ce rire de surprise, il ne peut pas être un appel au crime.
12:59 Il ne peut pas être...
13:01 Il y a quelque chose qui se passe.
13:04 C'est une communication entre les êtres extrêmement forte.
13:08 Moi, j'étais dans des salles de spectacle quand j'étais gosse.
13:11 J'ai vu faire un orénaut sur scène.
13:14 J'étais au premier rang, on a su le dire, il y a longtemps.
13:17 Et le public était très populaire.
13:20 Il y avait des gens de droite, de gauche, vieux, jaune, de toute origine et de toute condition.
13:25 Et ils étaient tellement surpris par ce qui se passait sur scène.
13:31 J'ai vu ça avec d'autres humoristes, mais ça m'a marqué celui-là parce que j'étais enfant.
13:36 Il y a une fraternité du public qui est surpris par la même chose.
13:41 On se surprend dans notre humanité surprise.
13:45 Et ça, c'est indispensable.
13:48 Et je pense que ce rire-là, il existe partout dans le monde, dans toutes les civilisations.
13:54 Mais dans la nôtre, il est constitutif.
13:59 Le scandale du rire ouvre des brèches dans les conformismes du temps depuis l'Antiquité.
14:06 Et par ces brèches passent les arts, la science, le savoir, les lois, les lois émancipatrices.
14:13 Ça passe parce que le rire a déblayé déjà.
14:18 Et l'endroit le plus évident, on le voit même dans Homer et plus tard chez les présocratiques,
14:26 mais là où c'est le plus clair, parce que c'est le plus proche de nous,
14:30 c'est au tout début du XVIe siècle avec Rabelais.
14:35 Il est très difficile d'imaginer l'explosion de la Renaissance sans Rabelais.
14:42 J'ai relu pour ce livre à peu près tout Rabelais.
14:47 D'abord, ça a été une promenade assez époustouflante,
14:53 parce que je n'avais pas relu ça depuis très longtemps,
14:56 et j'ai compris des trucs que je n'avais pas bien compris avant.
14:59 Et cette espèce de mélange de dérudition incroyable et de déconnade absolue
15:08 qui a ébranlé quelque chose dans le monde européen de son temps,
15:15 qui a donné la place, qui a ouvert les fenêtres,
15:20 qui a ouvert les fenêtres de la Renaissance avec les conséquences qu'on connaît.
15:23 Donc le rire est consubstantiel à l'esprit européen.
15:27 C'est ce que disent d'ailleurs des auteurs comme Kundera,
15:32 qui se sont fait pourrir pour l'avoir trop bien dit.
15:38 - Ils l'applaisantent très justement.
15:40 - Quand Kundera était en Tchécoslovaquie, et même quand il était en France,
15:45 tout d'un coup, il y a une gauche débile qui s'est rendu compte
15:48 qu'il n'était pas de la gauche comme il fallait.
15:50 Donc on a vu comment l'intelligentsia de gauche l'a enterré avec deux pelletées de terre.
15:56 - C'était une gauche antitotalitaire, on peut le dire, trop proche de la vôtre.
16:01 - C'est ça. Antitotalitaire. Il y a une gauche antifasciste,
16:05 c'est-à-dire qui continue à pédaler dans le vide,
16:08 et à faire beaucoup de bruit, et une gauche antitotalitaire.
16:13 - Je suis désolé, on va parler de votre livre qui est passionnant,
16:17 et qui effectivement est une philosophie du rire, qui brasse large,
16:21 qui évoque l'histoire, vous l'avez dit, avec la Renaissance,
16:25 on pourra parler de Voltaire aussi, au XVIIIe siècle,
16:28 qui a une importance, mais je reste un peu sur le débat politique du moment.
16:33 Comment on fait politiquement, pour légiférer d'une certaine manière
16:39 sur la question du rire ?
16:42 On a évoqué Guillaume Meurisse en début d'émission,
16:44 mais il y a quelques années, on a eu les polémiques autour de Dieudonné,
16:48 est-ce qu'il fallait l'interdire ?
16:51 Puisque lui, ce réfugié derrière le rire, il ne prétendait pas faire de la politique.
16:56 - Oui, mais il faisait de la politique.
16:58 - On n'est pas obligé d'être Dieu.
17:00 - Il faisait monter sur scène Faurisson, qui était heureux.
17:07 - Même Faurisson, on peut trouver ça écœurant, dégueulasse,
17:11 est-ce qu'il faut l'empêcher de parler, ou il faut le combattre intellectuellement ?
17:15 - Il y a une loi, qui s'appelle la loi Guissot,
17:21 qui condamne le négationnisme, qui est une loi très contestée.
17:25 Moi je pense que c'est une loi, les historiens sont contre,
17:29 je ne sais pas pourquoi, parce qu'elle n'empêche absolument pas les historiens de travailler.
17:33 Personne n'a été empêché de faire des études sur la Shoah.
17:37 Et jamais une liberté académique totale sur la question.
17:41 Donc cette loi, c'est parce que le négationnisme est performatif.
17:50 Donc il entraîne des actes.
17:53 Pendant une certaine période historique, je pense que cette loi...
17:58 En fait, je n'ai pas de certitude, je suis vraiment mon philosophe de prédilection,
18:04 c'est Montaigne, et j'ai appris chez Montaigne à conforter mon scepticisme naturel.
18:10 Et je pense que cette loi n'est pas un absolu,
18:15 mais elle était nécessaire au moment où elle a été votée.
18:18 Moi je l'ai défendue, cette loi Guissot.
18:21 Parce qu'après tout, les gens qui ont des propos négationnistes mettent en danger.
18:26 Ils peuvent radicaliser, surtout dans une société où il y a beaucoup d'immigrations musulmanes comme la nôtre,
18:31 ça peut provoquer des vocations terroristes.
18:35 Mais justement, vous me disiez "les historiens sont contre, je ne sais pas pourquoi,
18:40 ça ne les empêche pas de faire des études sur la Shoah".
18:43 Je ne crois pas que ce n'était pas le cœur de leur opposition.
18:46 Ceux qui s'y sont opposés ont regretté que ça puisse ouvrir la porte à une forme de concurrence victimaire.
18:55 Et d'une certaine manière, c'est aussi ce qui s'est passé avec l'esclavage,
18:59 ou pour le coup...
19:01 C'est parce qu'on a eu la malchance d'avoir de très mauvais ministres.
19:04 Je veux parler de Taubira évidemment, qui en a profité, qui s'est engouffré dans la faille.
19:08 Taubira, qui apparemment, je ne veux pas penser à sa place, bien sûr, je ne me permettrai pas,
19:14 mais moi quand je lis des choses qu'elle écrit, je me dis comment c'est possible de détester à ce point l'Europe.
19:21 De détester à ce point les sociétés et la culture européenne.
19:25 Et d'en profiter autant.
19:27 On en revient à cette ère du temps anti-occidentale, à cette gauche en fait anti-fasciste,
19:34 mais qui est anti-occidentale aujourd'hui, qui voit du fascisme...
19:37 Là où il n'y en a précisément pas.
19:39 Là où il n'y en a pas.
19:41 C'est peut-être le seul endroit où il n'y en a pas d'ailleurs.
19:44 Dans le monde aujourd'hui.
19:46 Il n'y en a pas beaucoup ici.
19:48 Et une fois de plus, cette question de la liberté d'expression, il faut faire très attention.
19:54 Parce que moi j'étais beaucoup devant la 17ème chambre correctionnelle, peut-être plus de 20 fois.
19:59 Et toujours pour des questions d'électe d'expression.
20:01 Avec Charlie Hebdo.
20:03 Avec Charlie Hebdo, bien sûr.
20:05 Donc j'ai été confronté au jugement, au droit, aux lois, et je pense que la loi française est plutôt bien foutue.
20:12 Et que le tribunal est plutôt bien constitué.
20:14 Il y a eu des périodes plus fastes que d'autres, mais il y a généralement de bons présidents à la 17ème.
20:20 Vous n'avez jamais été condamné d'ailleurs.
20:23 Si, ça vous est arrivé.
20:25 Une fois ou deux, oui.
20:26 Et puis je n'ai pas obtenu toujours ce que je voulais.
20:29 Mais qu'importe, c'est la règle du jeu.
20:32 On est dans un état de droit.
20:34 On doit accepter les jugements.
20:37 Je pense d'ailleurs que quand j'ai perdu, je me demande si je ne l'ai pas mérité.
20:41 [Rires]
20:43 Mais quand on est patron d'un média, on a des choix éditoriaux qui sont légitimes.
20:50 Par exemple, Bozonnet, il était secrétaire, enfin, comment on appelle ça ?
20:56 Il était patron de la comédie française.
20:59 Il a refusé une pièce de...
21:02 Je ne sais plus quel écrivain.
21:05 Et tout le monde a gueulé à la censure.
21:06 Moi j'ai défendu Bozonnet parce qu'il n'était pas censuré.
21:11 Toutes les autres scènes nationales étaient prêtes à le prendre.
21:15 Il ne faut pas confondre des choix éditoriaux avec la censure.
21:20 On a le droit de ne pas aimer.
21:22 Par exemple, moi je n'aimais pas ce que faisait Guillaume.
21:24 Ce n'est pas moi qui l'ai viré, d'ailleurs c'est le président de Radio France.
21:27 Mais j'avais le droit de dire, ça, je vous le dis.
21:32 C'est mon intérêt.
21:33 Je ne veux pas que ça ne soit votre intérêt.
21:35 Le directeur, il est là pour quoi ?
21:37 Pour avoir un bureau ?
21:38 Avec des téléphones, avec plein de boutons ?
21:40 Juste ça ?
21:41 Le directeur, il est là pour prendre des décisions ?
21:44 De la même manière, on s'éloigne un peu du rire.
21:48 Mais puisque vous parlez de choix éditoriaux,
21:50 on voit qu'il y a une tendance aujourd'hui à contester les choix éditoriaux
21:57 de certaines chaînes d'info, je pense à Assez News, etc.
22:01 Parce qu'après tout, dans un univers où il y a beaucoup de chaînes de télévision,
22:05 pourquoi pas une chaîne de droite ?
22:07 Voir d'extrême droite, même si elle ne se définit pas comme ça.
22:09 Il n'y a pas de problème.
22:11 Si on n'est pas d'accord, on a le droit de dire qu'on n'est pas d'accord
22:15 avec ce qui se dit sur la chaîne.
22:16 Mais contester son existence, c'est quand même gonfler.
22:20 Ils ne s'appellent pas au meurtre.
22:24 Ils ne débordent pas du cadre de la loi.
22:27 Je crois connaître bien la loi, une fois de plus,
22:31 pour l'avoir expérimenté souvent.
22:35 Ok, on y va, il n'y a pas de problème.
22:39 Si ça déborde, ça déborde.
22:41 Les lois sont bien faites, le juge va réagir.
22:43 Le parquet en l'occurrence.
22:45 Merci Philippe Valle.
22:47 On se retrouve après une courte pause.
22:48 On continue à parler de votre livre Rire,
22:50 qui vient de paraître aux éditions de l'Observatoire.
22:52 C'est tout de suite en toute vérité.
22:54 En toute vérité, 11h30 sur Sud Radio.
22:56 Alexandre Desveaux.
22:58 Nous sommes de retour en toute vérité avec Philippe Valle
23:01 qui est CI, ancien directeur de Charlie Hebdo,
23:04 de France Inter également,
23:06 qui vient nous parler de son nouveau livre Rire,
23:08 qui vient de paraître aux éditions de l'Observatoire.
23:10 Philippe Valle, on a l'impression qu'il y a un message
23:14 dans votre livre.
23:16 Le mot "message", ce n'est peut-être pas ce que vous préférez,
23:19 mais en tout cas, l'idée, c'est que le rire, finalement,
23:23 est quelque chose de libérateur dans la société,
23:26 qui pourrait nous sauver,
23:28 qui fait la spécificité, la très grande liberté
23:31 de la société occidentale.
23:34 Sauf qu'aujourd'hui, vous en avez fait l'expérience,
23:37 d'une certaine manière, le rire tue.
23:40 Comment on en est arrivé là aujourd'hui ?
23:43 Alors, je pense que le rire est en danger,
23:47 toujours en danger.
23:49 Ce n'est pas nouveau ?
23:51 C'est cyclique.
23:53 Le rire est cycliquement en danger.
23:56 Rabelais s'en est bien sorti,
23:58 il a été sous la protection d'un cardinal.
24:01 Le Chevalier de la Barre s'en est moins bien sorti,
24:04 il a été écartelé, roué en place publique.
24:08 Voltaire a failli très mal s'en sortir,
24:12 d'autres s'en sortent bien, d'autres...
24:14 Ça dépend des époques,
24:16 et ça dépend aussi du talent.
24:19 Parce qu'il y a des livres, on se demande comment ils ont pu,
24:22 les essais de montagne, comment ça a pu passer là-bas.
24:25 C'est tellement incroyable ce qu'il y a...
24:28 C'est son talent, à votre avis, la société...
24:31 Même le pouvoir politique s'est incliné devant son talent.
24:34 Oui, c'est ça.
24:36 C'est le cas par exemple d'un gars que j'adore aujourd'hui,
24:40 Ricky Gervais, dont je parle dans mon livre.
24:43 Humoriste américain, qui a présenté plusieurs fois les Golden Globes...
24:48 Et qui fait des films, des séries, des stand-up,
24:51 qui sont à tomber par terre de rire.
24:53 Mais vraiment, c'est énorme, énorme.
24:56 Et c'est tout ce qu'on aime.
24:58 Parce qu'on ne sait pas ce qu'il va dire.
25:00 On ne sait pas ce qu'il va dire.
25:02 Et il dit un truc, on se dit "ah ouais, il n'aurait pas pu dire autre chose".
25:06 C'est ça le génie.
25:08 C'est dire "ok".
25:10 Il ne faut pas dire ça.
25:12 On ne plaisante pas avec ces choses-là.
25:14 Et c'est précisément avec ça qu'il plaisante.
25:16 C'est avec ça qu'il défonce, en quelque sorte,
25:18 un mur de conformisme, etc.
25:21 Même si on n'est pas d'accord, ça n'a pas d'importance.
25:24 C'est génial.
25:25 De toute façon, c'est génial et ça fait du bien.
25:27 Et je pense que notre cerveau a besoin de ça,
25:31 pour ne pas devenir con.
25:33 Il a besoin de ça, il a besoin de ce courant d'air.
25:35 Il a besoin de cette santé dont parle Nietzsche.
25:40 Alors, pour écrire ce livre,
25:42 j'ai beaucoup aussi lu et relu Nietzsche.
25:47 Et je me suis rendu compte que c'était le fond de sa philosophie.
25:51 Cet homme qui rit.
25:53 Il n'y a pas de surhomme chez Nietzsche.
25:56 Ça n'existe pas.
25:57 Il y a l'Ubermensch.
25:58 C'est le surhumain.
26:00 Et ce surhumain, c'est quelqu'un qui a une conscience tragique
26:04 et qui rit, qui sait quand même rire.
26:07 Parce que le rire est le contrepoison du tragique.
26:12 Et il n'y a pas de rire sans tragique.
26:14 Par contre, il y a du tragique sans rire.
26:16 Mais plus on est dans le tragique sans rire,
26:19 plus on est dans la barbarie, plus on est dans l'horreur.
26:22 La civilisation, elle vient par ce rire qui naît du tragique.
26:27 On est dans le retour du tragique de l'histoire.
26:29 Plus que jamais, on a besoin de rire.
26:31 On est dans le tragique de l'histoire.
26:32 Donc, on a besoin du rire.
26:34 Vous savez, quand la Wehrmacht a bombardé Londres,
26:39 le ministre de l'Intérieur,
26:41 enfin le ministre de l'Intérieur anglais,
26:46 a fermé les théâtres et les cinémas.
26:49 Et le lendemain de cette interdiction,
26:51 Churchill a dit "non mais ça va pas, non ?
26:54 On va rouvrir les théâtres et les cinémas.
26:57 On doit pouvoir continuer à vivre, sinon on perdra cette guerre.
27:00 Tant pis pour les Lumières, tant pis, on fera ce qu'il faut,
27:03 mais il faut continuer à se marrer, quoi.
27:06 Sinon, on gagnera pas la guerre.
27:08 Et je pense que c'est génial,
27:12 c'est énorme d'avoir pensé ça.
27:14 Et je crois que Churchill, dont je parle dans ce livre,
27:18 a gagné la guerre,
27:20 on peut dire que, d'un homme qui l'a sauvé le monde,
27:24 en parlant de Churchill, il a sauvé le monde.
27:27 Et c'était un artiste, il était bizarre,
27:30 il était un peu bipolaire, il était alcoolique,
27:32 il était un peu barré,
27:34 il peignait toujours la même chose,
27:36 il ne mangeait rien d'ailleurs,
27:38 il était un minemard avec des boissons, enfin bon bref.
27:40 Il picolait, il fumait,
27:43 et il avait ce sens de la vie,
27:47 ce goût physique du réel.
27:51 Je pense que le rire, c'est un moment où la réalité nous saute à la gueule,
27:56 en dehors du jugement.
27:58 C'est-à-dire, avant le jugement moral,
28:01 avant le bien et le mal,
28:03 d'abord, cet étonnement.
28:05 - C'est ça, l'étonnement sexuel.
28:07 - Je pense qu'on a besoin de retrouver cet état d'étonnement,
28:10 l'étonnement philosophique,
28:12 et le même que l'étonnement du rire.
28:14 Et même le tragique.
28:16 Parce que vous disiez, rire de n'importe quoi.
28:18 Oui, on peut rire de n'importe quoi.
28:20 On peut rire de rien, de toute façon.
28:22 Parce que si vous êtes blond, vous ne voulez pas qu'on vous rie des blonds,
28:26 si vous êtes brun, vous ne voulez pas qu'on vous rie des bruns,
28:28 si vous êtes homosexuel, vous ne voulez pas...
28:30 etc. Blanc, noir, machin, petit, grand, gros...
28:34 On peut rire de rien.
28:36 Donc, il faut rire de tout.
28:38 Sinon, c'est foutu.
28:40 Et sur la Shoah, il y a des blagues qui sont extraordinaires,
28:45 qui sont formidables, de sens tragique et de drôlerie.
28:49 Par exemple, ces deux rescapés de la Shoah,
28:54 qui se racontent des souvenirs en hurlant de rire,
28:58 ils sont au paradis.
29:00 Non, non, ils ne sont pas au paradis.
29:03 Ils sont deux rescapés de la Shoah,
29:05 qui se racontent des souvenirs de Schwizt en hurlant de rire.
29:10 Et il y a Dieu qui arrive et qui dit "écoutez, vous ne pouvez pas rire de ça.
29:13 C'est scandaleux, vous ne pouvez pas rire de ça."
29:16 Et les deux gars disent "toi, tu ne sais pas de quoi tu parles, tu n'étais pas là."
29:21 C'est très beau.
29:23 C'est très drôle, mais c'est effectivement incroyablement philosophique.
29:27 Et oui, mais c'est super marrant.
29:29 Mais c'est super tragique aussi.
29:31 Donc on peut rire de tout.
29:35 Mais c'est une question de talent, c'est pas une question de...
29:38 "Alors ma blague, elle te fait pas rire, alors t'es un censeur."
29:41 Non, elle me fait pas rire parce qu'elle est con ta blague.
29:43 C'est ce que j'ai envie de dire parfois quand on me parle de Guillaume Meurice.
29:49 Parce que là on en parle beaucoup, moi je m'en fous, je déteste pas Guillaume Meurice,
29:52 je l'aime pas non plus d'ailleurs.
29:54 Mais ta blague, si ma blague te fait pas rire, c'est que t'es un censeur.
29:58 Non, c'est qu'elle ne me plaît pas.
30:00 Par exemple si t'aimes les Pivoines et moi les Dahlias,
30:03 c'est pas de ma faute.
30:05 T'es Pivoine, tu te les fous dans le cul et moi je vais continuer à aimer mes Dahlias.
30:08 Ça m'avait en tout cas horrible dans cette émission.
30:13 Vous parliez de Churchill tout à l'heure,
30:15 en rappelant d'ailleurs qu'il buvait,
30:17 qu'il avait un comportement totalement anticonformiste.
30:21 Est-ce qu'il pourrait faire de la politique aujourd'hui ?
30:25 Et est-ce que certains humoristes, Pierre Desproges, Coluche ou d'autres,
30:29 pourraient, s'ils revenaient aujourd'hui,
30:32 ils pourraient faire de la même manière ?
30:35 Oui, c'est une question de...
30:37 L'époque est pas à l'ascension, justement, au politiquement correct.
30:40 Il faut rentrer dedans.
30:42 Parce que si on se dit "on peut plus", on est mort.
30:45 Donc c'est comme avec l'antisémitisme.
30:48 Si on dit "oh, quelle horreur, où est-ce que je vais aller,
30:51 même si je suis pas juif, en l'occurrence je suis pas juif,
30:53 mais s'il y a trop d'antisémites j'ai envie de me barrer".
30:55 En même temps, il faut rester et gagner.
31:01 Il faut se battre, enfin, il faut se battre.
31:04 C'est pas parce que...
31:06 Moi, dans ce bouquin, j'explique que les grands personnalités politiques,
31:12 grands artistes, grands personnages publics,
31:18 souvent, ils fabriquent un personnage.
31:21 Et Gaulle a fabriqué son personnage consciemment, après la Première Guerre mondiale.
31:25 Il a fabriqué le général de Gaulle de toutes pièces.
31:28 Parce que lui-même, il était trop sensible.
31:32 C'était un romantique dépressif.
31:35 Il avait plein de failles.
31:37 Et il a fabriqué ce général qui ne cède jamais à rien.
31:41 - Droit comme un roc, insensible d'une certaine manière.
31:44 - Et il en parlait très bien.
31:46 Il l'a fabriqué comme un personnage de Stanislavski,
31:49 comme un personnage de théâtre.
31:51 Ce qui est vrai pour Dali, pour Brassens, pour Gainsbourg,
31:54 pour des tas de personnages comme ça.
31:56 Parce que ça donne une liberté formidable,
31:58 d'avoir ce personnage qui soit en mieux.
32:01 Et je pense que les hommes politiques ont le devoir d'être cet artiste-là.
32:05 De "moi en mieux".
32:07 "Je" est un autre, et cet autre, c'est "moi" mais qui ne cède pas.
32:10 "Moi" qui ne recule pas.
32:12 Alors que "moi", ma nature, elle est de reculer, comme tout le monde.
32:15 Ma nature, elle est d'être triste.
32:18 Avec Cabu, j'aimais beaucoup...
32:21 On allait voir Charles Trenet,
32:23 parce que Cabu était un gros fan de Charles Trenet, et moi aussi.
32:26 J'ai chanté avec Trenet, on a fait des spectacles,
32:29 et puis on allait le voir en spectacle, on allait le voir en coulisses,
32:31 bon, bref, façon.
32:33 Et Trenet était un personnage assez mystérieux,
32:36 qui avait tout pour être triste et mélancolique,
32:38 et qui déployait un truc sur scène.
32:41 Une joie de vivre, une énergie absolument magique.
32:44 Il faut l'avoir vu sur scène pour comprendre.
32:47 Et on lui demandait pourquoi, un journaliste lui demandait
32:50 où est-ce qu'il trouvait sa joie de vivre, et lui, il était très sérieux.
32:52 C'était un grand bourgeois, il disait
32:54 "Ma joie de vivre, mon énergie,
32:57 c'est beaucoup d'entraînement, c'est athétique."
33:00 Et c'est une volonté.
33:03 Et c'est vrai que c'est ça la philosophie de l'histoire,
33:06 c'est qu'il ne suffit pas d'aimer la joie de vivre,
33:10 il faut vouloir la joie de vivre.
33:12 Il faut vouloir.
33:14 Sinon, c'est la tristesse.
33:17 - On dit, c'est la formule d'ailleurs, je sais plus de qui elle est,
33:21 parce qu'elle est attribuée à plusieurs personnes,
33:23 mais que c'est la politesse du désespoir.
33:25 Vous êtes arrivé d'être désespéré ?
33:27 - Mais oui ! Tous les jours un peu, je tombe au fond d'un trou.
33:30 Les jours où je ne tombe pas, c'est de belles journées,
33:33 mais je me relève.
33:36 J'ai fréquenté des gens qui ont vécu des drames affreux dans leur vie,
33:40 pendant la Seconde Guerre mondiale notamment,
33:43 et j'ai été très très admiratif de la joie de vivre
33:48 qu'ils ont quand même retrouvé après, malgré tout.
33:52 Et je suis toujours admiratif, j'ai travaillé très très longtemps
33:56 côte à côte avec Cabu, qui avait une énergie, un enthousiasme formidable,
34:01 et une profonde mélancolie.
34:03 Wolinski aussi.
34:05 Et on a tous des raisons, d'abord parce qu'on va mourir,
34:09 et c'est insupportable comme idée.
34:11 On pourrait se mettre dans un coin et pleurnicher,
34:14 parce que c'est la faute à la société, si j'ai mal aux dents.
34:18 Mais c'est pas ça la vie.
34:21 La vie c'est l'Ubermensch, c'est savoir rire,
34:25 savoir danser avec sa douleur, autant qu'il est possible,
34:29 et faire preuve d'une espèce de vaillance,
34:32 dans les domaines où on sait le faire.
34:35 Moi c'est plutôt l'écriture, et faire preuve d'une énergie,
34:39 pour emmener les gens dans un endroit où on a l'impression de vivre intensément.
34:45 On va essayer de vivre intensément la dernière partie de cette émission.
34:49 On se retrouve après une courte pause sur Sud Radio,
34:52 en toute vérité, toujours avec Philippe Valle.
34:54 À tout de suite.
34:55 En toute vérité, 11h30 sur Sud Radio, Alexandre Desvecqueux.
34:59 Nous sommes de retour sur Sud Radio avec Philippe Valle,
35:02 essayiste, journaliste, ancien directeur de Charlie Hebdo et de France Inter.
35:05 Il vient nous parler de son livre "Rire" qui vient de paraître aux éditions de l'Observatoire.
35:11 On essaie de parler du rire dans cette époque tragique,
35:14 depuis le début de l'émission.
35:18 Vous avez vécu des tragédies personnelles.
35:23 Le drame de Charlie Hebdo, même si vous n'étiez pas à la rédaction à ce moment-là,
35:28 je pense que vous avez été impacté indirectement.
35:31 Vous vivez aujourd'hui sous protection policière,
35:34 et vous n'êtes jamais arrivé de vous dire "j'arrête de rire justement, j'ai perdu mon sens de l'humour".
35:42 Il y a des moments où on le perd.
35:45 Mais...
35:47 Ou j'ai été trop loin aussi dans la provoque et ça valait pas le coup.
35:53 Non, c'est ce que je disais tout à l'heure, si c'est bon, non ?
35:56 Si ça a bien fait marrer sur le coup, je regrette pas, non.
35:58 Si je ne l'ai pas fait marrer, c'était ringard ou c'était un peu nul,
36:01 je dis "merde, j'aurais mieux fait de faire rire de ma gueule".
36:04 Mais si la blague était...
36:06 Je vois ça en discutant avec mes copains, ou mes copines et mes copains.
36:11 On a quand même des putains d'éclats de rire, heureusement, avec des choses horribles.
36:17 Mais de quoi peut-on rire si on ne rit pas avec les choses horribles ?
36:22 On est bien obligé de rire avec les choses horribles.
36:24 C'est d'ailleurs grâce à ça qu'on finit par s'en libérer.
36:28 Après, ce qui nous arrive et qui nous marque, ça nous marque.
36:33 On fait avec. Je cauchemarde encore.
36:37 Je rêve souvent de cabus, de vols.
36:40 Ça nous hante, bien sûr que ça nous hante, mais on vit avec ça,
36:48 on est constitué par ça, la vie est tragique.
36:51 Mais la tragédie, il y a quelque chose de...
36:56 C'est un matériau, c'est horrible à dire, mais c'est un matériau avec lequel on fait des...
37:00 - Qu'il faut sublimer. - Homer, il dit ça, il dit dans l'Iliade,
37:05 l'Odyssée, c'est un truc formidable, mais déjà dans l'Iliade, il dit
37:08 "Les dieux nous font vivre des tragédies pour que les poètes de l'avenir aient quelque chose à chanter".
37:12 Mais ça veut dire aussi pour que les comiques de l'avenir aient quelque chose pour nous faire rire,
37:16 parce que c'est la même chose, évidemment.
37:18 Et voilà, on est humain, trop humain,
37:25 et on fait avec ce qu'on peut, on fait avec la mort,
37:29 c'est-à-dire avec l'impossible. Je pense que vivre, c'est héroïque.
37:33 Et que plus une personne a la capacité de nous donner du plaisir,
37:42 de nous faire marrer, plus elle est admirable.
37:45 Et c'est comme ça qu'on sauve le monde.
37:48 A chaque fois, c'est comme ça qu'on sauve le monde.
37:50 C'est avec un éclair de plaisir, un éclair de rire,
37:54 qui nous permet de repenser quelque chose, d'avoir le courage d'être en colère
37:59 contre une connerie, et d'avoir le talent d'en parler,
38:04 de faire des métiers comme les nôtres, qui sont des métiers où on doit réagir aux choses,
38:09 sinon on se dit "à quoi bon ?"
38:12 Mais on a le droit, hein ?
38:14 - La société, peut-être anesthésie, apathie, justement aujourd'hui,
38:19 j'ai essayé de vous faire parler plusieurs fois des tragédies de la vie,
38:24 vous en avez parlé, mais jamais sous un mode victimaire,
38:28 avec beaucoup de pudeur, vous aviez du mal à en parler.
38:31 Est-ce que l'époque est justement à la victimisation permanente,
38:34 et est-ce que c'est pour ça qu'on a du mal à rire,
38:37 parce qu'on est dans la susceptibilité absolue ?
38:41 - Par exemple, j'ai subi des trucs, suite à des affaires,
38:46 et même suite aux attentats de Charlie, des choses très désagréables.
38:51 Je peux être la victime de quelqu'un, de personnes qui s'en prennent à moi,
38:58 je suis sa victime, mais je ne suis pas victime.
39:01 Je ne veux pas me vivre comme une victime, d'abord je ne mérite pas ce statut-là,
39:07 parce que je vis plutôt bien,
39:09 et je pense qu'endosser le statut de victime,
39:17 c'est le plus court chemin pour aller d'un ratage à un autre.
39:22 C'est une vie ratée.
39:24 Donc cette société victimaire, qui est une culture sociologique,
39:30 qui s'est développée très fort dans notre société intellectuelle,
39:34 après la seconde guerre mondiale,
39:37 qui a produit une université victimaire,
39:42 qui développe une philosophie victimaire,
39:44 Sartre a fait beaucoup de mal, sans doute, de ce point de vue-là.
39:48 Et ensuite le HESS, les études en sciences sociales,
39:53 a été quand même un nid de plurnichards absolument obscènes,
39:57 vraiment obscènes,
39:59 qui ne dit pas aux gens la façon dont chacun doit rendre sa vie digne, si possible,
40:11 et dont quelques valeurs, comme la vaillance et le courage,
40:16 sont toujours détestées, méprisées, supposées réactionnaires,
40:22 ce qui est fou, c'est la seule chose qu'on ait.
40:27 Donc on a vu l'Académie Nobel couronner Annie Ernaux,
40:33 quand j'ai vu ça, les bras me sont tombés,
40:35 je n'ai rien contre Annie Ernaux, mais Nobel !
40:37 Je suis quelqu'un qui, au moment du 11 septembre,
40:41 dit "Ah quand même, ça fait plaisir de voir l'Amérique s'en prend plein la gueule".
40:45 En gros, elle écrit ça dans son livre, c'est insupportable !
40:49 Que cette femme t'igole sur l'augmentation du prix du sopalin,
40:54 alors qu'elle est bourrée de pognon maintenant,
40:56 et dire finalement que les riches c'est toujours des salauds,
41:02 les pauvres c'est toujours des gens bien,
41:04 mais elle, elle est très riche, mais c'est pas une salope,
41:06 parce qu'elle renie son camp.
41:08 Il faut continuer à pleurnicher, mais pleurnicher, c'est pas possible.
41:14 Il faut pas faire ça.
41:16 C'est étonnant comme les gens qui font profession d'une gentillesse universelle,
41:24 alors je suis gentil, puisque je ne parle que des faibles, des misérables,
41:28 je suis Christiane Taubira, je suis Ernie Ernaux, je suis Jean-Luc Mélenchon,
41:34 comme les gentils sont méchants, c'est quand même infiniment méchant.
41:38 Ils ont une haine de tout ce qui n'est pas eux.
41:41 Je pense que la tristesse, elle vient aussi du fait qu'on encourage les gens
41:45 à avoir une identité, l'identité de pauvre, identité religieuse,
41:51 identité sexuelle, identité d'origine, d'âge, de poids, etc.
41:57 Et plus on a d'identité, moins on a de liberté, on est prisonnier de l'identité.
42:03 Je pense que la propagande pour l'identité, c'est la propagande pour la vie ratée,
42:10 pour la tristesse, on est prisonnier de ça, et l'identité est toujours malheureuse.
42:17 L'identité, c'est quelque chose, de toute façon on en a une,
42:21 parce qu'on parle une langue, parce qu'on vient de ceci, cela,
42:24 mais on ne doit pas y penser, ça nous traverse.
42:27 Vous savez, il y a un des musiciens pianistes que j'adore, c'est Michelangeli,
42:31 un très très grand pianiste, et il était de caractère très difficile,
42:36 et il disait à ses élèves qu'il ne fallait pas être, il fallait être traversé.
42:44 Plus vous mettez d'ego dans votre interprétation, plus c'est de la merde.
42:48 Il disait "vous devez être traversé par la musique".
42:50 Et bien on est traversé par notre identité, mais on n'a pas à y penser.
42:54 Si on y pense, c'est comme le style quand on écrit, si on y pense trop,
42:59 c'est illisible, c'est narcissique.
43:01 - C'est ce qui disait "le meilleur style c'est celui qui ne se voit pas".
43:04 - C'est celui qui ne se voit pas, bien sûr. Il faut être lisible.
43:08 Après, c'est malgré nous qu'on a un style, ça nous échappe.
43:12 Je pense qu'il faut laisser ce qui nous échappe nous échapper.
43:16 Si on pense à ce qui nous échappe, d'abord c'est comme le désir sexuel,
43:21 c'est foutu, on va droit à l'échec.
43:24 Donc moins on pense, mieux ça vaut.
43:27 Un des philosophes que je cite et que j'aimais beaucoup,
43:31 Clément Rosset, qui alas nous a quittés un peu trop tôt,
43:36 Clément, dans un livre très beau, qui s'appelle "Loin de moi",
43:40 il parle de l'identité, il dit "Moins je me connais, mieux je me porte".
43:44 Et ça, c'est formidable.
43:46 Je ne sais pas d'où je viens, je ne sais pas où je vais,
43:49 mais je ne sais pas pourquoi je suis aussi joyeux.
43:51 - En même temps, est-ce qu'il n'y a pas aussi un besoin d'identité,
43:56 mais d'identité culturelle ?
43:58 La gauche victimaire que vous dénoncez,
44:02 elle n'a qu'un seul mot à la bouche, c'est "déconstruction".
44:05 Votre livre, je ne sais pas si c'est le mot "identité",
44:08 mais ce qu'on comprend, c'est que le rire, que Rabelais, que Voltaire
44:12 font partie de l'identité française,
44:15 et que c'est un héritage qu'on peut transmettre,
44:18 d'ailleurs à des personnes venant de communautés d'origine différente.
44:23 - D'ailleurs, les grands livres de notre culture
44:29 ne sont pas tous européens.
44:31 Il y a les clous japonais, il y a les milieux du Nuin, il y a l'arabe.
44:35 Mais notre identité, oui bien sûr, on a cette identité culturelle,
44:43 mais ce n'est pas une identité tellement de mœurs,
44:48 c'est une identité de savoir.
44:50 Ce n'est pas une identité de coutume, c'est une identité de science aussi.
44:54 Le problème, c'est qu'à partir de Lévi-Strauss,
44:59 il y a une confusion sur le mot "culture".
45:04 Soit c'est l'apprentissage de savoir,
45:07 soit c'est "je suis soumis à des mœurs et des coutumes".
45:10 Or l'un est presque antinomique de l'autre.
45:14 Il faudrait se remettre d'accord sur le sens du mot "culture".
45:17 Après, la culture, pareil, elle nous traverse et on aime.
45:21 Moi, j'aime la culture européenne profondément,
45:24 parce que justement, elle est faite de tellement de choses bizarres,
45:27 étranges, intelligentes et sensibles,
45:31 avec toujours au fond le souci de l'autre.
45:34 C'est ça qui différencie la culture européenne des autres.
45:37 Merci Philippe Ball, c'était passionnant cette émission.
45:41 On a pu rire, parler de culture,
45:44 parler de la vie aussi.
45:47 La vie, ce n'est pas seulement pleurnicher,
45:49 je crois que c'est ce qu'on peut retenir de cette émission.
45:52 Je vous laisse avec les informations et on se retrouve la semaine prochaine
45:55 pour un nouveau numéro d'En Toute Vérité.