Michel Guénaire : «On vit une crise institutionnelle européenne»

  • il y a 7 mois
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Michel Guénaire, écrivain et avocat et auteur de l'ouvrage "Après la mondialisation. Le retour à la nation" aux éditions Presse de la Cité, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Ensemble, ils s'intéresse à la mobilisation des agriculteurs dans l'ensemble de l'Europe, protestant contre les normes européennes qui sont établies contre leurs intérêts.
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Transcript
00:00 - Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin l'avocat et essayiste Michel Guénard.
00:04 - Bonjour Michel Guénard.
00:05 - Bonjour.
00:05 - Bienvenue sur Europe 1, vous êtes avocat,
00:08 vous êtes notamment spécialiste en droit de l'énergie,
00:09 vous avez écrit de nombreux livres, le dernier intitulé "Après la mondialisation,
00:13 le retour à la nation", c'est paru aux presses de la cité.
00:16 Vous êtes aussi un fin connaisseur des rouages de l'Union européenne, Michel Guénard,
00:21 des tracteurs qui font le siège du Conseil européen,
00:23 et hier des paysans qui depuis des mois manifestent un peu partout sur le continent.
00:27 Alors pas de manière synchronisée, certes, presque comme une rotation,
00:31 mais est-ce qu'on n'est pas en train de vivre, est-ce qu'on ne vient pas de vivre en France,
00:36 le premier mouvement social authentiquement européen, continental ?
00:39 - On vit en tout cas une crise institutionnelle européenne très lourde,
00:46 qu'on n'avait sans doute jamais connue.
00:47 On a eu des crises européennes, la dernière c'est le Brexit,
00:51 avec le départ des Anglais de l'Union européenne,
00:54 mais là c'est une crise sur les institutions qui montre du doigt
00:59 un fonctionnement qui n'est plus en phase avec la réalité des intérêts des pays européens.
01:05 - Mais en quoi c'est une crise institutionnelle européenne,
01:07 ce mouvement de colère des agriculteurs qui d'abord se tournent vers son État,
01:12 vers ses États, et puis avec cette remontée à laquelle on a assisté cette semaine,
01:17 à l'occasion, il y avait une occasion, c'était ce Conseil européen extraordinaire,
01:21 et qui se tourne vers Bruxelles. En quoi c'est une crise européenne ?
01:24 - Parce que les agriculteurs ont bien vu que l'origine de leurs problèmes provenait de Bruxelles.
01:30 Alors certes, hier on a eu une réponse à leur crise provenant du gouvernement national français, très bien,
01:37 mais ils voient bien que depuis Bruxelles, il y a des contraintes normatives,
01:43 et donc ils posent la question, est-ce que ce modèle européen,
01:48 qui pèse en normes sur leur vie de tous les jours, est tenable ?
01:53 Quand on sait qu'à la fois ce modèle produit des normes qui pèsent sur les agriculteurs des 27 pays membres,
02:01 et mais à la fois, indépendamment de ces normes, négocie des accords internationaux,
02:06 presque au dépend des intérêts des paysans, des agriculteurs, des installations agricoles,
02:12 et on voit ainsi quelque chose qui se fait à l'insu des intérêts profonds des pays membres de l'Union européenne.
02:19 Les agriculteurs le voient, mais les consommateurs d'énergie le voient aussi,
02:23 tous identifient un modèle institutionnel qui est à bout de souffle.
02:29 - Alors on va en parler, mais si je résume ce qu'on a entendu beaucoup sur les barrages des agriculteurs,
02:35 on entend que dans les fermes, l'Europe est perçue comme une espèce de lointain pouvoir
02:39 qui dicte aux États des normes, des règlements, des interdictions,
02:43 comme par exemple celle de l'interdiction de pêcher pour un mois dans le golfe de Gascogne pour protéger les dauphins.
02:48 C'est cette idée que le vrai pouvoir n'est plus vraiment dans les capitales nationales.
02:51 Sauf que ce n'est pas tout à fait exact en réalité, Michel Guénard.
02:54 Quand on regarde les choses, qui envoie du personnel à Bruxelles sinon les États-nations ?
02:58 C'est une filière de recyclage d'ailleurs des élus, des grands élus,
03:02 que ce soit la Commission européenne ou le Parlement européen.
03:06 Il y a un mouvement d'aller-retour finalement entre les capitales nationales
03:09 et l'espèce de capitale fédérale qu'essaie de devenir Bruxelles, Michel Guénard.
03:14 C'est un drôle de fonctionnement.
03:16 Effectivement, on en voit, chacun des 27 pays membres de l'Union, en voit des représentants.
03:22 Au Parlement, les conseils des ministres européens réunissent des ministres des 27,
03:28 le Conseil européen réunit les 27 chefs d'État et de gouvernement,
03:33 la Cour de justice de l'Union européenne est également composée de juges de toutes les nationalités.
03:40 Mais, sitôt à Bruxelles, ou à Strasbourg, ou à Luxembourg,
03:44 ces gens fonctionnent avec un idéal européen presque coupé de leurs origines nationales.
03:49 C'est une sorte de perte de loyauté à l'égard de l'État-nation qui les envoie à Bruxelles ?
03:53 Non, ils ont tous le sentiment qu'ils appartiennent à une aventure qui est découpée de leurs origines nationales.
03:59 Et ça remonte à loin.
04:01 Les pères fondateurs de la première communauté européenne,
04:05 la communauté du charbon et de l'acier, en 1951,
04:09 avaient voulu, ce qui est l'ancêtre de la Commission européenne,
04:13 une haute autorité qui déciderait en autonomie des six États membres de l'époque,
04:19 en 1951, la France, le Royaume-Uni, l'Italie et les trois pays du Bénénux,
04:23 avaient voulu cette haute autorité indépendante des États,
04:26 parce que c'était la garantie d'une neutralité,
04:29 c'était la garantie que les traités seraient protégés par des hommes indépendants des intérêts des États,
04:35 simplement, quasi 75 ans après, on est devant un bloc administratif assez monstrueux,
04:42 assez irrésistible, composé de plus de 40 directions et services,
04:46 composé de plus de 30 000 agents,
04:49 l'équivalent du Secrétariat général des Nations Unies.
04:53 Alors ça c'est la Commission européenne.
04:54 C'est la Commission européenne qui est au cœur.
04:56 J'aimerais que vous nous en parliez, parce que vous avez consacré à la Commission européenne,
05:00 hier une tribune parue sur le Figaro Vox,
05:03 et vous dites que la Commission est, je vous cite, "l'origine du mal européen",
05:09 ce mal résidant en fait dans l'étendue du pouvoir de la Commission européenne.
05:15 C'est quoi ce pouvoir de la Commission européenne, Michel Guesner ?
05:17 Il est double. Il est un pouvoir législatif et il est un pouvoir exécutif.
05:22 Le pouvoir législatif, c'est que la Commission a le monopole de l'initiative des textes.
05:28 Elle peut même décider les modalités de vote de ces textes.
05:34 Donc par exemple sur la question agricole, le Green Deal, Farm to Fork,
05:38 ça émane directement de la Commission européenne ?
05:40 Elle a l'initiative des textes.
05:41 Alors elle peut avoir des propositions de parlementaires,
05:43 elle peut avoir des contributions des ministres,
05:45 elle peut avoir aussi des propositions des chefs d'État du Conseil européen,
05:48 mais c'est elle qui décide au final.
05:51 Elle a le pouvoir législatif.
05:53 Et elle a le pouvoir exécutif parce que les textes, une fois qu'ils sont adoptés,
05:57 elle est chargée de veiller à leur application,
06:01 voire à poursuivre les États qui ne les appliquent pas, de sanctions propres.
06:05 C'est aussi une autorité judiciaire quelque part ?
06:07 Non, elle n'est pas judiciaire.
06:09 Elle est pouvoir législatif, pouvoir exécutif,
06:12 et le pouvoir judiciaire, il est réservé à la Cour de justice.
06:15 Mais la Cour de justice, elle ne peut véritablement sanctionner la Commission européenne,
06:21 ou en tout cas les membres de la Commission européenne,
06:24 pour des fautes de gestion qu'ils connaîtraient détachables de leurs services.
06:28 Mais quelle est la différence Michel Guenner avec, par exemple,
06:30 le fonctionnement de la Ve République, où c'est le gouvernement
06:33 qui présente des projets de loi, qui est aussi une initiative législative ?
06:39 Elle est considérable cette différence.
06:41 Dans tout schéma institutionnel mûr, vous avez trois pouvoirs.
06:45 Vous avez un pouvoir exécutif, un pouvoir législatif,
06:48 et un pouvoir ou une autorité judiciaire.
06:51 A Bruxelles, en réalité, vous avez trois organes dans le premier pouvoir,
06:57 le pouvoir exécutif, vous avez le Conseil européen,
07:00 réunissant les 27 chefs d'État et de gouvernement,
07:02 à côté le Conseil des ministres, qui réunit les ministres selon les thèmes,
07:06 et puis la Commission européenne.
07:08 Puis vous avez le pouvoir législatif, le Parlement,
07:10 et le pouvoir judiciaire, la Cour de justice des communautés européennes.
07:14 Mais, au sein du pouvoir exécutif,
07:17 les deux organes que sont le Conseil européen et le Conseil des ministres européens
07:21 sont en fait joués, utilisés, et en réalité,
07:25 suivent les initiatives de la Commission européenne.
07:28 Et, ce qui est profondément choquant,
07:31 ça n'existe dans aucun État de droit au monde,
07:33 c'est que la Commission européenne a l'initiative des textes,
07:37 mais instruit les textes dont elle a l'initiative.
07:40 Et je prends juste un exemple, en droit de la concurrence,
07:43 sur les concentrations,
07:44 elle a le pouvoir de lancer une enquête,
07:47 et à la fois de trancher cette enquête qu'elle a lancée,
07:49 parce qu'elle a un pouvoir d'autosaisine,
07:52 qui n'existe pas dans un État de droit normal.
07:55 - Mais pour revenir à nos agriculteurs,
07:56 qui s'en prennent aujourd'hui à la Commission européenne,
07:58 ils ont raison, eux, de la pointer comme la source de tous leurs problèmes ?
08:03 - Depuis 50 ans, elle a pesé en contraintes.
08:06 Si j'essayais, synthétiquement, de dire quelles sont ces contraintes,
08:10 c'est d'une part la PAC,
08:12 et c'est d'autre part toutes les directives associées à l'écologie actuelle.
08:16 - La PAC, c'est 9 milliards qui reviennent dans les poches des agriculteurs tous les ans,
08:19 pour les agriculteurs français.
08:20 - Mais que versent les États, parce que cet argent, vous savez, c'est...
08:23 - On verse au pot et on en récupère en...
08:25 - Exact. Donc la PAC, ça a été quand même une incitation,
08:28 de la part de la Commission européenne,
08:29 à une certaine forme d'agriculture extensive.
08:33 Et dans un deuxième temps,
08:36 c'est le deuxième paquet de contraintes qui pèsent sur les agriculteurs,
08:39 on leur demande d'abolir la pratique de produits phytosanitaires,
08:45 on rentre dans une logique qui est totalement presque anti-extensive,
08:49 alors qu'ils avaient, avec la PAC, cette obligation d'agriculture extensive.
08:53 Donc ce double paquet de contraintes perturbe et...
08:58 - Dernière question rapidement, Michel Guenière.
09:00 - Le sujet, c'est vraiment celui du modèle économique
09:02 que projette la Commission européenne à l'égard du monde agricole.
09:05 - On a entendu Emmanuel Macron dire en substance,
09:08 l'Europe, quand même, c'est formidable,
09:10 parce que ça permet de surmonter les égoïsmes de chaque État,
09:13 mais en retour, il y a cette idée d'une Commission européenne,
09:16 notamment, qui est sourde aux critiques qui lui sont formulées.
09:19 Et donc ça vient de là, finalement, cet isolement...
09:21 - Ma proposition, depuis plusieurs années,
09:23 - Très rapidement.
09:24 - dans mon dernier essai et dans mon essai précédent,
09:27 c'est de refaire de la Commission européenne
09:29 un simple secrétariat du Conseil européen,
09:32 comme le souhaitait le général de Gaulle.
09:34 Dans mon article, je cite une belle phrase du général de Gaulle
09:37 au Severet-Bombard, en 1967,
09:40 nommé tout jeune commissaire européen, et il lui disait
09:43 "Je souhaite que la Commission s'en tienne
09:46 à un simple travail d'instruction des initiatives des États
09:50 et ne se substitue pas à eux."
09:52 Nous sommes en 2024, et nous écoutons les paroles
09:55 du général de Gaulle comme si elles étaient d'hier.
09:58 - Merci Michel Guénard.
09:59 Et on peut donc vous lire, c'est sur Le Figaro Vox,
10:02 en accès libre, et puis votre livre, le dernier,
10:04 "Après la mondialisation, le retour à la nation",
10:06 C'est au presse de la Cité.
10:08 Merci à vous, je vous en prie.

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