"Notre système de Santé est de plus en plus fragile !" - Arnaud Chiche

  • l’année dernière
Urgences : Comme tous les hivers, les services sont « saturés ». Avec Arnaud Chiche, Médecin Anesthésiste Réanimateur et Fondateur du collectif « Santé en danger ».

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Transcript
00:00 La situation est critique et on pense que ça devient la routine.
00:04 C'est ce que dénonce Marc Noiset, président du syndicat Samurgence de France.
00:08 À Strasbourg, on a été obligé de déployer une unité sanitaire devant les urgences
00:12 pour éviter l'engorgement et les files d'attente de 8h à 10h des ambulances devant le service.
00:19 Dans le Finistère, trois services d'urgence sont entrés dans un mouvement de grève début décembre.
00:23 À Bordeaux, on n'a plus la capi, ça y est, de décrocher le 15.
00:26 Et dans le Var, c'est un service d'urgence sur deux qui ferme dorénavant la nuit.
00:30 Nous sommes en compagnie d'Arnaud Chiche, médecin anesthésiste réanimateur et fondateur du collectif Santé en danger.
00:35 Arnaud Chiche, bonjour.
00:36 Bonjour.
00:37 Est-ce que vous aussi, vous tirez la sonnette d'alarme à propos de la situation de l'hôpital, en particulier aux urgences ?
00:44 Oui, les propos de Marc Noiset dont je vous ai référence sont très explicites.
00:49 Sachant que j'allais discuter avec vous aujourd'hui, j'ai interrogé les professionnels urgentistes
00:54 avec qui on est en lien dans le cas du collectif Santé en danger.
00:57 Vous avez parlé de Strasbourg, mais on pourrait parler de Bordeaux, on pourrait parler de la Bretagne,
01:00 on pourrait parler du Var, on pourrait parler des Hauts-de-France.
01:03 Partout, partout, la situation est tendue et ce n'est pas un phénomène que local.
01:07 Alors, il y a quatre ans, pratiquement, c'était le début de la pandémie,
01:11 on nous avait dit qu'on allait tirer les leçons de la pandémie.
01:17 Si je vous écoute et si je lis les alertes que donnent vos confrères,
01:21 les leçons de la pandémie, elles n'ont pas l'air d'avoir été franchement tirées.
01:25 Non, en tout cas pas suffisamment, même s'il y a des philosophes qui laissent penser
01:30 qu'ils ont un peu compris entre ce qui est annoncé et la réalité du terrain,
01:36 il y a un fossé, il y a des choses, si vous voulez, qui sont un peu récurrentes chaque hiver.
01:40 Par exemple, le fait qu'il y ait plus de patients qui aient des infections respiratoires,
01:44 le fait que l'hiver, il y ait aussi des fermetures de lits parce qu'il y a des soignants qui partent en congé,
01:48 ça c'est tout à fait normal, mais ça arrive tous les hivers, ça n'est jamais anticipé,
01:53 il n'y a jamais de remède à ça.
01:55 Il faut savoir que ce phénomène-là se produit sur un système de santé
01:59 de plus en plus fragile chaque année, parce que comme vous le savez,
02:02 le ministre de la Santé l'a annoncé juste avant de démissionner,
02:05 il y a 7000 lits qui ont été fermés en 2022,
02:08 or en ce moment, dans les hôpitaux et dans les services d'urgence, c'est extrêmement compliqué,
02:13 notamment parce qu'on manque de lits d'aval.
02:15 Les lits d'aval, c'est des endroits dans lesquels on peut hospitaliser les patients.
02:19 On manque de lits d'aval parce qu'on les a fermés,
02:21 parce qu'on n'a plus assez de soignants, d'infirmières, d'aides-soignantes pour les faire tourner.
02:25 La nouvelle ministre de la Santé a dit que ce n'était pas un problème de moyens,
02:28 c'était un problème d'effectifs, bah oui, mais les effectifs dans les hôpitaux,
02:31 aujourd'hui on ne les a pas, parce qu'on n'écoute pas les professionnels,
02:34 et il faut revoir la manière dont une infirmière doit travailler,
02:37 une aide-soignante doit travailler pour lui donner envie de rester à l'hôpital.
02:41 Ça, ce travail-là, il n'est pas fait.
02:43 - Le principal problème, Arnaud Chiche, c'est les effectifs ou c'est quoi ?
02:47 C'est ce que dit la ministre ou c'est multifactoriel ?
02:51 - En fait, il faut prendre l'attention qui a lieu dans les services d'urgence
02:54 comme étant le signal d'alarme de tout le système de santé.
02:57 Parce que si les services d'urgence sont en tension,
02:59 c'est aussi parce qu'en ville, il y a des difficultés.
03:02 Vous savez bien qu'il y a des déserts médicaux en France,
03:04 qu'on manque de médecins généralistes.
03:06 Fatalement, les gens qui ont du mal à avoir accès à un médecin généraliste,
03:09 ils vont aller dans les services d'urgence pour des motifs
03:12 qu'ils ne doivent pas relever normalement d'un service d'urgence.
03:15 Par définition, les urgences, ça ne doit pas être de la médecine générale.
03:18 Mais on manque de médecins généralistes.
03:20 On le sait, tout le monde le sait, rien n'est fait sur ce sujet-là
03:23 pour relancer l'attractivité pour les médecins généralistes,
03:26 pour que les Français aient des moyens de recours médicals
03:29 autres que celui d'aller à l'hôpital.
03:31 Le deuxième phénomène, c'est qu'on ne travaille pas assez
03:34 pour que les soignants restent à l'hôpital.
03:36 Pour leur donner envie de rester à l'hôpital,
03:38 ce n'est pas uniquement revaloriser le travail de nuit
03:41 comme ça a été fait récemment.
03:43 Ça ne suffit pas.
03:44 C'est aussi combien de patients une infirmière a à gérer,
03:47 combien de patients une aide-soignante a à gérer.
03:50 Est-ce que la gouvernance hospitalière est faite
03:53 pour que j'ai envie de rester à l'hôpital ?
03:55 Est-ce qu'on met, quand je suis à l'hôpital, à mener à bien mes projets ?
03:58 Aujourd'hui, vous savez, quand on interroge les soignants
04:01 qui sont encore dans les hôpitaux, qui travaillent dans les urgences,
04:03 ils ne croient même plus qu'il y ait une réelle envie d'améliorer les choses.
04:06 Moi, je me disais, c'est juste compliqué,
04:08 ils mettent du temps à changer ça.
04:10 Mais vous savez, aujourd'hui, on doute de la réelle envie politique
04:13 d'améliorer les choses.
04:14 Et ça, c'est très inquiétant.
04:15 Ça donne une idée du niveau de découragement quand même.
04:18 - Mais vous dites qu'on a continué à supprimer des lits
04:20 alors qu'on nous disait qu'on nous soutenait bordicus
04:23 pendant la pandémie, qu'on avait tiré les leçons, etc.
04:26 On a l'impression que vous, et d'autres de vos confrères et consœurs,
04:31 vous tirez la sonnette d'alarme depuis des années
04:34 et que c'est comme si vous parliez dans le vide.
04:36 Vous avez ce sentiment ou pas ?
04:38 - Écoutez, il y a des syndicats qui sont en place depuis 10 ans,
04:41 qui font ce travail-là depuis longtemps,
04:42 qui ont cette impression-là.
04:43 Le Collectif Sentant en Danger,
04:45 qui nous est fondé il y a 3 ans et demi,
04:46 on a cette impression-là.
04:48 On a le sentiment qu'ils sont un petit peu dans le déni de la réalité.
04:51 Il y a quelques mesures qui sont prises,
04:53 mais c'est beaucoup trop lent.
04:54 Vous vous rendez compte que là, on vient juste d'augmenter
04:56 un petit peu le travail de nuit,
04:57 de revaloriser le travail de nuit des infirmières, des aides-soignants.
05:00 Ça faisait 4 ans que c'était demandé,
05:02 même plus par d'autres structures.
05:03 Tout va trop lentement.
05:05 À côté de ça, on a le sentiment en France
05:07 que sur d'autres sujets sociétaux,
05:09 comme par exemple le nucléaire,
05:10 comme par exemple l'organisation des Jeux Olympiques,
05:12 on est capable d'aller très vite.
05:14 Et donc, ce qu'on ne comprend pas,
05:16 c'est ce manque d'envie politique de résoudre ce problème.
05:19 Le problème, il est assez simple.
05:21 Il faut plus d'infirmiers, plus d'aides-soignants dans les hôpitaux.
05:23 Si vous faites ça, vous ouvrez plus de lits.
05:26 Quand on en a besoin, parce que, Philippe, ce qu'il faut comprendre,
05:28 c'est que les lits dont on a besoin cet hiver,
05:30 on en aura peut-être moins besoin au printemps et cet été.
05:33 Encore que l'été, vous savez, c'est aussi une peur de vacances
05:35 et les urgences sont aussi en difficulté.
05:37 On doit quand même être capable, dans ce pays, d'anticiper les choses.
05:40 Aujourd'hui, l'hiver, on fait exactement l'inverse de ce qu'il faudrait faire.
05:43 Comme les soignants partent légitimement en congé,
05:45 on ferme des lits l'hiver,
05:46 alors même qu'on a une population beaucoup plus abondante aux urgences
05:49 et qu'on aurait besoin de services de médecine polyvalente
05:52 pour pouvoir hospitaliser les gens.
05:53 Donc, en fait, on a le sentiment qu'on se voit la face.
05:56 Le ministre de la Santé, je relisais,
05:58 Aurélien Rousseau, le ministre précédent,
06:00 je relisais ses déclarations.
06:01 Au mois d'octobre, il disait qu'il espérait faire rouvrir
06:04 1 510 de hospitalisations.
06:06 Et en fait, au mois de décembre, juste avant qu'il s'en aille,
06:08 on annonce qu'en 2022, on a fermé 7 000 lits.
06:11 Alors, vous savez, Philippe, il y a des cas, des situations
06:14 où en fait, on n'a pas besoin d'être hospitalisé.
06:16 Et ce qu'on appelle le virage ondulatoire,
06:19 venir, par exemple, se faire opérer le matin d'une intervention
06:22 et rentrer chez soi le soir et ne pas être hospitalisé,
06:25 ça, c'est très bien.
06:26 Le problème, c'est qu'il faut comprendre que la fermeture des lits,
06:30 ça nous empêche aussi, dans des situations difficiles
06:32 comme en ce moment, de mettre des patients
06:34 qui auraient besoin d'être hospitalisés quelques jours.
06:36 D'autant plus qu'on est dans une période de pénurie
06:40 d'accès aux soins en ville.
06:42 Et les infirmiers libéraux en ce moment
06:44 qui viennent de lancer un mouvement sont en colère.
06:46 Les médecins généralistes essayent de négocier.
06:48 Ils sont en colère.
06:49 Les médecins qui sont dans les services d'urgence,
06:52 ceux qui restent, Philippe, qu'est-ce qu'ils disent ?
06:54 Mais ceux qui restent, ils prennent très cher en fait.
06:56 Donc, on est dans un cercle vicieux, terrible,
06:59 alors qu'en fait, il faudrait se poser une bonne fois pour toutes,
07:02 établir des ratios dans les hôpitaux,
07:04 c'est-à-dire dire, voilà, aujourd'hui, une infirmière,
07:07 dans tel service, elle ne peut pas s'occuper de plus de 5 ou 6 patients.
07:11 Si on établissait des règles de travail comme ça,
07:13 on donnerait envie aux gens de rester à l'hôpital.
07:15 - Arnaud Chiche, quand même, une question qui se pose.
07:17 Depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir,
07:19 ça fait 6 ans, presque 7,
07:21 on a eu 6 ministres de la Santé,
07:24 Agnès Buzyn, Olivier Véran, Brigitte Bourguignon,
07:26 qui n'est pas restée longtemps, François Braune, Aurélien Rousseau,
07:29 qui viennent partir, et maintenant par indérime,
07:31 Agnès Firmin-Lebaudot, ça fait pratiquement 1 par an.
07:34 Est-ce qu'on peut gérer une politique
07:37 quand la durée de vie dans un ministère est aussi courte ?
07:40 - Moi, je ne pense pas.
07:43 C'est-à-dire que, en fait, si vous voulez,
07:45 de manière très pragmatique,
07:47 sans être populiste, sans faire de politique
07:49 trop avancée.
07:51 On a quand même le sentiment que le système de santé
07:54 a fait le boulot très bien pendant 60 ans, 80 ans.
07:57 On a l'impression que là, il faudrait le remettre
08:00 sur des bons rites pour les 20, 30 prochaines années.
08:03 Et que ça, ça ne peut se faire qu'avec un plan
08:05 sur 5, 10, 15 ans.
08:07 Mais ce plan sur 5, 10, 15 ans,
08:09 parce qu'on peut comprendre que ce soit difficile
08:11 à organiser et que ça mette du temps,
08:13 mais il faut au moins que les gens restent en place
08:15 un peu longtemps.
08:17 Une telle alternance, comment voulez-vous
08:19 que ça fasse croire à des gens,
08:21 à des professionnels de santé, à des syndicats,
08:23 que ça traduise une réelle envie
08:25 de rénover le système de santé ?
08:28 Ce n'est pas vrai.
08:29 Alors nous, les syndicats, les politiques,
08:31 nous, on est en place depuis plusieurs années,
08:33 on ne change pas.
08:34 Il y a une forme de constance un peu
08:36 dans nos actions, vous voyez.
08:37 Or là, changer systématiquement
08:40 d'interlocuteur comme ça,
08:42 on a l'impression de repartir à zéro.
08:44 À titre personnel, moi, je pense depuis des années
08:46 qu'il faudrait un peu dépolitiser
08:48 l'organisation de la santé
08:50 et cette alternance de ministre
08:52 successivement, moi, me donne raison.
08:54 C'est-à-dire qu'en fait, il faudrait une entité
08:56 avec des experts, des scientifiques, des syndicats,
08:58 évidemment des hauts fonctionnaires,
09:00 mais une entité un peu indépendante
09:02 des alternances de la vie politique.
09:04 La décision d'Aurélien Rousseau,
09:06 elle est tout à fait respectable,
09:07 il n'était pas en phase avec la loi immigration,
09:09 il décide de partir.
09:10 Mais en quoi le système de santé
09:12 doit être pénalisé par ça ?
09:14 C'est complètement illogique.
09:15 - Alors, une dernière question,
09:17 il nous reste un peu plus d'une minute.
09:19 En ce moment, les urgences sont engorgées,
09:21 c'est plutôt quelles épidémies qui frappent ?
09:23 - Il y a de tout, Philippe,
09:25 il y a de tout, vous savez,
09:27 il y a des viroses, il y a du Covid,
09:29 il y a de la grippe, il y a encore un petit peu
09:31 d'infections à mycoplasme, mais vous savez,
09:33 il y a aussi, par exemple, des patients qui sont hospitalisés
09:35 en EHPAD, pour lesquels il n'y a pas d'infirmière
09:37 à la nuit, ou il n'y a pas de médecin facilement
09:39 accessible, donc ils sont transférés aux urgences
09:41 pour être examinés, il y a de tout.
09:43 Il y a surtout des motifs de médecine
09:45 générale, c'est ça qu'il faut comprendre.
09:47 Dire que les médecins urgentistes
09:49 se retrouvent avec des patients qui arrivent
09:51 qui ont mal au ventre
09:53 depuis trois jours, ou qui
09:55 se sentent fatigués depuis deux jours,
09:57 et bien ça, ça ne relève pas d'un service d'urgence.
09:59 Je ne vous dis pas que ça ne nécessite pas de voir un médecin,
10:01 mais ça ne relève pas d'un service d'urgence.
10:03 Donc aujourd'hui, l'exécutif,
10:05 il devrait
10:07 assurément, sérieusement,
10:09 faire en sorte que tous les Français et des médecins
10:11 généralistes soient accessibles. Pour ça,
10:13 il faut augmenter la formation, le nombre de médecins
10:15 formés, et pour ça, il faut relancer l'attractivité
10:17 de la médecine générale et des infirmiers
10:19 libéraux. - Une dernière question, en dix secondes.
10:21 La suppression du numerus clausus,
10:23 ça donne des effets au bout de dix ans, mais est-ce que ça
10:25 a retiré une nouvelle vocation ?
10:27 - Celle qui a été annoncée par l'exécutif
10:29 en place au pouvoir, actuellement, c'est une
10:31 fumisterie. C'est une fausse suppression
10:33 du numerus clausus, ça a été transformé
10:35 en numerus apertus, il y a une sélection
10:37 qui est encore très importante, beaucoup
10:39 trop importante. L'exécutif en place
10:41 n'a toujours pas compris qu'il fallait réellement
10:43 augmenter le nombre de médecins. On nous
10:45 oppose des arguments, à mon avis, fallacieux.
10:47 Aujourd'hui, on manque de médecins dans les
10:49 hôpitaux, on manque de médecins en ville, on essaye
10:51 de nous faire croire qu'on peut travailler sans médecin
10:53 à l'heure de l'intelligence artificielle ou de
10:55 tous les progrès que vous voulez. Moi, je peux vous dire
10:57 qu'aujourd'hui, on a besoin de médecins en France, il faut en former plus
10:59 qu'aujourd'hui. - Merci beaucoup Arnaud Chiche, médecin
11:01 anesthésiste réanimateur et fondateur du
11:03 collectif Santé en danger.

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