L'avocate pénaliste Cathy Richard, co-auteur du livre "Crimes, délits et vies brisées" paru aux Éditions Albin Michel est l'invitée de RTL Matin.
Regardez L'invité de RTL du 04 janvier 2024 avec Yves Calvi.
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00:02 RTL matin
00:06 RTL il est 7h43, soyez les bienvenus en ce 4 janvier 2024. Bonjour Cathy Richard.
00:12 Bonjour Yves.
00:12 Vous êtes avocate pénaliste et vous publiez aujourd'hui "Crime, délit et vie brisée" aux éditions Albain Michel avec Catherine Siguret.
00:18 Merci beaucoup d'être avec nous ce matin, l'affaire Daval, Yvan Colonna, le procès du violeur de la Sambre d'Inoskala.
00:24 Vous êtes particulièrement engagée auprès des victimes et notamment des femmes dans ce livre "Crime, délit et vie brisée".
00:29 Vous nous proposez en fait une plongée au coeur de la justice et de la nature humaine.
00:33 Mais nous devons d'abord évoquer l'actualité avec les accusations dont fait l'objet Gérard Depardieu.
00:37 13 femmes l'accusent de violences sexuelles.
00:40 Que comprenez-vous de ces affaires et en quoi sont-elles révélatrices si elles le sont ?
00:44 Alors ce que je comprends de ces affaires c'est qu'effectivement la parole se libère.
00:49 Après ce qui est très compliqué c'est qu'on a aussi un homme à qui on a tricoté une identité.
00:56 C'est-à-dire que c'était justement cet homme, il s'est reconnu dans les valseuses, ça a été son premier.
01:03 Et donc lui aussi je pense qu'il surjoue.
01:06 Et puis on a des victimes à qui on a dit pendant des années "oui mais c'est normal, c'est comme ça".
01:12 J'en parlais il y a peu de temps en fait.
01:14 Quand j'étais jeune, à voir qu'on nous mette la main aux fesses dans le métro, on vous disait "ouais ben ça arrive".
01:21 D'ailleurs on ne nous disait pas qu'on était agressé sexuellement, on nous disait "t'es embêté".
01:24 "Oh ben tu t'es fait embêter par un garçon".
01:27 Et donc je pense qu'il a embêté beaucoup de femmes, ça faisait partie de son personnage.
01:32 Sauf qu'en fait ça ne s'est pas embêté, ça crée des failles, ça crée des véritables séismes intérieurs.
01:41 Est-ce que vous avez déjà été confronté à une pareille couverture médiatique sur des faits, je le rappelle, qui ne sont pas jugés en tout cas en justice ?
01:49 Oui, la plupart du temps, les médias s'intéressent de plus en plus à avant la justice.
01:58 Il y a eu une époque où on avait les chroniqueurs judiciaires, et les chroniqueurs judiciaires venaient raconter ce qui se passait dans les tribunaux.
02:07 Et puis de plus en plus, on a une médiatisation de l'instantané.
02:11 Donc de plus en plus, on va vous parler du fait divers, et de moins en moins du judiciaire.
02:16 Parce qu'il faut qu'il y ait le premier à parler, etc.
02:21 Donc forcément, on est dans des cas où de plus en plus, on parle de gens qui sont encore présumés innocents.
02:30 Puisqu'on va parler de l'actualité, de faits divers et non pas judiciaires.
02:33 Et alors justement, comment vivez-vous personnellement cette situation ?
02:36 Vous qui êtes à la fois avocate et engagée auprès des victimes de violences.
02:40 Bref, comment choisir entre la parole des femmes et la présomption d'innocence, si tant est qu'il faille faire un choix ?
02:46 Il ne faut pas faire de choix pour nous.
02:49 Vous comprenez ma question ?
02:51 Je la comprends tout à fait.
02:53 Moi, je ne fais pas de choix.
02:56 Les médias ont leur propre déontologie et leur propre questionnement.
03:01 On dit toujours "qu'est-ce qui est arrivé en premier ?"
03:04 Est-ce que c'est parce qu'on en parle de plus en plus qu'il y en a de plus en plus ?
03:08 Ou est-ce que c'est parce qu'on en parle de plus en plus que la parole se libère
03:11 et que les gens confient de plus en plus ce qui leur est arrivé ?
03:14 J'ai l'habitude de prendre un petit exemple tout simple.
03:17 Vous avez tous une voiture, vous conduisez.
03:22 Si c'est écrit "interdit de stationner à un endroit et qu'il n'y a pas une seule voiture",
03:26 vous ne vous arrêtez pas, vous ne vous garez pas, vous dites "oh là là, c'est interdit".
03:29 Mais s'il y a déjà 15 voitures...
03:31 - On peut être tenté.
03:32 - Voilà, exactement, on est tenté.
03:34 Je pense que c'est pareil, c'est-à-dire qu'à la fois la parole se libère
03:38 en matière de pédocriminalité par exemple, d'inceste,
03:42 mais à la fois le fait de libérer la parole fait aussi que
03:46 certaines personnes qui auraient pu avoir une barrière interne,
03:49 cette barrière interne, elle tombe.
03:51 Je pense que dans la vie, quand on ne fait pas quelque chose,
03:53 il y a la barrière de la société, de la justice,
03:56 et puis il y a aussi les barrières internes.
03:58 - Alors revenons sur ce fait divers qui était évoqué dans notre journal de 7h à Perpignan.
04:01 Une femme qui avait quitté son mari, lui-même incarcéré,
04:04 pour trafic de stupéfiants a été tabassée par le père du détenu.
04:08 Elle a décidé de porter plainte, les gendarmes ont refusé dans un premier temps
04:11 de prendre cette déposition avant finalement d'accepter plus tard.
04:14 Est-ce que ça vous surprend et est-ce que ce genre de refus est encore courant ?
04:18 - Oui, alors ça c'est... il y a un vrai problème.
04:21 Mais je ne jette pas la pierre non plus aux policiers.
04:24 Il y a un problème dans le service public, je veux dire,
04:26 il y a un problème dans les hôpitaux, il y a un problème dans l'enseignement,
04:30 il y a un problème dans la justice, il y a un problème dans la police,
04:32 il y a un problème dans la gendarmerie.
04:34 Il n'y a pas assez, on manque.
04:36 Et donc c'est vrai que, bien souvent, quand les gens vont déposer plainte,
04:41 ils font des airs de queue, ensuite on leur dit "ah ben c'est pas vraiment...
04:44 ah ben c'est pas une infraction".
04:47 Donc c'est vrai, malheureusement, moi il m'est arrivé d'écrire sur une carte de visite,
04:52 au dos, déposer plainte pour ça et de renvoyer les gens avec la carte,
04:56 en disant "là vous y retournez avec ça".
04:58 Parce qu'effectivement on va dire "oh bah non".
05:00 Alors maintenant, je ne connais pas ce fait divers,
05:03 - Vous le trouvez quand même révélateur et il rend compte de ce qui se passe dans notre société aujourd'hui.
05:08 - Je n'ai pas l'habitude de parler du tout jamais de ce que je ne connais pas.
05:11 Mais en revanche, je connais la problématique de déposer une plainte aujourd'hui.
05:15 - Vous êtes partie civile dans l'affaire Daval qui connaîtra une nouvelle étape la semaine prochaine.
05:18 Audience de citations directes pour dénonciations calomnieuses.
05:21 Que retenez-vous de cette affaire dont tous les Français ont entendu parler ?
05:24 - L'affaire Daval c'est une affaire où si Jonathan Daval avait appelé les gendarmes en disant "je viens de tuer ma femme",
05:32 ce serait, je vais utiliser ce terme, un féminicide comme les autres.
05:36 Comme il y en a tellement.
05:38 On ne parle pas de tous. On connaît les chiffres, mais on ne parle pas de tous.
05:44 Ce qui est devenu l'affaire Daval, c'est parce qu'il est allé devant les médias,
05:49 qu'il a fait la grande scène du 12, qu'ensuite il a accusé presque ses beaux-parents d'avoir tué leur fille.
05:56 Et ça fait l'affaire Daval en réalité.
05:58 Donc ça apprend plusieurs choses.
06:00 Ça apprend qu'il y a ce qu'on commet et puis il y a la façon dont on l'appréhende.
06:05 - On entend ce matin votre énergie, votre capacité à parler de ces choses si difficiles.
06:11 Mais l'affaire Daval, le violeur de la sambre, sans oublier le barbe bleue de Lesson et le curé crucifié.
06:15 Comment aborde-t-on des dossiers aussi monstrueux ?
06:19 Je pense à ce qu'on appelle maintenant la charge mentale.
06:21 Il y a aussi la charge mentale de l'avocate.
06:24 - Clairement, la charge mentale est énorme.
06:27 En fait, ma vie, c'est eux.
06:32 Je n'ai pas de moment où je peux dire que je suis en famille,
06:37 mes enfants le savent, mes parents le savent, mes amis le savent.
06:41 Je suis envahie.
06:43 C'est-à-dire que ça me hante et ça m'envahit.
06:46 Mais d'un autre côté, c'est ça aussi qui fait que je vibre.
06:49 J'ai à la fois, et c'est la distance à trouver, la possibilité d'analyser avec distance,
06:56 et à la fois les tripes pour être avec, le cœur pour comprendre.
07:00 Parce qu'il faut le cœur pour comprendre pour pouvoir ensuite expliquer.
07:04 Parce que c'est ça mon travail, c'est d'expliquer, d'éclairer.
07:08 Ce qui est pour ce que vit, ressent une personne.
07:13 Ce qui lui est arrivé, la façon dont elle l'a perçu.
07:18 Ce qu'il faut comprendre, c'est...
07:20 - Vous nous donnez une définition de l'empathie là, d'une certaine façon.
07:23 - Peut-être.
07:24 - Et en même temps, ça doit se faire dans des règles qui sont des règles de la justice.
07:28 - Ce n'est pas seulement l'empathie, c'est parce que c'est aussi faire savoir, faire comprendre.
07:34 C'est-à-dire que, vous savez, si on vous dit "telle personne est morte", ça ne vous fait pas grand-chose.
07:40 En revanche, si vous commencez à réfléchir, et à vous dire que c'était quelqu'un pour qui on mettait la table tous les jours,
07:46 et que d'un seul coup on va mettre une assiette de moi à table.
07:48 Si vous pensez au fait qu'il faut vider un placard.
07:51 Si vous pensez au moment où on apprend d'un seul coup et où la vie bascule.
07:55 C'est autre chose.
07:56 Mais ça, on ne l'a pas forcément à l'esprit, et moi j'éclaire là-dessus.
08:00 - Votre livre est un témoignage sur les coulisses du système judiciaire.
08:04 Après 30 ans de métier, qu'avez-vous appris ?
08:06 A la fois sur la nature humaine et peut-être sur le fait de rendre la justice.
08:09 - Malheureusement, ce que j'ai appris, c'est que les choses évoluent.
08:13 Je ne pense pas qu'elles évoluent tellement dans le bon sens.
08:15 Parce que je trouve que la justice, elle est de plus en plus inhumaine.
08:19 Je trouve qu'à la fois on met en place des processus, des procédés.
08:25 En même temps, on va dire par exemple, maintenant il y a l'avocat pendant la garde à vue.
08:31 Mais en réalité, tout ça, ça formalise beaucoup de choses.
08:34 Et on perd en spontanéité.
08:37 Alors c'est difficile, vous savez, de trouver un équilibre.
08:39 - Non mais on a gagné en technicité et on a perdu en humanité.
08:43 - C'est exactement ce que je suis en train de vous dire.
08:45 C'est-à-dire que plus on veut mettre des règles, plus on veut protéger, mettre des barrières.
08:51 On met des gardes fous, c'est très bien de mettre des gardes fous.
08:55 Mais à force de mettre des gardes fous, trop de gardes fous, on ne voit plus l'horizon.
08:59 - Vous nous parlez en fait de l'âme humaine et c'est le propos de votre livre "Crime, délit et vie brisée".
09:04 Merci beaucoup Maître Cathy Richard. Je rappelle la sortie aujourd'hui de ce livre aux éditions Albin Michel.
09:09 d'Albamie.