Avec Philippe Di Folco, écrivain, enseignant et scénariste français.
Retrouvez "La question qui" sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out
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AmusantTranscription
00:00 C'est une menteuse, elle ment en allemand.
00:04 Dis donc, ton article il était faux, hein ?
00:07 Mais c'est exact, il était faux.
00:08 Tu prétends qu'il était faux maintenant que tout le monde croit qu'il était vrai ?
00:11 Mais c'est pourtant vrai.
00:12 Mais qu'est-ce qui est vrai ? Que tout le monde croit qu'il était vrai ?
00:15 Mais non, c'est pourtant vrai qu'il était faux.
00:17 Que c'est pourtant vrai qu'il était faux, je...
00:19 Oui, enfin bon, alors admettons ce mensonge.
00:20 Alors pourquoi Fantôme a-t-il fait enlever cette nuit si tu avais menti ?
00:24 Justement parce que j'avais menti.
00:26 Tu mens, tu mens, tu mens ! Il ment, il ment !
00:29 Est-ce que vous m'avez accusé de mentir quand je disais que j'avais menti ou d'avoir menti quand je disais...
00:34 Tais-toi, tais-toi, tais-toi !
00:36 On aura reconnu Louis de Funès, évidemment.
00:38 Les films des frères Larrieux sont peuplés de ces personnages aux contours flous
00:42 qui semblent surfer entre la réalité et leurs propres projections
00:45 et qui entretiennent une relation souvent ambiguë avec la vérité.
00:48 C'est cette idée du mensonge et de l'imposture envers les autres et vis-à-vis de soi-même
00:53 que vous interrogez depuis des années.
00:55 Philippe Di Folco, bonsoir.
00:57 Dans des livres comme "Histoire de l'imposteur", "Petit traité de l'imposture",
01:01 "Les grandes impostures littéraires", bref, le sujet vous intéresse.
01:05 Posons les bases, vous êtes un peu fasciné par les imposteurs.
01:08 Est-ce que pour vous l'imposture est un art ?
01:10 Et qu'est-ce qui le caractériserait cet art ?
01:13 C'est l'art de maîtriser les faux-semblants, c'est-à-dire les apparences trompeuses.
01:19 Voilà, c'est tout simple.
01:22 Après c'est compliqué ce qu'il y a derrière parce que ça ne se réduit pas à un mensonge.
01:26 Un mensonge, ça pourrait être un mensonge vocable, un acte de langage.
01:30 Mais en fait il y a aussi des faits, des actes qui entraînent des conséquences.
01:34 Et puis il y a certaines vies de menteurs ou d'imposteurs qui sont des véritables œuvres d'art,
01:38 même si ça choque sur le plan moral.
01:40 Moi je suis en admiration devant certains mécanismes.
01:42 Vous pensez à qui par exemple ?
01:44 Comme imposteur qui a fait de sa vie une œuvre d'art ?
01:47 Vous pensez à Philippe Rocancourt ?
01:50 Il y a plein de types, il y a des filles aussi.
01:53 Mais il y a ce type extraordinaire, j'ai pas retrouvé le nom,
01:56 parce que j'en ai 7000 dans la tête.
01:58 Mais il y a un médecin américain qui a passé pendant 30 ans à exercer la médecine
02:01 et a sauvé plein de gens.
02:02 Et au bout de 30 ans, il s'est rendu compte qu'il n'avait pas le diplôme
02:04 et qu'il n'avait jamais étudié la médecine.
02:06 Mais il a sauvé plein de gens.
02:08 C'est miraculeux, c'est authentique.
02:10 Les Frères Lariot, votre dernier film présenté à Cannes,
02:12 "Le roman de Jim", s'est construit entre autres sur une sorte de mensonge originel,
02:16 une forme d'imposture qui traverse toute votre filmographie.
02:18 Qu'est-ce qui vous intéresse là-dedans, dans l'imposture ?
02:21 Mathieu Amalric, qui est le plus grand comédien.
02:28 Il se trouve qu'on se connaît un peu avec Philippe et qu'on partage la connaissance.
02:33 Non, je ne parle pas de Mathieu la personne,
02:35 mais en tant que comédien, je pense que c'est quelque chose qui le travaille énormément d'ailleurs.
02:40 À commencer par dire "je ne suis pas comédien".
02:42 Oui, il l'a toujours annoncé.
02:44 Mathieu, si tu nous entends, t'embrasses.
02:46 Du coup, il y a un redoublement.
02:49 Je pense qu'on ment plus.
02:52 Plus on dit la vérité, plus on ment.
02:54 C'est des couches d'oignon.
02:56 La vérité n'est jamais atteinte.
02:58 C'est comme si les menteurs voulaient croire eux-mêmes à une vérité.
03:02 Mais il suffit qu'ils disent la vérité,
03:04 et ils vont tomber sur un autre possible mensonge, etc.
03:08 Mathieu annonce tout de suite qu'il est imposteur.
03:10 Je pense qu'en termes de cinéma, c'est une longue ligne dans le cinéma.
03:14 C'est que le cinéma à un moment donné rencontre le théâtre,
03:18 et qu'il y a une ligne dans le cinéma,
03:20 qu'on pense, ou comme ça, ça nous dépasse.
03:24 On pense que nous, pour atteindre la vérité, il faut avoir passé par le théâtre.
03:27 Donc ça passe par le comédien.
03:29 Et donc ça ne passe pas forcément par un jeu naturaliste,
03:32 "Ah, regardez comme c'est vrai".
03:34 Ce n'est pas un hasard qu'on parle de Mathieu.
03:37 Mathieu est un grand acteur de ça,
03:39 qui n'a pas peur de l'artificiel pour atteindre quelque chose.
03:42 Une forme de vérité.
03:43 A l'inverse, je pense que le roman de Jim est une...
03:46 On est passé tout à fait autre chose avec Karim Leclou.
03:49 Le roman de Jim est vraiment l'exception par rapport à ça.
03:53 Pour nous, c'est très différent.
03:55 Avec un personnage délicat, qui est la mère de Jim dans le film,
03:58 où il fallait faire attention justement à ce qu'on ne se dise jamais qu'il y a une arnaque,
04:03 qu'elle est en train d'arnaquer cet homme.
04:05 Ce n'est vraiment pas le sujet.
04:06 Et ça, il fallait vraiment surveiller de près en mise en scène, en scénario.
04:10 Pour ne pas que le personnage soit dénaturé.
04:12 Philippe dit, Folkow, quand les frères Lariot disent qu'un menteur, ça parle bien,
04:16 et que dans l'amour est un crime parfait, la surenchère sur le langage,
04:19 c'est un indice de l'ampleur du mensonge.
04:21 Est-ce que ça vous parle ?
04:23 Est-ce que pour être un bon menteur, il faut maîtriser le langage ?
04:26 Ou pour être un bon imposteur, il faut avoir une maîtrise parfaite du langage ?
04:30 Il faut avoir une bonne mémoire, ça on le sait.
04:32 Oui, ça on le sait.
04:33 En plus, quand on veut être un bon comédien dans la vie, tous les jours,
04:36 il faut effectivement avoir une bonne mémoire.
04:38 Mais surtout, je dirais, moins la maîtrise du langage, au fond c'est un peu vague,
04:41 que la maîtrise d'un scénario, là on rejoint nos métiers,
04:44 d'un scénario de vie, qui serait ma nouvelle vie,
04:47 j'imagine un nouveau scénario de vie, j'ai un désir de nouvelle vie,
04:50 et là, il faut vraiment que je maîtrise tout.
04:53 Et comme on le sait, le diable est dans les détails.
04:56 Comme quand on construit, quand on est espion, sa légende.
04:59 Oui, bravo, c'est exactement ça, je voulais parler de légende, merci.
05:02 Je suis là pour vous aider.
05:05 Je galère un peu.
05:07 En fait, dans vos livres, on découvre des histoires incroyables.
05:10 La tour Eiffel a été vendue par un mec qui ne la possédait pas,
05:13 des histoires de faux tableaux, il y avait un mec qui était persuadé d'être roi d'un royaume qui n'existait pas.
05:17 C'est quoi, vous, votre imposture préférée ?
05:19 Alors, j'y ai bien réfléchi, c'est toujours la dernière.
05:23 Parce que bon, je ne suis pas un collectionneur d'impostures,
05:26 parce que ce serait un peu une sorte de névrose, comme quoi, vous voyez, on remarque pas.
05:29 Je pense que vous en êtes à 5 livres, Philippe, je pense qu'on peut peut-être parler de vous.
05:32 Je suis névrose négresse !
05:34 Et donc, la dernière qui m'est tombée sous la main, en cherchant tout à fait autre chose,
05:37 sur Gallica, d'ailleurs, ces merveilleux outils BNF.
05:40 Et ça se passe en 1929, on est dans l'été 1929, je la fais courte.
05:44 Le type est un bandit, il est recherché, un peu par des gens comme Louis de Funès.
05:49 "Il est où, je le choperai !"
05:50 Et il a un complice, et il dit à son complice,
05:53 "écoute, je vais écrire mes mémoires, tu me fais passer pour mort,
05:55 tu récoltes la valoire, qui risquerait d'être élevée,
05:58 et puis après tu me fais sortir de la tombe où tu vas me mettre avec un tuyau,
06:02 et puis on se casse, au Caraïbes.
06:04 Le tuyau se bouche, il meurt.
06:06 Et vous savez quand est-ce qu'il meurt ? Le jour du krach de 1929.
06:09 C'est-à-dire que c'est vraiment la calamité, c'est génial.
06:12 *Rires*
06:14 - Est-ce qu'il y a un point commun que vous remarquez entre les imposteurs ?
06:17 Un point de bascule, on en parlait tout à l'heure avec les frères Lariot,
06:20 de ce fameux point de bascule qu'on retrouve dans beaucoup d'histoires
06:23 que vous avez découvertes et racontées.
06:26 - Oui, il faudrait que j'ai le temps de créer une typologie,
06:29 mais j'ai pas le temps ni l'ambition ni la capacité.
06:31 - Là maintenant, tout de suite.
06:32 - Tout de suite, je dirais que tout simplement, peut-être,
06:35 je crois que Arnaud en parlait tout à l'heure,
06:37 de la faculté de croire à son mensonge, n'est-ce pas ?
06:40 Et cette faculté d'être dans le déni.
06:43 Et finalement, après dire "mais enfin tu mens,
06:46 tout ce que tu m'as raconté est faux", mais non, pas du tout.
06:48 Et je pense qu'il y a une forme d'honnêteté,
06:50 il y croit vraiment, la personne y croit.
06:53 Et ça c'est fabuleux ça.
06:55 - Vous pensez que les imposteurs dont vous connaissez les histoires
06:57 finissent toujours par y croire ?
06:59 Finissent toujours par rentrer vraiment dans le personnage ?
07:01 - C'est un boulot à plein temps.
07:02 - Le deuil doit être terrible une fois qu'il s'est découvert.
07:04 Une question à vous trois, si on s'éloigne des grands faussaires, des criminels,
07:08 est-ce que tout le monde à un moment ou un autre n'est pas amené à vouloir changer de peau,
07:11 comme vous l'écrivez, et puis comme on le voit dans "Tra la la",
07:15 parce que finalement, il a l'occasion d'être quelqu'un d'autre que lui-même,
07:17 et c'est super libérateur de pouvoir être quelqu'un d'autre.
07:21 - Oui, c'est sans arrêt je pense, mais on se rattrape heureusement.
07:25 Enfin, il y en a qui ne se rattrapent pas, mais je pense que c'est sans arrêt.
07:29 Celui que je suis devant vous est un imposteur total.
07:32 - J'arrêtais pas de me dire que c'était lui, je me disais "ce mec n'est pas vrai".
07:37 - Mais je me rattrape, je me conforte.
07:39 - Est-ce que tu disais "C'est Jean-Marie, c'est part" ?
07:41 - Après l'acteur, moi je suis très mauvais acteur, je pourrais en faire des kilos,
07:46 et créer un vrai personnage, ce que je ne sais pas faire.
07:50 - Ce que je pense, c'est ça, c'est la question de l'acteur.
07:52 Il y a des gens qui décident d'être acteurs dans la vie, sans caméra, sans planche, sans...
07:57 Et ça, c'est assez fascinant.
08:00 - Ils ne seraient pas forcément bons acteurs devant une caméra.
08:03 - D'autres questions ?
08:06 - Il y a le film, le documentaire, "Les mille visages", j'oublie le titre.
08:11 - Le documentaire de Sonia Kroloun.
08:13 - Sonia Kroloun, "Les mille visages", magnifique.
08:15 - Il est quand même papillon, dès que la caméra arrive, il arrive devant la caméra.
08:20 C'est un très beau moment de cinéma.
08:23 - Il y a 10 jours, dans cette émission, on a reçu Lysiane Larmani,
08:27 qui enquêtait sur une énième histoire d'arnaque sur une appli de rencontre.
08:30 Donc il y a effectivement aussi l'histoire des mille visages de Sonia Kroloun.
08:34 On est aussi à une époque où c'est très facile de se faire passer pour quelqu'un d'autre,
08:37 si on a envie.
08:39 Non ?
08:41 - Je crois qu'on a la vieille école.
08:43 - Oui, c'est vrai.
08:45 Mais quand même, je vous recommande un truc, si je puis me permettre,
08:49 de consulter sur Youtube les vidéos de Babor l'éléphant.
08:55 - Bien sûr, il est très drôle.
08:56 - C'est un débunker, avec des enquêtes de 30 minutes, voire une heure,
09:00 et où il est merveilleux et salutaire.
09:03 Il s'acharne sur les tutoriels payants en ligne, qui nous promettent la lune.
09:08 - Qui nous promettent richesse, non, c'est merveilleux.
09:11 - En 3 semaines, oui.
09:12 - Et donc ça, c'est les imposteurs d'aujourd'hui, vous diriez, Philippe Adif.
09:16 - Une espèce de double vie numérique.
09:18 Ça, je pense, ça va arriver.
09:20 On va tous avoir une sorte de clone numérique.
09:22 - Un autre personnage ?
09:24 - Oui.
09:25 - Et puis il y a aussi, tu sais, on en parlait autrefois.
09:28 - Continuez cette conversation que vous aviez l'autre fois, n'hésitez pas.
09:31 - Non mais tu sais, c'est ce culte de la transparence.
09:34 Tu te souviens, on avait un débat là-dessus, tout le monde devait être transparent.
09:36 "Bonjour, je suis en ligne, je suis sur tous les réseaux et je suis transparent."
09:39 Mais enfin, c'est peine perdue, je veux dire, à quoi bon ?
09:43 - D'ailleurs, quand on cherchait quelqu'un pour parler de mensonges,
09:46 on s'est dit, on a besoin de quelqu'un qui aime le mensonge,
09:49 qui peut nous défendre le mensonge.
09:51 - Et un côté création en direct aussi, qui doit être très très plaisant.
09:54 C'est quand même un texte et une histoire qui s'improvisent en direct.
09:58 - Performatifs.
09:59 - Extrêmement jouissifs quand même.
10:01 - On terminera là-dessus.
10:02 Bravo à vous, les menteurs qui nous écoutez, vous êtes extraordinaires.
10:05 Merci beaucoup, Philippe Di Folco, votre dernier livre.
10:08 Et vous pouvez en lire d'autres, vous, qui vous intéressez, vous qui nous écoutez.
10:11 Parce que vraiment, vous avez produit toute une littérature sur le sujet.
10:14 Le dernier s'appelle "Plagiat et imposture littéraire"
10:17 et c'est aux éditions de l'Archipel.
10:20 *musique*