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Véronique Prudhomme, consultante dans le secteur de la santé et spécialiste de la facturation des soins dans le système hospitalier, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Ensemble, ils reviennent sur la levée de boucliers à gauche contre la suppression de l'Aide médicale d'État.
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Véronique Prudhomme, consultante dans le secteur de la santé et spécialiste de la facturation des soins dans le système hospitalier, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Ensemble, ils reviennent sur la levée de boucliers à gauche contre la suppression de l'Aide médicale d'État.
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00:00 - Les 7h12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin la consultante dans le secteur de la santé, Véronique Prudhomme.
00:06 - Bonjour Véronique Prudhomme, bienvenue sur Europe 1, vous êtes une spécialiste de la facturation des soins dans le système hospitalier.
00:13 C'est une expertise de pointe qui vous a conduite à vous intéresser, c'est quoi ? C'est une toute petite ligne du budget annuel de la Sécurité sociale.
00:21 L'AME, l'Aide médicale d'État, dont les sénateurs ont voté cette semaine la suppression en vue de la remplacer par une aide médicale d'urgence.
00:28 Alors ça fait grand bruit dans le monde de la santé, des médecins dénoncent une décision inhumaine, une hérésie humanitaire.
00:36 Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, a prévenu dès mardi "on gardera l'AME".
00:40 Aurélien Rousseau, ministre de la Santé, a dit sensiblement la même chose.
00:44 Bref, c'est un tir de barrage particulièrement nourri contre le Sénat.
00:47 Alors vous connaissez, Véronique Prudhomme, particulièrement bien les mécanismes de l'AME.
00:52 D'ailleurs, vous lui avez consacré un livre en 2019. C'est quoi la vérité sur l'AME ? C'était le titre de votre ouvrage, Véronique Prudhomme.
00:59 La vérité sur l'AME. Approchez-vous un petit peu du micro.
01:02 L'AME, déjà, on va le redéfinir. L'AME, c'est l'Aide médicale d'État, donc instaurée au 1er janvier 2020,
01:07 destinée à prendre en charge les frais de santé, que ce soit dans le système hospitalier comme à la ville,
01:12 des personnes qui sont arrivées sur le territoire français, enfin qui sont illégales sur le territoire français.
01:17 Alors déjà, il faut définir comment on peut être illégal sur le territoire français. Il y a trois façons de l'être.
01:21 Soit on arrive de manière illégale, soit on est de parents illégaux, soit on arrive avec un visa touristique,
01:29 ou pas, mais en tout cas avec un visa, donc de manière légale, et à l'issue du visa, eh bien on devient illégal sur le territoire français.
01:35 On se laisse glisser dans la clandestinité.
01:37 C'est cela. Et c'est ce qui arrive régulièrement, et d'ailleurs le président de la République l'avait relevé en 2019 lors d'une interview qu'il avait réalisée,
01:44 où il trouvait inacceptable de pouvoir basculer de cette façon-là à l'issue d'un visa qui devient périmé.
01:51 - Et au bout de trois mois de clandestinité, à ce moment-là, un français, enfin la personne qui est dans cette situation-là,
01:57 de clandestinité peut postuler à l'AME. Alors d'ailleurs c'est assez étonnant, parce qu'être illégal sur le territoire,
02:03 quelque part devient un statut légal à travers cette aide médicale d'État, Véronique Paudre.
02:07 - C'est un peu cela, puisque du coup ça permet d'avoir accès à ces soins.
02:12 Mais moi je voudrais resituer le débat, parce que le débat aujourd'hui, il est tronqué, il est mal posé.
02:17 Pour faire une métaphore au système de santé, si on veut un bon traitement, il faut poser un bon diagnostic.
02:25 Et aujourd'hui le diagnostic il n'est pas bien posé. Parce qu'on cherche à opposer continuellement, et d'année en année on a le même débat.
02:32 Moi je peux revenir dans un an, dans deux ans, ça fait des années qu'on en parle. Il y a le clan des pours, le clan des contres.
02:37 - La suppression de l'AME. - Oui c'est ça, absolument.
02:39 Est-ce qu'on garde l'AME, est-ce qu'on la réduit, est-ce qu'on la maintient, on ne touche à rien, c'est ce que vous avez évoqué en préambule.
02:44 - À droite on dit c'est une pompe aspirante, ça coûte plus d'un milliard d'euros aujourd'hui aux caisses de la sécurité sociale,
02:48 parce que c'est la sécu et donc le contribuable, les cotisants, qui payent pour ces personnes qui ne cotisent pas à travers l'AME.
02:55 Et puis il y a la gauche qui dit mais il ne faut surtout pas toucher à ça,
02:58 parce que vous allez mettre à la rue des gens qui vont tomber malades,
03:00 et on risque d'avoir des épidémies en France parce qu'ils ne nous auront plus à aller à l'hôpital se faire soigner.
03:04 - Ce qui est vrai, en fait les arguments des deux camps sont valables, mais sont très incomplets,
03:09 et c'est là que je veux vraiment resituer le débat.
03:11 Le débat est encore une fois tronqué.
03:13 Quel est véritablement l'enjeu du problème ?
03:15 C'est quoi cette dépense non maîtrisée ? Elle concerne qui ? Elle concerne quoi ?
03:19 Eh bien moi je considère que cette dépense non maîtrisée va concerner les abus du tourisme médical.
03:24 Et là ça va concerner aussi bien les illégaux, mais les légaux sur le territoire français,
03:27 c'est-à-dire les personnes qui arrivent avec un visa, qui arrivent avec un avion,
03:31 et qui vont se faire soigner dans les établissements français à la charge du contribuable.
03:34 - Alors on va revenir précisément sur ce détail, parce que c'est ce que vous racontez dans votre ouvrage,
03:38 mais si j'ai bien compris, vous dites quand on se focalise sur l'aide médicale d'État,
03:44 de son coût pour le contribuable, 1,2 milliard nous disait, encore le budget sur 2022,
03:50 en réalité le sujet c'est que ça n'est qu'une composante finalement de l'attractivité médicale française.
03:56 - Absolument, parce que le patient qui arrive, qui veut se faire soigner à la charge de l'État français,
04:00 qu'est-ce qu'il va faire ? Il va prendre un billet d'avion,
04:02 et il va rentrer dans un établissement de santé du système public, et par les urgences.
04:07 On a environ 650 services d'urgence en France. Donc il va prendre un billet et il rentre aux urgences.
04:11 Et là, lui il ne se préoccupe pas du tout de savoir qui va payer les soins.
04:13 Est-ce que c'est l'hôpital ? Est-ce que c'est une aide sociale ?
04:17 Et finalement ce sont les services hospitaliers, les services administratifs et les services sociaux,
04:21 qui vont tout faire pour permettre à un patient d'avoir une AIME,
04:25 pour qu'ensuite on ait un paiement en face, parce que sinon c'est une bouteille à la mer.
04:28 Qu'est-ce qu'on fait de la facture des soins d'un patient qui est arrivé,
04:31 et qui ne va pas les régler, soyons clairs, dans la majorité des cas ?
04:34 Bien sûr, ce n'est pas 100% des cas, mais c'est ce qui arrive très fréquemment.
04:37 Et je vais vous lire un exemplaire, un échantillon d'une circulaire interministériale qui date de 1996,
04:43 donc avant l'AIME, où on disait la chose suivante.
04:46 "Forcé de constater que depuis de longues années, il génère de nombreuses",
04:50 donc c'est ce tourisme médical, "de nombreuses créances irrecouvrables
04:53 qui pèsent lourdement sur la trésorerie des établissements de santé".
04:55 1996, donc bien avant l'AIME.
04:58 Donc ce problème n'a pas été pris en considération, n'a pas été résolu depuis au moins 1996, voire bien avant.
05:04 - Véronique Prudhomme, vous dites aujourd'hui que finalement,
05:07 les gens qui se présentent à l'hôpital, qui viennent de l'étranger, parfois en situation irrégulière,
05:13 savent que de toute façon, quoi qu'il arrive, les médecins les prendront en charge.
05:18 - Oui, c'est normal.
05:19 - À l'hôpital, la médecine est solidaire, on soigne, et après on voit comment on peut se faire payer.
05:22 - Oui, et puis en fait, ce sont vraiment deux entités différentes.
05:26 Il y a la partie médicale d'un côté et la partie financière de l'autre.
05:29 Donc les médecins ne se préoccupent pas, et c'est normal, de savoir qui va payer les soins à la sortie du patient.
05:36 - Les médecins hospitaliers, parce que la médecine de l'huile, c'est pas tout à fait pareil.
05:38 - Absolument, on est d'accord.
05:39 Moi, je vous parle de l'hôpital, sachant que si on repart de l'AIME,
05:43 deux tiers des dépenses d'AIME sont à l'hôpital.
05:45 D'accord, donc c'est quand même la grande majorité.
05:47 Donc s'agissant de l'hôpital, qu'est-ce qui se passe ?
05:49 Un patient rentre, il reçoit des soins, il est hospitalisé, que sais-je ?
05:52 Eh bien, à l'issue de cela, il y a trois possibilités.
05:55 Soit on envoie la facture au patient, là encore une fois, bouteille à la mer,
06:00 parce que l'envoyer au patient, c'est l'envoyer à l'étranger,
06:02 faut-il encore avoir une adresse valable ?
06:03 Et si quand bien même on a une adresse valable, la facture n'a aucune chance d'être recouvrée.
06:06 Quasiment 5% des recouvrements à l'étranger.
06:09 Donc c'est rien, il n'y a pas de recouvrement possible à l'étranger.
06:11 - Mais on sait combien ça représente, ces créances ?
06:14 - Alors, on ne sait pas précisément, parce que cette facture, elle a deux devenir possibles,
06:17 selon les établissements, selon leur fonctionnement.
06:19 Soit on l'émet, on émet une facture,
06:21 et cette facture, elle va très certainement devenir une créance irrecouvrable,
06:25 soit on ne l'émet même pas.
06:26 Et donc là, ça part, il n'y a plus de traces, c'est fini.
06:29 Ça sort de la comptabilité.
06:30 - Donc vous dites, sous-entendu, l'AME, c'est un moindre mal,
06:32 parce que ça permet encore à l'hôpital de se faire régler,
06:35 par la sécurité sociale, les soins qu'il a délivrés à des personnes
06:39 en situation de clandestinité,
06:41 et qui viennent se faire soigner sans souci de pouvoir, s'ils pourront payer.
06:44 - Oui, c'est exactement ça.
06:46 Alors, c'est exactement ça.
06:47 Moi, je l'ai à peu près estimé, ce montant de soins qu'on passe,
06:51 soit en irrecouvrable, soit en facture non-émise.
06:55 Je l'estimais entre 800 millions et 1 milliard d'euros.
06:57 Donc vous voyez, finalement, on est sur des budgets.
06:59 Alors, c'est une estimation que je n'ai pas lancée en l'air.
07:00 - Mais sous forme d'une dette cumulée ou de chaque année ?
07:03 - Non, chaque année, même titre que l'AME.
07:04 En réalité, chaque année, il y a des créances régulièrement qui sont émises,
07:07 parce qu'en fait, c'est un phénomène très important.
07:09 Encore une fois, le débat n'est pas bien posé.
07:11 - Vous dites chaque année, il y a 800 millions à 1 milliard d'euros
07:13 de factures émises par les hôpitaux ?
07:15 - Ou non-émises, carrément.
07:16 Donc, en fait, c'est une estimation, mais que je base quand même sur des chiffres
07:18 auxquels j'ai eu accès.
07:20 Donc, c'est énorme.
07:22 Et le débat, il doit être situé à ce niveau-là.
07:25 - Si je tiens à la conclusion de ce que vous venez de dire, Véronique Prudhomme,
07:28 c'est-à-dire que l'AME, malgré tout, permet aux hôpitaux de se faire payer.
07:32 Les sénateurs viennent d'en voter la suppression.
07:34 On a eu 3 500 médecins qui disent
07:36 "si c'est supprimé, de toute façon, on continuera à soigner".
07:39 - Oui.
07:39 - Vu ce que vous nous avez dit, on comprenait que ça ne change pas grand-chose dans votre système.
07:42 - Exactement, de toute façon, c'est ce qui se passera.
07:43 Ils n'avaient même pas besoin de le dire et on le comprend encore une fois.
07:45 - Mais qu'est-ce qu'il faut faire alors ?
07:47 - Alors, il y a plusieurs choses à faire.
07:49 Il y a un certain nombre, il y a pas mal de solutions.
07:51 Déjà, il va falloir revoir, parce qu'il faut savoir que quand un patient vient avec un visa,
07:56 il est supposé avoir une assurance qui le couvre à hauteur de 30 000 euros.
07:59 Ces assurances, dans la majorité des cas, se désengagent des soins
08:02 qui ont été prodigués à un patient.
08:03 Dans la majorité des cas.
08:04 - Les consulats doivent s'assurer, lorsqu'ils émettent un visa pour la destination de la France,
08:08 que...
08:09 - Que le patient a bien une assurance.
08:10 Donc, cette assurance, aujourd'hui, c'est quasiment une coquille vide dans la majorité des cas,
08:13 dans quasiment tous les cas.
08:14 Il faut réécrire les cahiers des charges de ces assurances,
08:18 avoir des contrats beaucoup plus précis.
08:20 La Thaïlande avait fait quelque chose de ce même ordre.
08:23 Avoir des contrats négociés en amont par les consulats,
08:26 avec un cahier des charges très précis,
08:28 qui doit prendre en charge les maladies préexistantes,
08:30 également les grossesses des femmes qui arrivent.
08:34 Parce que, concrètement, l'AMU ne va rien modifier.
08:37 - L'aide médicale d'urgence.
08:38 - Voilà, qui a été votée récemment, ne va modifier qu'à la marge le problème qui est situé.
08:43 Donc, première chose, il faut redéfinir les contrats d'assurance.
08:47 Il faut solidariser l'hébergeant.
08:49 L'hébergeant qui reçoit un patient quand il a un visa.
08:53 Il faut réorganiser le recouvrement des prestations qui sont facturées à l'étranger.
08:59 Aujourd'hui, elle n'est pas organisée, elle ne fait pas partie des conventions entre les pays.
09:03 Donc, les créances fiscales s'est organisées,
09:06 les produits hospitaliers sont totalement en dehors de tout cela.
09:09 Il faut renforcer la coopération à l'international.
09:12 Et ensuite, dernière chose, il faut conditionner l'obtention des visas
09:16 par l'absence d'une dette envers un établissement de santé français.
09:19 - Merci Véronique Prudhomme.
09:21 La vérité sur l'AMU, votre livre n'est pas facile à trouver,
09:23 mais on le trouve quand même en version numérique, et en tout cas, par le courageuse.
09:26 Merci d'être venue nous éclairer ce matin sur les enjeux autour de cette suppression de l'AMU.