Avec Kei Lam, auteure de BD.
Retrouvez "La question qui" sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out
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AmusantTranscription
00:00Vous m'avez traité d'abruti ? Je pratique les arts martiaux. Judo, Aïkido, Karaté.
00:11La première chose qu'on nous apprend, c'est le contrôle. Un type me traite d'abruti,
00:16je ne conne pas, je le regarde et je m'en vais. Eh ben tire pas alors. Vous avez de
00:19la chance. Allez, prends les chariots et filez. Gros connard. Je suis arrivé à contrôle
00:26total. Pardonnez-moi cette démonstration de force, mais j'aurore qu'on marche sur
00:30les pieds.
00:31J'avais pas reconnu, mais vous, oui, Cyril Dion, c'était Pierre Richard dans La Chèvre.
00:38Bonjour, Keïlam.
00:39Bonjour.
00:40Vous êtes autrice, vous êtes illustratrice. Votre dernière BD, Les saveurs du béton,
00:43a remporté un prix à Angoulême en 2022. Et dans votre nouvelle bande dessinée, Défends-toi
00:48toi-même, parue chez l'Iconoclast, vous nous apprenez à nous défendre. Et ça ne
00:51veut pas forcément dire ce qu'on croit que ça veut dire. Vous l'avez faite, cette
00:55BD avec Anna Phan-Yves qui est hypnothérapeute et conceptrice d'une méthode d'autodéfense.
00:59Alors, à la base, vous faites partie des gens, Keïlam, et on peut se reconnaître
01:03autour de cette table aussi, qui n'arrivent pas à dire non, à poser leurs limites, qui
01:07cherchent à faire plaisir à tout le monde et qui n'adorent pas le conflit. Comment
01:10est-ce que vous vous êtes retrouvée dans un stage d'autodéfense alors que vous y
01:13êtes allée vraiment en traînant des pieds ? C'est parce que vous n'avez pas réussi
01:15à dire non, ça ?
01:16Non, non, mais c'est parce que moi, j'ai une éducation. En fait, mes parents, ils
01:20sont chinois. Ils ont vécu la révolution culturelle et je suis arrivée en France à
01:23l'âge de 6 ans, ce qui fait que j'étais toujours dans cette optique de rester sage
01:27et rester à ma place. Et en fait, il y a deux choses qui se sont passées quand je
01:32suis arrivée, c'est que je pense que j'étais dans une forme de déni, qu'il n'y avait
01:36pas de violence. Et donc, très longtemps, je n'ai pas voulu voir ça. Et ensuite, quand
01:40mes deux bandes dessinées sont sorties, en fait, j'ai commencé à rencontrer mes lecteurs
01:44et dont les lecteurs qui me disent mais comment tu fais contre le racisme ? Et moi, je n'avais
01:48pas de solution à leur apporter. Je me suis dit OK, bon, il y a un problème. Il va falloir
01:52que je me confronte à cette question de la violence. Et pour ça, je vais aller voir
01:55une spécialiste, donc Anne, pour étudier avec elle tous les mécanismes. Et surtout,
02:00ça arrivait pile au moment de la pandémie.
02:01Et c'est aussi un moment où vous étiez un petit peu bloquée, c'est-à-dire que
02:04vous n'arriviez plus à dessiner, plus à écrire.
02:07Oui, parce que les nouvelles sont extrêmement anxiogènes. Moi, j'ai senti bien évidemment
02:11que notre société en ce moment n'est pas au top de sa forme avec les problèmes écologiques
02:16qu'il peut y avoir, les problèmes de guerre. Donc moi, j'ai été très poreuse face à
02:21ça. Et aussi, je le disais tout à l'heure, avec la pandémie, ça m'a ramenée à un
02:25statut où je me disais mais qu'est-ce que je suis en train de faire ? C'est quoi donner
02:30du sens à sa vie ? Et comment est-ce que je peux me débloquer ? Et c'est là qu'une
02:32amie m'a parlé de ses ateliers d'autodéfense.
02:34Et alors, c'est quoi la première étape pour commencer à être capable de se défendre ?
02:38Eh bien ça, j'ai compris grâce à Anne que la première étape, c'est de ressentir
02:42son corps. Moi aussi, j'écoutais l'émission de Pablo Servigne et pareil, j'étais formatée,
02:48scientifique, donc il fallait plutôt être dans la performance, pas trop écouter ses
02:52émotions. Et donc la première chose à faire, je dirais, c'est de s'écouter, ressentir
02:57en fait même les émotions qu'on pourrait dire négatives, d'avoir peur, d'être en
03:00colère, les écouter et ensuite trouver des moyens d'agir.
03:04Cyril Lion, ça vous parle ? Je vous ai entendu dire que tant qu'on n'acceptait pas, qu'on
03:08serrait les dents en disant qu'on n'allait pas être faibles, on ne débloquait rien
03:11du tout.
03:12Ben oui, c'est une porte ouverte que de dire ça, mais c'est moi qui l'ai dit.
03:20Vous l'avez dit mieux certainement, j'ai mal retranscrit.
03:24Non mais on passe notre temps à faire ça quand même, on passe notre temps à serrer
03:29les dents, on passe notre temps à faire des trucs qu'on n'a pas tellement envie de faire,
03:33à se faire violence pour tenir, alors que la vie est courte.
03:39Encore une fois, ma psychiatre dont je parle souvent me dit, projetez-vous sur votre lit
03:44de mort et demandez-vous sur votre lit de mort, regardez les événements de votre vie
03:51de maintenant et demandez-vous ce que vous allez regretter.
03:53Est-ce que sur votre lit de mort, vous allez vous dire, j'ai quand même vraiment pas assez
03:56travaillé, je sens que je n'ai pas assez fait monter la croissance économique, je sens
04:00que j'aurais voulu vraiment aller faire plus de courses au supermarché ? Non !
04:05Ça déconne, il y a des gens qui aiment bien les courses au supermarché !
04:09En réalité, les choses qui nous rendent heureux, qui font nous sentir vivants, elles
04:14sont extraordinairement simples, mais elles demandent d'être un peu présents au monde,
04:18présents aux autres, présents aux arbres, aux oiseaux.
04:21Présents dans le présent même.
04:23Voilà.
04:24Alors Kei, je précise, votre manuel d'autodéfense, c'est de l'autodéfense émotionnelle, ça
04:28ne nous apprend pas à nous battre physiquement, ce n'est pas juste un manuel de boxe, ça
04:32nous apprend à mettre des limites, à agir, et parfois, agir, c'est juste souffler ou
04:36faire les gros yeux, et parfois aussi, c'est dire non, je ne suis pas intéressée.
04:39Mais alors que vous vous êtes rendu compte que ce n'était pas si facile à faire, de
04:42dire sans s'excuser qu'on ne veut pas faire quelque chose ?
04:44Oui, alors ça, j'ai découvert vraiment dans cet atelier que quand elle nous a demandé
04:48de dire non et de crier, je n'avais pas de son qui sortait, j'étais complètement bloquée.
04:53Et je me dis, mais quand même, c'est incroyable, comment ça se fait qu'à mon âge, je ne
04:57sois pas capable de crier, de dire non, de me mettre en colère, comme ça, de faire
05:00des scènes.
05:01Contrairement à Anne, moi, je n'ai pas fait de théâtre, donc pour elle, c'était très
05:04facile et je me suis retrouvée comme ça, bloquée.
05:06Et là, je me suis dit, ok, il y a un problème, il y a un sujet, c'est quand même, qu'est-ce
05:10qui se passe ? Pourquoi est-ce qu'en tant que femme, on n'arrive pas à s'autoriser
05:14à se défendre ? Pourquoi on n'arrive pas à se dire non ? Et c'est là que j'ai commencé
05:17à faire mes petites recherches pendant trois ans avec elle et à parler de violences avec
05:21elle pour comprendre qu'en fait, on n'a pas l'habitude, on ne s'autorise pas à se
05:24défendre.
05:25Ça commence par là, c'est-à-dire qu'on déjà s'autorise à se défendre, c'est la
05:28première étape.
05:29Acceptée, oui.
05:30Et alors c'est jubilatoire de dire non, une fois qu'on a réussi à le faire une fois,
05:33la première fois ?
05:34Oui, je dirais que c'est ce qu'elle m'a appris à désobéir finalement, à ne pas faire
05:41ce qu'on attend de nous et à sortir de notre condition, de ne pas rester à notre place
05:46en fait.
05:47Vous aussi, ça a été jubilatoire, une fois, vous avez dit non, ça ne m'intéresse pas
05:51Oui, en fait, c'est parce que ma petite casse de dents m'a appris à dire non.
05:56Et en fait, c'était magique ce moment parce qu'elle me disait « Mais alors, montrez-moi
05:59comment vous faites pour dire non ? » Elle me dit « Monsieur Dion, vraiment, c'est formidable,
06:02on voudrait vous inviter à telle conférence, vous êtes tellement merveilleux, tout ça
06:05! » Je dis « Oui, oui, je veux bien l'aider ». Et je lui dis « Ben non, je ne peux pas
06:09parce que je n'ai pas le temps.
06:10» Elle me dit « C'est pas grave, on va trouver une autre date ». « Non mais je ne peux pas
06:12parce que je suis un peu fatigué en ce moment ». « Mais c'est pas grave, restez deux-trois
06:15jours, vous allez vous reposer.
06:16» « Non mais j'ai ma famille.
06:17» « Mais venez avec votre famille.
06:18» « Mais c'est ma vie, ça ! » Elle me dit « Mais je sais, et vous savez pourquoi ?
06:22Parce que vous me dites non parce que… Et tant que vous me direz non parce que, moi,
06:26je chercherai une solution à votre parce que.
06:28» Alors je dis « Il faut faire quoi ? » Elle me dit « Il faut dire non ». Je dis « Non
06:31quoi ? » « Non, non, non ! »
06:33Dans votre livre, carrément, il faut faire un signe, le « non ». On met la main devant
06:39les gens pour dire non.
06:40Oui, parce qu'elle voyait bien que je n'arrivais pas, donc elle me disait « Fais un geste
06:44comme ça en disant non ». Et puis moi, je n'arrivais pas, donc elle me disait « Fais
06:48un petit geste, un petit non comme ça ». Et puis finalement, elle me fait comprendre
06:53que ça peut être corporel aussi.
06:55On peut renvoyer des signes de dire « Là, je ne suis vraiment pas intéressée, pas
06:58maintenant, merci ».
06:59Et moi, on m'a dit ça un jour, dire non, c'est dire oui à autre chose.
07:04Oui, tout à fait.
07:05Et voilà.
07:06Quand vous dites « On m'a dit ça », c'est votre psychiatre, s'il vous plaît ?
07:09Je voudrais essayer de ne pas trop la citer.
07:11Non, mais honnêtement, dire non, c'est aussi accepter de protéger quelque chose de
07:18soi.
07:19Moi, je sais qu'une des raisons pour lesquelles je ne sais pas dire non, j'en ai parlé
07:22aussi dans « Folie 12 », moi, je me suis fait violer quand j'étais petit, bref.
07:25Et donc là, c'est vraiment la négation de toutes les limites.
07:28Et après, ça devient compliqué, en fait, de justement poser une espèce de barrière
07:33de protection qui fasse que, et pour plein de choses, manger des trucs qu'on ne peut
07:38pas manger, accepter de ne pas boire comme un cinglé, moi, je sais que ça me fait hyper
07:42mal au ventre.
07:43Mais on est toujours avec quelqu'un qui dit « Allez, bois un coup », ou c'était
07:46Léa Salamé quand Arthus lui dit qu'il ne boit plus, « Vous êtes chiants maintenant
07:49! ». Et t'as envie de dire, mais en fait, si pour moi, c'est mieux, c'est-à-dire
07:53que dire non à un verre, c'est un truc qui protège ma santé, qui fait que je ne vais
07:59pas mettre la journée à m'en remettre le lendemain, c'est mon problème.
08:03Et on voit à quel point, dans le monde dans lequel on vit, c'est assez mal vu, en fait.
08:08Et c'est très compliqué de simplement se respecter, finalement.
08:12Kélam, à la fin du livre, justement, vous parlez de la boxe et de l'escrime qui vous
08:15a aidé à comprendre les limites, le rapport à la limite.
08:18Qu'est-ce que vous entendez par là ? Qu'est-ce qu'on apprend quand on voit des escrimeurs ?
08:21Je vais vous prendre une anecdote, tout simplement, le maître d'armes me dit « Vous mettez
08:26droit devant et on va faire venir quelqu'un.
08:30Et dès que vous ne vous sentez pas à l'aise, vous faites stop ». Et moi, je voyais la
08:34personne s'approcher de moi et je me disais « Elle n'a pas l'air méchante, donc
08:37tout va bien ». Et je l'ai laissé beaucoup s'approcher de moi.
08:40Et là, il me dit « On va faire un autre truc, tu vas fermer tes yeux et on va faire
08:44le même exercice ». Et là, j'ai dit tout de suite « Stop » parce que je n'entendais
08:48pas ce qui se passe.
08:49Et en fait, tout ça, c'est pour nous tester, pour faire comprendre que moi, ma limite,
08:53elle n'est pas la même qu'une autre personne.
08:54Et donc, on est les seuls à savoir à quel moment la limite est franchie et à quel moment
08:59il faut se protéger.
09:00Et ça, c'était quelque chose que je n'avais pas forcément en tête, de me dire « Ok,
09:03j'ai le droit d'avoir mes limites à moi et j'ai le droit de dire non quand j'ai
09:07envie de dire non, tout simplement ».