Avec Camille Pascal, haut fonctionnaire et écrivain.
Retrouvez "La question qui" sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out
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AmusantTranscription
00:00 Alors attention, quand on dit plume, on devrait plutôt parler de duvet doudou.
00:06 Une jolie plume s'envole vers la lune,
00:11 deux étoiles et trois nuages l'accompagnent dans ce voyage.
00:17 Puis le voyage continua, au-dessus des nuages, au-dessus des orages,
00:25 et enfin, elle arriva sur la lune où l'attendait d'autres plumes.
00:32 Bonjour Camille Pascal, vous êtes haut fonctionnaire, écrivain,
00:37 vous avez été la plume de Nicolas Sarkozy en 2011, de Jean Castex en 2020,
00:42 quand il est devenu Premier ministre.
00:43 Vous en parlez notamment de ce travail dans "Scène de la vie quotidienne" à l'Elysée,
00:47 fascinant ouvrage paru en 2012 chez Plon.
00:50 Racontez-nous comment est-ce qu'on fabrique le discours d'un président ?
00:53 Combien il y a de personnes, vous étiez la plume,
00:56 mais combien il y a de personnes pour écrire et pour valider 5 minutes d'allocution présidentielle ?
01:00 Alors ça dépend des présidents.
01:03 Chirac avait une tradition infernale pour les plumes,
01:07 j'en ai souvent parlé avec Christine Albanel, qui est une amie,
01:10 c'est que le dimanche, il recevait en jogging à l'Elysée,
01:13 entouré de ses collaborateurs, sur le travail de la plume.
01:18 Mais le problème c'est que tout le monde a une idée à ce moment-là.
01:20 Vous savez, tous les gens pensent qu'ils savent écrire, en réalité ils ne savent pas écrire.
01:24 Donc, ils ne savent pas écrire, ils ne savent pas penser par ailleurs,
01:28 mais enfin ça c'est un autre problème.
01:30 Mais ils sont très importants.
01:32 Et donc, ça c'était, paraît-il, des moments de souffrance épouvantable.
01:35 Et puis le président, il met...
01:37 Souffrance épouvantable pour qui, pardon ? Pour Chirac ou pour la plume ?
01:40 Non, pour la plume, c'est un cauchemar.
01:43 Et donc, en réalité, moi ça ne s'est fait qu'une seule fois.
01:47 C'est le premier discours que j'écrivais pour le président.
01:50 Je ne venais pas d'arriver, je n'avais pas été recruté pour écrire les discours.
01:53 Tu étais conseillé.
01:54 Voilà, j'étais conseillé pour l'audiovisuel.
01:56 Et donc, j'écris le discours qui va me faire entrer dans l'intimité du président,
02:05 parce qu'il l'a beaucoup apprécié, sur le martyr des chrétiens d'Orient.
02:10 Et donc, on me donne...
02:12 C'est Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée,
02:16 il me dit "Voilà Camille, il paraît que vous savez écrire."
02:19 J'avais écrit quelques discours pour Chirac aussi.
02:21 Et notamment la panthéonisation d'Alexandre Dumas.
02:25 Et donc, il me dit "Vous savez écrire ?"
02:27 "Je ne sais pas, monsieur le secrétaire général."
02:28 Il me dit "Si, moi je sais."
02:29 Donc, il me faut un discours sur le martyr des chrétiens d'Orient.
02:32 Il y avait eu deux attentats épouvantables en Irak et en Égypte.
02:36 Et je lui dis "Mais quand ?"
02:38 Il me dit "Après-demain."
02:39 Bon, c'est très bien.
02:40 Et je lui dis "Mais je dis quoi ? Ce que vous voulez."
02:42 Donc, j'écris ce discours.
02:44 Je l'écris chez moi parce que je n'avais pas de bureau à l'Elysée à ce moment-là.
02:47 Ils n'avaient pas encore trouvé la place.
02:49 Donc, j'écris ce discours en deux jours et une nuit.
02:52 Je le rends.
02:54 Puis, je n'ai jamais de nouvelles.
02:56 Donc, je me dis "C'est foutu."
02:58 Et puis, on me dit "Maintenant, il faut le présenter à l'équipe des diplômes."
03:04 Les diplômes, c'est les diplomates.
03:05 Donc, je me retrouve devant une...
03:07 Bon.
03:08 Et il y avait là, maintenant, je dirais,
03:10 Thérèle et Nons sont tous brillants ambassadeurs.
03:12 Mais ça commence très mal.
03:15 Parce que l'homme me dit "C'est quoi ce discours de curé ?"
03:18 Je lui dis "Pardon ?"
03:20 - En même temps, vous n'avez donné aucune indication.
03:23 - Non, non, non. J'avais écrit.
03:25 Et donc, un discours de curé.
03:27 Et alors, il me dit "Pourquoi ?"
03:29 Il me dit "Parce que tu..."
03:30 Alors, la première fois que je m'en souviens de toute ma vie, c'était...
03:32 "Ils s'apprêtaient à fêter la nativité du Christ.
03:35 Ils sont allés à la rencontre de la mort."
03:37 Il me dit "Ca dit le Christ ?"
03:39 Je lui dis "Oui."
03:41 "Mais si tu dis le Christ, dans la boue du président de la République,
03:43 ça veut dire qu'il croit en la résurrection."
03:46 J'ai dit "Bon..."
03:49 Et puis là, je sais pas pourquoi, j'étais fatigué.
03:51 J'étais pas encore...
03:52 Je venais d'arriver là, je savais pas trop.
03:54 Puis ça peut m'arriver de m'énerver.
03:56 - Vous avez mis un coup de tête ?
03:57 - Non, pas du tout.
03:58 J'ai dit "Je propose une autre...
04:00 alternative."
04:01 "Ah bon, très bien, on t'écoute."
04:04 "Ils s'apprêtaient à fêter la nativité de M. de Nazareth.
04:08 Ils ont rencontré la mort."
04:10 Là, j'ai senti qu'il y avait un peu...
04:13 Et le chef de cabinet commençait à sentir aussi la tension.
04:17 Bon, ça continue.
04:18 Et puis il me dit "Où sont nos briques ?"
04:20 Parce que dans les discours, il y a celui qui écrit,
04:22 puis il y a ceux qui vous fournissent les briques.
04:24 Les briques, ce sont ces petits morceaux rédigés par les conseillers...
04:28 - Qu'il faut mettre absolument.
04:29 - Qu'il faut mettre absolument, qui sont souvent écrits avec le pied.
04:32 Et...
04:34 auxquels ils sont très attachés.
04:36 Parce que là-dedans, il y a une annonce pour tel,
04:38 pour lobby, pour tel...
04:40 "Et mis où sont nos briques ?"
04:42 Je dis "Je sais pas, j'ai pas vu de briques, moi."
04:44 Il me dit "Mais il fallait que tu utilises nos briques."
04:46 Et je réponds "C'était un peu provocateur, je ne suis pas maçon, je ne fais pas les murs."
04:50 Et à partir de là, le chef de cabinet a dit
04:52 "Bon, mais on va envoyer tout de suite le discours au président, c'est lui qui tranchera."
04:56 Et j'ai reçu un coup de fil.
04:58 Là encore, je m'en souviens toute ma vie.
05:00 J'ai reçu un coup de fil à 11h30 du soir.
05:02 J'étais rentré chez moi, persuadé que j'étais à peine entré, tout de suite viré.
05:05 Et c'est Sarko, qui adorable, me dit
05:08 "Oh Camille, je ne vous ai pas accueilli, je suis désolé."
05:10 Je dis "Monsieur le président de la République."
05:11 "Non, non, non, mais alors ? Il paraît qu'il vous a emmerdé."
05:13 Alors je dis "Non, non, mais monsieur le président, il n'y a pas de problème."
05:17 Il me dit "C'est génial, ce discours est génial."
05:19 Donc ça a bien commencé.
05:21 - Comment on rentre dans la tête de quelqu'un suffisamment pour écrire un discours au plus près de ce qu'il est ?
05:25 Parce que vous avez écrit pour des personnes différentes.
05:27 Jean Castex, ça n'est pas Nicolas Sarkozy.
05:29 Est-ce qu'on connaît ses intonations, ses tics du langage ?
05:31 Est-ce qu'on les intègre ?
05:33 - Ça demande un peu...
05:35 La comparaison que je vais prendre va vous paraître un peu "fat", comme aurait dit Sarko.
05:43 Il y a quelque chose comme le kétisme.
05:45 Vous savez, le kétisme, c'était une philosophie religieuse à la fin du 17e siècle
05:49 qui demandait l'alientissement du soi, de moi.
05:52 Et en fait, il y a ça.
05:53 Il faut s'oublier.
05:55 Il faut être une éponge.
05:57 Et se laisser gagner par plusieurs choses, par les intonations.
06:02 Par la phrasé.
06:04 Par les idées.
06:06 Et donc, s'oublier.
06:08 Sinon, ça ne passe pas. Sinon, c'est votre discours.
06:10 Mais le discours de Karine Pascal, pardon, mais tout le monde s'en fout.
06:12 Le discours de Nicolas Sarkozy, de Jean Castex, de Chirac.
06:16 C'est autre chose.
06:18 Ça, il faut bien l'avoir en tête.
06:20 Donc, et c'est ce qu'avait compris le Président.
06:24 Et c'est pour ça qu'à partir du premier discours, je ne l'ai jamais quitté ou presque.
06:28 Il fallait aller dans toutes les réunions.
06:30 Et c'est là que vous l'entendez parler, que vous entendez les objections des conseillers.
06:34 Que vous voyez, parce qu'après vous êtes seul sinon.
06:36 Et vous rentrez vraiment dans sa tête.
06:38 Oui.
06:39 Un humoriste pour écrire des discours présidentiels, ça vous paraît dans l'air du temps, Camille Pascal ?
06:43 Vous avez déjà fait par exemple un peu d'humour.
06:45 Alors, il faut toujours, ça c'est une tradition américaine.
06:48 Les américains commencent toujours par un joke.
06:51 Ils appellent ça le joke.
06:53 C'est pas très français.
06:55 Après, tout dépend du discours.
06:57 Si je vous écris le discours d'hommage aux trois soldats assassinés par Mera,
07:01 autant vous dire que la blague serait tombée à plat.
07:04 Donc il y a des moments.
07:06 Après, il y a des trucs.
07:08 Par exemple, donner l'impression que le Président ou celui qui prononce le discours connaît l'endroit où il est.
07:20 Donc comme vous vous êtes venu en recon, ça s'appelle en reconnaissance pour le discours,
07:25 dans les discours où il n'est pas à l'éviser,
07:27 vous pouvez dire "en arrivant, j'ai vu, je traversais, j'ai pensé que..."
07:31 Alors ça, ça touche beaucoup les gens.
07:33 Le Président est arrivé en avion, il part en avion, il n'a rien vu.
07:36 Mais vous, voilà, c'est une façon aussi de...
07:38 Parce qu'en fait, le discours, c'est quelque chose de très particulier.
07:43 En réalité, c'est quelque chose qui relève davantage de la sensualité que de la raison.
07:52 Que de la raison, oui, que de la rationalité.
07:54 C'est comme un air d'opéra, en fait.
07:55 Il faut toujours être dans la note au-dessus, redescendre, être dans la note au-dessus.
08:00 Et la seule chose qui compte, c'est le moment où vous tenez le public.
08:04 Avant, après, ça n'a pas d'importance.
08:06 - Tanguy Pastureau, vous avez une question pour Daniel Pascal ?
08:09 - Alors, question pas forcément.
08:10 Je trouve que c'est une école de l'humilité incroyable, parce que s'oublier, c'est pas si évident.
08:13 Moi, je me suis oublié deux, trois fois, les gens n'étaient pas contents.
08:15 Mais, non, je voulais...
08:17 - Félicite pas Tanguy Pastureau pour ce que vous dites.
08:20 - Vous aviez beaucoup bu en Bon Breton.
08:22 - Voilà, en Bon Breton.
08:24 Non, non, je trouve qu'il y a quelque chose du même ordre, en fait, dans les sketches d'humour.
08:30 Parce que moi, j'ai écrit quelques blagues, parfois, pour des gens qui les faisaient sur scène.
08:33 Il faut s'oublier, effectivement.
08:34 Il faut même se mettre, là aussi, au service de la personne et bien comprendre qui elle est.
08:38 Moi, j'écrivais parfois des trucs qui m'auraient pilé.
08:40 Et la personne était très contente, parce que, simplement, ça lui correspondait à elle.
08:44 Et moi, c'est des choses que moi, j'aurais pas pu dire.
08:46 En politique, ça ne doit pas être évident, dans le sens où, parfois, vous allez peut-être même à l'encontre
08:51 de ce que vous pensez réellement, non ?
08:53 - Bon, alors, j'ai quand même... Je ne suis pas complètement...
08:56 Bon, il y en a d'autres qui disent que rien...
08:58 Voilà, qu'ils peuvent changer de camp sans grande difficulté.
09:01 - Vous n'allez pas écrire pour des marxistes ?
09:03 - Oui, ça serait... Remarquez, une fois que j'ai lu Marx, c'est bourdieu.
09:05 Vous savez, je serais capable de faire un discours d'extrême-gauche, ça m'amuserait beaucoup.
09:08 Mais ce serait un exercice de style.
09:10 Mais je crois qu'à un moment donné, il faut... En fait, il faut une empathie.
09:13 Il faut une empathie avec celui pour lequel vous écrivez. Pourquoi ?
09:17 D'abord, parce que quand vous écrivez, vous devez penser à une seule chose.
09:20 C'est comment ça va être reçu.
09:22 Il y a deux choses essentielles.
09:24 Un, lui, il ne faut pas qu'il s'ennuie.
09:26 Il ne faut pas qu'il s'ennuie.
09:28 Parce que si il s'ennuie, c'est ce que Sarko a appelé le "Kouglov".
09:30 Il disait "on a la plein la bouche, c'est plus la poitrine".
09:32 Et le public, alors, même s'il est très respectueux,
09:35 s'il c'est le président de la République, etc.
09:37 Vous savez, un bon discours, c'est comme un bon serment.
09:39 C'est 7 minutes.
09:41 Alors le président lui en donne 14 ou 20.
09:43 Mais au-delà, tout le monde s'emmerde.
09:45 Il faut quand même le savoir.
09:47 Je plains les castristes.
09:49 Il y a Cuba qui...
09:51 C'est vrai que dans le public, parfois, les gens commencent à penser à ce qu'ils vont faire après.
09:53 C'est jamais bon.
09:55 C'est qu'on les lâche.
09:57 C'est le même métier au final.
09:59 Au revoir Camille Pascal.
10:01 On arrive au bout de notre temps.
10:03 Merci beaucoup d'être venu.
10:05 Je rappelle que vous êtes au fonctionnaire.
10:07 Et que vous êtes vraiment écrivain aussi.
10:09 Votre dernier livre s'appelle "L'air était tout en feu".
10:11 C'est paru en 2022 chez Robert Laffont.