Marie Portolano reçoit ce matin Erik Orsenna et Julien Denormandie. L'écrivain et l'ancien ministre chargé du Logement publient le livre Nourrir sans dévaster. Le livre traite de leur passion commune : l'agriculture.
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00:00 C'est une belle présentation, non ?
00:02 C'est très sympa, comme d'habitude, je suis été le matin.
00:05 Bonjour à tous les deux.
00:06 Chechoué nous a invité ce matin puisque vous publiez ce livre
00:08 "Nourrir sans dévaster" chez Flammarion.
00:10 Il sort aujourd'hui.
00:11 Alors, ça traite de votre passion commune qui est l'agriculture.
00:14 C'est un livre qui a été écrit à quatre mains.
00:16 On va se plonger évidemment dans le propos très intéressant de ce livre.
00:19 Qui a proposé à l'autre ?
00:21 Ensemble.
00:22 Oui, je crois que c'était nous.
00:23 Vous avez eu l'idée tous les deux ?
00:24 Oui, oui, c'est l'amitié à un moment donné.
00:26 On se dit tiens, pourquoi ?
00:27 Parce qu'il est ingénieur agronome, moi je suis prof d'économie des matières premières.
00:32 Il a été ministre, on ne m'a proposé que le ministère de la culture.
00:36 Donc je suis jaloux de ce mec.
00:38 Et vous, vous êtes jaloux d'Éric Orsen ?
00:40 Non, et moi j'avais dit à Éric…
00:41 Quand on compare les physiques, évidemment, il n'a pas à être jaloux.
00:44 J'avais dit à Éric, ce serait formidable qu'on puisse mettre des mots sur cet amour en commun.
00:49 Mais en bon ingénieur que je suis, écrire un livre me paraissait complètement impossible.
00:53 Et Éric m'a dit, puisque c'est impossible, faisons-le et faisons-le ensemble.
00:57 Vous avez été complémentaire.
00:58 Ça sort donc en pleine crise agricole.
01:00 Éric Orsen, je vous ai entendu dire que ce livre est bien meilleur
01:03 que le plan du gouvernement pour lutter contre la crise.
01:06 Est-ce que vous l'avez envoyé au chef de l'État ?
01:08 Écoutez, il l'a reçu parce qu'il est très bien informé, grâce à M. Darmanin.
01:13 Est-ce que vous l'aviez vu venir, cette crise agricole ?
01:16 Écoutez, on sentait qu'il y avait une tension depuis toujours.
01:19 Autrement, on n'aurait pas fait ce livre.
01:21 On sentait que ces gens à qui nous devons l'essentiel,
01:24 c'est-à-dire notre nourriture, sont maltraités.
01:27 Donc on sentait ça depuis toujours.
01:30 Parce que moi, j'accompagne ce monde agricole depuis toujours.
01:36 Quel est votre regard aujourd'hui sur ce qui se passe ?
01:38 Est-ce que vous soutenez le mouvement de cette crise agricole ?
01:41 Il y a plusieurs anecdotes dans le livre,
01:43 notamment un chapitre que nous avons écrit l'été dernier,
01:46 qui s'appelle, dont le titre est "On marche sur la tête".
01:50 Il s'avère que ça a été le mot d'ordre repris par le monde agricole
01:54 de manière complètement distincte,
01:56 puisque le livre n'était absolument pas publié à l'époque.
01:58 Donc, par cette anecdote, ça montre à quel point on comprend,
02:01 on soutient ce ressentiment du monde agricole.
02:06 On explique également ce livre qui est vraiment un voyage,
02:09 qui part des plaines du Cantal en passant en Neu-Éloire,
02:12 en allant en Vendée, mais aussi à l'étranger, en Ukraine, en Égypte, au Brésil.
02:17 Il est rempli de dialogues, de moments de vie,
02:20 notamment ces agriculteurs qu'on rencontre en Neu-Éloire,
02:23 et qui nous disent, vous savez, moi, il y a 10 ou 15 ans,
02:26 quand j'étais avec mon tracteur sur la route,
02:28 les personnes levaient la main pour me saluer et me remercier.
02:32 Désormais, quand je suis sur la route avec mon tracteur,
02:34 on me klaxonne pour me mettre sur le bas-côté.
02:36 Et je crois que par cette anecdote, ça veut dire beaucoup aussi
02:38 du ressenti du monde agricole.
02:40 Ce chapitre, donc "On marche sur la tête",
02:42 on voit qu'il y a quand même une différence.
02:44 Il y a deux mondes aujourd'hui, quand on voit les bénéfices de total,
02:48 en 2023, 21,4 milliards, et cette crise du monde agricole,
02:51 des gens qui nous nourrissent, qui ont du mal à se nourrir.
02:54 C'est extraordinaire de voir notre relation avec l'essentiel.
02:57 On l'a bien vu, il se trouve qu'à l'Académie française,
02:59 je suis investisseur de pasteur, je suis ambassadeur de pasteur.
03:01 On voit qu'il a fallu une pandémie pour qu'on voit que le soin était l'essentiel.
03:07 Eh bien, le soin, c'est aussi la nourriture.
03:10 Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es.
03:12 Et on a oublié, et à chaque fois qu'on doit arbitrer,
03:14 on doit arbitrer contre les agriculteurs.
03:16 Toujours moins cher, toujours moins cher, toujours moins cher.
03:19 Donc ça, ce n'est pas possible.
03:20 – Vous avez été consulté sur la crise, sur ce qui se passe en ce moment.
03:22 Il paraît que Gabriel Attal vous a passé un coup de fil.
03:25 – Disons que moi, j'ai cette chance d'avoir, je crois,
03:27 la confiance des acteurs politiques et des acteurs du monde agricole.
03:31 Donc, quand je pouvais aider, parce que j'avais cette confiance des deux côtés,
03:36 je le faisais avec plaisir.
03:38 Mais vous savez, pendant cette crise,
03:40 beaucoup d'agriculteurs ont dit "on ne joue pas à armes égales".
03:44 Et je crois que c'est très vrai.
03:45 Et ce livre, "Le Monde", par ses voyages notamment à l'étranger,
03:48 nous sommes allés en Ukraine.
03:50 En Ukraine, on était chez cette exploitante qui s'appelle Larissa,
03:54 qui est à la tête d'une exploitation de 20 000 hectares.
03:57 Je dis bien 20 000 hectares.
03:59 Nous sommes avec Eric, des amoureux des haies,
04:01 qu'on essaye de mettre de plus en plus dans nos champs.
04:05 Larissa nous expliquait "mais oui, moi aussi j'ai des haies".
04:07 On lui disait "mais où est-ce qu'elles sont ?"
04:10 "Bah, elles sont juste là-bas".
04:11 Et le champ était tellement vaste que nous ne les voyions pas.
04:14 Et je crois que c'est important, parce que ce livre,
04:17 c'est aussi un éclairage sur la réalité des choses,
04:19 sur la complexité, comment on peut mieux appréhender
04:22 les enjeux auxquels font face le monde agricole et ses acteurs,
04:27 pour mieux les accompagner.
04:29 Alors, la question centrale de votre livre,
04:31 c'est comment nourrir toujours plus d'humains sans dévaster la planète.
04:35 Concrètement, quand on parcourt votre livre,
04:37 on comprend que c'est possible.
04:38 En fait, c'est un livre plutôt optimiste.
04:40 Très optimiste.
04:41 Si vous voulez, d'abord, on essaye, par ce voyage,
04:46 de tracer le chemin de la réconciliation.
04:48 Oui, c'est ça.
04:49 C'est ça, la réconciliation.
04:51 C'est quand même inouï qu'on voyait la France,
04:53 qui a sans doute les terroirs les plus riches,
04:55 les plus divers du monde entier,
04:58 importe la moitié de ses fruits et légumes.
05:01 Mais là aussi, on marche sur la tête.
05:03 Donc, il faut réconcilier avec nos possibilités.
05:05 Quand on entend le mot « produire », « productiviste »,
05:09 comme si c'était une injure.
05:10 Mais si on ne produit pas, qui on va nourrir ?
05:13 Est-ce qu'on va nourrir les Français ?
05:15 Est-ce qu'on va nourrir aussi le reste du monde ?
05:17 Et on donne vraiment des pistes de solutions
05:19 qui, pour certaines, ne sont pas nouvelles,
05:21 mais qu'on essaye de mettre pour lutter contre tout simplisme
05:24 qu'on voit souvent dans les débats,
05:26 et appréhender cette complexité.
05:28 L'une des pistes de production,
05:29 c'est vraiment cette approche par le sol.
05:31 Vous savez, le sol, c'est ce qu'on a de plus fabuleux,
05:33 probablement, assurément, en agronomie.
05:36 Et on fait ce voyage au pays du sol
05:39 pour comprendre ces agricultures,
05:41 comme celle de conservation du sol,
05:43 le rôle des bactéries, le rôle des racines,
05:45 comprendre qu'on a créé des sociétés où il était.
05:49 C'est un exemple parmi tant d'autres.
05:51 Souvenez-vous, avant qu'on ait nos téléphones portables,
05:54 on avait tous les cartes bleues et jaunes.
05:56 Vous savez, la carte bleue pour aller faire les balades,
05:58 et la carte jaune que vous aviez dans la boîte à gants de vos voitures.
06:00 Sur ces cartes, vous avez les maisons en noir,
06:03 les fleuves en bleu, les forêts en vert,
06:05 et le sol en blanc, comme si le sol c'était vide.
06:08 Or, le sol, c'est ce qui nous permet peu de produire.
06:11 - Mais comment aujourd'hui, on peut manger ce qu'on produit, nous ?
06:15 Parce qu'il y a quand même énormément d'importations.
06:17 D'ailleurs, comment...
06:18 - Parce que c'est le diktat du toujours moins cher.
06:22 Toujours moins cher.
06:23 Toujours moins cher et toujours moindre revenu pour les agriculteurs.
06:26 - Donc, il faudrait concrètement qu'on puisse accepter de payer plus
06:28 pour se nourrir mieux ?
06:29 - En tout cas, il faut sortir d'une folie qui a, y compris,
06:32 été une erreur politique fut un temps, qui était de dire
06:35 le pouvoir d'achat des Français va être financé
06:37 par le portefeuille des agriculteurs.
06:40 Ça, c'est folie, mais vraiment folie.
06:41 Après, il faut mettre sous pression l'ensemble des acteurs
06:44 de la chaîne alimentaire, au premier rang desquels
06:46 la grande distribution.
06:48 Mais surtout, il faut, et c'est ce qu'on appelle,
06:50 et on termine ce livre par un dialogue fabuleux
06:52 avec Edgar Morin, un grand avocat de la complexité des choses,
06:56 et on appelle à ce pacte de réconciliation.
06:58 En disant, reconnaissons la valeur à cette alimentation,
07:01 à ces agriculteurs, comprenons les difficultés,
07:04 voyons et luttons contre les inégalités,
07:08 notamment vis-à-vis des matières importées.
07:11 Voilà, c'est tout ce chemin qu'on essaie de décrire.
07:13 - Et vive la science, vive la science, encore et toujours,
07:15 vive la science, parce qu'il y a plein de solutions
07:17 qui viennent de la nature elle-même.
07:19 - Et ce livre apporte des solutions.
07:21 Merci de ce qui était passionnant de vous entendre.
07:23 - Oui, c'est bon, oui.
07:24 - Le livre est un voyage, c'est vous qui le dites.
07:26 - Oui, et bon appétit.
07:28 - Et bon appétit.
07:29 Nourrir sans dévaster, de Éric Orsena et Julien Denormandie.
07:32 Merci d'être venu nous parler.
07:33 - Merci à vous.
07:34 - Merci à vous.