• il y a 9 mois
À six jours de l'ouverture du Salon de l'Agriculture à Paris, RTL reçoit Erik Orsenna, Académicien et auteur avec Julien Denormandie de "Nourrir sans dévaster" (Flammarion).

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00:00 Vous êtes sur RTL.
00:02 On accueille à présent Eric Orsenna, invité de RTL matin-week-end, l'académicien, l'écrivain, figure intellectuelle de notre temps.
00:10 Bonjour à vous ! - Bonjour RTL ! - Vous publiez un brillant ouvrage sur l'agriculture, c'est l'une de vos passions, car on le sait moins, mais vous avez été quand même
00:18 économiste, spécialiste des matières premières, ça s'appelle "Nourrir sans dévaster", c'est aux éditions Flammarion, c'est un livre co-écrit avec
00:27 Julien de Normandie,
00:29 ministre de l'agriculture de 2020,
00:31 2022, et ce livre, il sort à un moment où on a rarement autant parlé du monde paysan en crise depuis un mois.
00:38 Dans une semaine, c'est le salon de l'agriculture qui débute. Bref, vous êtes au cœur de l'actualité, j'en veux pour preuve, le titre d'un chapitre,
00:45 "On marche sur la tête", c'était précisément le mot d'ordre des agriculteurs en colère avec ces panneaux retournés à l'entrée de nos villages.
00:53 Vous aviez anticipé cette éruption de la colère ?
00:56 Ça fait très longtemps que je me passionne pour l'agriculture, Julien de Normandie aussi, et puis dans ma famille il y avait beaucoup d'agriculteurs.
01:02 Et moi ce qui me frappe c'est qu'on leur dit pas merci. Comme avec les soignants, vous savez, pendant la pandémie, merci, merci,
01:10 et puis on a complètement oublié. Les agriculteurs c'est pareil. Et je dis "les agriculteurs" parce qu'il faut mettre un "s" à agriculture,
01:17 parce qu'il y en a qui sont assez riches, mais il y en a une grande majorité
01:20 qui sont super pauvres. Et ça on s'en est bien rendu compte avec cette crise parce qu'on a pu un petit peu
01:26 aller en profondeur. Mais alors pourquoi selon vous on marche sur la tête ? C'est quand on importe le blé noir pour nos galettes bretonnes,
01:33 c'est quand on importe
01:35 350 000 tonnes de tomates marocaines ?
01:37 Attendez, quand vous voyez la richesse de la France, il se trouve que j'ai été un peu partout dans le monde mais je connais vraiment bien la France.
01:43 Quand vous voyez la richesse des terroirs où il y a
01:45 350 pays dans un seul pays qui est la France, quand vous voyez qu'on s'interdit de produire ce qu'on adore importer,
01:53 quand vous voyez qu'au pays de passe-teur on refuse certaines avancées évidentes de la science,
01:59 et quand vous voyez que l'essentiel, c'est-à-dire la nourriture, parce que on sait bien,
02:05 dis-moi ce que tu manges, comment tu manges et avec qui, et je te dirai qui tu es. Donc on oublie l'essentiel.
02:11 - On oublie l'essentiel et là vous parlez des fruits et des légumes,
02:15 il y a aussi le bœuf brésilien, le poulet ukrainien, parce que votre livre c'est aussi un livre de voyage, vous allez un peu partout,
02:21 et vous voyez dans ces pays comment on élève les animaux, comment on produit des céréales.
02:27 - Parce qu'on imagine que
02:30 quelques élevages quand il y a comme ça
02:32 300-500 bêtes, c'est des grands élevages, mais il y a des élevages où il y a 25 000 vaches.
02:37 - 25 000 vaches ? - Imaginez ce que c'est, c'est pas le premier livre qui s'intéresse à ces questions.
02:42 J'ai travaillé sur les cochons, j'ai travaillé bien sûr sur l'eau. Quand vous voyez, c'est quand même fou. On raconte cette histoire en Égypte.
02:50 Julien de Normandie est attaché culturel, sa fille est malade, il veut des antibiotiques.
02:55 La nounou lui dit "allez au supermarché".
02:58 "Comment au supermarché ?" "Eh bien oui, vous prendrez du poulet brésilien, c'est bourré d'antibiotiques, ça va soigner votre fille."
03:04 Donc on est où là ? On est où ? C'est un peu ça qu'on veut raconter, avec en plus des possibilités, vous voyez, c'est un voyage
03:11 dans le possible. On dénonce des contradictions, mais on veut essayer de trouver des solutions.
03:16 La France n'a plus de lien, de pacte avec le monde agricole.
03:21 Et donc, de temps en temps, une semaine sur 52, on s'intéresse à l'agriculture au moment du salon.
03:27 Il faut que cette grande nation agricole, c'est pas seulement le plus petit nombre des agriculteurs dans la société française,
03:33 mais c'est le pacte de la nation française avec son agriculture qu'il faut relancer. - Mais alors, qu'est-ce qu'on peut faire contre
03:40 ce poulet brésilien bourré d'antibiotiques ? C'est quoi la solution ? C'est les fameuses "close-miroirs" qu'on peut imposer ?
03:46 - C'est-à-dire qu'on arrête ces scandales de la concurrence complètement
03:52 niée. Comprenez, c'est pas possible. Mais comme à chaque fois, regardez ce qui se passe, pourquoi
03:57 on signe des accords de libre-échange avec ces pays ? Donc on importe des saloperies en échange. On peut
04:03 exporter des services financiers, des Airbus, des sous-marins, des trucs comme ça. À chaque fois, ce sont les agriculteurs
04:10 qui payent le prix. Regardez, pour
04:13 lutter contre la baisse du pouvoir d'achat des français, quelle est la solution ? Leur offrir des produits de moins en moins cher.
04:20 Comment voulez-vous que les agriculteurs
04:22 produisent des biens de moins en moins cher alors qu'ils ont des contraintes de plus en plus fortes ? C'est pas possible. À chaque fois,
04:29 on écrase la tête de l'agriculture. - Pour revenir à nos terres, à nos campagnes françaises,
04:33 vous dites "Vive la science" aux pays de Pasteur.
04:37 "Vive la science", ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on met plus de chimie, plus de phytosanitaires ?
04:41 - L'inverse. La science, c'est le savoir. Donc on va plus loin dans la recherche.
04:47 Nous sommes quand même un des pays qui met le moins dans la recherche par rapport à son produit à l'intérieur brut.
04:55 Donc, il faut plus de science, c'est évident. Ensuite, après, on choisit. C'est pas parce que c'est possible qu'il faut le faire.
05:00 Et par exemple, et là, c'est un désaccord avec Julien Denormandie,
05:06 quand on dit qu'on va faire une pause sur le plan éco-phyto, pour moi, c'est un mauvais signal.
05:11 Il faut continuer sans arrêt. - Pour vous, c'est une erreur ce qu'a fait le gouvernement ? - Alors, à mon sens, c'est une erreur.
05:16 Alors, Julien n'est pas d'accord parce qu'il pense qu'il faut changer les indicateurs.
05:20 Moi, je pense qu'on peut pas dire "pause". C'est-à-dire, il faut continuer à faire les deux. J'ai quelques doutes
05:26 sur le "en même temps politique". - Je vois. - Mais sur le "en même temps"
05:31 dans la question d'agriculture, ça en est au coeur de l'affaire. Il faut en même temps nourrir.
05:35 Nourrir, ça veut dire quoi ? Ça veut dire produire.
05:38 Produire n'est pas un gros mot.
05:40 Quand j'entends dire "productiviste", attention, vous voulez qu'on produise pas ? Et comment on va nourrir si on produit pas ?
05:46 Mais en même temps, il faut évidemment ne pas dévaster. Et dévaster, c'est pas seulement les champs, c'est notre santé,
05:52 à commencer par la santé des agriculteurs. Il y a cette contradiction-là. Vous savez, dans tous les domaines, c'est comme ça. Il faut accepter
05:59 la complexité des choses et pas être dans la posture.
06:02 Je connais des gens qui sont dans la posture. "Non, il n'y a que du bio, etc." Il faut aussi du bio.
06:07 Ody, c'est l'agroécologie. Il faut évidemment le lien entre l'agriculture et l'écologie. Mais c'est complexe, donc il faut avancer ensemble.
06:14 Nourrir sans dévaster aux éditions Flammarion.
06:19 Merci beaucoup Eric Orsenna d'être venu témoigner ce matin, livre coécrit on le rappelle, avec l'ex-ministre de l'agriculture
06:27 Julien Denormandie.
06:30 [SILENCE]

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