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Michel De Jaeghere, historien, fondateur et directeur du Figaro Histoire, répond aux questions de Dimitri Pavlenko à l'occasion du vendredi thématique "Engagement, patriotisme : ces notions ont-elles encore un sens ?".
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NewsTranscription
00:00 Europe 1 Matin.
00:02 Bon début de journée, il est 7h12, Dimitri Pavlenko, vous recevez l'historien Michel De Geger.
00:06 Bonjour Michel De Geger.
00:08 Bonjour Dimitri.
00:09 Bienvenue sur Europe 1, vous êtes le fondateur et le directeur du Figaro Histoire, votre dernier livre "La mélancolie d'Athéna"
00:15 ou "L'invention du patriotisme" est paru aux belles lettres.
00:18 On peut dire que cet ouvrage tombe pile avec le vendredi thématique de la rédaction d'Europe 1.
00:22 Toute la journée on s'interroge à l'antenne sur ce que signifie en 2023 être patriote, s'engager pour son pays,
00:29 en ces temps de retour de la guerre en Europe.
00:32 Pourquoi ? C'est encore une notion suspecte aux yeux de certains.
00:35 Michel De Geger, dans "La mélancolie d'Athéna" vous remontez aux sources du patriotisme,
00:41 là où il fut inventé, au sens de découvert bien sûr.
00:45 Nous sommes en Grèce au 5e siècle avant Jésus-Christ.
00:47 Quel est le contexte de cette invention du patriotisme Michel De Geger ?
00:51 Alors bon, l'invention du patriotisme effectivement c'est au titre de découverte
00:55 parce que le patriotisme il est probablement aussi ancien que la vie sociale
00:58 parce que tout groupe pour perdurer a besoin de l'attachement de ses membres.
01:01 Mais c'est vrai que dans les grands empires du Proche-Orient,
01:04 on pense que cet attachement était relativement ténu puisque dès que l'autorité du souverain baissait,
01:09 il y avait ce qu'on appelle des périodes intermédiaires, c'est-à-dire des périodes d'anarchie.
01:12 Et quelque chose change en Grèce vers le 9e siècle avant Jésus-Christ
01:16 avec l'apparition de ce qu'on appelle la cité délibérative,
01:18 c'est-à-dire des communautés politiques de petite taille où les gens se connaissent,
01:21 sont réunis autour d'un culte commun et sont surtout des communautés qui sont forgées par la délibération.
01:27 On a renoncé à la loi du plus fort et on essaye de discuter ensemble sur ce qui est juste et ce qui est injuste.
01:32 Alors il est évident que ce genre de communauté politique suscite un attachement bien plus fort
01:37 que ce qui existait auparavant et d'autant plus que ce monde de la cité grecque,
01:41 de petite communauté, est un monde qui est en guerre permanente.
01:44 La guerre dans l'Antiquité c'est évidemment et possiblement la mort mais aussi l'esclavage.
01:48 Et donc la liberté pour les grecs c'est quelque chose qui ne se définit pas contre la cité mais grâce à la cité.
01:54 Et donc le patriotisme va être au cœur de l'éducation des grecs, au cœur de ce qu'on appelle la païdéia.
01:59 Et les grecs vont estimer qu'ils relèvent du devoir de justice.
02:01 La justice c'est de rendre à chacun ce qui lui revient.
02:05 Or à la patrie, eh bien on lui doit tout puisque c'est elle qui a assuré notre survie,
02:10 c'est elle qui nous a permis de naître dans un groupe prévenant qui nous a donné une langue,
02:16 qui nous a donné une culture, qui nous a donné accès au bien du corps et de l'esprit.
02:20 C'est pourquoi les grecs ont pratiqué le patriotisme comme une vertu.
02:25 - Alors patria en grec ça veut dire c'est la lignée.
02:28 Mais en fait vous expliquez très bien que c'est une trinité le patriotisme,
02:32 c'est la lignée, la terre, la liberté, ce que nous appelons nous contemporains,
02:38 plutôt un peuple, un territoire, une souveraineté.
02:41 Et alors vous expliquez très bien Michel de Geger que tous les dilemmes que l'on connaît,
02:45 que nous connaissons actuellement aujourd'hui autour de cette notion de patriotisme,
02:49 les grecs l'ont connu.
02:51 Est-ce qu'on peut prendre quelques exemples concrets de ces dilemmes que vont poser le patriotisme
02:56 aujourd'hui aux hommes et qu'il y a 25 siècles en arrière les grecs ont également connu ?
03:01 - Mais effectivement les grecs vont vivre pendant des siècles avec cet idéal
03:05 parce qu'ils ne vont connaître que des guerres qui vont les opposer entre eux.
03:08 Et puis au 5e siècle arrivent les guerres médiques,
03:10 c'est-à-dire l'invasion de la Grèce par l'immense empire perse
03:14 et Xerxes, le roi perse, a l'habileté de faire précéder sa campagne d'une campagne diplomatique
03:20 où il va proposer aux grecs de leur laisser la vie sauve,
03:23 de la laisser leur cité tranquille si elles font leur soumission.
03:27 Et donc on propose aux cités finalement de préserver leur peuple et leur territoire
03:31 mais évidemment au prix de leur souveraineté.
03:35 Et donc c'est un dilemme qui se pose à elle et qui va se poser à travers l'histoire en fait à toutes les nations.
03:39 - C'est le choix de Vichy par exemple.
03:41 - Exactement, mais le choix n'est pas évident.
03:44 La plupart des cités grecques choisissent la soumission
03:47 et celles qui ont accepté la soumission au moment de l'invasion restent intactes
03:52 alors qu'Athènes qui a choisi au contraire avec Sparte de prendre la tête de la coalition qui fait face au Sperbe,
03:57 et bien Athènes va être prise à incendier.
03:59 Et les athéniens qui sont réfugiés sur les bateaux, vous savez dans la baie de Salamide en attendant les Perses,
04:04 assistent eux-mêmes à l'incendie de leur cité
04:06 et un certain nombre d'entre eux se demandent
04:08 est-ce que ça vaurait la peine de se battre pour la patrie au prix de la patrie elle-même ?
04:13 - Au prix du territoire.
04:14 - Au prix du territoire.
04:15 Et en fait la réponse qu'ils vont faire, la réponse que feront les athéniens,
04:19 c'est qu'il y a quelque chose qui va au-delà de l'intérêt matériel de leur cité
04:24 puisqu'il y avait ce monde grec qui était uni par les mêmes mœurs, les mêmes dieux,
04:28 et qui défendait la même culture, la même civilisation.
04:31 Et donc les grecs découvrent là qu'il y a quelque chose au-dessus de l'intérêt matériel des cités
04:35 qui est l'accord sur le juste et l'injuste, qui est la communauté de culture
04:39 et la communauté de civilisation.
04:41 Et c'est ce qui va provoquer cette espèce de dilatation du patriotisme
04:46 qui va leur permettre de remporter toute une série de victoires.
04:49 - Alors j'aime beaucoup cette expression que vous employez, la dilatation du patriotisme,
04:53 puisqu'on a cette image d'une valeur qui par moment peut avoir tendance à s'éteindre,
04:58 à se refroidir et qui dans des phases chaudes, dans des phases notamment guerrières,
05:02 parce qu'on comprend bien le lien étroit qui unit le patriotisme et la guerre, va se réchauffer.
05:08 Et je citais, je faisais ce parallèle tout à l'heure entre ces deux patriotismes
05:12 que l'on voit dans l'actualité depuis un an, d'un côté ce patriotisme de défense,
05:16 celui des Ukrainiens, et ce patriotisme qui est convoqué également par les autorités russes
05:20 pour justifier l'invasion russe de l'Ukraine, en disant, en convoquant le souvenir
05:24 de la grande guerre patriotique.
05:26 Et là on voit les deux faces finalement, de même pièce qui est celle du patriotisme
05:30 Michel de Geger, et que ce patriotisme à un moment connaît des phases de dévoiement
05:35 que les Grecs ont également connues, vous le racontez dans votre livre.
05:39 Alors le dévoiement il est lié finalement à la dualité de la définition de la patrie.
05:45 Il y a dévoiement chaque fois que l'on néglige un des deux aspects.
05:50 Je vous disais il y a un instant, la patrie c'est une société organique,
05:53 mais elle est en même temps dédiée à la justice.
05:56 Alors évidemment oublier, comme vous le dites, que la patrie est dédiée
06:00 à la recherche de communes de la justice, ça peut faire du patriotisme
06:03 une espèce d'autolatrie, d'amour exclusif de soi,
06:07 qui au mieux donne le patriotisme de stade de foot,
06:10 si vous voulez qu'il n'est pas bien méchant, mais qui au pire donne effectivement
06:13 la volonté de puissance et d'expansion universelle, au mépris de toute justice.
06:18 Et ça on voit ça dans toute l'histoire.
06:20 Mais il y a un deuxième dévoiement qui est le dévoiement qui consiste à oublier
06:24 de façon symétrique que la patrie est d'abord une famille de famille,
06:28 une communauté organique, une communauté d'origine, d'histoire et de culte,
06:34 pour ne l'identifier qu'à une certaine idée de la justice,
06:37 et finalement pour l'identifier à un régime politique.
06:39 Et c'est ce que l'on voit actuellement, ou dans le discours politique dominant,
06:43 on ne parle jamais de la France mais des valeurs de la République et de la démocratie.
06:46 - Vive la France et surtout vive la République, c'était le slogan de Jean-Luc Mélenchon
06:50 pendant la campagne en réponse à celui d'Éric Zemmour justement.
06:53 - Oui, et alors en fait cette évolution, cela revient finalement à réduire la patrie à une idéologie.
07:01 Et par là c'est prendre le risque de déposséder le peuple historique
07:06 pour finalement renoncer au nom de la démocratie, au nom de la République,
07:10 renoncer à ses frontières, renoncer à son territoire,
07:13 renoncer à la maîtrise de son territoire, et renoncer éventuellement à sa souveraineté.
07:17 On voit ça avec le fait que l'Union européenne est considérée comme le sommet de la démocratie,
07:22 alors que cela consiste à abandonner la souveraineté à d'autres.
07:27 Et puis en même temps, ce dévoiement du patriotisme réduit à la défense d'un régime politique,
07:33 eh bien c'est introduire un ferment de guerre civile,
07:36 puisque cela conduit à tenir l'adversaire politique,
07:39 celui qui ne partage pas votre idée du juste, pour un ennemi et un traître à la patrie.
07:45 - Et alors finalement, on voit que les...
07:48 Je parlais des dilemmes patriotiques qui se posent à la lumière de ce que vous venez de nous dire,
07:52 les questions qu'on va se poser vont être les suivantes par exemple,
07:55 "Quelle loyauté dois-je à mon pays quand il commet l'injustice, quand il envahit son voisin par exemple ?"
08:00 "Suis-je un patriote quand je conteste mes gouvernements, mes gouvernants, quand je les trouve médiocres ?"
08:07 "Les alliances politiques que va nouer mon pays par exemple, si je ne suis pas d'accord avec elles, suis-je encore un patriote ?"
08:12 Toutes ces questions, il y a 25 siècles les Grecs se les posaient, on se les pose encore, Michel de Geger,
08:17 quelle ligne de conduite, comment on s'oriente dans ce maquis de questions ?
08:21 - Alors effectivement, par exemple à la fin du 19e siècle, ce sont des questions qui ont été très débattues
08:26 avec Fustel de Coulanges qui insiste sur le fait que la patrie n'est pas un élevage de lapins,
08:31 c'est pas son vocabulaire, mais il dit que le patriotisme n'est pas instinctif,
08:36 qu'on aime sa patrie parce qu'on aime ses chefs, qu'on aime ses lois, qu'on aime ses vertus,
08:39 mais ça ne nous aide pas beaucoup parce que qu'est-ce qu'on fait lorsque les chefs sont indignes,
08:43 lorsque les lois sont injustes ? En face, on a Maurras qui nous dit que la justice n'entre pas en ligne de compte
08:49 quand il s'agit de la survie de la patrie, car pour être juste, il faut d'abord que la patrie soit.
08:54 Oui, mais jusqu'à quel point doit-on consentir à l'injustice lorsque notre patrie est injuste ?
09:00 Et puis il y a Péguy qui dit que la justice fait partie de l'être même de la patrie
09:05 et qu'elle doit être défendue à ce titre. Il me semble que c'est Simone Weil,
09:09 la grande philosophe, pas la politicienne, qui nous indique la ligne de Crête,
09:14 puisqu'elle nous dit que le patriotisme, ce n'est pas l'amour de soi, c'est l'amour du passé dans ce qu'il a de meilleur,
09:20 non pas un passé qui serait glorifié et travesti, mais un passé assumé dans ses gloires et ses hontes.
09:25 C'est l'amour d'un héritage, des disciplines et des vertus de nos pères qu'il s'agit de défendre,
09:30 fût-ce contre les représentants actuels de notre pays. Le défendre pourquoi ?
09:35 Eh bien parce que cet amour nous fait comprendre que nous ne sommes pas la patrie,
09:39 nous en sommes les dépositaires, nous sommes dépositaires d'un trésor reçu mais qui est destiné à être transmis,
09:45 ce en quoi l'amour du passé nous donne le souci de l'avenir.
09:48 Merci beaucoup Michel de Geger d'être venu ce matin,
09:51 ce coup très court exposé qui va bien au-delà dans votre ouvrage, j'en rappelle le titre,
09:56 "La mélancolie d'Athéna, où l'invention du patriotisme s'est parue aux belles lettres".
10:01 Bonne journée à vous, merci d'être venu sur Europe 1.