Regardez L'invité de RTL du 03 janvier 2024 avec Yves Calvi.
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00:02 RTL Matin
00:06 Il est 7h43, soyez les bienvenus sur RTL en ce 3 janvier 2024. Avec nous Pascal Boniface. Bonjour Pascal Boniface.
00:13 Bonjour Yves Calu.
00:14 Vous êtes géopolitologue, directeur de l'IRIS, l'Institut des relations internationales et stratégiques,
00:17 et vous venez de publier 50 idées reçues sur l'état du monde aux éditions Armand Colin.
00:22 Commençons par l'actualité si vous le voulez, la plus brûlante.
00:25 Hier en début de soirée, Saleh al-Ahouri, le numéro 2 du Hamas, mouvement islamiste palestinien,
00:30 a été tué par une frappe de drone près de Beyrouth.
00:32 Quelle est l'importance de cet événement et surtout sa signification ?
00:36 Sa signification c'est la première fois depuis assez longtemps, très longtemps même,
00:39 qu'Israël assassine un leader du Hamas en dehors de la Cisjordanie ou de la bande de Gaza.
00:44 Ça se passe au Liban. Donc la question qu'on se pose, est-ce qu'il va y avoir une extension du conflit ?
00:48 Est-ce que le Liban, pas le Liban tant que tel, mais l'Hezbollah, va répliquer à une attaque sur son territoire ?
00:53 Est-ce que ça affaiblit le Hamas ? Oui à court terme, quand la principale réciprocité de l'organisation disparaît,
00:58 ça peut affaiblir l'organisation. Mais quand le numéro disparaît, un autre numéro 2 apparaît.
01:02 Donc ça ne va pas faire disparaître le Hamas pour autant.
01:05 Donc la question qui se pose, c'est est-ce qu'il va y avoir une extension du conflit ?
01:09 Est-ce que l'Hezbollah va répliquer en disant "le territoire libanais a été finalement attaqué, nous avons le droit de répliquer" ?
01:16 Alors justement, Emmanuel Macron a depuis appelé à éviter l'escalade.
01:19 Vous nous suggérez. Quelle est la crainte ? Que le Liban entre également en guerre ? L'Iran ?
01:24 Alors l'Iran, il y a toujours un porte-avions américain qui vient calmer les ardeurs du régime iranien contre Israël.
01:30 Et par ailleurs, les Iraniens sont beaucoup plus prudents. Ils ne sont pas très sympathiques, mais ils sont prudents.
01:34 Et ils ne veulent pas mettre en jeu leur régime.
01:37 Par contre, le Hezbollah, depuis longtemps, est un peu tenté, même si leur leader a décliné la proposition de se lier au Hamas
01:43 pour mener la guerre contre Israël. Et puis quelque part, la dissuasion israélienne, c'est-à-dire
01:48 "Vous voyez ce qui se passe à Gaza, est-ce que vous voulez que ça se passe également à Beyrouth ?"
01:51 Non, donc ne réussissez pas. Sauf que je pense que si Israël menait des attaques aussi massives sur le Liban que sur Gaza,
01:58 il y aurait cette fois-ci plus de réelles réactions internationales que celles que l'on voit pour le moment.
02:04 Alors le leader du Hezbollah doit prendre la parole ce soir. Est-ce qu'il faut craindre, sérieusement, au moment où nous parlons, une régionalisation du conflit ?
02:10 Alors le conflit est régional en fait.
02:12 Il l'est déjà ?
02:13 Il l'est déjà, mais ce que l'on peut craindre, c'est une extension, une régionalisation militaire du conflit.
02:17 Il y a une opposition pour l'instant entre l'Hezbollah et Israël. Ce sont seulement des escarmouches.
02:23 Il n'y a pas la guerre de grande ampleur qu'on a vue en 2006, qui s'est traduit par d'importantes destructions au Liban,
02:29 mais également des pertes relativement importantes pour Israël.
02:32 Et là, effectivement, la crainte, c'est que le Hezbollah d'un côté, les outils qui font déjà aussi quelque chose,
02:38 qui dit un embrassement général, bien sûr la dissuasion est en faveur d'Israël, qui a une plus grande force militaire et qui a le soutien américain.
02:45 Mais une fois encore, il serait plus difficile pour Israël d'attaquer le Liban de façon massive.
02:50 Et le Hezbollah, pour l'instant, est partagé entre un sentiment d'allié de l'Iran et du Hamas,
02:56 et le sentiment d'être aussi un mouvement national libanais qui ne peut pas mettre en danger tous les équilibres libanais
03:01 au moment où le Liban ne va pas déjà très bien.
03:04 En deux mots, le Hamas peut être détruit ? La réponse est non, si je vous souviens.
03:06 Non, non, non.
03:07 Pascal Boniface, on va changer de foyer, si vous le voulez bien.
03:09 Autre conflit qui dure, celui qui oppose la Russie à l'Ukraine.
03:12 Dans leur vœu, les deux présidents se sont jurés l'anéantissement mutuel.
03:16 Où en est-on et qui a vraiment l'avantage, s'il y en a un ?
03:19 Alors, ça dépend si vous parlez du court terme ou du long terme.
03:22 On peut dire qu'à court terme, Poutine est en train de gagner la partie.
03:25 Il y a un échec de la contre-offensive ukrainienne, il y a des interrogations sur l'aide à longue durée d'Occidental en faveur de l'Ukraine.
03:33 Et on voit que même si l'Ukraine gagne des batailles en Bernoir, elle ne pourra pas reconquérir les territoires perdus.
03:39 Or, nous occidentaux, on a dit qu'on aiderait l'Ukraine jusqu'au bout.
03:42 Et le but de guerre de Zelensky est de réconquérir tous les territoires perdus depuis 2022, y compris la Crimée, et de juger Poutine.
03:49 Il n'y arrivera pas. Donc, ses buts de guerre ne seront pas, il n'y pas ira pas.
03:53 Poutine va garder une partie du territoire, il va être réélu triomphalement dans des élections, disons, dont la liberté est quand même sujette à caution en mars de cette année.
04:03 Mais sur le long terme, il aura affaibli la Russie, puisque la Russie sera moins forte.
04:08 Or, le but de Poutine, c'était d'entrer dans l'histoire comme l'homme qui a restauré le statut de la Russie sur la scène internationale,
04:14 après les années Yeltsin, qui avaient été des années de la catastrophe.
04:17 Donc, il va pouvoir dire aux élections de mars 2024, regardez, j'ai vaincu mon ennemi, j'ai gagné les territoires.
04:24 Mais sur le long terme, l'histoire sera cruelle pour lui, parce qu'il aura affaibli la Russie.
04:30 Le problème, c'est qu'on confond dans cette affaire le possible et le souhaitable.
04:34 Parce que l'on dit que la Russie ne peut ni ne doit gagner la guerre, on confond pouvoir et devoir.
04:39 Oui, bien sûr, la Russie ne doit pas gagner la guerre, parce qu'elle a commis des crimes de guerre, elle a commis un acte d'agression,
04:45 mais on n'a pas les moyens de faire refluer l'armée russe du Donbass, parce qu'on ne va pas envoyer les soldats,
04:50 on ne va pas rentrer en guerre directement, et que les nombres, ça compte.
04:53 Il y a quatre fois plus de Russes que d'Ukrainiens, et l'industrie de défense russe est plus efficace et plus fournie que l'industrie ukrainienne, y compris avec l'aide occidentale.
05:03 On est en train de lécher les Ukrainiens et d'accepter une glaciation ?
05:06 Non, on n'est pas en train de les lécher, on continue de les aider, mais on ne veut pas rentrer en guerre à leur côté.
05:10 Lorsque Zelensky dit que l'Ukraine se bat pour le monde entier, pour le monde libre, et qu'il faut rentrer en guerre,
05:15 et que l'aide qu'on lui accorde est une aide qu'on s'accorde à nous-mêmes, non, l'Ukraine se bat avant tout pour elle,
05:20 et ce n'est pas une guerre mondiale, comme le dit Zelensky dans son interview à The Economist,
05:23 où il dit que les Russes veulent avancer partout et qu'il faut le soutenir de partout.
05:27 On a connu grâce à vous notre parcours, en fait, alors, avec un conflit dont on parle moins, celui qui s'articule autour de Taïwan,
05:33 considéré comme une province par la Chine, le président chinois a évoqué une réunification lors de son discours du Nouvel An.
05:39 La Chine est-elle en train de passer à l'action, au risque d'ailleurs de déclencher une intervention américaine ?
05:43 Il y a des élections à Taïwan le 13 janvier, donc on va voir si c'est un leader indépendantiste ou un leader qui est plus avec un accord avec Pékin.
05:53 En fait, le but de la réunification n'est pas nouveau, c'est un but qui existe depuis 1949.
05:59 Il est rappelé régulièrement par les autorités chinoises, Deng Xiaoping avait un profil, disons, plus modeste que, plus modéré que Xi Jinping.
06:10 Effectivement, la Chine peut faire un peu plus peur, parce que maintenant, la Chine affirme haut et fort qu'elle sera la première puissance mondiale,
06:16 ce qui n'était pas le cas de la Chine de Deng Xiaoping.
06:18 Est-ce qu'elle va le faire militairement ? Ce n'est pas certain, mais le fait que Xi Jinping réaffirme la volonté chinoise de réunification n'a rien de nouveau.
06:26 C'est la tradition chinoise.
06:28 Ce qui fait peur, c'est qu'on a vu qu'à Hong Kong, le système "une nation, deux systèmes" avait échoué,
06:34 et que c'est en fait une nation, un système, et que les Taïwanais ne veulent pas de cela.
06:38 Aujourd'hui, il n'y a que 3% des Taïwanais qui sont favorables à la réunification.
06:43 Donc, effectivement, elle ne sera pas pacifiquement.
06:46 Alors, on a cette année 3 grosses élections, c'est incroyable.
06:49 En Russie, aux Etats-Unis, sans oublier nos élections européennes.
06:52 Que nous disent ces échéances, Pascal Boniface ?
06:54 En Russie, on peut dire que le match est plié.
06:57 Au niveau européen, il va y avoir une poussée de l'extrême droite au niveau du continent.
07:03 Il faudra voir sur quel type de commission cela peut déboucher.
07:07 Pour l'instant, il y a deux groupes d'extrême droite qui sont divisés.
07:09 S'ils se réunissaient, ça serait quand même un impact très fort.
07:13 Quant aux Etats-Unis, c'est le spectre d'une victoire de Trump.
07:16 Avec un Biden dont le paradoxe est qu'il a un très bon bilan du point de vue américain,
07:20 mais qu'il est affaibli physiquement.
07:23 Qu'il a gagné en 2020 en faisant une visio-campagne dans sa maison.
07:27 Et que là, il va faire campagne en bougeant, en allant un peu partout.
07:30 Il n'est pas certain qu'il ait les moyens physiques de faire une telle campagne.
07:33 Et donc, s'il veut rester candidat, on a quand même le risque d'avoir Trump
07:37 pour un deuxième mandat qui sera certainement encore plus terrible que son premier.
07:41 Alors, justement, dans vos 50 idées reçues sur l'état du monde, j'en ai sélectionné trois.
07:45 On va commencer par celle-ci qui nous concerne.
07:47 La France ne compte pas à l'échelle internationale. Vrai ou faux ?
07:51 Alors, elle compte toujours moins qu'avant, effectivement.
07:53 Moins qu'au début de ce siècle, on avait une diplomatie qui était plus reconnue.
07:57 Il y a une sorte de glissement progressif.
07:59 Mais on ne peut pas dire que la France ne compte plus.
08:01 Elle compte moins, elle compte toujours.
08:03 Deuxième idée reçue. L'Europe est un nain politique.
08:06 Enfin, pardon, un continent de petite taille.
08:09 Oui. Alors, disons que le problème, c'est que l'Europe est un succès économique.
08:13 Mais, effectivement, elle ne parle pas d'une seule voix sur le plan diplomatique.
08:17 On voit bien sur Israël-Gaza, il y a trois avis différents quand on vote à l'ONU.
08:21 Les pour, les contre, les abstentions.
08:23 Donc, ce n'est pas vraiment une unité stratégique.
08:25 Et donc, effectivement, l'Europe compte sur le plan du soft power.
08:30 Mais elle n'a pas les dents stratégiques.
08:32 Mais ça marche l'Europe ou pas ? Est-ce que c'est un projet qui avance ?
08:35 Vous comprenez ma question ?
08:36 Alors, effectivement, c'est un projet qui avance parce qu'on a vu quand même,
08:39 notamment pour sortir du Covid, le plan de relance a marché.
08:42 Mais la guerre en Ukraine est venue un peu secouer l'unité stratégique européenne.
08:47 Je termine avec la 46e idée reçue de vos 50.
08:50 L'islam est incompatible avec la démocratie.
08:52 C'est au cœur des questions que se pose la question française.
08:54 Oui, effectivement.
08:55 Le pays, enfin, aujourd'hui.
08:56 Alors, effectivement, on voit que le Liban est un pays démocratique, mais qui est problématique.
09:00 En Tunisie, ça a reculé, c'est de nouveau un régime autoritaire.
09:03 Mais, par contre, en Indonésie, la démocratie marche.
09:05 En Asie, il y a des pays qui sont à la fois musulmans et démocratiques.
09:09 Le problème, ce n'est pas tellement l'islam, c'est les troubles géopolitiques dans le monde arabe
09:13 qui ont empêché la démocratie de s'instaurer avec le retour en force du régime autoritaire en Syrie,
09:19 le trouble en Irak, le chaos en Libye, etc.
09:22 Malheureusement, les printemps démocratiques ont échoué à instaurer des démocraties
09:26 pour des questions géopolitiques.
09:27 Vous êtes un analyste pondéré.
09:29 Où trouvez-vous des espoirs, ou en tout cas une forme d'optimisme pour notre planète, cette année ?
09:36 Dans les opinions publiques, qui pèsent de plus en plus,
09:38 dans une jeunesse qui est consciente des enjeux internationaux,
09:42 effectivement, les jeunesses un peu partout dans le monde sont conscientes qu'elles ne vivent pas seules,
09:47 qu'elles font partie d'un monde, et qu'elles ne pourront pas vivre heureuses
09:50 si le reste du monde est dans le trouble et dans le chaos.
09:52 Donc, il y a beaucoup de mobilisation de la jeunesse en faveur du climat, en faveur de la paix.
09:56 Et donc, il y a de plus en plus de gens qui sont informés et qui veulent se battre.
10:00 Donc, c'est un peu les sociétés civiles contre les gouvernements.
10:03 Vous nous dites qu'il y a une conscience planétaire, en quelque sorte, de la jeunesse...
10:06 Tout à fait.
10:07 ... qui devient une réalité, c'est ça ?
10:08 Oui, parce que cette génération-là est en contact les uns avec les autres
10:11 par des moyens techniques que nous n'avions pas lorsque nous-mêmes étions étudiants.
10:16 Et donc, il y a beaucoup plus de connexion dans la jeunesse.
10:19 Mais c'est sur le long terme.
10:20 Sur le court terme, il y a assez peu de raisons d'être optimiste.
10:22 Merci beaucoup, Pascal Bonifaz, de nous avoir une fois de plus.
10:24 une fois de plus.