• il y a 7 mois
Le 13/14 reçoit aujourd'hui, jeudi 16 mai 2024, Wilfried Fonk, secrétaire national UFAP-UNSA Justice et Anaïs Henneguelle, maîtresse de conférences à l'Université Paris Cité, spécialiste de l'économie et de la sociologie de la prison, après l'attaque meurtrière d'un fourgon pénitentiaire dans l'Eure le 14 mai 2024.

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Transcription
00:00Il y a l'émotion d'une profession endeuillée, deux agents tués par balle mardi sur un péage
00:05de Normandie, par un commando pour libérer un détenu du jamais vu en France.
00:10Il y a les propositions rapides du ministre de la Justice, hier, équipement en armes de
00:15tous les agents pour les extractions judiciaires et médicales, meilleur équipement des véhicules,
00:19recours aux auditions en visioconférence par les magistrats, des magistrats qui sont
00:23invités à se rendre en prison désormais pour interroger les détenus les plus dangereux.
00:28Et puis il y a le malaise plus profond de personnels, hommes et femmes, qui travaillent
00:32depuis des années dans des conditions dégradées, au milieu de prisons surpeuplées, situation
00:36explosive pour les détenus et pour eux, situation régulièrement dénoncée mais sans que les
00:40choses changent.
00:41On en est donc là après l'attaque de mardi et nous allons nous interroger sur cette profession
00:46avec nos deux invités, Wilfried Fonck, bonjour, vous êtes secrétaire national du syndicat
00:51UFAP Une Sa Justice, c'est le deuxième syndicat chez les agents pénitentiaires et nous sommes
00:56en ligne avec Anaïs Enghel, bonjour, vous êtes maîtresse de conférences à Paris
01:01Cité, spécialiste de l'économie et de la sociologie des prisons, merci d'être
01:06avec nous, j'attends les appels et les questions des auditeurs d'Inter 0145 24 7000 ou via
01:12l'application France Inter.
01:13Wilfried Fonck, on l'a constaté ce matin dans plusieurs dizaines d'établissements,
01:17le mouvement se poursuit, combien de temps, vos collègues et vous-même, allez-vous continuer
01:22à manifester votre colère et votre émotion, et on l'entend fortement depuis deux jours ?
01:28Alors effectivement hier, quand le mouvement a commencé, c'était surtout un mouvement
01:31de solidarité vis-à-vis des collègues qui étaient décédés, de leur famille et vis-à-vis
01:36des collègues qui eux sont blessés et toujours hospitalisés, mais derrière cette émotion
01:40il y a effectivement de la colère parce que les personnels pénitentiaires ont un peu
01:44la sensation d'être abandonnés purement et simplement par le pouvoir politique quel
01:50qu'il soit, et cet abandon il n'est pas nouveau, cet abandon il date d'il y a une bonne trentaine
01:55d'années et où aujourd'hui la prison française est malade, gravement malade, et malheureusement
02:00c'est pas avec du paracétamol qu'on va la soigner.
02:02Est-ce que vous avez le droit de grève ? Dans quel cadre se fait cette mobilisation ?
02:06Alors les personnels n'ont pas le droit de grève puisqu'ils sont soumis à un statut spécial.
02:11Derrière ça, la mobilisation se fait énormément par des personnels qui sont censés être
02:17en repos, donc qui viennent sur leurs jours de repos ou de congés pour bloquer les structures,
02:22et certains qui eux refusent de prendre purement et simplement leur poste, et qui donc encourent
02:27forcément des sanctions disciplinaires à la suite.
02:30Réaction très forte évidemment des agents pénitentiaires et des surveillants.
02:35Est-ce qu'il y a eu aussi, Wilfried Fong, des réactions chez les détenus après cette
02:41attaque ultra-violente et ces deux morts ?
02:43Alors j'ai envie de vous dire, aujourd'hui on n'a pas forcément eu l'opportunité de
02:48s'y intéresser ni l'envie, parce que c'est vrai que l'émotion étant tellement forte
02:52et les personnels se sont retrouvés les uns auprès des autres pour justement vivre ce
02:59moment tous ensemble.
03:00Et puis d'un autre côté, quand on voit la manière dont les choses se déroulent à
03:03l'intérieur des détentions, aujourd'hui j'ai envie de dire, quelque part, qu'importe, parce que...
03:10Non mais j'ai lu ce matin, vous me direz si vous avez eu les mêmes échos, que d'habitude
03:14quand il y a une évasion, c'est la fête chez les détenus, ils la célèbrent, et là, hier
03:20et avant-hier, c'était silence.
03:21J'ai lu ce témoignage dans la presse, je ne sais pas si vous avez eu, vous, ces échos
03:25de votre côté.
03:26Alors moi j'ai pas forcément eu ces échos-là, mais après je peux comprendre ce que vous
03:29me dites, parce qu'effectivement, je pense que de toute façon, les détenus s'attendaient
03:34forcément à une réaction forte des personnels, sur une durée qui va forcément aussi être
03:39longue, et que derrière, oui, leur quotidien va forcément changer, ça c'est une certitude,
03:45au moins pendant la durée du mouvement.
03:46Donc qu'après, il y ait eu, à mon avis aussi, peut-être une forme de sidération et d'émotion,
03:54pourquoi pas, ça peut être totalement envisageable, parce que c'est vrai que ça a été quand
03:59même quelque chose de très fort.
04:00Alors j'ai aussi envie de vous dire qu'il y a sûrement une partie de la population
04:03pénale qui s'est réjouie que des personnels pénitentiaires soient morts dans le cadre
04:07de cette opération.
04:08C'est une certaine certitude.
04:09Dans ce genre de situation, c'est toujours 50-50.
04:12Laurent nous appelle du département de la Dordogne, Laurent, surveillant de prison,
04:16c'est bien cela ? Bonjour Laurent !
04:17Oui, bonjour.
04:18Vous êtes surveillant vous-même de prison, vous êtes peut-être d'ailleurs mobilisé
04:23depuis hier ?
04:24Oui, en fait, moi je suis dans un établissement qui n'est pas un problème, vraiment pas
04:31un problème.
04:32Mais en fait, la mobilisation a été énorme depuis deux jours, on a même des retraités
04:37qui sont revenus sur site pour prendre repère, parce que comme le disait le collègue avant,
04:46ça suscitait beaucoup d'émotions, vraiment beaucoup d'émotions.
04:49Et après, c'est juste un témoignage comme ça, moi ça fait 35 ans que je suis dans
04:55un pays pénitentiaire, là on s'inquiète vraiment pour l'avenir, parce qu'on n'arrive
05:00pas à recruter, et les jeunes qui voient ça, je ne suis pas sûr que ça les incite
05:05à passer le concours.
05:06Mais est-ce que vous, dans votre pratique, tous les jours, vous êtes confronté à
05:08des actes de violence plus nombreux ?
05:10Non, non, voilà, moi je vous explique, nous on est vraiment un établissement à part,
05:14c'est, nous, si on a un incident par an, c'est tout, et c'est pour ça que je vous
05:20dis que, par contre, on est tous passés par des gros établissements.
05:23Avant d'arriver à Mosaïque, on est passés par Frenn, par Fleury, par Samor, voilà quoi.
05:29Où là c'est plus problématique, c'est ce que je comprends.
05:32Oui, oui, mais nous, en fait, on est inquiets pour les collègues qui rentrent, quoi.
05:37Merci à vous, Laurent, pour ce témoignage, je voudrais faire réagir à Anaïs Enghel,
05:44il y a cette réaction qui fait suite, évidemment, à l'attaque de ce qu'on voit il y a deux
05:49jours, est-ce que vous diriez que c'est un mal-être, un malaise qui dure et qui perdure
05:54depuis des années ?
05:55Ah oui, tout à fait, c'est un malaise qui perdure depuis longtemps, voire très longtemps,
06:01comme on l'a déjà dit, effectivement, depuis une trentaine d'années, effectivement,
06:04donc on a une sorte de référentiel austéritaire qui s'est abattu sur la pénitentiaire comme
06:10sur l'ensemble des services publics et que les personnes...
06:13Ça veut dire quoi, un référentiel austéritaire ?
06:15Ça veut dire qu'effectivement, depuis une trentaine d'années, on réduit, on réduit,
06:21alors on réduit pas forcément les fonds octroyés à la pénitentiaire parce que ça
06:25continue à être présent...
06:26Eric Dupond-Moretti va vous dire que lui, il augmente les budgets.
06:28Oui, c'est vrai, il augmente les budgets pour construire de nouvelles prisons, mais
06:32ça ne se ressent pas dans les conditions de travail des personnels.
06:35Je pense qu'on pourrait là-dessus être tout à fait d'accord avec monsieur Fond.
06:39On a effectivement des conditions de travail qui sont toujours aussi...
06:43qui se dégradent au fil des années, qui sont relativement mauvaises.
06:47Les surveillantes pénitentiaires aujourd'hui, donc là, sont passées récemment de catégorie
06:51B... de catégorie C, pardon, à catégorie B, et les officiers de catégorie B à catégorie
06:56A.
06:57Donc ça, ça a été un premier effort qui a été fait par le garde des Sceaux, mais
07:03ça ne suffira sûrement pas, effectivement, à pallier les difficultés de recrutement
07:07qui aujourd'hui sont massives.
07:09Dans la plupart des établissements, j'en visite assez régulièrement, on me signale
07:15toujours qu'il manque des personnels, qu'on a du mal à assurer tous les postes, que du
07:20coup, parfois, il y a même des situations où les postes au Mirador ne sont pas forcément
07:26assurés, donc on voit qu'il y a effectivement un gros manque de personnel un peu partout
07:31à la pénitentiaire.
07:32Wilfried Fonck, je lisais un témoignage également, un surveillant, ce matin, qui dit parfois
07:37qu'il y a un seul surveillant pour 120 à 160 détenus.
07:41Ça arrive ?
07:42Oui, c'est vrai.
07:43Dans les maisons d'arrêt, puisque ce sont surtout les établissements qui, eux, sont
07:47touchés par la surpopulation carcérale, vous avez effectivement des personnels qui
07:52aujourd'hui tiennent des étages où il y a entre 120 et 150 détenus et ils sont
07:56seuls.
07:57Mais qu'est-ce qu'on peut faire dans ces cas-là ?
07:58Alors, il y avait eu un accord qui avait été signé, qui s'appelait la Charte nationale
08:02du surveillant acteur et où il était prévu, finalement, de revoir un peu la manière dont
08:09les choses fonctionnaient dans le quotidien de la détention, par la gestion des mouvements,
08:13par la réorganisation des activités, etc.
08:15Et il y avait un point, notamment, qui concernait le fonctionnement en îlotage ou en binomage
08:21pour justement lutter contre l'isolement des personnels, pour ne pas qu'ils se retrouvent
08:24seuls.
08:25Mais aujourd'hui, on constate que l'administration, finalement, dans ce genre de choses, elle
08:28fait un peu ce qu'elle veut.
08:29C'est-à-dire qu'une fois qu'on a signé des protocoles, elle prend ce qu'elle a envie
08:32de mettre en place et puis pour le reste, on balaie ça un peu du revoir de la main
08:36et puis on verra plus tard ce qu'on va faire.
08:38Et là, pour le coup, sur ce surveillant acteur qui permettait finalement de remettre au goût
08:43du jour la gestion de la détention et surtout de repositionner le surveillant comme acteur
08:48principal et incontournable, aujourd'hui, tout ça, c'est un peu mis de côté et
08:52puis l'administration fait sa petite tambouille de son côté.
08:54Les réponses du ministre de la Justice hier, meilleur équipement en armes de tous les
08:58agents, notamment pour les extractions, les extractions, c'est quand il faut sortir
09:01le détenu de l'établissement, par exemple, pour aller dans le cabinet du juge d'instruction
09:07répondre à des questions, équipement des véhicules meilleurs, recours aux auditions
09:12en visioconférence par les magistrats, ça éviterait les extractions, ou des magistrats
09:15qui se déplaceraient dans les prisons.
09:17Ce sont des réponses satisfaisantes pour vous, Wilfried Fonck, et puis je vous ferai
09:20réagir aussi dans la foulée à Anaïs Enghel.
09:22Alors, satisfaisante, non, très clairement, aujourd'hui, en fait, on est surtout sur
09:28un relevé de conclusion qui est soumis, finalement, à des études de faisabilité, à une allocation
09:36d'un potentiel budget à venir, ou des choses comme ça, et très clairement, quand on a
09:40le retour des personnels qui, eux, bloquent les établissements encore aujourd'hui, eux
09:45sont particulièrement déçus et ne se satisfont pas du tout de ce qui a été proposé par
09:50le ministre.
09:51Anaïs Enghel ?
09:52Oui, oui, c'est-à-dire qu'en fait, la principale chose à faire, à mon sens, en ce moment,
09:58c'est d'abord de recruter, mais bon, le problème, c'est qu'effectivement, il n'y a pas beaucoup
10:01de volontaires pour ce recrutement, mais il manque beaucoup de moyens humains en détention,
10:07et ça, ça a des conséquences en termes de conditions de travail concrètes, mais aussi
10:11en termes de comment les agents voient leur métier, c'est-à-dire qu'un certain nombre
10:15de surveillants qu'on rencontre, surveillants-surveillantes, pensent que leur travail se vide complètement
10:20de son sens, qu'ils se sentent mal au travail, bon, la situation, évidemment, elle est très
10:26hétérogène, comme l'a souligné l'auditeur tout à l'heure, c'est-à-dire qu'il y a
10:29des services...
10:30Pourquoi, pardonnez-moi, Anaïs Enghel, mais pourquoi la question du sens ? C'est-à-dire
10:34qu'ils ne voient pas à quoi sert tout simplement leur métier aujourd'hui ?
10:39Voilà, ils ne voient pas tellement à quoi sert leur métier, ils ne voient pas non plus
10:42de reconnaissance de la part de ce qu'ils appellent la centrale, qui est en fait le
10:48ministère.
10:49En quelque sorte, il y a un peu ce double angle, c'est-à-dire qu'ils ne voient pas
10:54forcément à quoi ça sert, puisqu'ils passent leur temps à courir partout pour ouvrir et
10:59fermer des cellules, par exemple, et puis ils ne se sentent pas vraiment reconnus au
11:03niveau centrale.
11:04Oui, le flippant, très vite.
11:05Oui, sur ce point justement de la reconnaissance, je pense que vous avez totalement raison,
11:09parce que ça va au-delà de la centrale, c'est carrément de la reconnaissance de
11:12la part de la société par rapport aux missions qui sont celles des personnels pénitentiaires,
11:16qui interviennent en bout de chaîne pénale, et auxquelles on demande de réussir là où
11:19tout le monde a échoué avant eux.
11:21Je voudrais qu'on vienne aussi à la question de la surpopulation, car c'est éral.
11:26Hier, à hasard du calendrier, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté,
11:30Dominique Simono, rendait son rapport annuel.
11:32Elle souligne les conditions de travail très détériorées des agents, les professionnels
11:40sont épuisés, marqués par leur impuissance professionnelle, et puis il y a ces chiffres,
11:4477 000 détenus pour 61 000 places au 1er avril.
11:48Wilfried Fonck, il y a un lien entre les deux, entre une plus grande violence et une surpopulation
11:53des détenus qui sont plusieurs dans une même cellule ?
11:55La France est régulièrement condamnée pour les conditions de détention dites inhumaines
12:01et dégradantes.
12:02Ce qu'il faut savoir, c'est que les conditions de détention des détenus, ce sont les conditions
12:05d'exercice des personnels.
12:07Et aujourd'hui, la France n'est toujours pas condamnée pour des conditions de travail
12:10inhumaines et dégradantes.
12:11Mais c'est vrai que les personnels exercent, dans les maisons d'arrêt, dans des conditions
12:15qui se détériorent de jour en jour.
12:18Imaginez, dans une cellule qui est censée accueillir un détenu, qui mesure entre 9
12:22et 10 mètres carrés, aujourd'hui on en met 2, 3, 4, parfois on a des matelas à terre,
12:26ça crée des tensions à l'intérieur de ces cellules, et effectivement, c'est le
12:30surveillant à l'ouverture de la porte qui prend la tension en pleine face.
12:33Anaïs Hengel sur ce point ?
12:34Oui, c'est vrai que la surpopulation, c'est un des gros problèmes de la politique pénitentiaire
12:41française.
12:42Donc là encore, c'est pas du tout nouveau, et malgré les différents programmes de construction
12:45de prison, on en est toujours là, donc bon, peut-être qu'il est temps aussi de se demander
12:53qui on doit incarcérer et quel est le sens de tout ça.
12:57Mais juste sur un point, le rapport de Dominique Chibonneau dont vous parlez, il met aussi en
13:02avant le fait qu'il y a un gros problème concernant la psychiatrie en prison.
13:05On sait aujourd'hui qu'il y a 40% de la population pénale qui doit avoir accès à
13:08des soins, et c'est souvent loin d'être le cas malheureusement.
13:11Merci à tous les deux d'avoir participé à cet échange aujourd'hui dans le 13-14.
13:18Anaïs Hengel, spécialiste de l'économie et de la sociologie de la prison.
13:23Merci également à Wilfried Fong, secrétaire national du syndicat UFAP-UNSA-Justice.
13:2713h45 sur Inter.

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