• il y a 11 mois

Aujourd'hui dans "Punchline", Laurence Ferrari et ses invités débattent de la colère du monde agricole qui continue de monter en France. Les agriculteurs demandent des annonces et des actions le plus vite possible de la part du gouvernement.
Retrouvez "Punchline" sur : http://www.europe1.fr/emissions/punchline

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Transcription
00:00 Voilà, on ne lâchera pas cette mobilisation.
00:02 Michel Onfray, bonsoir.
00:04 Merci d'être avec nous, philosophe bien sûr.
00:06 On est évidemment au cœur de cette actualité,
00:09 cette grande colère des paysans,
00:11 ce sentiment d'abandon qu'ils nous disent,
00:14 ces mots qui sortent,
00:16 on a l'impression que personne ne les a écoutés depuis des années.
00:19 Comment est-ce que vous vivez cette crise des agriculteurs ?
00:21 D'abord, moi je suis fils d'ouvrier agricole.
00:26 Ouvrier agricole, c'est-à-dire que mon père n'était pas propriétaire.
00:29 Il possédait juste sa force de travail.
00:32 Et je connais le travail, je sais ce que ça signifie,
00:35 je sais ce que ça veut dire être au quotidien dans la campagne,
00:39 voir des animaux, c'est-à-dire travailler tout le temps, en permanence.
00:41 Et puis avoir un maître, un patron, c'est la nature,
00:44 qui décide du jour au lendemain que vous allez être ruinés,
00:48 parce que la grêle, par exemple, va supprimer des cultures, etc.
00:52 Une espèce de grande précarité.
00:54 Et un assistant de la paysannerie, une partie du moins,
00:57 qui est un céréalier qui, eux, n'ont pas de problème d'argent.
00:59 Tous ces gens qui s'arrangent bien de l'Europe et des chèques qu'on leur donne,
01:03 puisque finalement les chèques sont donnés en fonction de ce que vous possédez,
01:06 que ce soit la tête de bétail ou l'hectare.
01:09 Et puis de l'autre côté, des gens qui parlent de dignité.
01:12 Et moi, je suis très touché par les gens qui parlent de dignité.
01:14 C'est des choses qu'on m'a racontées, qu'on m'a enseignées quand j'étais enfant.
01:18 La dignité, l'honneur, le sens de l'honneur, le sens du travail.
01:21 Travailler et vivre de son travail.
01:23 Ces gens, ils ne demandent que ça.
01:24 Ils ne demandent pas à travailler moins, ils ne demandent pas à prendre des vacances,
01:27 ils ne demandent pas à être payé plus.
01:28 Ils demandent juste à pouvoir travailler et vivre de leur travail.
01:31 Moi, j'ai beaucoup d'émotions à chaque fois que je les entends et que je les vois.
01:34 J'ai beaucoup d'émotions. Ils ont tout mon soutien.
01:36 Et ce sentiment de mépris aussi qu'ils expriment.
01:39 On a des élites parisiennes, des bobos qui disent "le droit à la paresse".
01:43 Mais c'est un gag pour eux, le droit à la paresse.
01:45 Bien sûr. Vous savez, le logiciel de gauche de ces gens-là,
01:48 c'est un logiciel marxiste qui suppose qu'il y a l'avant-garde éclairée du prolétariat,
01:52 c'est-à-dire les ouvriers politisés, syndicalisés,
01:55 et que ce sont eux qui sont le fer de lance de la révolution.
01:57 Et puis après, vous avez les paysans.
01:59 Il y a une haine des paysans chez Marx.
02:01 Il y a une détestation des paysans parce que ce sont des petits bourgeois,
02:04 attachés à leur terre, à leur propriété, ils sont des propriétaires terriens.
02:07 Il y a un vrai mépris pour le marxisme.
02:11 Et tous ces gens-là sont encore...
02:13 La Nupes est encore imprégnée de marxisme.
02:15 Il y a toujours cette idée que les ploucs, les paysans, les pécores,
02:18 on les choisit parfois d'ailleurs sur certaines chaînes de télévision.
02:21 Il faut absolument qu'ils ressemblent aux tuches.
02:23 Il faut absolument qu'on les ridiculise.
02:25 On cherche des accents, on cherche des allures, on cherche des trognes, etc.
02:28 Alors qu'il y a le bon sens, moi je crois au bon sens paysan.
02:31 C'est-à-dire à cette idée qu'on regarde le réel, le réel nous donne des leçons,
02:34 et si on joue avec le réel en disant que le réel a tort,
02:36 le réel se rattrape.
02:38 Et si le réel vous dit "c'est ainsi, il y a du gel, il y a de la grêle,
02:42 on détruit votre agriculture, votre production",
02:45 c'est ainsi, le réel fait la loi.
02:47 Il y a ce qui se passe à Agen, cette préfecture,
02:50 avec des pneus enflammés, ce lisier répandu sur la façade de la préfecture,
02:54 tout un symbole, parce que ce que disent les paysans, c'est "à l'État,
02:57 vous nous avez abandonnés, et ça fait des années que vous nous avez abandonnés".
03:01 Vous le comprenez comme ça ?
03:02 Oui, il y a ça, mais il manque un peu de...
03:05 Enfin, si vous permettez, une lecture philosophique de l'ensemble.
03:08 C'est-à-dire de se dire "mais qu'est-ce qui se passe dans cette aventure ?"
03:11 On peut évidemment dire "on est pour, on est contre", etc.
03:13 Je veux dire que tous les gens de la pensée européiste
03:16 sont tous des gens...
03:17 Regardez Xavier Niel, par exemple, il est très impliqué dans Mediapart ou dans Le Monde,
03:20 c'est aussi quelqu'un qui travaille à la viande cellulaire.
03:22 C'est-à-dire que veut l'Europe ? La destruction de la paysannerie française.
03:25 Que veut le libéralisme ? C'est effectivement faire de telles sortes
03:28 qu'on puisse industrialiser la production alimentaire.
03:31 C'est-à-dire il faut en finir avec les campagnes, avec les terroirs,
03:34 avec l'enracinement, avec la terre, qui est ellement tout le temps, etc.
03:37 Et on vous dit "mais on prend de la culture cellulaire aujourd'hui,
03:39 vous prenez une cellule, cellule souche, et puis vous la faites grandir,
03:42 vous faites une tumeur, on appelle ça un beefsteak, c'est de la viande cellulaire."
03:45 Et vous avez toute l'idéologie des écologistes qui nous disent
03:48 "mais vous êtes contre la souffrance animale, bien sûr".
03:50 Évidemment on est contre la souffrance animale.
03:52 Eh bien on a la possibilité de vous faire des beefsteaks
03:54 sans faire souffrir des animaux.
03:55 Donnez ça à l'industrie, l'industrie sait faire.
03:57 Et on n'a pas besoin de paysans, on n'a pas besoin de ploucs,
04:00 on n'a pas besoin de ces terriens qui sont des demeurés,
04:02 qui sont des ruraux.
04:03 Laissez faire l'industrie.
04:05 Et quand on aura l'industrie, ce sera formidable.
04:07 On pourra produire, alors avec du matériel qui coûte très cher
04:10 et qui en plus pollue considérablement les ordinateurs,
04:12 les centrifugeuses, les frigidaires, les congélations, etc.
04:15 Alors là, il n'y a pas de problème, ça ne dégage pas de pollution,
04:17 ce genre de choses.
04:18 Et on nous dit "mais c'est ça l'avenir".
04:20 Donc l'avenir, c'est l'éradication de cette paysannerie.
04:22 La meilleure façon d'éradiquer cette paysannerie,
04:24 c'est de dire "priorité internationale".
04:27 Priorité internationale.
04:28 Aller chercher la viande dans l'Amérique du Sud,
04:30 c'est beaucoup mieux que de sauver des agriculteurs.
04:32 Ils se pendent "oh là là, c'est formidable le courage de ces gens-là", etc.
04:37 Il y a une espèce de fausse compassion, une fausse empathie.
04:40 Tous les gens qui ont défendu Maastricht et la politique qui est derrière ça
04:43 défendent les pendaisons des paysans qui eux sont ruinés par cette idéologie-là.
04:48 Industrialiser l'alimentation, garder cette espèce de truc débile
04:53 des vegans ou des végétariens qui vous expliquent qu'il y a du steak vegan
04:58 ou qu'il y a du lait de soja.
05:00 Mais non, si on n'aime pas la viande, il n'y a pas de steak de soja,
05:02 il n'y a pas de lait de soja non plus.
05:04 Arrêtez de parler de fromage vegan,
05:07 arrêtez de parler de foie, de faux gras,
05:10 pour ne pas parler du foie gras, etc.
05:12 C'est-à-dire qu'on utilise les gens avec l'empathie,
05:15 en leur disant "vous ne voulez pas de la souffrance animale,
05:17 mais vous avez quand même envie de manger une entrecôte".
05:19 Laissez faire l'industrie qui, à partir de cellules qui vont proliférer,
05:22 ça s'appelle des tumeurs.
05:23 On vous demande de manger du cancer quand on vous fabrique de la viande cellulaire.
05:27 Et c'est ça qu'il y a derrière le projet. Le projet, c'est ça.
05:29 Donc laissez-les, ils vont mourir les uns après les autres.
05:32 Et puis on va les subventionner, ils sauteront.
05:34 Et puis un jour, on pourra manger du steak vegan et ce sera formidable.
05:37 Le coup de gueule de Michel Onfray. Une question de Geoffroy Lejeune du JDD.
05:40 Bonsoir Michel Onfray.
05:41 On assiste peut-être en direct à la naissance d'un mouvement social
05:44 qui est aussi très politique,
05:45 un peu comme celui des Gilets jaunes il y a quelques années.
05:47 Et on se souvient que les Gilets jaunes,
05:48 ils avaient été dans un premier temps caricaturés,
05:50 après détournés, puis finalement éteints.
05:53 Pas la colère, mais le mouvement.
05:54 Comment vous voyez la suite pour ce qui se passe aujourd'hui avec les agriculteurs ?
05:58 La grande erreur des Gilets jaunes, c'est d'avoir obéi,
06:01 enfin entendu, les sirènes jacobines.
06:03 C'est-à-dire que quand ils occupaient des ronds-points,
06:05 ils étaient imprenables.
06:07 Ils étaient imprenables d'un point de vue de la stratégie, de la tactique militaire.
06:10 Le jour où ils ont obéi aux sirènes,
06:12 qui étaient d'ailleurs les sirènes de la Nupes,
06:14 c'est-à-dire tout au départ, c'était des ploucs, des paysans,
06:16 Coquerel avait été extrêmement méprisant.
06:18 On n'a plus jamais retrouvé ces images.
06:20 Quelques semaines plus tard, ils ont récupéré le mouvement,
06:23 en disant "c'est formidable, s'il y a une contestation, on est derrière".
06:26 Et là ils ont dit "on va vous prêter des mégaphones, la structure, etc."
06:29 Ils montaient à Paris, les Champs-Élysées,
06:31 "vous allez voir, c'est formidable, il faut prendre l'Élysée comme si c'était Versailles, etc."
06:35 Et ils se sont laissés avoir, avec quelques-uns qui ont été politisés,
06:38 des grandes gueules qu'on a installées sur les plateaux de télévision,
06:41 et d'un seul coup, les gilets jaunes ont perdu leur substance,
06:43 avec quelques-uns qui finalement étaient devenus détestables,
06:46 récupérés par cette gauche-là,
06:48 et ça a été facile après d'envoyer la troupe.
06:50 C'est facile, vous avez vu, la police, l'armée,
06:52 qui font leur travail, et qui font très bien leur travail.
06:54 Si on leur dit "il faut y aller", ils y vont,
06:56 si on leur dit "il faut plus y aller", ils n'y vont plus,
06:58 si on leur dit "il faut taper", ils tapent,
07:00 et il y a eu des mains arrachées, des gens énucléés,
07:02 et on a réglé le problème des gilets jaunes de cette manière-là.
07:05 On les a criminalisés, je me rappelle quand même
07:07 que quand il y avait tous les tags sur l'Arc de Triomphe,
07:10 il y avait des photos qui ont été montrées où on avait effacé les tags,
07:13 sauf "gilets jaunes vaincront" pour montrer que finalement,
07:15 les gilets jaunes, c'était des délinquants,
07:17 pendant qu'on entendait bien que ceux qui grimpaient dans l'Arc de Triomphe,
07:21 à ce moment-là, ils n'avaient pas vraiment l'accent du Cantal ou de la Normandie,
07:24 et donc on les a criminalisés, et c'est ce qui risque d'arriver.
07:27 S'ils pensent qu'en allant à Paris, s'ils pensent qu'en centralisant
07:30 ce qui est décentralisé, le girondin que je suis,
07:33 trouve formidable tout ce qu'ils font, je dis simplement
07:35 si vous venez à Paris, alors là ils vous attendent,
07:37 et ça va être la fin. Plus des gens qui vont être achetés personnellement,
07:40 qui vont dire "on a été reçus par le ministre, on a des promesses,
07:43 ça va être formidable", et puis c'est comme ça qu'on détruit les mouvements.
07:47 Mais il peut y avoir aussi quelques radicaux,
07:49 quelques-uns sont en train de déborder les syndicats,
07:51 c'est une chose qui peut inquiéter le pouvoir.
07:53 Oui, Dragnel. Question à Michel Onfray.
07:55 En fait, il y a 30 ans, Michel Onfray, c'était l'industrie,
07:57 40 ans même, c'est l'industrie qui a été abandonnée par la France et par l'Europe.
08:00 Aujourd'hui, on voit les agriculteurs qui crient leur désespoir,
08:04 leur envie surtout de survivre et de ne pas mourir.
08:07 C'est quoi la prochaine étape après les agriculteurs ?
08:10 Ça fonctionne ensemble, c'est-à-dire il faut détruire le peuple français,
08:14 il faut détruire l'identité française, il faut détruire la culture française,
08:17 il faut détruire la paysannerie française, on a détruit l'industrie française.
08:20 Enfin voilà, il faut tout détricoter.
08:22 On a un chef de l'État qui ne sert qu'à ça,
08:25 c'est-à-dire ne pas défendre ses paysans, ne pas défendre ses ouvriers,
08:28 ne pas défendre ses pêcheurs.
08:30 C'est des pêcheurs à qui on demande aujourd'hui de rester à quai.
08:33 - Un mois. - Vous vous rendez compte ?
08:35 Et c'est des gens qui ont une dignité du travail,
08:37 qui vont travailler dans des conditions pas possibles.
08:39 C'est incroyable d'être ce genre d'un pêcheur.
08:41 Qui mettent leur vie en danger à chaque fois qu'il pète.
08:43 Et puis vous allez récupérer trois dauphins, c'est terrible.
08:45 En même temps, on préfère sauver des dauphins et tuer des ouvriers.
08:48 On préfère sauver le pic prune, par exemple, plutôt que des paysans.
08:52 Ce n'est pas grave que des paysans se pendent pourvu qu'on sauve le pic prune.
08:55 Bestiole qu'il faut absolument préserver, etc.
08:57 On marche sur la tête.
08:59 Et les écologistes qui tiennent un double discours
09:01 sont les gens qui sont justement le fer de lance
09:03 de cette destruction de la paysannerie.
09:05 Oui, il faut effectivement moins utiliser les produits chimiques
09:09 comme mon père a traité dans les champs.
09:11 Effectivement, c'était en quantité industrielle.
09:13 Il faut arrêter tout ça, bien sûr.
09:15 Les insectes ont disparu, puisque les insectes ont disparu,
09:17 les fleurs aussi.
09:19 Il n'y a plus de pollinisation, il n'y a plus d'abeilles.
09:21 La chaîne alimentaire est détruite, donc vous n'avez plus de gibier.
09:24 Ce sont du gibier qui sont fabriqués, qu'on balance dans les pieds des chasseurs.
09:27 Et on dit que c'est l'ouverture de la chasse, vous allez pouvoir tuer des faisans.
09:29 Ils n'ont jamais vu la nature telle qu'elle est.
09:32 C'est ça, la destruction.
09:34 Donc on a commencé en disant à faire du remembrement.
09:36 Puis après, il va falloir rentabiliser les productions.
09:39 Puis après, on dit, il y a plein de choses à faire
09:42 pour que votre blé, les rendements à l'hectare soient supérieurs.
09:44 Alors évidemment, d'un seul coup, il n'y a plus de coquelicots,
09:46 il n'y a plus de bleuets, mais il n'y a non plus d'insectes,
09:48 donc il n'y a plus d'oiseaux, il n'y a plus rien de tout ça.
09:50 Donc évidemment, les paysans savent ça très bien.
09:52 Ils le savent très bien qu'ils ont été les complices de ça.
09:54 Et mon père, à la fin de son existence, il est mort à 89 ans,
09:56 il disait, "Mais on nous a fait faire des choses, on a détruit la nature."
09:59 Mais c'est quoi ça ? C'est la politique américaine de la libération.
10:02 Quand les Américains sont arrivés le 6 juin 1944,
10:04 ils ont amené des farmales, le fameux plan Marshall,
10:07 les tracteurs, on les appelait des Marshall.
10:09 Et c'est plus tard que j'ai compris comme enfant
10:11 qu'il a fallu détruire la paysannerie à l'ancienne,
10:14 et cette paysannerie à l'ancienne, on l'a transformée par de l'industrie,
10:18 et par de la mécanique.
10:19 C'est-à-dire que mes grands-parents, qui étaient maraîchers au ferrant,
10:22 eh bien, ça n'a pas été le cas, mais ils sont devenus mécaniciens agricoles.
10:25 Et puis ils se sont mis à réparer des tracteurs, et puis voilà.
10:28 Et puis après, les paysans, ils ont été obligés de s'en déter.
10:31 Ça coûte cher un tracteur, ça coûte cher une moissonneuse-bateuse,
10:34 ça coûte cher tout le matériel agricole, donc ils s'endettent.
10:36 Les banques disent "On vous prête de l'argent, il n'y a aucun problème".
10:39 Et à un moment donné, ils disent "Il va falloir nous payer".
10:41 Et ils ne peuvent plus. Voilà pourquoi ils se pendent,
10:43 parce qu'ils sont endettés.
10:44 C'est-à-dire que la France ne soutient pas la paysannerie.
10:47 La France, les gens qui...
10:49 L'État français, quand il est gouverné par des mastrichiens,
10:52 disons-le plutôt comme ça, et il faut le dire,
10:55 il faut arrêter de croire ces gens qui nous disent
10:57 "Il faut sauver la paysannerie, on vous écoute, on vous rencontre", etc.
10:59 Non, c'est un projet global de société
11:01 dans laquelle il est question d'exterminer la paysannerie française.
11:04 Vincent Herouët doit reprendre une question, peut-être pour Michel Lentreuil.
11:07 Non, je suis épaté, parce que la façon dont vous présentez les choses,
11:10 c'est vrai, quand on regarde avec un peu de surplomb historique,
11:13 il y a eu le remembrement, et puis vous avez raison de dire
11:16 qu'il n'y a qu'un maître pour un paysan, c'est la nature,
11:18 mais il y a aussi des contre-maîtres.
11:20 Il y a, par exemple, aujourd'hui, des fonds non plus remembrement,
11:24 mais le contraire, la nécessité de faire pousser des haies
11:27 pour protéger la biodiversité.
11:29 Mais faire pousser une haie, il faut répondre à 14...
11:33 Les Échos, hier, racontaient ça très bien.
11:36 Il y a 14 réglementations différentes
11:38 à laquelle un agriculteur doit se soumettre
11:41 avant de toucher à sa haie, et même pour la couper,
11:44 c'est entre le 15 mars et le 15 août.
11:47 C'est-à-dire qu'il y a une accumulation...
11:49 - Pour préserver la nidification. - C'est hubesque.
11:52 C'est un système, c'est une mâchoire absolument infernale
11:56 d'utopie et en même temps de flicage permanent
12:01 de toute liberté individuelle, celle du paysan notamment.
12:05 C'est surtout l'incapacité à entrer dans le cerveau d'un paysan.
12:09 S'ils disent des choses de bon sens, c'est parce qu'ils savent
12:11 que la nature leur apprend des choses.
12:13 On dit "nidification", mais tout le monde est pour la nidification.
12:16 On va pas toucher aux haies, on va pas les couper, les tailler,
12:18 mais les paysans savent tout ça.
12:20 Ils vont pas détruire, la plupart du temps, quelques-uns sont chasseurs,
12:22 ils savent bien qu'ils vont pas détruire le gibier non plus.
12:24 Les écologistes appellent les "forêts longitudinales".
12:27 Donc effectivement, on fait des forêts longitudinales,
12:29 mais sans savoir comment ça fonctionne.
12:31 Les écologistes, qui sont souvent des parisiens,
12:33 qui sont souvent des urbains plutôt que des parisiens,
12:35 ignorent le propos du rural qui est présenté comme un crétin.
12:38 Mais si on écoute le rural au quotidien, il sait ce que c'est.
12:41 La météo, ça veut dire quelque chose pour lui.
12:43 La nidification, ça veut dire quelque chose aussi.
12:45 C'est la suite. Souvent, il tient la chasse de son grand-père ou de son père
12:48 et il transmet à ses enfants en se disant
12:50 "on s'inscrit dans un lignage, on n'a pas envie qu'il y ait plus de gibier".
12:53 Donc effectivement, il pense dans ces termes-là.
12:55 Mais c'est très exactement le contraire de la pensée d'un Natal ou d'un Macron.
12:59 Michel Onfray, au fond, on parle de civilisation, de notre civilisation.
13:03 C'est ce que vous développez dans votre dernier livre,
13:05 "Patience dans les ruines", aux éditions bouquins.
13:07 Vous dites l'urgence aujourd'hui de défendre ce qui existe, notre civilisation.
13:12 Elle est remise en cause, elle est en danger, elle est en train de vaciller.
13:16 Oui, bien sûr. Je pense que...
13:18 Vous savez, Saint-Augustin a été à la croisée de deux chemins,
13:21 la fin d'un monde qui était l'Empire romain
13:23 et l'avènement d'un nouveau monde, l'Empire chrétien.
13:25 Il ne savait pas qu'il serait d'ailleurs le penseur de l'Empire chrétien.
13:28 Et donc les basculements de civilisation se font comme ça.
13:30 Nous sommes dans une période, je dirais, contemporaine intellectuellement de Saint-Augustin.
13:34 On voit bien le monde qui s'en va.
13:36 Ce monde-là, qui est là, nous montre ce qu'était le monde ancien.
13:39 Et encore, la paysannerie, la ruralité avant la guerre, elle était majoritaire.
13:43 Maintenant, elle est minoritaire et on voudrait que cette minorité disparaisse.
13:46 Et je crois que le monde qui advient,
13:48 je vais raconter ça dans "Le fétiche et la marchandise",
13:50 mais c'est un monde, effectivement, dans lequel il y aura une forte puissance donnée
13:55 à la mécanique, à l'industrie, à la chimie, à tout ce qui est aujourd'hui informatique.
14:00 Tout ça va fonctionner de cette manière-là.
14:02 Il s'agit, Elon Musk nous l'a dit, de quitter cette Terre qui va devenir inhabitable.
14:06 Et il est sérieux quand il le dit, parce que, de fait, ça va avoir lieu, le réchauffement.
14:10 Pour aller sur Mars, sur la Lune, peu importe.
14:12 Soit dans des vaisseaux spatiaux qui permettront de fonctionner de manière autonome.
14:16 Et là, vous faites comment si vous voulez du lait ou de la viande dans un vaisseau spatial ?
14:20 Eh bien, on vous dit, il n'y a pas de problème, vous emmenez une espèce de banque de cellules,
14:23 et puis vous allez faire proliférer ces cellules, et puis apprenez ces choses-là.
14:28 Je suis venu en train tout à l'heure, il y avait une petite fille,
14:30 à l'âge de ma petite fille, à peu près 3-4 ans, enfin ma petite fille a 4-5 ans,
14:33 mais elle était déjà en train de jouer avec le téléphone portable de sa mère,
14:36 et je voyais la dextérité, je me disais, le cerveau qui est en train de se fabriquer
14:39 est un cerveau numérique.
14:41 Et je pense qu'à un moment donné, on lui dira qu'il y a une nourriture numérique
14:45 et que jadis, on faisait souffrir les animaux, qu'on mangeait des animaux qui étaient vivants,
14:49 que c'était quand même terrible, et là on dit, mais tu peux manger ton steak,
14:52 et il ne procède à aucune souffrance animale.
14:55 Et je pense qu'il faut écouter Elon Musk, parce que c'est lui qui nous dit un peu
14:59 ce que sera cette civilisation vers laquelle nous nous dirigeons.
15:02 Vous allez plus loin dans ce livre, vous dites qu'il faut défendre la civilisation judéo-chrétienne.
15:06 Vous dites "je suis du côté des chrétiens qui ont persécuté", expliquez-nous.
15:10 Oui, parce que les civilisations sont vivantes, c'est-à-dire que,
15:13 enfin, tout le monde le sait, mais personne ne veut en convenir.
15:16 Tout le monde connaît les pyramides en Égypte, tout le monde connaît les alignements de Karnak,
15:19 tout le monde connaît l'acropole à Athènes ou le forum à Rome,
15:24 et les cathédrales de l'Europe.
15:26 Donc on sait très bien que les cathédrales sont toujours dans une civilisation vivante, je dirais,
15:30 mais toutes ces civilisations précédentes, elles sont mortes.
15:33 On ne vit plus comme à l'époque de Cosquer ou de Lascaux.
15:35 Tout le monde convient que ces civilisations ont disparu.
15:37 Donc ça, c'est une grande leçon de Hegel.
15:39 Aucune civilisation ne dure éternellement.
15:41 Il y a eu les Grecs, puis il y a eu les Gréco-Romains,
15:43 qui ont fabriqué une civilisation gréco-romaine.
15:45 Il y a eu les Juifs, puis les Chrétiens, qui ont fabriqué une civilisation judéo-chrétienne.
15:49 Puis il y a eu les Gréco-Romains et les Judéo-Chrétiens,
15:51 qui ont fait ce que nous sommes.
15:53 C'est-à-dire ce qu'on mange, ce qu'on boit, ce qu'on pense,
15:55 la façon qu'on a d'aimer telle musique, de regarder telle peinture,
15:58 ou d'apprécier plutôt Proust ou Maupassant.
16:01 Je relis actuellement tous Maupassant, c'est génial.
16:03 J'avais lu ça quand j'avais 20 ans et je reprends tout de suite.
16:06 Et ça fabrique une civilisation.
16:08 Le statut des femmes, la possibilité de se maquiller, de porter des jupes.
16:12 Je ne suis pas pour la civilisation des terrasses,
16:15 en imaginant que quand je bois une bière, je résiste à l'islamisme.
16:20 Ça m'a paru un peu cool à une époque.
16:22 Mais c'est toute une civilisation qui est en train de disparaître.
16:24 Il y avait d'adjacence le respect, le dialogue, l'échange.
16:27 Je me rappelle, moi, jeune homme, d'avoir vu Bernard-Henri Lévy,
16:31 par exemple, dans l'émission de Bernard Pivot avec Maurice Bardèche.
16:34 Grand collaborateur, enfin, collaborateur notoire.
16:36 C'était possible à l'époque que Béatrice Hale et Bardèche se parlent,
16:39 s'écoutent, s'entendent.
16:40 Ce n'est plus possible aujourd'hui.
16:41 - C'est impossible, évidemment. - Il n'y a plus de dialogue possible.
16:43 C'est fini.
16:44 Vous savez bien, vous qui faites à CNews des dialogues,
16:47 qui rendez possible des dialogues,
16:49 vous voyez les problèmes de gens qui vous disent qu'au nom de la tolérance
16:51 et de la liberté d'expression, ils ne veulent pas de ces dialogues.
16:54 On n'invite pas Sylvain Tesson, par exemple, parce qu'il est réactionnaire.
17:00 Il aurait préfacé un livre qu'il n'a pas préfacé.
17:02 Ce n'est pas du moins celui-ci qu'il a préfacé.
17:04 Mais dialoguons avec lui et expliquons-nous.
17:07 Pensons, réfléchissons ensemble.
17:09 Ça ne se fait plus.
17:10 Ça aussi, c'était une civilisation.
17:12 La disputation dans la scolastique de notre époque,
17:16 c'est-à-dire les philosophes de l'époque scolastique et médiévale,
17:18 on discutait.
17:19 On avait un propos, on prenait le propos inverse,
17:21 on commentait le propos, on commentait le commentaire du propos.
17:24 C'est comme ça que l'intelligence se fabriquait.
17:26 Aujourd'hui, on est dans l'insulte, on est dans le mépris,
17:28 on est "je like" ou "je nique", et puis l'affaire est réglée.
17:31 Mais alors, qu'est-ce qui a changé tant en 20 ans
17:33 pour que nous n'arrivions plus à dialoguer,
17:35 même si on le fait sur CNews et Europe 1 tous les soirs ?
17:37 Michel Onfray.
17:38 Il y a cette idée que le libéralisme fait la loi,
17:41 et le libéralisme, c'est le marché qui fait la loi.
17:43 Et si le marché fait la loi, ce n'est plus l'intelligence.
17:46 Si le marché fait la loi à l'école, ce n'est plus l'instruction qui fait la loi.
17:49 Si le marché fait la loi à l'hôpital, ce n'est pas la santé publique qui fait la loi.
17:52 Si le marché fait la loi dans les services secrets,
17:54 ce n'est plus l'intérêt national qui fait la loi.
17:56 Et en matière de culture, c'est ça aussi.
17:58 On voit aujourd'hui que ce n'est pas l'intelligence qui fait la loi,
18:01 c'est l'idéologie.
18:02 Et donc, alors ça, c'est un peu long, il faudrait reprendre pourquoi,
18:05 quand De Gaulle reprend le pouvoir en 1946,
18:08 enfin, reprend, oui, arrive au pouvoir à nouveau,
18:10 il faut recycler tout le monde sauf les collaborateurs.
18:12 Il recycle y compris des gens qui ont été vichistes et pétinistes.
18:15 Bien comprendre que vichy et pétin,
18:17 ce n'est pas forcément complètement la collaboration.
18:19 Et quand il faut donner des ministères
18:21 à qui on donne la défense, par exemple,
18:24 quand on a des communistes secrets,
18:25 quand on a des communistes au gouvernement,
18:27 on va leur donner la défense ou la politique étrangère.
18:30 Bien sûr que non.
18:31 Qu'est-ce qu'on leur laisse ? La culture.
18:33 La culture, l'intelligence, l'école, l'instruction, etc.
18:37 D'où l'idéologisation à gauche
18:39 qui fait que laisser les choses sérieuses à la droite,
18:41 la gestion des entreprises, l'industrie, etc.,
18:43 la défense nationale, la politique étrangère,
18:47 et puis la culture, laissons ça à la gauche.
18:49 Et il se fait que cette gauche-là a failli sur tout ce temps-là,
18:53 parce que tout le monde n'est pas allé du côté de Malraux,
18:56 avec un certain plaisir, à Cidadati,
18:58 et se citer Malraux à nouveau,
18:59 et nous faire savoir que la culture,
19:01 c'est de permettre au plus grand nombre d'accéder
19:03 aux chefs-d'œuvre de l'humanité,
19:04 et notamment aux chefs-d'œuvre français.
19:06 Et je me dis, ça, c'est quand même quelque chose
19:08 qui a été perdu, parce que communisme,
19:10 trotskisme, maoïsme, structuralisme,
19:13 dans les années post-68,
19:15 et on a tout ça, faites le total de tout ça,
19:17 et vous avez effectivement une espèce
19:18 d'effondrement de l'intelligence qui est redoutable.
19:21 Une dernière question rapide de Geoffroy Lejeune.
19:23 On ne vous sera pas forcément très confiants
19:24 sur la survie de notre civilisation.
19:25 Moi, j'ai deux questions.
19:26 Est-ce que vous pensez qu'elle peut encore se sauver,
19:28 et surtout, est-ce que vous pensez qu'elle le veut ?
19:30 Je pense qu'elle ne le peut plus,
19:32 et qu'elle ne le veut pas,
19:33 et que peut-être parce qu'elle ne le veut pas,
19:34 elle ne le pourra pas.
19:35 Elle ne pourra pas, elle ne le voudra pas non plus.
19:37 Ça peut aussi fonctionner comme ça.
19:39 C'est-à-dire, c'est des discussions que j'ai pu avoir
19:40 avec Éric Zemmour, qui pensait que son élection
19:42 aurait pu suffire, avec un grand homme,
19:44 à inverser le cours de l'histoire.
19:46 Il me disait, mais c'est la dernière fois
19:48 qu'on peut sauver la civilisation.
19:49 Je dis, mais comment peux-tu imaginer
19:51 qu'un homme seul peut sauver la civilisation ?
19:54 C'est comme quelqu'un qui vous dirait,
19:56 voilà, quelqu'un qui a 98 ans,
19:58 et un médecin qui vous dit,
19:59 moi j'ai quelques bonnes médications
20:01 qui permettront à ce monsieur
20:02 de courir le marathon dans six mois.
20:04 Vous ne le croiriez pas.
20:05 Il y a un moment de décomposition
20:07 civilisationnelle qui fait que personne
20:09 ne peut reprendre la main en disant,
20:10 on va restaurer tout ça.
20:12 Non, cette civilisation s'en va,
20:14 et hélas, les gens qui sont...
20:16 La petite fille que j'ai vue dans le train ce matin,
20:18 elle aura sa part de pouvoir dans quelques temps,
20:20 et elle pensera que nous étions
20:22 des dégénérés ou des demeurés.
20:23 Seuls les citoyens peuvent reprendre le pouvoir en réalité.
20:26 Moi je suis girondin, c'est-à-dire que je pense
20:28 effectivement qu'on doit pouvoir, là où on est,
20:30 fabriquer des micro-résistances.
20:32 Reprendre éventuellement les propos
20:34 des Foucault et des Deleuze qui nous parlaient
20:36 de micro-fascisme et de micro-résistance.
20:37 Je vais créer une université populaire
20:39 dans mon village natal en disant qu'on peut,
20:41 là où on est, fabriquer des choses nouvelles,
20:43 c'est-à-dire un restaurant,
20:44 et puis travailler avec les paysans,
20:46 leur permettre d'écouler leurs produits,
20:48 des bons produits, des bonnes nourritures, etc.
20:50 Des micro-sociétés dans lesquelles on peut dire
20:52 "Ça passera pas par nous".
20:53 Le nihilisme ne passera pas par nous.
20:55 - Le sursaut de toute la société est possible ?
20:57 - Contre les robots ?
20:59 - Non, sûrement pas.
21:00 - Donc c'est terminé ?
21:01 - J'aurais tendance à le penser, mais c'est ainsi.
21:04 C'est-à-dire qu'il y a un moment donné
21:05 où il nous reste l'élégance, ce qui n'est pas rien,
21:07 un certain nombre de valeurs, l'honneur, la dignité,
21:10 c'est quand même pas mal pour finir sa vie.
21:12 - Allez, merci beaucoup.
21:13 - Un peu plus optimiste quand même,
21:14 je vais être plus jeune.
21:15 - J'ai hâte de pouvoir faire une autre émission avec vous.
21:16 D'ailleurs, vous reviendrez.
21:17 Merci beaucoup, Michel Onfray.
21:18 "Patience dans les ruines", Saint-Augustin,
21:20 "Etre orbi" aux éditions Bouquin.
21:23 Merci beaucoup d'être venu ce soir
21:24 au cœur de cette actualité brûlante pour les agriculteurs.
21:27 Merci Vincent Herouat, Louis Doregnel et Geoffroy Lejeune.
21:29 Merci à vous, chers auditeurs.
21:30 Tout de suite, c'est Céline Giraud,
21:31 que vous retrouvez pour Europe Un Soir,
21:33 et Christine Kelly pour Face à l'Info sur CNews.
21:35 Bonne soirée à vous sur nos deux antennes et à demain.

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