Chroniqueuse : Julia Vignali
Après le livre « Les Fossoyeurs » de Victor Castanet qui révélait au grand jour les maltraitances dans les Ehpad, un rapport sur le traitement des jeunes enfants dans les crèches fait froid dans le dos. Alexia Tsadiroglu, éducatrice de jeunes enfants, et Jean-Baptiste Frossard, co-auteur du rapport et inspecteur des affaires sociales, répondent aux questions de Julia Vignali.
Après le livre « Les Fossoyeurs » de Victor Castanet qui révélait au grand jour les maltraitances dans les Ehpad, un rapport sur le traitement des jeunes enfants dans les crèches fait froid dans le dos. Alexia Tsadiroglu, éducatrice de jeunes enfants, et Jean-Baptiste Frossard, co-auteur du rapport et inspecteur des affaires sociales, répondent aux questions de Julia Vignali.
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00:00 Bonjour à tous les deux, merci d'avoir accepté l'invitation de Télématin.
00:02 Jean-Baptiste Frossard, vous êtes le coauteur du dernier rapport de l'IGAS, l'Inspection Générale des Affaires Sociales,
00:07 publié ce mardi, qui fait des révélations accablantes sur le traitement des enfants en crèche.
00:12 Ce rapport fait suite à la mort en juin dernier d'un bébé de 11 mois dans une crèche à Lyon.
00:16 Est-ce que vous pouvez nous dire ce que vous avez constaté, vous, sur le terrain ?
00:21 Ce qu'on a constaté, c'est que c'est un secteur où il y a beaucoup de professionnels très engagés,
00:27 des projets qui sont portés, mais des professionnels qui n'ont pas toujours les conditions,
00:33 dans l'état actuel du secteur, pour travailler d'une façon qui soit satisfaisante.
00:37 Donc un manque de moyens, un manque d'effectifs, mais il s'agit de nos enfants, donc effectivement c'est assez affolant.
00:44 Je vais vous donner la parole, Alexia, parce que vous êtes éducatrice de jeunes enfants,
00:48 vous avez travaillé de très nombreuses années dans différentes crèches.
00:51 Qu'est-ce que vous avez observé, vous, qui pourrait s'apparenter à de la négligence
00:56 ou même de la maltraitance au sein des crèches que vous avez fréquentées ?
00:59 Alors en effet, c'est vrai que j'ai vu pas mal de faits de maltraitance,
01:01 on appelle ça aussi la douce violence en crèche.
01:03 La douce violence ? Comment c'est possible ?
01:06 C'est un euphémisme, mais c'est ce qu'on appelle, c'est un peu l'antichambre de la maltraitance, je dirais un petit peu.
01:10 Et j'ai pu constater des faits où, par exemple, des enfants ont été surnommés par le nom de boulette, par le nom Shrek,
01:16 des enfants où, en fait, on va vite acheter des petits pots parce qu'en fait on n'avait pas le temps d'acheter,
01:20 bah oui, on n'avait pas assez de nourriture parce que les budgets étaient serrés.
01:24 Donc du coup, on s'est dit, tiens, cet enfant ne viendra pas aujourd'hui.
01:27 Et du coup, pas de nourriture et l'enfant était venu.
01:28 Donc voilà, des petites choses comme ça.
01:30 Lavez les enfants à l'eau froide.
01:31 Pourquoi ?
01:32 Parce que la chaudière avait été cassée, donc du coup, on ne pouvait pas la remplacer.
01:36 Donc des maltraitances, vous nous parlez de négligence, de maltraitance physique, de maltraitance psychologique également.
01:41 Exactement.
01:42 Déprivation de doudou, alors ça peut paraître pas grave comme ça, mais pour un enfant c'est très important, c'est son référent.
01:47 Exactement, surtout que là, ça se passait à un moment de l'endormissement, donc l'enfant est vraiment dans son petit cocon,
01:51 il a besoin aussi d'avoir son doudou avec lui, son objet transitionnel.
01:55 Et effectivement, certains professionnels vont l'enlever parce que l'enfant n'a juste pas envie de dormir,
01:59 donc ce n'est peut-être pas son rythme à lui.
02:01 Et du coup, la professionnelle lui disait, tant que tu ne dors pas, je t'enlève ton doudou.
02:04 Jean-Baptiste Frossard, à l'instant, vous parliez justement du manque de moyens.
02:08 Est-ce que vous, vous avez pu constater ce manque de moyens ?
02:11 Effectivement.
02:12 Parce qu'elle ne vient pas de nulle part, cette violence ?
02:14 Non, elle ne vient pas de nulle part, effectivement.
02:15 C'est un manque de moyens, donc du coup, des professionnels aussi qui sont un peu sous tension,
02:18 puisqu'il y a énormément aussi de turnovers dans le milieu de la crèche.
02:23 Donc, c'est des personnes qui vont être fatiguées, puisqu'il y a peu de personnel,
02:26 et ces fatigues vont ramener souvent à des négligences dues à la fatigue.
02:29 Et puis, la personne qui est en arrêt va revenir,
02:32 et puis celle qui est fatiguée va être en arrêt, et en fait, on est dans une systémie.
02:35 Jean-Baptiste Frossard, c'est quoi le problème d'attractivité ?
02:38 Puisqu'il manque du personnel, pourquoi on n'arrive plus à recruter comme il le faudrait dans les crèches ?
02:42 Le problème d'attractivité, c'est d'abord, est-ce que les personnes peuvent faire leur travail
02:46 de façon correcte et en conformité avec leurs valeurs ?
02:50 Est-ce qu'elles ont le sentiment de bien accompagner les enfants ?
02:52 Est-ce qu'elles ont le temps pour le faire ?
02:54 Est-ce qu'elles peuvent donner à chacun ce dont il a besoin ?
02:56 Donc, il faut travailler en priorité sur ça.
03:00 Ensuite, bien sûr, il y a la question des rémunérations.
03:03 Ça, ce n'était pas notre question au niveau du rapport, c'est d'autres travaux du ministre.
03:09 Mais en tout cas, la qualité, c'est-à-dire, est-ce que j'ai le sentiment à la fin de la journée
03:14 que j'ai pu faire mon travail comme je devais le faire,
03:17 que les enfants qui m'étaient confiés, j'ai pu les accompagner, les sécuriser,
03:20 leur permettre de se développer ?
03:22 C'est ça qui fait que les gens vont continuer à travailler dans ce secteur.
03:25 Et la réponse apparemment est non, dans la plupart des cas de votre rapport.
03:29 Les crèches peuvent à présent recruter du personnel non diplômé
03:32 pour compenser les 10 000 professionnels manquants.
03:35 Qu'est-ce que vous pensez de ça, vous ? Il y a 120 heures de formation.
03:37 Je suis assez nuancée, parce qu'au début, j'étais plutôt contre,
03:40 en me disant "oh là là, des personnes non diplômées".
03:42 À l'heure actuelle, je pense que ça peut être très intéressant de les avoir, ces personnes-là.
03:45 Mais par contre, il faut un accompagnement de qualité.
03:47 Parce que simplement, on ne peut pas les lâcher dans la crèche et leur dire "débrouillez-vous".
03:51 Parce que c'est un petit peu ce qui se passe en ce moment.
03:53 Donc ce n'est pas tellement le nombre d'heures, mais c'est plutôt la qualité de l'accompagnement.
03:56 C'est ça, la formation en elle-même.
03:57 La formation, encore une fois.
03:59 C'est un recrutement, si je peux me permettre, qui a été encadré par le ministre.
04:03 C'est une personne par crèche, avec une formation.
04:07 Ça n'est pas recruter quand il y a pénurie.
04:09 Ça n'est pas recruter toute personne qui passe par là.
04:12 C'est très encadré, malgré tout, dans les établissements.
04:15 Alors sur Twitter, la secrétaire d'État chargée de l'Enfance, Charlotte Cobell,
04:19 a réagi en comparant les conclusions de votre rapport à la crise
04:22 qui avait secoué le secteur de la dépendance après la publication du livre
04:25 "Enquête, les faussoyeurs" de Victor Castaner,
04:28 qui révélait des maltraitances dans les EHPAD du groupe Orpea.
04:32 Est-ce qu'à votre avis, on peut parler ici d'une affaire similaire ?
04:36 Ce que nous devons regarder, ce sont les risques qu'il y a dans tout accueil
04:41 de personnes vulnérables et dépendantes.
04:43 C'est les personnes âgées, ce sont les enfants,
04:45 ce sont les personnes en situation de handicap.
04:47 Je suis un professionnel, j'accompagne ces personnes.
04:50 On est en risque parce qu'il y a une activité qui est rapide, qui est comptée.
04:55 Il faut s'occuper de plusieurs personnes.
04:56 La personne ne veut pas céder aux soins que je lui fais.
05:01 Donc, il y a des risques partout.
05:04 Ensuite, c'est…
05:04 Il y a des risques chez les personnes âgées.
05:06 Et chez les petits-enfants.
05:07 Mais parce que ça va avec l'accueil de personnes vulnérables.
05:10 Les risques sont inhérents à cette activité.
05:13 Ensuite, c'est qu'est-ce qu'il y a dans l'institution
05:16 pour permettre de diminuer ces risques, de les prévenir,
05:19 de les maîtriser, de dire aux professionnels,
05:21 là, tu commences à être au bord, de craquer, prends le temps,
05:26 on va en discuter, ça va être revu en réunion.
05:30 Vous avez donné des recommandations.
05:32 Il y en a 38.
05:33 Quels sont les principales ?
05:35 Les principales, c'est que nous recommandons d'abord
05:38 d'aller vers une augmentation du nombre d'adultes par enfant,
05:43 d'avoir des groupes d'enfants qui soient plus petits,
05:46 d'avoir une formation des professionnels,
05:49 de tous les professionnels qui soient plus élevés.
05:52 Nous allons également revoir toute l'organisation
05:54 et le financement pour que nous financions la qualité sur la qualité
05:58 et que cette politique soit au service,
06:00 pas seulement des familles et des parents,
06:01 mais véritablement des enfants et de leurs besoins.
06:04 Justement, suite à la publication de votre rapport,
06:06 le gouvernement a annoncé qu'il allait prendre en compte
06:09 ses recommandations et agir rapidement.
06:11 Alexia, est-ce que c'est une réponse que vous trouvez satisfaisante ?
06:14 Est-ce que vous y croyez ?
06:16 Waouh, la question !
06:18 En effet, j'ai confiance en mon gouvernement.
06:20 Maintenant, il faut agir vite.
06:22 Là, il y a urgence.
06:23 Il y a urgence à faire, à optimiser ce qui est proposé.
06:25 Le rapport, effectivement, moi, je l'ai lu
06:28 et je trouve que les recommandations sont tout à fait adéquates.
06:30 Et c'est fidèle à ce que vous vivez, vous, en fait ?
06:32 Complètement, c'est complètement ça.
06:33 Là, c'est tout ce qu'on n'a pas voulu dire
06:35 qui a été dit dans ce rapport.
06:36 Donc, merci aussi pour ce rapport,
06:38 parce que j'espère que ça va pouvoir aider,
06:39 parce que là, il y a urgence.
06:40 Et surtout, les bonnes recommandations également.
06:42 Oui, je les ai trouvées très intéressantes,
06:43 surtout sur les analyses de pratiques professionnelles.
06:45 Mais par contre, vous doutez que ce soit mis en place
06:47 rapidement par le gouvernement ?
06:48 J'ai beaucoup de doutes, en effet.
06:49 Je m'interroge.
06:50 C'est le ministre qui a demandé ce rapport.
06:52 C'est le ministre qui a choisi de publier ce rapport
06:55 en toute transparence.
06:56 Il l'a publié après nous avoir longuement écoutés,
06:59 en indiquant qu'il allait prendre des mesures
07:01 pour répondre à nos constats.
07:03 Jean-Christophe Comte.
07:04 Jean-Christophe Comte, je crois que…
07:05 Ministre des Solidarités.
07:06 Ministre des Solidarités.
07:07 Bon, ben écoutez, on espère qu'il regarde Télémath
07:09 et qu'il prend en compte cette urgence pour nos enfants.
07:12 Merci à vous deux d'avoir témoigné
07:14 et d'être venus ce matin.
07:15 Merci à vous.