Invité de la rédaction - 21/03
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00:00 A 8h19, Cécile Dacosta ce matin, nous nous attaquons à un sujet pas toujours évident
00:07 à aborder, le nucléaire et surtout la question de sa dangerosité.
00:11 Pas facile à aborder tant un silence pèse parfois autour de cette question malgré un
00:16 encadrement très strict de l'énergie nucléaire.
00:18 Les accidents arrivent, la preuve, les deux plus gros accidents de l'histoire nucléaire
00:22 française ont eu lieu chez nous, près de chez nous en tout cas, dans la centrale nucléaire
00:27 de Saint-Laurent-des-Eaux dans le Loir-et-Cher, pendant des années, personne ou presque n'en
00:31 a entendu parler, c'est ce silence qu'a voulu éclaircir notre invitée dans son documentaire
00:36 appelé "La pile, mon village nucléaire" diffusé ce soir sur France 3, Centre-Val de
00:42 Loire.
00:43 Bonjour Cécile Delarue.
00:44 Bonjour.
00:45 Vous avez grandi vous à Saint-Laurent-des-Eaux au pied de cette centrale nucléaire en quelque
00:48 sorte, pourquoi avoir choisi de lancer cette enquête et d'en faire un documentaire ?
00:52 D'abord parce que c'était une histoire, comme vous l'avez dit, moi je viens de Saint-Laurent-des-Eaux,
00:59 j'y ai grandi, mon père y a travaillé toute sa carrière et donc cette centrale, elle
01:05 fait partie de ma vie.
01:06 Elle m'a fait grandir, elle m'a fait aussi devenir la journaliste que j'ai pu devenir
01:12 parce que j'ai eu accès dans ce village à des infrastructures extraordinaires qui
01:18 étaient liées à la taxe industrielle et au fait que le nucléaire c'est aussi beaucoup
01:24 d'argent pour les gens qui travaillent sur place.
01:25 Et donc j'ai grandi et j'ai vu mon père tomber malade, enfin en tout cas souffrir
01:34 du cancer, souffrir de plusieurs cancers à la suite, en mourir au bout de 15 ans et en
01:40 parallèle de ça, apprendre très récemment qu'il y a eu ces deux accidents majeurs,
01:47 c'est-à-dire que l'équivalent de ces accidents, en fait, il n'y en a eu que, ça se compte
01:51 sur les doigts de la main en Europe, c'est vraiment des accidents extrêmement graves
01:55 qui ont eu lieu et me rendre compte que moi quand j'étais petite, personne n'en a parlé,
02:00 personne n'en parlait, personne n'en parlait même après et donc j'ai eu envie de savoir
02:05 ce qui s'était passé et quelles conséquences ça avait pu avoir sur nous tous.
02:11 - Des accidents en 1969 et 1980, pendant votre enquête, d'abord EDF avait accepté de vous
02:17 parler puis a fait machine arrière, c'est ce que vous racontez dans votre documentaire,
02:21 ça en dit long sur le tabou qui pèse toujours sur ces deux accidents-là ?
02:25 - C'est pas sur ces deux accidents-là, c'est sur le nucléaire en général de toute façon.
02:30 Il y a une crispation sur cette histoire et sur ce sujet, le nucléaire ça fait très
02:37 peur, à raison, parce qu'il y a au bout du fil des vies humaines et un danger extrême
02:47 si ça pète comme on dit, comme certains ont pu le dire.
02:53 Et puis il y a aussi une idéologie, il y a aussi un monde, c'est aussi ce que j'ai pu
02:58 découvrir en enquêtant, il y a aussi une croyance en fait et des gens qui ont beaucoup
03:07 donné en travaillant pour le nucléaire parce qu'ils y croyaient, parce qu'ils avaient vraiment
03:11 l'impression que c'était quelque chose qui pouvait aider la société en fait, juste
03:18 d'avoir un nucléaire qu'ils imaginaient propre, qu'ils pensaient propre, qu'ils pensaient
03:25 moins cher, qu'ils pouvaient changer les choses.
03:28 - On a cette impression dans le documentaire à travers les témoignages des anciens agents
03:33 de cette agence, de cette centrale, il n'y avait pas tellement une crainte du nucléaire
03:39 à l'époque, on avait confiance en le nucléaire ?
03:42 - Mais il n'y a aucune crainte et je pense qu'il n'y a toujours plus ou moins aucune
03:45 crainte sur place, c'est ce que je peux ressentir aussi dans la façon dont j'ai pu retrouver
03:52 les gens qui habitent sur place, qui se disent "non mais c'est bon, ils ont l'impression".
04:01 En fait je pense que c'est compliqué d'avoir peur quand on travaille sur place, parce qu'on
04:05 ne peut pas se dire que ce qu'on donne, ce qui nous nourrit, ce qui nourrit notre famille,
04:10 met en danger les gens qu'on fait grandir en fait, et notre entourage.
04:15 Et donc il y a aussi cette idée de se dire aussi "je fais confiance à mon voisin qui
04:19 travaille à la centrale, puisqu'évidemment il va tout faire pour que tout se passe bien".
04:23 Et donc il y a cette culture là, très forte, de se dire que non en fait c'est bon, on n'a
04:29 pas peur, c'est rien, c'est juste de la vapeur qui sort des taux de refroidissement, et il
04:36 ne faut pas s'inquiéter.
04:37 Mais par contre il y a cette volonté absolument d'y croire, d'y croire, d'y croire tellement
04:42 forte qu'on refuse de voir les choses qui n'ont pas allé.
04:46 Il faudrait les cacher, il faudrait ne pas en parler.
04:50 Et moi j'ai trouvé que c'était très important de revenir sur ces deux épisodes là, parce
04:54 que ces deux épisodes là sont capitaux en fait, sur ce que ça peut avoir voulu dire
04:58 aussi d'avoir une centrale nucléaire dans son jardin.
05:01 Et que le fait qu'on n'en parle pas m'a semblé complètement hallucinant en fait.
05:06 Très rapidement vous vous attendez en fait, qu'il y ait des réactions après ce documentaire ?
05:09 Je commence déjà à avoir des réactions, parce que j'ai présenté le film à Saint-Laurent-des-Eaux
05:17 il y a quelques semaines, et il y a déjà des habitants qui me contactent et qui s'inquiètent,
05:23 qui se disent, parce que le problème qu'il y a surtout derrière toute cette histoire,
05:27 c'est que depuis des années, il n'y a jamais eu d'enquête épidémiologique sur les habitants
05:32 de Saint-Laurent-des-Eaux, et sur les habitants proches d'une centrale nucléaire.
05:36 Donc on n'a aucune donnée.
05:37 Donc on ne peut pas répondre, on ne peut pas dire...
05:39 Moi j'ai rencontré des dizaines et des dizaines de personnes, énormément d'entre elles n'avaient
05:45 plus de thyroïde, ou étaient concernées par le cancer, ou étaient concernées par
05:49 des problèmes de santé.
05:50 Elles se disent toutes "bon ben c'était un hasard, ça arrive un peu partout, qu'est-ce
05:56 que j'en sais ?"
05:57 Donc on n'a pas de données.
05:58 Tant qu'on n'a pas de recherche scientifique sur la question, on ne pourra pas savoir la
06:02 réponse.
06:03 Merci beaucoup Cécile Delarue.
06:04 Je rappelle votre documentaire "La pile, mon village nucléaire" est diffusé ce soir
06:08 sur France 3 à partir de 22h50.