• il y a 6 mois
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Claire Fourcade, médecin et présidente de la Société Française des Soins Palliatifs, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Ensemble, ils s'intéressent aux débats autour du projet de loi sur la fin de vie.

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Transcription
00:00 - Le docteur 12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin la présidente de la Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs, le docteur Claire Fourcade.
00:08 - Bonjour Claire Fourcade.
00:10 - Bonjour.
00:11 - Bienvenue sur Europe 1, vous êtes médecin en soins palliatifs à Narbonne.
00:15 Les députés ont entamé hier l'examen du projet de loi sur la fin de vie.
00:19 Alors l'organisation que vous présidez, la SfAP, a signé avec 22 autres organisations de soignants une tribune dans le Figaro appelant les députés à rejeter ce texte
00:28 qui prévoit une aide active à mourir très large. Pourquoi, pour rappeler les arguments, pourquoi vous opposez-vous à ce texte Claire Fourcade ?
00:36 - Parce que ce texte vient bouleverser complètement la relation de soins avec les personnes en fin de vie.
00:43 On a besoin pour soigner ces personnes d'être à leur écoute et de pouvoir leur garantir jusqu'au bout que nous les soignants, on sera là pour eux,
00:52 que quoi qu'il arrive on les abandonnera pas, qu'on les soulagera, qu'on fera tout pour les soulager.
00:57 Et ce texte vient changer complètement ce dialogue avec les patients.
01:00 Il nous incite, nous soignants, à renoncer à soigner certains patients et même à être ceux qui leur donneront la mort.
01:06 Et pour nous c'est un changement tellement majeur de notre métier et de la relation qu'on a avec les patients
01:11 qu'on incite les députés à penser le changement que ça va représenter et à y être d'immense vigilance.
01:17 - Alors ça c'est pour l'ensemble de la communauté médicale. C'est vrai que le geste de donner la mort c'est l'opposé, le contraire total du geste médical.
01:26 Mais plus encore pour vous Claire Fourcade qui êtes spécialisée dans les soins palliatifs.
01:31 Dites-nous de votre expérience Claire Fourcade, que demandent les malades en fin de vie qui souffrent ?
01:37 Est-ce que justement ce n'est pas ce geste d'abréger leur souffrance ?
01:41 - Alors ça fait 25 ans que je fais ce métier. Je travaille dans une équipe qui a accompagné 13 000 patients.
01:47 Et depuis 25 ans on a eu trois demandes d'euthanasie persistantes.
01:51 Donc ce qu'on constate nous au quotidien et c'est ça qu'on voulait mettre dans le débat en prenant la parole,
01:55 c'est que ce que nos patients nous demandent tous les jours c'est de les aider à vivre dans les meilleures conditions possibles.
02:00 Ce qui fait peur et c'est tout à fait légitime et je pense que tous les français qui nous écoutent ont cette crainte là, c'est de souffrir.
02:07 C'est la peur d'être seul, de souffrir et de mourir dans des conditions difficiles.
02:12 Et nous ce qu'on dit c'est qu'il est possible d'être accompagné et de mourir dans de bonnes conditions à condition d'avoir accès aux soins.
02:18 Et aujourd'hui en France, la moitié des patients qui en auraient besoin n'ont pas accès aux soins palliatifs.
02:23 Ça veut dire qu'en France aujourd'hui il y a 500 personnes chaque jour qui meurent sans avoir eu accès aux soins.
02:28 Et il nous semble que la priorité c'est que chaque français puisse avoir accès aux soins dont il a besoin
02:33 et que personne ne demande à mourir parce qu'il n'a pas eu les soins qu'il aurait dû recevoir.
02:38 Oui, autrement dit les soins palliatifs n'ont pas besoin d'une nouvelle loi mais davantage de moyens si je vous ai bien compris Claire Fourcault.
02:44 On ne soigne pas avec des lois, on soigne avec des gens et avec des moyens.
02:47 Et c'est ce qui nous manque actuellement, on a besoin d'un vrai engagement politique pour rendre accessibles ces soins.
02:53 Il nous semble que c'est la première urgence.
02:55 Oui, alors vous avez mené un entretien croisé ce week-end dans le journal du dimanche avec l'écrivain Michel Houellebecq
03:02 qui est très hostile à l'euthanasie, au suicide assisté mais qui aussi travaille beaucoup quand même sur le sujet.
03:09 Et dans votre conversation avec lui, vous évoquez votre expérience préalable avant de travailler en soins palliatifs.
03:16 Vous avez travaillé dans un service de soins pour malades atteints du VIH.
03:20 Et vous en avez tiré une expérience très intéressante sur une réflexion sur la relation de pouvoir qui existe entre le médecin et le malade.
03:29 Et vous dites que justement à travers ce texte, le projet de fin de vie, la relation de pouvoir va être totalement déséquilibrée.
03:36 Est-ce que vous pouvez expliquer ça aux auditeurs d'Europe 1 parce que c'est absolument passionnant ?
03:39 Dans le projet de loi qu'on nous présente, on nous dit que c'est un projet d'autonomie pour les patients, pour donner aux patients la liberté de choisir sa fin de vie.
03:48 Or dans ce projet, c'est le médecin qui décide si le patient remplit les critères, c'est le médecin qui fait la prescription, c'est le médecin qui va chercher le produit,
03:56 c'est le médecin qui injecte le produit, c'est le médecin qui est présent d'un bout à l'autre.
04:00 Et depuis des dizaines d'années, les soins palliatifs s'attachent à rééquilibrer la relation entre les patients et les soignants
04:06 et à redonner aux patients la place qui est la sienne, c'est-à-dire de pouvoir dire ce qu'on souhaite et d'être accompagné dans ses souhaits.
04:13 Et là, avec ce projet de loi, c'est de nouveau le médecin qui reprend tout le pouvoir sur le patient et qui va décider lui-même.
04:20 À toutes les étapes, c'est le médecin qui prend la décision. Et il nous semble que là encore, c'est un vrai recul.
04:26 L'euthanasie, c'était quelque chose qui était très utilisé en France dans les années 80. C'est vraiment un projet du passé.
04:31 Le projet de l'avenir, c'est de rééquilibrer cette relation entre les patients et les soignants pour qu'ensemble, on puisse avancer,
04:38 qu'ensemble, on puisse construire ce dont le patient a besoin.
04:41 Vous dites aussi que ce texte va forcer chacun à se poser une question terrible.
04:47 Dès lors qu'on a la possibilité du suicide assisté, qu'on a la possibilité de demander l'euthanasie,
04:53 une fois à l'hôpital, une fois qu'on se sent proche de la fin, tout le monde va devoir se poser la question "Est-ce que je mets fin ou pas à ma propre vie ?"
05:00 C'est quand même une question terrible.
05:02 C'est très difficile. Et l'année dernière, une ministre est venue visiter notre service et proposait à une patiente de la rencontrer.
05:08 Elle me dit "Aujourd'hui, je suis trop fatiguée, je ne peux pas, mais dites-lui simplement que je ne veux pas avoir à me demander si ce serait mieux que je sois morte."
05:14 Et je trouve que ce projet de loi qui va peut-être rassurer des gens en bonne santé en se disant "Si ça n'allait pas, je pourrais."
05:22 Il vient au contraire, pour chaque patient, les obliger à se demander si pour eux, pour leurs proches, pour la société, ce serait mieux qu'ils soient morts.
05:29 Et jusqu'à aujourd'hui, on a une loi qui nous permet à nous soignants de dire à chaque patient "Vous comptez pour nous, et pas seulement pour nous soignants ou vos proches, mais vous comptez pour toute la société. La société tient à vous."
05:39 Et si ce message change, ça va être bien plus difficile aussi pour ces patients d'envisager leur place dans notre communauté humaine.
05:46 Mais au fond, Claire Fourcade, cette garantie finalement que les gens en bonne santé croient trouver dans la possibilité du recours au suicide assisté à l'euthanasie,
05:55 est-ce que c'est le libre choix de la mort ou la peur de souffrir qui guide cette option ? Qu'est-ce que vous en pensez ?
06:03 Je pense que pour un très petit nombre, il y a une position philosophique de vouloir choisir et maîtriser sa mort.
06:08 Et même ces gens-là, je vois dans ma pratique, souvent quand ils sont en fin de vie, ça évolue.
06:12 Et puis pour le plus grand nombre, c'est la peur de souffrir et la peur de mourir dans de mauvaises conditions,
06:17 parce que souvent on a vu mourir des proches dans des conditions qu'on a jugées indignes et à raison.
06:22 Mais le risque, c'est qu'avec cette loi, un plus grand nombre de patients soient poussés à choisir la mort par crainte de la souffrance
06:30 que le petit nombre qui l'aurait choisi par position philosophique.
06:33 Et ce projet de loi, il est incitatif pour des patients à se dire "après tout, ce serait mieux pour les autres".
06:39 On sait que dans les pays qui ont légalisé, un grand nombre de patients choisissent ces options-là parce qu'ils sont isolés, parce qu'ils ont peur de peser sur leurs proches.
06:46 Et ça, nous on veut pouvoir continuer à dire à nos patients "vous êtes important, vous comptez et on va prendre soin de vous quoi qu'il arrive".
06:52 Merci beaucoup Claire Fourcade d'avoir été ce matin au micro d'Europe 1.
06:56 Je rappelle que vous êtes la présidente de la Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs.
07:00 Bonne journée à vous.

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