Alain Destexhe, essayiste, était invité sur le plateau de CNEWS pour parler de son ouvrage «Rwanda, le carnage, 30 ans après, retour sur place», alors que le génocide des Tutsi a commencé il y a trois décennies quasiment jour pour jour.
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00:00 Parlons à présent du Rwanda parce que demain, le 7 avril, on va commémorer les 30 ans de ce génocide rwandais.
00:10 Vous avez publié à l'un des textes "Rwanda 94, le carnage, 30 ans après, retour sur place".
00:16 J'invite les téléspectateurs à lire cet ouvrage-là.
00:19 Ça nous permet de comprendre un peu plus ce qui s'est passé, de comprendre les responsabilités,
00:25 notamment de l'ONU, de la France, de la Belgique.
00:30 Et on ne sait toujours pas combien de personnes ont été tuées lors de ces génocides.
00:36 Non, on ne sait pas exactement.
00:38 On estime généralement qu'il y en a entre 800 000 et 1 million.
00:41 Mais ce qui est important, c'est que tous les Tutsis devaient mourir.
00:44 C'est-à-dire que tous les Tutsis devaient mourir, comme pendant la Shoah, tous les Juifs devaient mourir.
00:49 Et moi, je considère qu'il n'y a que trois génocides incontestables au XXe siècle.
00:54 Celui des Arméniens, celui des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale,
00:57 et celui des Tutsis au Rwanda en 1994.
01:01 Et pour bien montrer la spécificité d'un génocide, un terme dont on abuse aujourd'hui,
01:06 on l'emploie à tous les sens, un couple mixte,
01:10 c'est-à-dire par exemple une femme Hutu et un homme Tutsi,
01:14 si la femme était enceinte de son mari Tutsi,
01:18 elle devait être tuée non pas pour elle-même parce qu'elle était Tutsi,
01:22 mais parce qu'elle portait un bébé qui, selon les transmissions ethniques, devait être Tutsi.
01:28 Donc vous voyez l'absurdité, la barbarie, mais aussi la spécificité d'un génocide.
01:34 - Alain Destex, je rappelle que vous êtes un ancien sénateur belge,
01:37 mais vous étiez aussi l'ancien secrétaire général de Médecins sans frontières,
01:40 et en 1994, vous êtes sur le terrain.
01:43 Vous n'êtes pas le 7 avril 1994 sur le terrain, vous y allez un tout petit peu plus tôt, en janvier.
01:48 - J'y suis juste avant, juste après, parce que les Belges ne pouvaient pas rester au Rwanda,
01:51 puisqu'on était visés autant que les Tutsis.
01:53 - Rapidement sur la responsabilité internationale,
01:56 est-ce que la France a mis beaucoup de temps avant de dire
01:59 "on aurait dû agir pour éviter ce massacre" ?
02:03 - Surtout, on a menti, si vous voulez.
02:05 C'est-à-dire qu'à la fois la Belgique, la France et les Etats-Unis avaient beaucoup de signes
02:09 annonçant l'imminence d'un génocide, mais on a préféré tenir un discours en disant
02:14 "non, ce sont des rivalités ethniques, ancestrales, les Hutus tuent les Tutsis,
02:19 celui-là les Hutus", mais en fait c'est un régime Hutu qui avait décidé d'exterminer tous les Tutsis.
02:27 Et lorsque les Hutus étaient tués, ils l'étaient en tant qu'opposants,
02:31 mais leur famille était épargnée, alors que tous les Tutsis, les hommes, les femmes, les enfants, les bébés,
02:37 y compris les bébés dans le ventre de leur mère, devaient mourir.
02:41 - Je le disais, les témoignages que vous présentez dans cet ouvrage là aussi sont terrifiants.
02:47 Vous parlez de ces églises qui sont transformées en abattoirs,
02:50 vous parlez de ce survivant qui a interrogé, qui dit "une grande foule s'était déjà assemblée dans l'église"
02:55 car c'est dans la coutume rwanda de se réfugier dans les maisons de Dieu quand commencent les massacres.
03:00 Les miliciens sont arrivés en chantant avant midi, ils ont jeté des grenades, ils ont arraché les grilles,
03:05 puis ils se sont précipités dans l'église et ils ont commencé à découper des gens avec des machettes et des lances,
03:10 ils riaient à gorge déployée au cœur de l'après-midi.
03:13 Les miliciens ont brûlé des petits enfants devant la porte, je les ai vus de mes yeux se tordre de brûlure, tous vivants.
03:18 Il y avait une forte odeur de viande et de pétrole.
03:21 Un témoignage absolument horrible, mais ça nous renvoie aussi,
03:24 et c'est pour ça que c'était intéressant d'avoir votre décryptage et votre analyse,
03:29 c'est le 7 avril donc 94 et demain ce sera six mois jour pour jour,
03:34 qu'on aura vécu le 7 octobre 2023 et l'offensive du Hamas.
03:38 Est-ce que dans cette offensive vous pouvez parler d'actes génocidaires ?
03:42 Alors oui, effectivement d'actes génocidaires, c'est-à-dire que le Hamas a visé des juifs en tant que juifs,
03:48 donc ont commis des crimes contre l'humanité et donc des actes génocidaires,
03:52 mais pas un génocide en tant que tel puisqu'ils n'ont pas exterminé évidemment tous les juifs,
03:57 notamment parce qu'ils n'en avaient pas la possibilité.
03:59 Si vous permettez de revenir un instant sur les églises rwandas,
04:03 c'est quand même quelque chose de très étonnant et qui reste pour moi incompréhensible aujourd'hui.
04:07 C'est un peuple qui était à 95% chrétien, catholique à l'époque.
04:12 Or les grands massacres ont eu lieu notamment dans les églises.
04:16 Les Tutsis s'étaient réfugiés dans les églises, ils ont été brûlés,
04:19 mais à un autre endroit, l'église à Nyangzé, l'église était en béton
04:23 et le Hutu Power a détruit l'église au bulldozer pour ensevelir les victimes.
04:29 Donc je pense que là l'église catholique n'a pas fait son travail d'introspection pour essayer de comprendre cela.
04:35 Il y a tout.
04:37 ♪ ♪ ♪
04:39 [SILENCE]