Anne Fulda reçoit Pierre-Yves Quiviger pour son livre «Une philosophie du vin» dans #HDLivres
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00:00 - Bienvenue à l'heure des livres, Pierre-Yves Kiviger.
00:02 Alors vous êtes philosophe, vous êtes professeur,
00:06 vous dirigez le département de philosophie à l'université Paris 1, Panthéon-Sorbonne.
00:10 Vous êtes notamment connu pour vos recherches sur Sieyès, que j'ai lues.
00:14 Et là, vous venez d'écrire un livre qui s'appelle "Une philosophie du vin",
00:18 qui est paru chez Albain Michel.
00:19 Et évidemment, on ne peut qu'être surpris finalement,
00:23 quels sont les points d'attache, les points où se rencontrent le vin et la philosophie.
00:29 - Je crois qu'ils se rencontrent uniquement en moi,
00:31 c'est-à-dire que la philosophie du droit et le vin,
00:34 ce sont deux choses qui n'ont pas de point d'intersection.
00:39 En revanche, j'ai une passion ancienne pour le vin,
00:41 et je me suis dit que j'allais écrire un livre de philosophie,
00:44 pas du tout de philosophie du droit,
00:46 mais un livre de philosophie qui allait permettre de mieux boire le vin,
00:50 de mieux comprendre ce qu'on fait quand on boit du vin.
00:52 - Oui, parce qu'à vous lire le fait de boire du vin, de choisir même un vin,
00:57 ce n'est pas quelque chose d'anodin.
00:59 Derrière tout vin, il y a une histoire,
01:02 et puis il y a aussi des codes sociaux, l'air de rire aussi.
01:05 - Alors ça peut être anodin, il arrive qu'avec des amis,
01:09 on boive une bouteille, deux bouteilles,
01:12 et puis sur le mouvement, on a vraiment surtout envie de boire une troisième bouteille,
01:15 et elle peut être un peu indifférente.
01:16 Mais c'est vrai que je trouve important de penser le fait de boire le vin
01:21 comme quelque chose qui peut être un petit peu sérieux,
01:24 demandant un petit peu de réflexion.
01:25 Et en effet, ça engage quelque chose à la fois socialement,
01:29 c'est un moment d'échange,
01:31 c'est quelque chose qui est très précieux, qui est assez rare.
01:33 Échanger avec des amis autour d'une bouteille de vin,
01:37 c'est un moment qui peut être important.
01:38 Et ça engage aussi quelque chose qui est important pour la philosophie,
01:41 à savoir la question de la connaissance.
01:43 Parce qu'au fond, boire du vin, c'est aussi se livrer à une expérience esthétique,
01:47 évidemment très différente de celle d'aller au musée,
01:49 ou d'aller voir un film au cinéma, ou d'écouter une œuvre symphonique,
01:52 mais c'est une expérience esthétique.
01:54 Et elle doit être faite, cette expérience, elle doit être faite sérieusement.
01:57 - Alors vous le dites, ce n'est pas une boisson comme une autre le vin.
02:02 D'ailleurs, elle est présente dans les grandes religions,
02:05 il y a des références, des rites qui incluent toujours le vin.
02:09 Ça participe au fait qu'effectivement, elle a un statut spécial cette boisson.
02:15 Le vin, ce n'est pas comme du Coca-Cola, par exemple.
02:19 - Ce n'est pas comme du Coca-Cola.
02:20 Le Coca-Cola, le problème, c'est qu'il a toujours le même goût,
02:23 même s'il y a des variations d'un pays à un autre.
02:25 Enfin, globalement, c'est un objet qui est très stable.
02:29 Le vin a quelque chose d'un peu mystérieux et même d'un peu mystique,
02:32 pour les raisons que vous évoquiez, à savoir le lien avec la religion,
02:36 sa présence ou son absence ou sa condamnation dans la quasi-totalité des religions.
02:40 Et quelque chose de mystérieux et d'un peu mystique par rapport à sa nature même.
02:45 Qu'est-ce que c'est qu'un vin ?
02:46 C'est quelque chose de très surprenant.
02:48 C'est du raisin qu'on a écrasé, qu'on a laissé fermenter,
02:52 qu'on a mis en bouteille et 10 ans après, 15 ans après, on le boit.
02:56 C'est-à-dire que la personne qui l'a vinifié peut être morte,
02:59 il a pu se passer plein de choses, vous avez vous-même évolué, grandi.
03:03 Et l'expérience que vous faites de ce raisin fermenté
03:06 est une expérience qui peut être tout à fait bouleversante.
03:08 Donc en effet, c'est très mystérieux parce que si vous faites la même chose
03:11 avec du pamplemousse ou avec de l'orange,
03:14 vous n'obtenez pas un produit aussi magique et aussi capable de vieillir.
03:18 Alors vous évoquez des philosophes, des écrivains,
03:20 vous évoquez Rabelais, vous évoquez Rousseau.
03:24 Quel est selon vous l'écrivain qui a le mieux parlé du vin ?
03:29 Celui qui a probablement le mieux parlé du vin, je pense que c'est Rabelais.
03:33 Rabelais et puis juste derrière, je mettrais Montaigne.
03:37 Alors tout ça est très XVIe siècle, mais le XVIe siècle est un beau siècle.
03:41 Rabelais, pourquoi ? Parce que Rabelais, on l'associe toujours un peu paradoxalement
03:45 à l'ivraise, voire à l'ivronnerie.
03:47 Alors qu'en réalité, si vous regardez ce que Rabelais dit du vin,
03:50 c'est vraiment quelque chose comme une expérience philosophique.
03:52 Il voit dans le vin le révélateur de notre existence.
03:56 Pourquoi ? Parce qu'il y a quelque chose à la fois de mystérieux,
03:58 c'est ce que j'évoquais, de mystique,
04:00 mais aussi quelque chose lié profondément à la sociabilité,
04:04 aux échanges avec les autres.
04:06 C'est quelque chose qui relève profondément de l'humanisme,
04:08 boire du vin, selon Rabelais.
04:10 Donc voilà, c'est pour ça, c'est évidemment à la fois un grand, grand écrivain,
04:14 mais aussi peut-être le meilleur et le plus grand philosophe du vin.
04:18 - Alors pendant longtemps, on a cru qu'il y avait une espèce de suprématie française
04:21 concernant la connaissance des vins, concernant les vignobles.
04:25 Mais finalement, aujourd'hui, elle a un petit peu remis en cause.
04:29 - Il faut vraiment distinguer la connaissance du vin et la production du vin.
04:32 Pour ce qui est de la production du vin, la France et l'Italie et l'Espagne
04:36 sont quand même très, très, très loin devant le reste des pays.
04:39 Pour ce qui est de la connaissance du vin,
04:41 cela fait assez longtemps que les Français ont été dépassés
04:44 par toute une série de connaisseurs à travers le monde.
04:46 - La Bible est anglaise.
04:48 - Les plus grands spécialistes ont...
04:52 Aujourd'hui, c'est un peu plus nuancé, c'est un peu plus mondialisé, globalisé comme tout.
04:56 Mais pendant très longtemps, les grands spécialistes ont en effet été les Anglais.
04:59 À bien des égards, ce sont les Anglais qui ont inventé le Bordeaux tel qu'on le voit aujourd'hui.
05:03 Et dans le champ de la philosophie, les textes les plus fins,
05:07 les plus précis de ces dernières années,
05:09 on les doit à des Anglais et des Américains, en effet.
05:11 - Dernière question, rapidement.
05:13 Est-ce qu'on peut avoir et afficher ce même goût pour le vin
05:16 alors que de plus en plus, les campagnes sanitaires se multiplient, à juste titre d'ailleurs ?
05:23 Est-ce qu'on peut avoir le même plaisir en buvant
05:25 alors qu'on sait aujourd'hui très bien quels dégâts peut causer le vin ?
05:30 - Oui, je crois qu'on est revenu de l'époque où l'on pensait que le vin était un médicament tout à fait efficace.
05:35 Je crois qu'il n'y a pas vraiment de difficulté.
05:39 Pourquoi ? Parce qu'il faut vraiment distinguer la question de l'ivresse de la question de l'appréciation du vin.
05:44 Et je crois au contraire que le fait d'être vigilant sur le fait de ne pas consommer trop d'alcool
05:49 est une manière d'aborder le vin de façon plus profonde, peut-être plus métaphysique.
05:54 Le bouffe peut faire peur, mais je crois qu'il est adapté.
05:57 Et donc il y a quelque chose d'intéressant en réalité dans cette méfiance
06:02 et cette défiance qu'on peut avoir vis-à-vis de l'excès d'alcool dans le vin.
06:06 - En tout cas, c'est vraiment un livre intéressant, singulier.
06:09 Ça s'appelle "Une philosophie du vin". C'est paru chez Albin Michel.
06:13 Merci beaucoup Pierre-Yves Kiviger. - Merci à vous.
06:16 [Musique]
06:20 [SILENCE]