Sonia Devillers reçoit Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier Ministre, envoyé spécial du Président de la République en Chine et Président de l’ONG "Leaders pour la Paix". Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-22-mai-2024-7246373
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00:00 Bonjour Jean-Pierre Raffarin. Bonjour et bonjour à tous.
00:02 Traditionnellement, la Nouvelle-Calédonie est l'affaire du Premier ministre français.
00:06 Elle était depuis une poignée d'années celle du ministre de l'Intérieur.
00:09 Après six morts, malheureusement, Emmanuel Macron a décidé de s'y rendre en personne.
00:13 Le président de la République a-t-il raison de faire ce choix ?
00:16 Je pense que comme c'est lui qui peut décider éventuellement d'un report du Congrès,
00:21 c'est lui qui a la clé du sujet qui est le sujet un peu névralgique de cette affaire,
00:28 je pense que c'est normal qu'il soit impliqué.
00:30 Mais naturellement c'est toujours risqué quand le président monte en première ligne.
00:34 Figurez-vous qu'on a inventé le Premier ministre dans cette République où les gaullistes avaient pensé à tout.
00:40 C'est-à-dire que ce pays est souverainiste, il veut un grand chef,
00:44 mais il est aussi régicide et veut couper la tête.
00:47 Mais alors on coupe la tête du Premier ministre dans notre Vème République.
00:50 Et là naturellement on expose le président.
00:51 Donc à chaque fois que le président s'expose, je suis toujours préoccupé.
00:55 Il n'empêche que là, c'est lui qui a la clé en main parce qu'il s'agit de savoir comment on va négocier
01:00 et de savoir notamment si on va tenir ce Congrès qui doit réformer les conditions de l'élection.
01:04 Même la maire de Nouméa, Sonia Lagarde, pourtant loyaliste et soutien d'Emmanuel Macron,
01:09 demande à ce que surtout le président ne convoque pas le Congrès à Versailles.
01:13 Pas maintenant, pas sur des braises aussi chaudes.
01:17 Écoutez, si le président va sur place, c'est aussi pour discuter, pour négocier, pour essayer d'apaiser la situation.
01:24 Il est très important que la situation en Nouvelle-Caléonie soit apaisée.
01:28 D'abord pour nos compatriotes.
01:29 La violence n'est jamais une solution et il y a beaucoup de gens qui souffrent.
01:32 Mais c'est un enjeu politique.
01:35 Tout se passe aujourd'hui dans l'Indo-Pacifique et la place de la France en Nouvelle-Caléonie fait beaucoup d'envieux.
01:40 Et beaucoup de gens, on a parlé tout à l'heure de la Chine, mais aussi la Nouvelle-Zélande, l'Azerbaïdjan.
01:46 Ce pays qui s'en veut tant à l'Arménie, notre pays ami, notre démocratie.
01:49 L'Azerbaïdjan, qu'est-ce qu'il va faire là-bas ?
01:51 Et donc on voit bien qu'il y a des enjeux terribles sur cette situation.
01:54 Et donc plus il y a de pagaille, plus ça sert les intérêts des autres et moins ça sert la France.
01:59 Alors hier, Marion Maréchal-Le Pen a déclaré, je la cite, que la Nouvelle-Calédonie devait rester française.
02:04 Faute de quoi elle sombrerait dans l'orbite chinoise.
02:07 Emmanuel Macron pense peu ou prou la même chose.
02:10 Si la France lâche la Nouvelle-Calédonie, la Chine va mettre la main dessus.
02:14 Et vous, vous pensez la même chose ?
02:15 Je pense la Chine ou d'autres, puisque les convoitises sont très nombreuses.
02:19 Le ministre a accusé l'Azerbaïdjan. On voit bien que les Australiens sont très attentifs.
02:24 On n'a pas oublié quand même l'affaire des sous-marins.
02:27 Donc on n'a pas que des amis là-bas, même si de temps en temps il y a de bonnes relations.
02:31 Donc je crains surtout si la France devait se retirer, que ce soit une grande pagaille,
02:35 parce que tout le monde voudrait le nickel, mais tout le monde voudrait aussi la position stratégique.
02:39 On comprend bien aujourd'hui que la Chine envisage la puissance dans le monde
02:43 à partir de cette base du pacifique et la résistance d'où vient-elle.
02:47 Elle vient notamment de l'Inde et c'est l'indo-pacifisme qui est aujourd'hui une stratégie pour les Etats-Unis.
02:52 Et c'est aussi une stratégie pour la France,
02:54 même si on n'a pas la même position que les Américains tout à fait sur ce sujet.
02:58 Mais par exemple, les Indiens ont accès à toutes nos bases militaires,
03:01 ce qui est quelque chose de très important.
03:03 Donc dans cette situation extrêmement complexe, la Nouvelle-Calédonie est très stratégique.
03:07 Donc si la France partait, je pense que les convoitises s'affronteraient.
03:11 La France interdit, Yael vient de nous en parler, c'est la première fois,
03:14 le réseau social TikTok sur une partie de son territoire,
03:17 accusant le réseau de favoriser la propagation de la violence en Nouvelle-Calédonie.
03:20 TikTok est un réseau chinois.
03:22 Qu'en pensez-vous Jean-Pierre Raffarin ?
03:24 Je pense qu'il faut être très vigilant,
03:25 mais j'ai cru comprendre que ce n'était pas la Chine qui était l'argument dans cette affaire.
03:29 Donc il est clair que TikTok, les Etats-Unis ont pris des mesures contre TikTok.
03:34 Nous sommes dans une tension extraordinaire entre la Chine et les Etats-Unis.
03:38 La gouvernance mondiale aujourd'hui est gouvernée par cette tension entre la Chine et les Etats-Unis.
03:42 Avec des propagandes très très fortes des deux côtés.
03:45 Et nous sommes au milieu en permanence, puisque nous sommes alliés des Américains,
03:49 mais nous ne voulons pas être alignés.
03:50 Et nos entreprises dépendent en grande partie de la croissance chinoise et de ce marché chinois.
03:54 Donc on est dans une situation qui est assez difficile dans cette compétition des choix.
03:58 Donc TikTok, c'est clairement une arme au service de la Chine.
04:01 C'est aussi naturellement un réseau d'information.
04:03 Vous parlez d'arme Jean-Pierre Raffarin ?
04:05 Oui, puisqu'on est dans des batailles culturelles, des batailles de soft power.
04:09 Des batailles informationnelles.
04:10 Donc tout ceci aujourd'hui fait partie de ces nouvelles guerres qui ne sont pas des guerres froides,
04:15 qui sont peut-être des guerres tièdes.
04:16 Mais on voit bien qu'aujourd'hui le monde est extraordinairement dangereux.
04:19 Mais c'est la tension entre la Chine et les Etats-Unis qui est l'axe central des déséquilibres du monde.
04:24 Sauf que vous Jean-Pierre Raffarin, vous ne cessez de répéter que la Chine est un pays de paix.
04:28 Que la particularité de la Chine, c'est de ne pas mener de guerre en dehors de ses frontières.
04:33 Je ne répète pas ça comme ça avec...
04:34 Vous l'avez dit récemment sur la chaîne chinoise CGTN.
04:37 J'ai regardé la séquence.
04:38 Oui, oui, non mais je ne dis pas avec ce ton madame.
04:41 Je parle avec beaucoup plus de prudence.
04:43 Je représente le président de la République.
04:44 C'est vrai.
04:45 Vous avez sur votre antenne reçu M. Glucksmann qui m'a attaqué.
04:48 C'est amusant d'ailleurs parce que le jour où il m'a attaqué chez vous,
04:51 pour me dire que je servais les intérêts de la Chine,
04:53 j'étais avec les producteurs de cognac chez le ministre justement chinois à Pékin pour défendre le cognac.
04:58 Et puis la récidive est sur une autre antenne.
05:00 Et ce jour-là, j'étais aussi avec 90 professionnels de l'automobile au salon de Pékin.
05:05 Pourquoi je fais ça ?
05:06 Parce que d'abord le président de la République me l'a demandé.
05:08 Comme les quatre présidents de la République me l'ont justement demandé.
05:12 Je suis allé avec Chirac, avec Sarkozy, avec Hollande et avec Macron.
05:16 J'ai une mission, j'ai accompagné plus de 1000 entreprises pendant toutes ces périodes.
05:21 Et je dois vous le dire clairement, ici à France Inter,
05:24 dites-le, je n'ai aucun salaire, ni des entreprises chinoises, ni des autorités chinoises.
05:29 Figurez-vous que je suis bénévole.
05:30 Vous savez, vous avez quelqu'un qui a fait 50 ans de politique
05:34 sans jamais avoir un juge d'instruction pour s'occuper de ses affaires.
05:38 Ce n'est pas maintenant, après 50 ans, que je vais franchir les lignes rouges.
05:42 Je m'occupe des intérêts de mon pays et je suis très heureux de pouvoir le faire.
05:46 Et je vais vous dire une confidence.
05:49 Il y a des choses dont on parle, je vous parle des entreprises,
05:52 mais il y a des choses dont on ne peut pas parler.
05:53 Et je vais vous dire quand même.
05:55 Savez-vous que j'ai permis à plusieurs de nos compatriotes de sortir de prison ?
06:00 Je suis obligé de le dire quand je reçois de telles attaques.
06:02 Mais en général, dans ce travail diplomatique, on n'en parle pas.
06:05 Mais plusieurs Français ont été condamnés en Chine
06:08 pour des sujets qui ne paraissaient pas aussi importants que les sanctions qu'ils avaient.
06:13 Et je suis allé au plus haut niveau de la République négocier leur retour en France.
06:18 Et donc j'ai des actions comme ça.
06:19 Et je suis prêt à faire en tête à tête, avec quiconque, le bilan de tout ce que j'ai fait.
06:24 Et je vais vous dire, je suis fier de pouvoir servir mon pays de manière bénévole.
06:30 Bénévole, bénévole.
06:32 Voilà, je souhaite que beaucoup de gens suivent mon exemple.
06:35 Alors, je ne pense pas que Raphaël Glucksmann, qui est candidat aux européennes PS-Pelasmini,
06:38 C'est pour ça sans doute qu'il fait quelques dérapages.
06:40 ne vous ait, pour des questions politiques, en tout cas à cette antenne et à ce micro,
06:45 il ne vous a pas accusé ni de corruption.
06:48 Non, mais il dit qu'on est acheté.
06:50 Il dit que le président de la République a tort de m'emmener dans ses voyages.
06:55 Les quatre présidents l'ont fait.
06:57 Vous savez ce qui s'est passé.
06:58 Un jour, il y avait le SRAS, j'ai raconté.
07:00 Le jour où Raphaël Glucksmann était à ce micro, Jean-Pierre Raffarin, Valérie Ayer
07:03 était à un autre micro, le même jour, en même temps.
07:06 Et on l'a entendu dire, on a été trop naïfs avec la Chine pendant trop longtemps.
07:10 Sur les Ouïghours, quand on parle d'internement, quand on parle de stérilisation forcée,
07:13 quand on parle d'effacement de la langue et de culture, on peut penser qu'il s'agit d'un génocide.
07:17 C'est la candidate que vous soutenez, Jean-Pierre Raffarin, pour les européennes.
07:22 Vous acquiescez quand elle dit ça au micro ?
07:24 Ce n'est pas la diplomatie française.
07:25 Moi, je suis un responsable politique.
07:27 Je défends la diplomatie française.
07:30 Je fais toujours attention à l'étranger, à être en cohérence avec la diplomatie française.
07:35 Je n'ai jamais fait en 50 ans quelque chose qui m'aurait été reproché par l'État.
07:39 Je défends la diplomatie française.
07:41 Madame Ayer, sur ce sujet, beaucoup de gens disent ça.
07:44 Moi, je condamne ce qui se passe sur les Ouïghours.
07:46 Je n'approuve pas du tout la situation politique de la Chine.
07:48 Vous croyez que j'ai la tête d'un communiste ?
07:50 Est-ce que j'ai été communiste ? Est-ce que je serai communiste ?
07:52 Mais jamais ! Mais jamais !
07:54 Mais je vois ce marché, un milliard, 4, Giscard, Chirac,
07:57 tous ont pensé qu'il fallait parler avec la Chine.
08:00 Donc, naturellement, je ne défends pas les Ouïghours.
08:01 Je ne défends pas tout ce qui se passe, que je condamne.
08:05 Ce que je dis simplement, c'est que par exemple,
08:06 le mot « génocide », il n'est pas employé par la diplomatie française.
08:09 Moi, je suis un responsable politique.
08:11 J'ai fait de la politique à un relativement haut niveau.
08:14 Et donc, je ne dérape jamais par rapport aux lignes de notre diplomatie.
08:17 Donc, ce mot-là, je ne l'emploie pas parce qu'il n'est pas employé par la diplomatie.
08:21 Si la diplomatie française l'employait, je n'aurais aucun problème.
08:24 Mais je ne suis pas un franc-tireur qui va dans tous les coins sans savoir où aller.
08:28 Je respecte mon État.
08:30 - C'est la fin de cette interview.
08:32 J'avais mille questions à vous poser sur les européennes.
08:34 Vous reviendrez.
08:34 - Mais vous savez, je suis venu dans le passé très souvent ici.
08:36 Je suis à votre disposition.
08:38 - Merci. Merci à vous.