• il y a 7 mois
Anne Fulda reçoit Pascal Bruckner pour son livre «Je souffre donc je suis» dans #HDLivres

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Transcription
00:00 - Bienvenue à l'heure des livres, Pascal Bruckner.
00:02 Vous êtes écrivain, philosophe.
00:05 On n'a pas besoin de vous présenter, tout le monde vous connaît.
00:07 Vous venez de publier "Je souffre, donc je suis, portrait de la victime en héros",
00:12 un livre qui est paru aux éditions Grasset.
00:14 Un livre dans lequel vous dénoncez de façon assez implacable
00:18 une tendance actuelle apparue en France, mais en Occident de façon générale,
00:23 selon laquelle aujourd'hui, on présente de plus en plus les victimes en héros.
00:27 Il y a une sorte de concurrence victimaire.
00:31 Chaque jour, l'actualité nous en montre des exemples.
00:34 C'est à un point que vous commencez votre livre, vous racontez dans le prologue,
00:39 qu'à l'Élysée, sous François Hollande, il avait même pensé à décerner la Légion d'honneur
00:45 à titre posthume aux 130 victimes du Bataclan.
00:49 Ce qui, certes, elle méritait d'être... pour leur rendre hommage, mais pas ainsi.
00:55 Oui, je crois que c'est le point d'orgue d'une mentalité
00:59 qui est peut-être en train de refluer, je n'en sais rien,
01:01 mais qui consiste à dire qu'à partir du moment où vous avez été blessé par la vie
01:05 ou que vous avez été l'objet d'un attentat ou d'une tentative de crime,
01:09 vous méritez la récompense suprême.
01:11 Et donc, on inverse complètement l'ordre de valeur.
01:14 Le héros devient un personnage secondaire,
01:17 tandis que la victime est hissée sur un pied des salles
01:21 et qu'on lui rend tous les hommages de la nation.
01:25 Et finalement, François Hollande a décidé que la Légion d'honneur
01:29 n'irait pas aux victimes du Bataclan, mais qu'on leur accorderait,
01:32 dans l'ordre protocolaire, une médaille qui est au quatrième rang
01:35 de la hiérarchie républicaine, devant la croix de guerre
01:38 et devant d'autres médailles pour les soldats qui se sont battus.
01:42 Donc, le malheureux a plus d'importance que le valeureux
01:45 dans la République de François Hollande.
01:48 Et ça n'est pas un très bon signe pour la France.
01:52 - Alors néanmoins, c'est effectivement une tendance
01:56 qui s'est accentuée ces derniers temps, mais vous l'expliquez,
01:59 elle est due à quelque chose qui est lié à nos racines,
02:02 aux racines chrétiennes et au christianisme.
02:04 Et vous dites que même le marxisme s'en a inspiré
02:07 et le wokisme aujourd'hui, en fait.
02:09 - Voilà, c'est une hérésie chrétienne, la victimisation.
02:11 Le respect des victimes, c'est évidemment le grand message
02:14 du christianisme, mais la victimisation,
02:17 c'est comme disait l'autre, une idée chrétienne devenue folle.
02:20 Et donc, le marxisme, effectivement, est une hérésie laïque
02:23 du christianisme, la classe ouvrière comme une sorte de Jésus-Christ
02:26 qui va racheter les nations.
02:28 Et dans le wokisme, c'est toutes les minorités,
02:31 grâce au phénomène de l'intersectionnalité,
02:34 peuvent figurer comme des victimes absolues
02:37 qui cumulent les handicaps et donc qui méritent
02:41 d'être a priori vénérées comme des saints laïcs, pratiquement.
02:46 - Oui, parce qu'en fait, ce qui est frappant,
02:48 c'est qu'il y a une forme de concurrence victimaire
02:50 et qu'aujourd'hui, tout le monde souhaite être victime
02:53 au titre d'une catégorie, que ce soit les gros,
02:56 les femmes, les minorités.
02:58 En fait, ça ne s'arrête jamais.
03:00 - Ça ne s'arrête jamais.
03:01 - C'est pas où placer le curseur, en fait.
03:03 - On ne peut plus dire le mot "gros" qui est aujourd'hui aux Etats-Unis.
03:07 - Les "gros", entre guillemets.
03:08 - Oui, non, il faut dire les personnes en surpoids.
03:10 - Les personnes en surpoids, oui.
03:11 - Voilà, c'est le fameux langage politiquement correct
03:13 qui est né il y a au moins 30 ans.
03:15 Et donc, justement, il n'y a plus de curseur.
03:17 C'est-à-dire que la distinction entre les vrais et les fausses victimes
03:21 devient extrêmement difficile à faire.
03:23 Et donc, les fausses victimes ont tendance,
03:27 si elles ont des relations, si elles sont sur les réseaux,
03:31 si elles ont du poids politique ou médiatique,
03:33 elles ont tendance à l'emporter, à effacer les gens
03:36 qui ne seront jamais portés à la lumière publique.
03:39 Et je pense que c'est aujourd'hui un des problèmes politiques majeurs.
03:43 Comment faire la distinction entre les uns et les autres ?
03:46 - Oui, parce qu'en plus, ce que vous dites,
03:47 ce qui est assez intéressant, c'est qu'il y a des frontières étanches
03:49 entre les victimes.
03:51 Enfin, certaines s'agrègent naturellement,
03:53 mais d'autres sont totalement sourdes et aveugles
03:56 ou malheurent les autres.
03:57 - Oui, c'est ça.
03:58 C'est-à-dire que le victimisme est un narcissisme agressif,
04:01 mais seule ma douleur importe.
04:04 Et la vôtre, c'est du pipeau.
04:07 Et celle des peuples lointains, alors, n'existe pas du tout.
04:10 Et c'est un peu la fatalité du malheur
04:15 qu'il nous renferme sur nous-mêmes,
04:17 au lieu de nous ouvrir au reste du monde
04:19 et de nous porter en aide aux autres victimes.
04:23 Mais ce narcissisme de la souffrance victimaire
04:27 est évidemment tout à fait préjudiciable
04:30 à l'amélioration des choses.
04:33 - Et alors, par exemple, on le voit en ce moment,
04:35 depuis ce conflit entre Israël et le Hamas,
04:38 où là, il y a une concurrence victimaire majuscule,
04:42 avec même une manière de vouloir s'approprier
04:46 le terme génocide, l'application d'un génocide.
04:50 - Voilà. Le conflit israélo-palestinien,
04:52 par la force des choses, est devenu, depuis un demi-siècle,
04:55 le lieu d'un combat majeur pour la couronne du paria.
05:00 Elle était attribuée aux Juifs après la Seconde Guerre mondiale.
05:03 Maintenant, beaucoup de gens voudraient
05:05 qu'elle aille aux Palestiniens.
05:07 Et donc, on essaye de plaquer le mot génocide
05:12 sur ce qui se passe à Gaza.
05:14 Il y a peut-être eu des crimes de guerre,
05:15 mais en tout cas, il n'y a pas de génocide
05:17 avec intention d'extermination de tous les Palestiniens.
05:20 Ça, c'est un effet de propagande.
05:22 En revanche, ce que l'on peut dire,
05:24 c'est que les Iraniens ont programmé
05:27 l'extermination de l'État d'Israël,
05:30 c'est-à-dire de tous les Juifs qui habitent là-bas.
05:32 Là, ils l'ont écrit clairement dans leur programme,
05:35 depuis Ahmadinejad.
05:37 Mais effectivement, on est dans l'inversion victimaire.
05:40 Et ça interdit de réfléchir,
05:43 et ça interdit surtout de proposer une solution politique
05:46 à ces deux peuples qui s'affrontent.
05:49 En tout cas, je vous conseille vraiment de lire ce livre,
05:52 cet essai qui est brillant, comme souvent avec vous.
05:55 Ça s'appelle "Donc je souffre, donc je suis.
05:57 Portrait de la victime en héros", c'est paru chez Grasset.
06:00 Merci beaucoup.
06:01 Merci Anne Fulda.
06:02 (musique)
06:06 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]

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