• il y a 7 mois
Le 13/14 reçoit aujourd'hui, lundi 13 mai 2024, Véronique Béchu, commandante de police et cheffe du pôle stratégique de l'Office des Mineurs pour son livre "Derrière l'écran" paru aux Editions Stock.

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Transcription
00:00France en terre, le 13-14, Jérôme Cadet.
00:06Bonjour Véronique Béchu, bonjour Jérôme Cadet, merci d'être avec nous dans ce 13-14,
00:11vous êtes commandante de police, vous dirigez le pôle stratégie de l'OFMIN, c'est l'Office
00:16des mineurs qui a été créé à l'automne dernier, vous luttez notamment contre les
00:20réseaux pédocriminels et vous publiez un livre qui s'intitule « Derrière l'écran
00:25c'est aux éditions stocks », vous y retracez 20 années de votre vie, dédiée à la lutte
00:30contre les violences faites aux enfants, les enquêtes que vous avez menées, c'est un
00:33livre éprouvant à lire, je le dis, mais qui est aussi essentiel, je dis essentiel
00:38parce que vous y réclamez un sursaut pour qu'on prenne conscience du fléau que représente
00:43la pédocriminalité en ligne qui a explosé, dites-vous, ces dernières années, on en
00:48parle ensemble, on en parle aussi avec les auditeurs d'Inter qui vous sollicitent,
00:51qui posent leurs questions 0145 24 7000, qui le font aussi via l'application France Inter,
00:57pour commencer Véronique Béchu, il faut dire l'ampleur du phénomène, 160 000 enfants
01:03victimes d'incestes chaque année en France, un enfant victime de violences sexuelles toutes
01:07les 3 minutes, toutes les 3 minutes, vous parlez d'un tsunami, et vous, vous avez été
01:12confrontée, vous êtes confrontée à ce tsunami ?
01:14Ah oui, alors je suis confrontée quotidiennement à ce tsunami, les chiffres que vous donnez
01:19ne sont pas les miens, ce sont ceux de la CIVIS, dont je suis membre depuis sa création
01:25en 2020, donc c'est des chiffres que je vois au quotidien, puisque actuellement, au sein
01:31de l'office mineur qui a été créé en septembre dernier, nous pourrions ouvrir
01:36870 enquêtes par jour, pour des faits de violences sexuelles sur des enfants, et des
01:44violences que l'on détecte notamment en ligne.
01:47Et vous avez vu le nombre de ces plaintes, le nombre de ces dossiers exploser ces dernières
01:52années ?
01:53Oui, alors il y a eu clairement, et ce n'est pas juste pour la France, c'est tous les
01:58pays du monde, tous les pays d'Europe, qui le disent, le COVID, il y a eu vraiment une
02:03césure avant et après COVID.
02:05Beaucoup de pédocriminels se sont, je dirais, jetés sur internet au cours du COVID, puisque
02:13confinés.
02:14Beaucoup d'enfants sont restés seuls.
02:16Beaucoup d'enfants sont restés seuls.
02:17Avec leurs écrans sans contrôle.
02:18Exactement.
02:19Avec des parents dans la pièce d'à côté, qui eux-mêmes étaient sur leurs écrans
02:23pour travailler, qui ne faisaient pas forcément attention à ce que faisaient leurs enfants
02:27en ligne.
02:28Et donc là, ça a été vraiment le terrain de chasse des pédocriminels au cours du confinement.
02:34Les confinements qui ont pu aussi favoriser les violences sexuelles intrafamiliales ?
02:37Exactement, et c'est raison pour laquelle nous avions à l'époque créé un avatar
02:43dans le jeu Fortnite, pour que les enfants confinés puissent, au travers des jeux en
02:47ligne, dont ils sont friands, pouvoir dénoncer les violences sexuelles dont ils étaient
02:51victimes.
02:52Quels sont les auteurs de ces violences sexuelles ? Compte tenu de l'ampleur du phénomène,
02:58est-ce qu'il existe un profil type ? Ou bien c'est tout le monde ? C'est monsieur
03:01et madame tout le monde ? C'est plutôt monsieur tout le monde d'ailleurs ?
03:03Alors c'est très clairement monsieur tout le monde.
03:06Plus de 90% ce sont des hommes.
03:08C'est une violence sur les enfants de genre.
03:11Clairement c'est une violence masculine.
03:13Il existe des femmes qui abusent d'enfants mais elles ne captent pas les images, elles
03:17ne les diffusent pas.
03:18Alors pour le profil, il n'y a pas d'âge.
03:20Ça peut être des personnes vraiment de très jeunes majeures et des personnes âgées.
03:25Moi je me souviens de ma garde à vue où l'homme avait 84 ans, c'était mon pédocriminel
03:35le plus âgé que j'ai eu en garde à vue.
03:37Après il n'y a pas de milieu socio-culturel, il n'y a pas de milieu socio-professionnel.
03:42C'est vraiment tout le monde.
03:45Ça peut être votre boucher, ça peut être votre voisin dans le métro, ça peut être
03:49votre voisin de bureau, ça peut être un ami et ça peut être un membre de votre famille.
03:55Ça peut être tout le monde dites-vous Véronique Béchu.
03:58Vous écoutez les victimes, certaines sont très jeunes, 3, 4 ans.
04:02Vous visionnez les vidéos souvent parce qu'il faut revoir et revoir ces vidéos.
04:08Est-ce qu'après tout cela, vous avez encore foi en l'être humain ?
04:13Encore heureux parce que c'est un prisme de la société.
04:17Alors évidemment il est déformant, il peut être impactant pour les enquêteurs.
04:20Mais je pense que si on fait encore ce métier maintenant, c'est qu'on croit en l'être
04:25humain et qu'on sait que l'action qu'on peut mener nous sur cette part d'humanité
04:31peut avoir des répercussions et on est là pour donner un peu d'espoir à la société, heureusement.
04:37Oui, ça donne de l'espoir de vous entendre dire ça aussi parce que moi en lisant votre
04:40livre, je me suis dit qu'elle est confrontée au pire de la nature humaine mais le pire
04:45peut être aussi banal et concerner énormément de gens.
04:49C'est justement ça qu'il faut retenir, c'est qu'il ne faut pas se dire que ça
04:52ne peut arriver qu'aux autres, qu'aux enfants des autres et notamment Internet produit ça.
04:58Ça peut arriver à son propre enfant et en fait il faut le savoir et il faut être
05:02prêt à pouvoir à la fois recueillir sa parole si l'enfant souhaite parler et aussi
05:07le prévenir et le sensibiliser au danger qu'il a quand il se met en scène sur Internet.
05:16Quel conseil on peut donner aux parents justement de ce point de vue-là ?
05:19C'est simple, c'est premièrement la communication avec son enfant.
05:24Si on ne se sent pas à l'aise, demandez à d'autres qui le sont de communiquer.
05:28Quand on confie un support numérique à un enfant, on ne le confie pas comme ça, il
05:33faut lui apprendre à s'en servir en toute sécurité.
05:36Quand on ne sait pas faire en tant que parent, on apprend à le faire dans un premier temps
05:41et ensuite on éduque son enfant à l'utilisation du numérique en toute sécurité.
05:46Il y a des plateformes qui aident à ça, vous avez jeprotègemonenfant.fr qui est
05:51une excellente plateforme et puis vous avez des tutos en ligne.
05:55En tout cas, les enfants ne doivent pas être sur les réseaux sociaux avec des profils
05:59en mode public, il faut impérativement qu'ils soient paramétrés en privé, ils doivent
06:04apprendre à ne pas envoyer de photos d'eux-mêmes, ils ne doivent pas donner de renseignements
06:09privés à leur lieu d'école, leur lieu de vie, où ils pratiquent leurs activités
06:14extrascolaires etc.
06:16Et puis encore une fois, si jamais on sollicite des contenus pédocriminels de leur part,
06:24ils ont le droit d'envoyer.
06:25C'est ça aussi qui est important, il ne faut pas juger un enfant qui va envoyer une
06:29image de lui sexualisée, il faut juste lui expliquer que si on le sollicite et qu'il
06:35a envie de l'envoyer, il faut qu'il réfléchisse avant de le faire.
06:38Parce qu'une fois l'image envoyée, il n'en aura plus le contrôle, il ne saura
06:41pas où elle va arriver.
06:43Vous dressez le tableau de la pédocriminalité aujourd'hui telle qu'elle existe dans
06:47ce livre, Véronique Béchut, pour qu'on l'entende.
06:50Mais moi j'ai le sentiment qu'autour de vous, on ne veut pas entendre, nous la société
06:54on ne veut pas vous entendre, c'est aussi le constat que vous faites.
06:57C'est très vrai, c'est très vrai parce qu'à la fois c'est très vrai, à la fois
07:02ça me dérange.
07:03Parce que c'est terrible d'entendre quelqu'un qui dit « ça peut être Monsieur Tout-le-Monde ».
07:05Oui, ça me dérange parce que j'ai l'habitude de dire « la peur n'évite pas le danger ».
07:10Et justement, si on est sensibilisé au danger, il y aura peut-être un moins de peur et deux
07:17moins de passage à l'acte.
07:18Et donc oui, c'est inaudible, c'est compliqué, c'est difficile, c'est inentendable.
07:23On a l'impression que ce n'est pas la société dans laquelle on veut vivre mais
07:27en fait c'est la société dans laquelle on vit.
07:30Et donc il faut faire avec et il faut aider nos enfants à être en sécurité dans cette
07:36société-là.
07:37La conséquence de ce silence peut-être autour de vous, qui luttez contre cette pédocriminalité,
07:44n'est-ce pas les moyens qui vous sont alloués, 18 personnes ?
07:47Alors ça c'était dans mon ancienne unité.
07:49Dans votre ancienne unité.
07:50Voilà, depuis il y a eu la création de l'Office Mayor.
07:54Mais c'est peu par rapport à ce que font d'autres pays ?
07:56Bien évidemment, bien évidemment c'est peu mais on a bien conscience qu'on ne crée
08:01pas un tel service avec des spécialités, avec des enquêteurs qui sont dédiés à
08:08l'exploitation sexuelle des mineurs en un claquement de doigts parce que c'est long
08:13à former et il faut que les enquêteurs soient sélectionnés.
08:17On ne choisit pas ce type de service comme n'importe quel autre service.
08:22Et donc oui, on essaye de, pas à pas, d'avoir de nombreux moyens.
08:29Le nombre finalement devrait être 85 en 2025, donc déjà c'est une grande marche
08:34en avant.
08:35Vous retracez dans ce livre, derrière l'écran, quelques-unes des enquêtes que vous avez
08:39menées.
08:40Je voudrais que vous nous parliez d'une enquête qui remonte à 2016, des policiers
08:43néo-zélandais vous envoient, je crois que c'est la première enquête que vous relatez
08:46dans le livre, ces policiers néo-zélandais vous envoient la photo d'une petite fille,
08:50photo qui a été retrouvée dans l'ordinateur d'un pédocriminel qu'ils viennent d'arrêter.
08:54Eux sont persuadés que cette photo a été prise en France et vous, vous allez retrouver
08:59cette petite fille.
09:00Est-ce que vous pouvez, Véronique Béchu, nous raconter cette enquête ?
09:02Oui, un matin j'arrive au bureau et je vois un mail d'un collègue néo-zélandais avec
09:07lequel je travaillais qui me dit « j'ai trouvé cette image qui était inconnue jusqu'à
09:11présent des bases d'Interpol, d'Europol et je pense vraiment que cette petite fille
09:17doit être française ». Et il a cette sensation parce que derrière la petite fille qui est
09:23en position sexuelle dans la salle de bain, il y a un baril de lessive et sur l'étiquette
09:29du baril, il y a un drapeau français.
09:31Et donc, c'est ce qui lui fait dire qu'elle est française mais pour moi, je n'avais
09:37aucun autre élément.
09:38Et donc, je vais tirer ce petit fil, cette petite étiquette, je vais remonter à contre-courant
09:46parce que là, c'était vraiment très compliqué et quelques semaines plus tard, effectivement,
09:49je la localise, je l'identifie, je la localise dans un petit village en France et je vais
09:55aller l'entendre dans son école parce que pour moi, c'était le lieu où elle était
10:00le plus en sécurité, où elle avait le plus de confiance pour délivrer sa parole.
10:04Et donc, elle va me confier que c'est ses parents qui produisent ces images.
10:12Donc, j'avais des images à la fois dans la chambre et à la fois dans la salle de
10:15bain.
10:16Et puis, à force d'enquêtes, perquisitions, garde à vue, audition des parents, etc.,
10:24je me dis que ce n'est pas possible, ça ne colle pas.
10:25Et donc, je décide contre toute attente parce qu'en général, on entend une seule
10:31fois un enfant.
10:32On essaye de ne pas lui faire répéter ses déclarations.
10:36Donc, je la réentends et là, elle m'explique qu'en fait, c'est son babysitter qui profite
10:42du lever le matin parce que ses parents partent travailler très tôt.
10:45Pour l'agresser et faire des photos que l'on retrouve donc de par Internet à l'autre
10:53bout du monde.
10:54Ce qui pose la question de la parole de l'enfant qui, dans un premier temps, désigne ses
10:58parents.
10:59Oui, parce qu'un enfant, il faut toujours accueillir sa parole, il faut toujours lui
11:03faire sentir qu'on est là pour lui, il faut toujours lui dire qu'on croit dans
11:06ses déclarations, mais ça ne veut pas dire que c'est vraiment la réalité des choses
11:10commises.
11:11Un enfant peut minimiser, un enfant peut exagérer pour diverses raisons.
11:16Il est sujet à des sentiments contradictoires.
11:20Donc, il va vouloir protéger quelqu'un et en dénonçant quelqu'un d'autre, c'est
11:25très compliqué l'audition d'un enfant.
11:27Le babysitter de cette petite fille est donc en cause dans ce dossier et vous expliquez
11:31dans le livre que vous-même, à la même époque, avez un babysitter chez vous qui
11:35s'occupe de vos enfants.
11:36Je reviens à la question de la confiance.
11:37Vous avez dit que vous aviez toujours confiance en l'être humain et vous le glissez régulièrement
11:41dans le livre.
11:42Il nous reste une minute pour prendre la question de Patrick.
11:44Bonjour Patrick.
11:45Bonjour Monsieur Cadet, bonjour Madame.
11:47Nous vous écoutons Patrick, vous êtes à Tonon.
11:49Merci.
11:50Je suis à Tonon et je ne comprends pas que les crimes faits aux enfants ou aux femmes
11:54bénéficient d'une prescription.
11:56Question simple, question directe.
11:59Merci Patrick.
12:00Véronique Béchu.
12:01Alors, je comprends que vous ne compreniez pas Monsieur, mais c'est très compliqué
12:07aussi.
12:08Je le vois du point de vue de l'enquêteur.
12:11C'est toujours très compliqué de remonter des années après pour essayer d'étayer
12:18un dossier.
12:20On essaie de par nos enquêtes de donner une place quand même aux victimes dont les faits
12:28sont prescrits parce qu'elles ont, je le répète à chaque fois, un vrai rôle à
12:32jouer dans le cadre de ces enquêtes.
12:34Elles sont là pour éclairer sur le modus opérandi du prédateur sexuel.
12:38Elles sont là pour étayer les déclarations des victimes dont les faits ne sont pas prescrits.
12:43Et à chaque fois, elles en sont remerciées quand elles interviennent dans le cadre d'une
12:47enquête en tant que témoin ayant été victime des faits du même prédateur.
12:53Et ça c'est extrêmement important.
12:54Merci Véronique Béchu.
12:56Le livre s'appelle « Derrière l'écran » publié aux éditions Stock.
13:00Merci d'avoir accepté notre invitation.

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