• il y a 6 mois
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Jean-Marc Sauvé, haut-fonctionnaire, répond aux questions de Dimitri Pavlenko à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la fin de vie par les députés de la Commission spéciale. Selon lui, il est important de se poser la question de la société que l'on veut construire à travers ce débat.

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Transcription
00:00 - Heure, pas matin. - Il est 7h12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin l'ancien haut fonctionnaire Jean-Marc Sauvé.
00:06 - Bonjour Jean-Marc Sauvé. - Bonjour. - Bienvenue sur Europe 1, je précise vous êtes ancien vice-président du Conseil d'Etat, des fonctions que vous avez quitté il y a quelques années.
00:14 Vous êtes une voix écoutée en France, Jean-Marc Sauvé, vous êtes venu nous voir ce matin pour parler du projet de loi sur la fin de vie,
00:20 puisque depuis hier, on en parlait dans le journal il y a quelques instants, les 71 députés membres de la commission spéciale de l'Assemblée en ont entamé l'examen avant l'arrivée du texte dans l'hémicycle à la fin du mois.
00:33 Alors je rappelle que ce projet de loi prévoit d'ouvrir une aide active à mourir, qui prendrait la forme, disons les mots, d'un suicide assisté,
00:41 voire d'une euthanasie en cas d'impossibilité pour la personne de s'administrer seule la mort. Vous aviez pris la plume en septembre dernier, Jean-Marc Sauvé, pour dire "attention,
00:51 il faut bien prendre le temps de regarder les implications de la création d'un tel droit, d'un droit à cette aide à mourir". Qu'est-ce que vous craignez Jean-Marc Sauvé ?
01:00 - La question qui se pose, c'est celle de la société qu'on veut construire. Est-ce que c'est une société de soins, de bienveillance, de solidarité ?
01:13 Ou est-ce que c'est une société dans laquelle, toute la sollicitude qu'on peut avoir envers une personne, c'est de lui donner sur demande une dose létale parce qu'elle remplirait quelques critères légaux ?
01:26 Voilà, la question est, est-ce que nous croyons encore aujourd'hui à une société du commun ? Et je ne me résigne pas.
01:35 Je ne me résigne pas à une législation qui, avec un ou deux paramètres qui peuvent être modifiés, nous mette immédiatement au niveau de la Belgique, des Pays-Bas ou du Canada.
01:47 - En substance, vous craignez que cette aide active à mourir, ce soit une forme de renoncement implicite aux soins ? Jean-Marc Sauvé, on...
01:54 - Oui, le risque d'un renoncement aux soins, c'est une forme d'abandon.
02:01 Ce que je pense, c'est qu'un certain nombre de personnes nous adressent implicitement des appels au secours.
02:10 Et il ne faut pas se tromper sur le sens des messages que nous recevons.
02:15 - Mais vous voyez bien aussi que ce courant en faveur d'une légalisation de l'euthanasie ou du suicide assisté, il est très fort en France.
02:22 C'est même plutôt globalement approuvé par les Français, Jean-Marc Sauvé ?
02:27 - Il semble qu'il y ait une majorité silencieuse.
02:30 Moi, je suis un classique, je fais moins confiance aux sondages qu'à la représentation nationale et aux débats démocratiques à l'Assemblée Nationale.
02:41 Ce que je pense, c'est que bien sûr, il y a une majorité dans les sondages, mais qu'est-ce qu'elle veut dire ?
02:49 Ce sont des gens bien portants, les gens bien portants.
02:54 Et à quoi pensent-ils ?
02:56 Qu'il y a des fardeaux financiers, des charges familiales, des charges sociales, nationales, qui sont vraiment lourdes à porter.
03:08 Mais est-ce que, au final, est-ce que les uns et les autres sont prêts, librement, à accepter ?
03:16 Alors, il faut savoir aussi, on nous parle beaucoup de personnes qui accompagnent des mourants, qui sont prêts à les assister pour mourir.
03:25 Il ne faut pas être naïf. Tout le monde n'est pas désintéressé.
03:29 Il y a des charges familiales à réduire, il y a des patrimoines à transmettre.
03:33 - Vous voulez dire que l'aide active à mourir va servir, dans certains cas, Jean-Marc Sauvé, ou en tout cas risque de servir pour certains, de se débarrasser de nos vieux ?
03:41 Je dis les choses très crûment, Jean-Marc Sauvé.
03:43 - Vous dites crûment, c'est ce que je redoute.
03:45 - C'est ce que les gens se disent.
03:47 - Je ne redoute pas, mais c'est bien à ça que je pense.
03:51 Et, si vous voulez, nous avons... Enfin, ce serait vraiment une rupture anthropologique.
03:57 Si vous voulez, aujourd'hui, pour la fin de vie, avant de faire délibérément mourir, parce que donner une dose létale, ça n'est pas soigner.
04:08 Avant de faire mourir les gens, il faudrait peut-être aussi arrêter l'acharnement thérapeutique.
04:17 Combien de personnes j'ai vu survivre pendant des semaines et des semaines, voilà, pour finalement décéder avec des soins complètement inutiles ?
04:32 On aurait pu, si on en avait eu les moyens, mettre en place des soins palliatifs.
04:37 - Pas d'acharnement, je rappelle, c'est l'esprit de la loi Claes-Leonetti aussi.
04:40 - Voilà, c'est l'esprit, et c'est ma conviction personnelle.
04:43 Moi-même, j'ai fait mes directives anticipées pour que, justement, on ne m'inflige pas des soins complètement inutiles, un coût démentiel pour la collectivité.
04:55 Alors, arrêtons ça qui est inutile, aidons les gens à mourir au sens littéral du terme,
05:02 et n'utilisons pas les mots "aide à mourir" pour, en réalité, désigner ce qui est, je dirais, la mort provoquée, la mort administrée, le suicide assisté et l'euthanasie.
05:15 Ça n'est pas aider à mourir que de donner une dose létale qui vous fait disparaître en une à deux minutes.
05:22 - Alors, il y a une notion du projet de loi actuel qui va être vivement débattue à l'Assemblée nationale.
05:28 Il y a cette idée que cette aide active à mourir pourrait être prononcée, pourrait être proposée aux malades,
05:36 quand son pronostic vital est engagé à court ou moyen terme.
05:41 - Oui. - Court ou moyen terme. C'est quoi le moyen terme, Jean-Marc Sauvé ?
05:45 - Écoutez, à long terme, déjà, on sera tous morts. Donc, ce problème-là est réglé.
05:49 Le court terme, on sait ce que c'est. C'est quelques jours, quelques semaines, deux mois, trois mois maximum.
05:56 - Ça, les médecins peuvent dire. - On sait ce que c'est.
05:58 Le moyen terme, personne, je crois, ne sait véritablement ce que c'est.
06:05 Et au fond, dans ce débat, et c'est bien ça l'objet du débat parlementaire, du débat démocratique,
06:12 il faut qu'on aille au fond des choses. Je note que sur ce pronostic vital engagé à moyen terme,
06:18 au fond, personne n'est satisfait. Ceux qui veulent une euthanasie ouverte, veulent supprimer le pronostic vital.
06:25 - Bon, et ceux qui... - "Ma mort, mon choix", avec cette idée-là.
06:30 - Voilà, exactement. "Ma mort, mon choix", mais personne, enfin, moi je ne connais pas de médecin qui puisse dire,
06:39 dans un cas déterminé, "vous en avez pour six mois à un an, et donc votre pronostic vital est engagé à moyen terme".
06:48 C'est une ambiguïté fondamentale de ce texte, et je crois qu'il faut qu'on aille au bout de la discussion et de la clarification.
06:56 On le doit à la fois à la médecine, mais on le doit aussi au peuple français.
07:00 - Vous avez dit tout à l'heure, au début de cet entretien, Jean-Marc Sauvé, "ne devenons pas la Belgique",
07:05 en substance, c'était un peu votre propos. Qu'est-ce que vous craignez, avec votre regard de juriste d'ailleurs,
07:12 que les garde-fous qui sont prévus par la loi sautent comme on a pu le voir en Belgique ?
07:16 - Il faut être clair, au-delà des mots, je ne vois pas, dans ce texte, avec notamment le pronostic vital engagé à moyen terme,
07:28 je ne vois pas de véritable garde-fou. Pour qu'on soit au niveau du Québec ou de la Belgique ou des Pays-Bas,
07:36 il faut d'abord supprimer la minorité, parce que le suicide assisté n'est pas autorisé pour les mineurs.
07:48 - Pour le moment, le projet actuel, ce n'est pas avant 18 ans, mais certains souhaiteraient que ce soit avancé à l'âge de 13 ans.
07:52 - Et lever la condition du pronostic vital, et à ce moment-là, toute personne atteinte de polypathologie,
08:04 et c'est le cas de la quasi-totalité des personnes âgées, sera éligible au suicide assisté ou à l'euthanasie.
08:12 Et c'est, je crois, la voie dans laquelle je ne recommande pas que l'on s'engage.
08:20 - Merci Jean-Marc Sauvé d'être venu ce matin au micro d'Europe 1. Je rappelle que vous êtes l'ancien vice-président du Conseil d'État.
08:27 Votre tribune à retrouver sur le site internet du journal Le Monde. Merci d'être venu nous voir sur Europe 1. Votre journée.

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