• l’année dernière
Les actrices sont des auteurs comme les autres. Le cinéma a admis l’autorité de la politique des auteurs, parfois des acteurs. Mais quid des actrices autrices, contrebandières derrière et devant la caméra ?

Cours de cinéma par Camille Nevers (critique et cinéaste).

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Transcription
00:00:00 Bonjour à toutes et à tous.
00:00:09 En guise d'ouverture, une ouverture de film où l'on commencerait par
00:00:13 la fin, c'est-à-dire où l'on partirait d'aujourd'hui avant plus tard de
00:00:17 remonter dans le temps, le temps de l'histoire du cinéma, du spectacle
00:00:21 et des femmes.
00:00:22 Spectacle des femmes et spectacle par les femmes, les actrices,
00:00:26 les autrices, les anonymes.
00:00:29 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:30 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:32 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:34 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:36 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:37 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:39 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:40 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:42 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:44 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:45 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:47 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:48 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:49 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:51 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:52 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:53 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:54 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:56 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:57 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:58 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:00:59 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:01:00 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:01:02 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:01:03 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:01:04 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:01:05 C'est un spectacle qui est un spectacle.
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00:01:08 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:01:09 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:01:10 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:01:11 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:01:12 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:01:14 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:01:15 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:01:16 C'est un spectacle qui est un spectacle.
00:01:17 ...
00:01:36 Dans le bâtiment, c'est la salle de journée de Fox.
00:01:39 Tous nos shows et nos cruises travaillent dans ces étagères.
00:01:43 C'est mon équipe.
00:01:45 Salut les gars!
00:01:46 Nous sommes en dessous de la ville, donc ça sent comme du moule.
00:01:49 Mais il n'y a pas eu de rassemblement de rat depuis 4 mois.
00:01:52 ...
00:01:54 Les ancheurs et leurs producteurs clés ont des camps de base,
00:01:57 ici, sur 17 et 18, souvent décorés avec l'art de la visite.
00:02:01 ...
00:02:03 Et tout le monde dans ce bâtiment, même Roger, répond à 8.
00:02:08 Le 8ème étage est le domicile du président, Rupert Murdoch, et de son fils.
00:02:13 C'est le pouvoir derrière le pouvoir.
00:02:16 Les studios sont scattés autour du bâtiment.
00:02:19 Les plus grands ancheurs et des bureaux sont ici.
00:02:22 Au-dessus, il y a le business de Fox, la radio, New York Post et le journal Wall Street.
00:02:26 La plupart des établissements conservateurs américains sont dans un bâtiment.
00:02:31 ...
00:02:32 -Le stade est finalement prêt pour la débatte républicaine.
00:02:35 -Tous les candidats veulent un boost, mais seulement 10 ont le temps
00:02:39 d'appeler les électeurs en temps réel.
00:02:42 ...
00:02:51 -Trump a un vrai problème avec les femmes.
00:02:55 Je veux en parler.
00:02:56 -Vous pouvez m'aider ?
00:02:58 -Oui.
00:03:00 ...
00:03:02 -Good morning.
00:03:04 -Morning, Chris.
00:03:05 ...
00:03:24 -Scandale. Bombe-shell.
00:03:27 Mauvais film, beau film.
00:03:30 Si on le considère comme le film d'auteur d'un nommé Jay Roach,
00:03:34 faiseur d'Eustin Powers et de quelques fictions approximativement de gauche,
00:03:38 non, ça tire à la ligne.
00:03:40 C'est un film dossier énième, sans éclats et sans subtilité.
00:03:43 Mais s'il est beau, si, tout de même, c'est un beau film.
00:03:46 Dans son déroulé élastique et sa plastique du plus hochiqué,
00:03:51 c'est que Scandale, c'est le film de Charlize Theron.
00:03:54 C'est un film de caméléon, c'est un film d'autrice.
00:03:57 Politique des actrices, politique des autrices.
00:04:00 Scandale, en 2019, donne à cette idée qui fait son chemin un tournant négocié.
00:04:05 C'est son actrice principale, méconnaissable, maquillée sous les traits de son modèle à la ville,
00:04:10 la journaliste de Fox News, Meghann Kelly.
00:04:13 C'est ce corps d'actrice travaillé en aberration prostétique,
00:04:16 parce qu'on ne reconnaît pas du tout Charlize Theron sous les prothèses camouflage
00:04:20 et les ajouts cosmétiques, comme dans "Monster",
00:04:23 cet art transformiste de mise en scène de soi exercée dans toute son oeuvre.
00:04:27 C'est ce corps vaguement aberrant qui fait faire d'entrée au spectateur
00:04:31 le tour du propriétaire, comme on voit, du décor maquetté à l'échelle.
00:04:35 Enfin, c'est elle qui dirige dans le lieu, dans l'espace, dans le récit.
00:04:40 C'est elle qui, littéralement, met en scène et sur scène.
00:04:43 Charlize Theron dirige le film de l'intérieur et aussi,
00:04:47 elle en est à l'initiative puisqu'elle l'a co-produit.
00:04:51 Beaucoup d'actrices, depuis au moins 20 ans,
00:04:53 produisent et co-produisent leurs films ou même d'autres films,
00:04:56 comme "Drew Barrymore", qui a entre autres produit Donnie Darko,
00:05:01 Sandra Bullock, Charlize Theron donc, etc.
00:05:04 "Scandal" suit alors une autre variable que les attendues du jugement cinéphile
00:05:10 de conformité, de la belle politique des auteurs qui fait, depuis 60 ans,
00:05:14 "Les Beaux Jours des Gazettes", revue, magazine en pantoufles,
00:05:18 et selon un principe esthétique né d'un féminisme revendiqué,
00:05:22 "Scandal" suit le principe donc de l'actrice autrice.
00:05:25 C'est un principe ancien et nouveau.
00:05:28 Ce n'est pas né de la dernière pluie, contrairement à ce qu'on voudrait croire,
00:05:31 tant du côté de la cinéphilie que du côté du féminisme,
00:05:34 comme on voudrait aussi nous faire croire que le terme "autrice"
00:05:37 est un néologisme récemment sorti du chapeau de sorcière, bien évidemment,
00:05:42 en effraction linguistique de femmes prêtes à tout pour torturer la langue française,
00:05:47 ce qui est un fait faux, c'est un vieux mot et je vais y venir.
00:05:51 Enfin, de ce que j'en sais, moi, de ce que j'en vois depuis l'enfance,
00:05:55 l'actrice autrice a toujours été là, devant nous, devant moi, me faisant face
00:06:02 et présidente aux réjouissances d'une mise en scène entièrement dévolue à elle
00:06:05 et qu'elle organise autour d'elle.
00:06:07 L'actrice autrice, que ce qu'on nomme le personnage, ne masque que pour la révéler,
00:06:12 la découvrir et l'exprimer en toute conscience ou parfois inconsciemment,
00:06:17 dans une démarche artistique volontaire et consentie de la comédienne.
00:06:21 C'est une démarche aujourd'hui revendiquée en tant que telle,
00:06:24 ce qui n'était pas forcément le cas à une époque où il fallait avancer masqué.
00:06:28 Et donc, c'est aujourd'hui mon sujet.
00:06:30 Ce faisant, donc, "Scandal" permet de retrouver un goût offensif et polémique
00:06:35 quant à savoir qui fait le film et de comment le regarder, l'envisager,
00:06:39 le penser de façon un peu, sinon nouvelle, disons renouvelée,
00:06:43 dans cette innocence retrouvée et une fougue à nouveau possible.
00:06:47 De savoir si un film sans auteur cinéaste,
00:06:50 on entendra régulièrement distinguer l'auteur cinéaste de l'actrice autrice,
00:06:56 peut quand même être jugé un beau film, pour peu qu'on le considère
00:07:00 sous une lumière autre, sinon une lumière nouvelle,
00:07:02 celle de l'actrice autrice qui peut, comme ici, s'y mettre à plusieurs, à trois.
00:07:07 Charlie Sterron, Nicole Kidman et Margot Robbie.
00:07:12 Et donc, c'est une possible façon de trancher avec le ronron cinéphile.
00:07:16 Et même aussi avec le ronron des cultural studies qui admettent,
00:07:21 au moins depuis Laura Mulvey et son essai roboratif intitulé
00:07:25 "Plaisir visuel et cinéma narratif" publié en 1975 dans Screen,
00:07:28 que le cinéma mainstream, classique, Hollywood en résumé,
00:07:32 aurait de toute éternité servi de machine à opprimer les femmes,
00:07:36 à les soumettre aux regards masculins et au désir concupissant du mal.
00:07:41 Gays, bien entendu.
00:07:42 On appelle donc de nos voeux la possibilité d'une politique des actrices autrices,
00:07:49 qui retourne et redistribue un peu les choses différemment.
00:07:52 Et actrice autrice anonyme en cela qu'elle ne signe pas le film,
00:07:57 elle ne le réalise pas ou pas toujours et longtemps, pas du tout.
00:08:01 Sterron, Charlie Sterron n'est pas crédité dans "Scandal" à la mise en scène.
00:08:05 Donc, ce sont ces trois corps, Charlie Sterron, Nicole Kidman et Margot Robbie,
00:08:11 qui sont diversement documentaires, modelés et remodelés esthétiquement,
00:08:16 qui sont trois comédiennes qui prennent le parti maquillée et démaquillée de s'auto-documenter.
00:08:21 Il y a dans "Scandal" cette sincérité absolue de grandes actrices qui,
00:08:25 caméléons d'elles-mêmes, font toujours semblant d'interpréter une autre.
00:08:29 On a commencé par la fin donc.
00:08:33 Et aujourd'hui, l'évolution de la société, du cinéma, des mœurs,
00:08:37 ne rend pas surprenant qu'un tel film existe et qu'on puisse en dire ceci.
00:08:40 Donc, que c'est un film d'actrices, autrices.
00:08:43 Mais moi, ce qui m'importe, c'est comme cette idée a finalement toujours traversé le cinéma,
00:08:47 qu'il a toujours, le cinéma, même si pas tout le temps, fonctionné comme ça,
00:08:52 parfois en sourdine, longtemps en pirate.
00:08:54 Cependant, souvent aussi de façon tout à fait avérée, consciente et même,
00:08:58 pour cette fois, employer un terme qui a une vogue actuelle et que j'aime bien,
00:09:02 parce qu'il pointe une vérité du cinéma dont tout spectateur et spectatrice,
00:09:06 tout cinéphile, toute cinéphile a fait expérience.
00:09:11 Selon donc le principe du méta, de ce que derrière ou à côté, au-dessus ou au-dedans
00:09:18 de ce que l'on voit, il y a toujours autre chose à voir, à penser et à capter qui est là,
00:09:23 comme une forme de l'ontologie du cinéma et de son réalisme incorrigible,
00:09:27 sa façon de documenter tout.
00:09:29 Le fameux "Tout film est un documentaire" sur son propre tournage de Jacques Rivette,
00:09:33 mais alors à une puissance supérieure, décuplée.
00:09:37 Un film est l'histoire documentée de ses auteurs, quel qu'il soit ou qu'elle soit,
00:09:42 acteur ou cinéaste, le reflet d'une vérité par la fiction, au sein de quoi
00:09:47 l'illusion dit le vrai et où le masque exprime l'essence, la vie,
00:09:51 un caractère et son monde, monde intérieur comme société qui l'entoure.
00:09:55 Le méta, c'est l'accès indirect et cependant déjà là, à une réalité que la fiction seule permet.
00:10:04 Il est donné de sentir et pressentir que derrière tel personnage ou tel récit,
00:10:08 le cinéma révèle quelque chose de l'acteur qu'il incarne, du cinéaste qui filme,
00:10:13 des auteurs donc, où qu'on les place, devant ou derrière la caméra, devant
00:10:18 et derrière la scène ou les coulisses.
00:10:20 Dans "Scandale", comme vous verrez dans tous les extraits qui suivront assez
00:10:27 diversement, il y a des choses qui signalent et parsent certaines
00:10:31 constantes au carré de ce type de représentation méta d'elle-même
00:10:35 des actrices-autrices.
00:10:36 C'est-à-dire quand l'actrice peut être considérée comme le sujet et l'objet
00:10:40 du film, le modèle et l'autrice.
00:10:42 Par exemple, comme ici, le sens du spectacle et donc une certaine mise
00:10:47 en abyme qui s'affiche comme un show.
00:10:49 Ici, la télé avec Fox News, ailleurs, comme on verra, le théâtre,
00:10:53 le cabaret ou le cinéma, ou le miroir de ce film et soi.
00:10:57 Bref, tout ce lieu de travail comme élément naturel de l'actrice.
00:11:02 La scène n'est donc pas masquée.
00:11:05 La représentation se laisse voir.
00:11:07 Une scène de danse, un plateau télé ou de tournage, une remise de prix,
00:11:12 comme les Oscars, on verra tout à l'heure, etc.
00:11:15 Et à la clé aussi, d'aussi constante, il y a cette chose essentielle qui
00:11:21 est l'adresse à la caméra.
00:11:22 Cette façon qu'a le spectacle de retourner le regard et le projecteur
00:11:26 ou le spectateur à qui il s'adresse, pour qui il joue et en montrant
00:11:31 qu'il joue.
00:11:32 C'est qu'il y a du show, en anglais spectacle, on peut aussi dire
00:11:34 montrer tout show.
00:11:35 Il y a du show, il y a ce qu'on montre et qu'on veut bien montrer.
00:11:39 Et pas seulement du gaze, male ou female, cette pulsion scopique dont
00:11:44 Laura Melvey, la première, a fait en quelque sorte le procès.
00:11:46 Mais il y a donc la monstration, "monster" de Charisse Théron,
00:11:52 pas seulement la tenaille voyeurisme, exhibitionnisme.
00:11:55 Et il arrive que cette pulsion scopique nous soit adressée en retour.
00:11:59 Quand une actrice nous mate, me mate, comme là dans "Scandal" ou comme
00:12:04 au hasard, Cameron Diaz qui passe une audition face caméra pour être
00:12:08 speaker in télé dans "Inner Shoes".
00:12:10 Pour ceux qui ont vu le film, c'est un moment où elle n'arrive pas à lire
00:12:14 le prompteur et où on comprend dans une scène magnifique qu'elle
00:12:17 est analphabète.
00:12:18 Ou comme Nicole Kidman encore, qui d'en prête à tout, fait ses
00:12:23 "Tout un météo".
00:12:24 Mais aussi, alors bien avant, comme dans les apartés des burlesques
00:12:28 du muet qui prenaient souvent le spectateur à témoin de leur déveine
00:12:31 ou de leur étonnement, Buster Keaton, Shirley Chaplin,
00:12:35 Laurel et Hardy.
00:12:37 Comme aussi les danseuses et les danseurs, les chanteurs et les
00:12:41 chanteuses dans les comédies musicales qui souvent font leur numéro
00:12:45 en s'adressant à la caméra et viennent se laisser applaudir.
00:12:51 Enfin bref, il y a eu tellement dès l'origine et dans le cinéma
00:12:53 classique de ces regards caméra.
00:12:55 Et puis ensuite, ces faces caméra en portrait très beau de la
00:13:00 modernité cette fois.
00:13:01 Alors ça va de Jeanne Dillman qui est le film d'une actrice autrice
00:13:05 de la film série et d'une autrice actrice, Chantal Ackerman qui est
00:13:09 souvent dans ses films.
00:13:10 Ça va de Monica avec Harriet Anderson, le fameux plan final.
00:13:15 Ça va de Anna Karina, la plupart des actrices chez Godard, de
00:13:19 North Silveira par excellence et des films de Olivera en général,
00:13:23 etc.
00:13:24 Ce sont les points multiples où une actrice nous retourne la
00:13:28 politesse, le regard et où il y a beaucoup de chance que ce soit
00:13:31 elle qui exprime une vision, un regard à soi précisément d'autrice
00:13:36 sur le monde.
00:13:37 Alors, un point ici important, même si non directement
00:13:43 cinématographique mais lexicologique, sur ce terme d'autrice dont
00:13:48 on croit encore souvent qu'il est apparu et qu'il fut imposé tout
00:13:51 récemment, bien entendu, qu'il serait tout droit sorti de la cuisse
00:13:54 de Jupiter comme un néologisme imposé à la langue française,
00:13:58 si torturé déjà par les assauts du féminisme pour féminiser notre
00:14:02 si belle langue qui n'en peut mais et se porter sans ça très bien.
00:14:05 Or, autrice est tout au contraire un mot qui a une longue histoire
00:14:10 et en fonction des fluctuations et des exercices de pouvoir,
00:14:14 des influenceurs d'une certaine époque, est revenu et a disparu,
00:14:18 censuré ou écarté des dictionnaires officiels.
00:14:21 Et qui plus est, le terme a été directement lié, ce n'est pas
00:14:25 une lubie qui m'est tombée dessus comme ça par sens de l'assonance,
00:14:29 à celui d'actrice, autrice, actrice.
00:14:31 Je vous renvoie au travail passionnant que fournit depuis 20 ans
00:14:35 la chercheuse, actrice et autrice dramatique, metteuse en scène
00:14:39 elle-même et universitaire,
00:14:40 Aurore Hévin, pour rendre justice et refaire l'historique du mot
00:14:45 autrice.
00:14:46 Bref, Aurore Hévin se consacre depuis des années au travail de remettre
00:14:50 les pendules à l'heure, en quelque sorte, leur historique et lexicale,
00:14:55 pour bien nommer les choses, les sortir du passé ignoré et,
00:15:00 comme on dit à présent, invisibilisé.
00:15:02 Je vous renvoie à ses conférences qu'on trouve en ligne sur YouTube,
00:15:07 par exemple, ou à son étude intitulée "Histoire d'autrice de l'époque
00:15:11 latine à nos jours", édition X, 2019.
00:15:14 Même si, si je ne m'abuse, le texte a fait l'objet d'une première
00:15:18 publication en 2008, où elle recense l'histoire des mots autrice
00:15:23 et actrice, car ce furent déjà les mêmes personnes autrefois,
00:15:27 à l'époque de la naissance de l'actrice en Italie, avec la "Comedia
00:15:30 dell'arte", par exemple, où les femmes écrivaient régulièrement
00:15:33 les pièces qu'elles-mêmes interprétaient.
00:15:37 Il est plus facile de faire taire les femmes en masculinisant la langue.
00:15:40 Ce qu'Aurore Hévin démontre fort bien, ainsi des moments de reprise
00:15:44 en main de la langue, tel que Richelieu en décida en créant
00:15:46 l'Académie française, qui établit les règles de la langue française
00:15:50 officielle, donc en 1635, dans le même siècle qu'il voit la naissance
00:15:55 de la Comédie française, 1680, laquelle établit le répertoire
00:15:59 dramatique d'une scène nationale avec ses auteurs, joués par ses
00:16:03 acteurs et actrices.
00:16:05 Et il n'y a pas d'autrice de la Comédie française, puisque le
00:16:08 cardinal a fait en sorte de masculiniser la langue à temps et
00:16:11 ainsi établit des hiérarchies entre les métiers, les fonctions,
00:16:14 comme les sexes.
00:16:17 Un auteur sera, partant de là, toujours plus noble qu'un acteur
00:16:22 et a fortiori qu'une actrice.
00:16:23 Ainsi, je cite Aurore Hévin, "le croisement qui va bientôt s'opérer
00:16:29 au cours du XVIIe siècle entre les féminins français autrices
00:16:33 et actrices, à une période clé de l'histoire de la langue, illustre
00:16:37 de façon très nette les enjeux de la féminisation pour certaines
00:16:40 élites.
00:16:41 Il en ressort une nouvelle fois que l'existence lexicographique
00:16:45 d'un féminin dépend moins des critères d'usage, d'analogie ou
00:16:49 de phonie habituellement mis en avant, mais bien de la valeur
00:16:52 sémantique que le terme recouvre au masculin.
00:16:54 Quand cette valeur est forte, plurielle et socialement valorisante,
00:16:59 le féminin n'est pas référencé dans les ouvrages sur la langue,
00:17:02 même si la place des femmes dans la société peut justifier son
00:17:04 emploi.
00:17:05 C'est le cas en latin pour le féminin d'acteur jusqu'au XVIe
00:17:09 siècle.
00:17:10 Ce sera le cas en français pour le féminin d'auteur à partir du XVIIe
00:17:14 siècle.
00:17:15 Apparaîtra actrice quand le terme acteur se limitera au sens de
00:17:18 comédien, disparaîtra autrice quand la fonction auteur s'institutionnalisera
00:17:25 et se dotera d'un prestige littéraire et social."
00:17:30 Voilà, on voit comme la querelle n'est pas nouvelle.
00:17:32 On voit aussi comme les enjeux sont eux toujours les mêmes.
00:17:35 Nommer les choses sont des modalités de pouvoir et d'alliance,
00:17:39 d'intérêt, en l'occurrence culturel, qui orientent la réalité et par
00:17:44 delà la réalité, la création et l'art lui-même.
00:17:47 Si le mot n'existe pas ou est effacé, la fonction peinera alors à
00:17:52 exister et le métier n'en parlons pas.
00:17:54 N'avoir longtemps plus autorisé autrice en remasculinisant la langue
00:17:59 des arguments d'universalisme, alors l'autorité n'est plus accessible
00:18:03 aux femmes, mais aux seules auteurs, son autorité d'homme pour parler
00:18:07 clair.
00:18:08 Et sans cette autorité, comment voulez-vous que les femmes s'autorisent
00:18:11 à accéder aux fonctions d'autrices et ne serait-ce qu'à se concevoir
00:18:15 telle une autrice si le mot n'est pas nommé ?
00:18:18 Voilà, ça c'est pour l'aspect lexicologique d'autrice.
00:18:23 Alors maintenant, il faut mentionner un livre important intitulé
00:18:27 "Politique des acteurs", pardon, "Politique des acteurs".
00:18:31 Ce petit livre incisif et marquant écrit par Luc Moulet en 1993,
00:18:36 il y a exactement 30 ans et comme par hasard, 30 ans après la
00:18:41 naissance de la politique des auteurs, de la nouvelle vague.
00:18:44 Il se réfère, et c'est évident donc pour tout le monde, à la politique
00:18:49 des auteurs qu'au Cahiers du cinéma, Luc Moulet a contribué à élaborer
00:18:52 et à poursuivre, à personnifier lui-même en tant que cinéaste,
00:18:56 auteur et aussi lui-même cinéaste acteur dans ses propres films.
00:19:00 Exemple assez facétieux, maniaque et talentueux.
00:19:03 Or, Luc Moulet, voilà ce qu'il écrit dans son avant-propos.
00:19:09 "Depuis 40 ans, donc en 1993, grâce au travail de la critique,
00:19:15 un peu par ma faute donc, les réalisateurs ont tiré la couverture
00:19:18 à eux, toute la couverture et les acteurs se sont retrouvés dans
00:19:22 deux beaux draps.
00:19:23 Dans le cas de "Bringing up baby", l'impossible subébé, on ne dit plus
00:19:27 comme autrefois un film de Cary Grant et Catherine Hepburn, mais un film
00:19:31 de Howard Hawks.
00:19:32 "Room for one more", cette sacrée famille, ne sera donc pas un film
00:19:37 de Cary Grant, mais un film de Norman Torog, en fait un timide yes-man
00:19:42 à la merci de Grant.
00:19:44 La personnalité, l'emprise de quelques très grands et très rares
00:19:48 réalisateurs, leur ont fait bien involontairement gagner la partie.
00:19:53 "Triomphe", qui s'est répercuté aussi en faveur d'innombrables
00:19:56 petits tâcherons figés derrière la caméra.
00:19:58 Quant à l'acteur bétail évoqué par Hitchcock, ça demeure surtout
00:20:03 un excellent mot d'esprit.
00:20:04 On aurait dû nuancer, accorder plus d'intérêt aux multiples témoignages
00:20:09 des réalisateurs qui reconstruisaient entièrement la structure,
00:20:12 le scénario et les dialogues de leurs prochains films en fonction
00:20:15 d'un changement d'interprète.
00:20:16 Et d'ailleurs, vous verrez tout à l'heure l'extrait d'un film de Hawks
00:20:21 qui s'appelle "La dame du vendredi", qui est un film qui est complètement
00:20:26 restructuré en fonction de la féminisation d'un des personnages
00:20:29 puisque c'était une pièce de Ben Echt avec deux personnages masculins
00:20:32 qui a été refait pour l'écran avec Rosalind Russell.
00:20:38 Et comme Howard Hawks ne voulait pas de Rosalind Russell, il a fallu
00:20:42 entièrement revoir le film en fonction d'elle et elle-même a revu
00:20:47 son rôle de peur de ne pas être à la hauteur de Carrie Grant qui avait
00:20:50 toutes les bonnes répliques du film.
00:20:52 Donc on voit bien qu'il suffit que quelque chose change de la femme
00:20:57 dans... chercher la femme dans un film pour que le film en soit tout
00:21:01 retourné.
00:21:02 Donc je reprends avec Moulet, le réalisateur seul maître après Dieu
00:21:05 ou à sa place, c'était un acquis définitif tellement commode qu'il
00:21:10 servait de base à un jugement hâtif.
00:21:12 Comme pourrait dire Godard, on appelle ça la presse parce qu'elle
00:21:16 est formée de gens très pressés.
00:21:19 La politique des acteurs aux éditions Cahiers du cinéma 1993.
00:21:23 Alors son livre, le livre de Moulet, il reste unique dans son approche
00:21:28 différente des acteurs en Carédas.
00:21:31 Donc c'est Carrie Grant, John Wayne, Gary Cooper et James Seaworth
00:21:34 qui sont considérés comme des stylistes hors pair et qui ont
00:21:38 développé un art rien qu'à eux personnel.
00:21:40 Il a remplacé l'auteur par l'acteur dans la politique transversale
00:21:45 qui l'aide à considérer le cinéma de façon critique.
00:21:49 Il se trouve, vous avez bien entendu, que son Carédas,
00:21:53 que son Carédas à l'imitation de celui du cinéma MacMahon, est
00:21:57 constitué de quatre hommes.
00:21:59 Pas d'actrices, nulle trace.
00:22:01 Moulet, le pire, semble ne même pas se poser la question.
00:22:05 Ça ne semble pas l'effleurer qui est plus siégé parmi ces grandes
00:22:08 stars mâles ne serait-ce qu'une actrice.
00:22:10 Il en cite en cours de livre pourtant, toujours les partenaires de ces
00:22:15 messieurs, mais il ne traite d'aucune en elle-même.
00:22:18 Tout simplement, en 1993 encore, ça n'existe pas, comme pour parler
00:22:23 dans un poème de Desnos.
00:22:25 Ça n'existe pas.
00:22:26 Dommage, d'autant que ça devient une erreur ou une omission
00:22:31 problématique au moins à un endroit de son étude des acteurs.
00:22:35 Moulet, malgré ses propos liminaires qui se promet de ne pas
00:22:40 s'abaisser à parler de la vie privée de ces quatre comédiens,
00:22:43 de s'en tenir à une politique esthétique détachée des basses
00:22:49 considérations biographiques, se surprend et il le dit et prie
00:22:54 qu'on le pardonne, a manqué à sa parole à propos de Cary Grant dont
00:23:00 il ne peut faire à moins, page 74, que de révéler la bisexualité,
00:23:04 sinon l'homosexualité tout court.
00:23:06 Cela en fait finit par être le propos fondamental de toute l'étude
00:23:11 qu'il lui consacre, la sexualité de Grant, évidemment essentielle
00:23:15 quand on connaît les films et surtout les comédies.
00:23:18 Ça témoigne chez Moulet d'une sorte de gêne, de naïveté vraie,
00:23:23 plus que d'homophobie larvée, d'une sorte de maladresse,
00:23:26 y compris misogyne, car surtout, alors, il rate complètement
00:23:30 un truc, c'est la vision d'ensemble de ce qui l'avance comme ça,
00:23:34 en ignorant totalement l'appartenance de Grant dans Sylvia Scaret
00:23:38 ou Philadelphia Story ou Holidays, dont il se croit encore obligé
00:23:42 de préciser qu'ils sont réalisés par un homosexuel notoire,
00:23:45 George Cukor, ou dans Breaking up Baby de Hawks, notoirement quoi,
00:23:50 lui, on ne saura pas.
00:23:51 La partenaire féminine de Cary Grant, donc, c'est Catherine Hepburn,
00:23:56 qui était lesbienne, totalement in the closet, cachée, comme tout
00:24:00 le monde à l'époque, à moins bien sûr de savoir regarder
00:24:03 attentivement l'œuvre de Hepburn, etc.
00:24:06 Or, leur coprésence à Grant et Hepburn, par excellence,
00:24:09 ça donne à ces films et de façon générale à la screwball
00:24:12 comédie, une place absolument unique dans le cinéma, d'une liberté
00:24:17 même encore aujourd'hui sidérante, gay, queer, trans, à tous les sens
00:24:21 possibles, drôle et se nourrissant d'une grande confusion des genres.
00:24:25 On peut même dire que c'est dès l'origine du cinéma, avec le
00:24:28 burlesque muet, puis la screwball comédie, cette comédie loufoque
00:24:33 des années 30 et 40, que le trouble dans le genre, avant Judith Butler,
00:24:39 qui lui-même est inspirée de la tradition travestie du théâtre,
00:24:43 entre autres, à l'époque où les actrices n'existaient pas parce
00:24:46 que les femmes étaient interdites de jouer.
00:24:49 C'était les hommes qui se ravestissaient en femmes.
00:24:51 Donc, on peut dire que c'est à ce moment-là que le trouble dans
00:24:54 le genre est né.
00:24:55 "Trouble in Paradise", pour citer un très beau film de Lou Beach.
00:25:00 Donc, moi, je dis qu'un genre, la comédie, a rebattu les cartes du
00:25:04 genre, le féminin et le masculin, l'homo et l'hétéro, l'androgyne,
00:25:08 le travesti, etc.
00:25:09 C'est, pourrait-on dire, un cinéma fondamentalement bi, non
00:25:13 discriminant, pour ainsi dire, où toutes les configurations,
00:25:16 les unions et désunions, les alliances, les identités, les
00:25:19 dédoublements restent ouvertes au possible.
00:25:21 Donc, Moulet, par une sorte de purisme qui s'empêche et de misogynie
00:25:27 acquise, rate totalement ça.
00:25:30 Même si, donc, pour le seul carré-grand, contraint et forcé,
00:25:33 il ne peut pas faire à moins que de préciser cet élément privé de
00:25:37 l'homme et non de l'acteur seul, qu'il n'arrive, tiens, pas à séparer.
00:25:41 Il y a, il me semble, un problème à refuser au nom de l'art,
00:25:46 à parler de la vie.
00:25:48 Le cinéma n'élève pas seulement la vie en principe du beau,
00:25:52 dans une espèce de vitalisme esthétique et voilà tout, mais
00:25:56 aussi, il enregistre la vie, de la vie, la valeur intime d'existence,
00:26:00 comme les personnages sont faits de chers et de désirs dont le
00:26:04 corps de l'acteur porte le témoignage, y compris son propre témoignage.
00:26:08 Et même s'il ne faut pas que ça se voit, eh bien, cela s'exprime.
00:26:11 Pourvu que l'acteur-auteur y veille, clandestin de lui-même ou
00:26:15 d'elle-même.
00:26:16 Comme si l'acteur ne nourrissait pas ses rôles et choix de films de
00:26:20 sa vie même, que les films reflètent.
00:26:23 Comme si une actrice ne créait pas elle aussi à partir de sa
00:26:26 biographie, de ses sentiments et de ses émotions, de ses inclinations,
00:26:30 de ses prédilections, autant qu'un cinéaste-auteur créant son
00:26:33 univers dit personnel à juste titre.
00:26:36 Tel par exemple, un Jean Eustache qui faisait tourner ses compagnes
00:26:40 en racontant ses turpitudes privées, dont "La Maman et la Putain",
00:26:43 etc.
00:26:44 Là, voilà, plus personne ne voit d'objection à ce que la vie de
00:26:47 l'auteur soit un argument esthétique.
00:26:49 Ou Bergman, Truffaut, Godard, Moretti, je ne sais pas.
00:26:53 Mais même dans le cinéma de l'ère classique, et cette fois de façon
00:26:56 plus indirecte et sublimée, et alors méta, si on veut, Hitchcock,
00:27:00 Cukor, Minnelli, Hawks et même Ford.
00:27:03 Il suffit de dire que l'auteur fait avec ce qu'il est et le monde
00:27:07 où il vit pour établir son style fort reconnaissable.
00:27:11 Sinon, quoi ?
00:27:12 À partir de là, il y a une chose importante à préciser et d'autant
00:27:18 que c'est une image de Barbara Louden, de Wanda, qui se sert
00:27:22 d'illustration à ce à quoi je me livre devant vous.
00:27:25 C'est que je ne souhaite pas circonscrire les actrices autrices
00:27:28 aux comédiennes qui, de Ida Lou Pinault à Rebecca Hall,
00:27:31 de Delphine Serig à Ronit Elkabeth, de Lilian Gish qui a réalisé
00:27:36 un film unique, hélas perdu, à Jodie Foster ou de Musi Dora,
00:27:40 comme Lilian Gish qui a réalisé des films qu'on n'arrive plus à trouver,
00:27:44 Abzia Herzi, Barbara Louden, Kinuyo Tanaka, Christine Pascal,
00:27:48 Julie Marshall, Agnès Jauy, Maria Schrader, Anne Bancroft,
00:27:52 Monika Hyti, Lee Vullmann, Angelica Huston, que sais-je, Maggie
00:27:57 Gielenhald, Juliette Berthot, Valérie Lemercier, Valérie Donzelli,
00:28:00 etc.
00:28:01 Elles ont signé un film ou plusieurs.
00:28:04 Ce ne sont pas les seules cinéastes actrices qui m'intéressent et
00:28:08 à quoi j'applique une idée, une approche des actrices autrices,
00:28:11 mais des actrices qui jamais ne sont passées de l'autre côté
00:28:15 de la caméra.
00:28:17 La PAA, la politique des actrices autrices, ne cherche pas à
00:28:21 simplement se caler sur les mêmes valeurs reconduites par d'autres
00:28:24 moyens de la PCA, politique des cinéastes auteurs.
00:28:28 Elle ne tient pas à se limiter à étudier un corpus en plus congru
00:28:34 que pour les acteurs, des actrices qui sont passées derrière
00:28:37 la caméra à la réalisation avec Ida Lupino par excellence,
00:28:41 qui fut la contrebandière transversale et la transfuge parfaite
00:28:46 puisqu'elle a été défendue très tôt par Rivet, par les jeunes
00:28:50 Turcs des cahiers du cinéma.
00:28:52 Non, de façon plus ambitieuse et plus largement, c'est l'idée que
00:28:56 la critique, la cinéphilie en général, dont je suis, si elle ne
00:29:01 veut pas s'enquiloser et dépérir sous ses acquis, ses certitudes
00:29:05 et sa gestion patrimoniale et non matrimoniale, aurait tout intérêt,
00:29:11 un exercice profitable, en somme, à élargir son champ aux acteurs
00:29:16 et pour commencer aux actrices, en tant que créatrice ayant établi
00:29:19 une oeuvre, un style via une mise en scène de soi.
00:29:22 Parce que cette cinéphilie à présent institutionnelle et officielle,
00:29:28 contrairement à celle des années 50, oui, celle qui luttait pour
00:29:32 faire reconnaître un Hawks, un Hitchcock, un Turner, un Lang,
00:29:35 un Maccaré, comme les génies qu'ils étaient effectivement,
00:29:38 les auteurs d'une oeuvre, cette à présent jeune-vieille cinéphilie,
00:29:44 il faut saluer Louis Skoricki, sans alors s'en rendre compte,
00:29:47 sans doute, a fini par ressembler comme deux gouttes d'eau à ses ennemis
00:29:51 jurés d'antan, au cinéma de papa, de qualité, masculin et assis,
00:29:55 et alors campé sur des positions idéologiques, aussi politiques
00:30:00 que ne lui déplaisent que celles des féministes honies, qui lui tiennent
00:30:03 de critères esthétiques définitifs, dans le marbre, une fois pour
00:30:06 toutes, et depuis 60 ans, inamovibles.
00:30:09 Des gestionnaires s'encroutant toujours dans la même dévotion
00:30:14 et le même culte à cet unique cri de ralliement, la politique
00:30:17 des auteurs, leurs frères et leurs confrères.
00:30:20 L'auteur, l'auteur, l'auteur, l'autrice, des fois, Varda,
00:30:25 Lupino, Breillat.
00:30:26 On peut penser au contraire qu'il existe d'autres forces, créatrices
00:30:32 comme critiques, des formes élargies de concevoir et d'embrasser
00:30:35 un film, une oeuvre ou une carrière, comme l'on dit dans cette espèce
00:30:40 de désobligeance envers les comédiens, carrière, comme pour
00:30:43 l'historien, militaire, comédien, dont on renâcle à reconnaître
00:30:47 qu'il et elle puissent être aussi et autant que le cinéaste,
00:30:51 les auteurs et les autrices d'un film et ainsi d'authentiques créateurs,
00:30:56 créacteurs, créatrices.
00:30:58 Donc, c'est ici tout mon propos.
00:31:00 Enfin, c'est assez simple en fait, en fin de compte, pas sorcier
00:31:05 ni sorcière.
00:31:06 Cela revient aussi à faire retour aux origines, au rapport de l'enfance
00:31:11 du cinéma pour moi, c'est-à-dire aux actrices, aux acteurs comme
00:31:14 accès fondateurs au film, à ces ombres qui sont des corps dans
00:31:18 la lumière, des mondes impressionnants et impressionnés.
00:31:20 Alors, il suffit de faire l'expérience et les technologies
00:31:25 modernes, à défaut des rétros, des cinémathèques et des cycles
00:31:28 festivaliers le permettent.
00:31:30 On trouve sur le net un peu de tout, presque tout même aujourd'hui,
00:31:32 y compris choses inestimables, des films inédits, jamais sortis
00:31:36 en France par exemple.
00:31:38 Donc, on peut tenter d'enchaîner, au lieu d'enchaîner pour la
00:31:42 unième fois tous les films d'un cinéaste aimé et se lancer dans
00:31:46 un cycle de projection privée de tous les films d'une actrice.
00:31:50 Ce que j'ai commencé à faire, pour tout avouer, au milieu des
00:31:53 années 2000, à un moment où la cinéphilie m'était apparue un
00:31:56 poids mort et une impasse à beaucoup de points de vue, avec
00:31:59 la découverte ou la redécouverte, mais différemment, d'œuvres
00:32:03 d'actrices que j'aimais, sans toutefois bien connaître tous
00:32:05 les films, par exemple Sandra Bullock, Drew Barrymore, Cameron Diaz,
00:32:10 Angelina Jolie, Charlize Theron, Laura Dern et aussi toutes les
00:32:14 filles de la nouvelle comédie, comme je l'appelle, souvent issues
00:32:17 de la génération de filles, enfin, du Saturday Night Live, telles
00:32:22 Taina Fey, Amy Poehler, Melissa McCarthy, Christine Vig, Christina
00:32:26 Palgette, etc.
00:32:27 Et puis alors, retour aux sources primordiales, en me livrant à
00:32:32 la même opération pour les devancières de celles que je viens
00:32:34 de citer, celles que j'appelle les "screwball girls", comme je les
00:32:39 nomme des années 30 et 40.
00:32:41 Je cite Rosalind Russell, Jeanne Arthur, Barbara Stanwyck, Ginger
00:32:45 Rogers, Irene Dunn, Claudette Colbert, Catherine Hepburn,
00:32:49 Carole Lombard, Myriam Hopkins, Myrna Loy, etc.
00:32:52 Or, figurez-vous, on découvre beaucoup de choses et de films
00:32:58 en possédant de la sorte, selon ce fil rouge des actrices-autrices.
00:33:03 Des choses et des films à quoi on ne s'attendait pas.
00:33:05 Et alors oui, ce qui assez vite s'impose, c'est que auteur et
00:33:10 politique des auteurs ou pas, une autre transversalité se fait jour,
00:33:14 une autre histoire, pour ainsi dire.
00:33:16 Non que cette histoire encore à revisiter, établir, s'oppose ou
00:33:21 veuille en finir avec celle qu'administre depuis les années 50-60
00:33:24 la politique des auteurs, mais qu'elle la complète, la rehausse,
00:33:28 l'enrichisse, au sens où elle remet un peu de mouvements et d'allants
00:33:33 de vie dans le corpus critique et dans l'approche du cinéma,
00:33:36 art dramatique et plastique.
00:33:38 Cela en venant nous dire, exprimer et signaler autre chose,
00:33:42 une autre porte d'entrée vers l'expression de valeurs esthétiques
00:33:45 et éthiques qui soit en propre à l'actrice.
00:33:48 Une mise en scène en propre, une chambre d'écho à soi.
00:33:52 Alors à l'actrice et non à l'acteur, je dis bien.
00:33:56 Pourquoi ne pas mêler les acteurs-auteurs aux actrices-autrices,
00:34:02 comme objecterait-on, quitte à commettre la faute inversée de Luc Moulet ?
00:34:06 Bonne question.
00:34:07 Eh bien, parce que je considère que ce n'est pas du même ordre.
00:34:12 Les hommes avaient le choix et l'embarras.
00:34:14 Quand je serai grand, serai-je écrivain, acteur, pilote de course,
00:34:19 député, juge, mauvais garçon, explorateur, aventurier, banquier,
00:34:23 ouvrier, garçon boucher, producteur ou auteur ?
00:34:26 Pas les femmes.
00:34:27 Dans un temps, au début et au milieu du siècle dernier, où les femmes
00:34:31 n'avaient pas accès à la plupart des métiers, travaux, fonctions,
00:34:34 ni aux postes les plus convoités des hiérarchies et donc pas accès
00:34:38 à une certaine noblesse morale, que cette noblesse nomma le talent
00:34:45 de l'artiste ou le génie de l'auteur ou l'œuvre du grand cinéaste
00:34:49 ou du grand producteur d'ailleurs.
00:34:51 Considérer donc que certaines, en tant qu'actrices, métiers à la fois
00:34:55 de mauvaise réputation et hyper populaires, s'appuyèrent et se servirent
00:34:59 à ce rôle jugé inférieur dans la chaîne de création, simples
00:35:02 interprètes d'une œuvre qui forcément leur passait très au-dessus,
00:35:06 que ces femmes, étant dépit de tout penser, dirigeaient les opérations
00:35:09 comme Théron au début du scandale et à construire un style,
00:35:13 voilà qui me paraît décisif.
00:35:16 Un style moderne, de femmes modernes, en voie d'émancipation et
00:35:21 appelant de leur vœu, par l'exemple d'une œuvre, "Work in Progress",
00:35:24 enfin, par l'exemple, à leur exemple, à changer la donne ou à en
00:35:29 généraliser les évolutions au diapason des suffragettes, des luttes
00:35:32 pour les droits des femmes ou bien suivant les avancées des mœurs,
00:35:35 des années folles, après la prohibition et malgré la grande
00:35:39 dépression des années 30, pour dire ici très vite.
00:35:42 Et ce problème à résoudre pour les femmes, les actrices, ne se posait
00:35:47 pas avec la même virulence pour les acteurs, les hommes, qui eux,
00:35:50 n'avaient pas ce problème de place et d'opportunité.
00:35:52 Enfin, les actrices ont eu leur manière de faire leur tout, de grignoter
00:35:58 leur place et leur heure, à la manière de l'effet termite
00:36:01 conceptualisé le critique et artiste peintre Manifarbeur, cet effet
00:36:06 de film termite qui l'opposait lui, au film "Eléphant blanc",
00:36:09 ces mastodontes qui se posent là, avec leur groupe postérieur et
00:36:13 oublient donc de creuser une idée, un style, un passage, enfin quelque
00:36:17 chose de nouveau.
00:36:18 Ces actrices autrices anonymes, donc en tant qu'autrices, même
00:36:22 superstars, ont une œuvre, même pas encore considérée en tant que
00:36:26 style, à chacune et chacun d'excaver, d'analyser, de creuser
00:36:30 une telle idée, de faire l'histoire et l'esthétique de la chose,
00:36:34 en sortant du discours convenu et habituel, anecdotique ou
00:36:38 hagiographique sur les acteurs, comme on voit dans "Cinémonde"
00:36:42 à l'époque, et plus encore, en sortant de la double punition ou
00:36:46 injonction théorique de ces histoires de regard qu'on leur interdit,
00:36:49 supposément "gays" dont les actrices seraient l'objet, seules,
00:36:55 jamais le sujet, souveraines comme Dietrich par exemple, ou victimes
00:36:59 comme Marilyn Monroe.
00:37:00 Pour résumer, les actrices autrices nous regardent toutes d'une
00:37:05 certaine façon qu'il reste à mieux discerner, nous les aveuglés.
00:37:08 Et leur monstration, leur show, leur autoportrait ou leur autofiction
00:37:13 qui court au fil de l'œuvre d'une actrice, ce tour du propriétaire
00:37:16 auquel se livre Charlize Theron dans "Scandal", est une mise en
00:37:19 spectacle d'elle-même, que j'appelle mise en scène.
00:37:24 Alors, qui se souvient que pour sa première occurrence, au mois de
00:37:27 mars 1976, le cinéma de minuit de Patrick Brion consacra son tout
00:37:33 premier cycle, non à l'œuvre d'un Frank Borzeghi, ça c'est le deuxième
00:37:37 cycle, ou à celle de Murnau, ce fut le troisième cycle, ni à l'œuvre
00:37:41 de Renoir, de Cazan, ni même à "L'Âge d'or hollywoodien" ou à
00:37:45 Tex Avery, non.
00:37:46 Brion, grand macmahonien, grand cinéphile classique, a ouvert ce
00:37:51 grand ciné-club sur FR3 par un cycle consacré à, quelle auteur ?
00:37:56 Greta Garbo.
00:37:58 Et on envoie l'extrait.
00:38:00 "L'âge d'or hollywoodien"
00:38:17 "L'âge d'or hollywoodien"
00:38:40 "L'âge d'or hollywoodien"
00:38:46 "L'âge d'or hollywoodien"
00:38:48 "L'âge d'or hollywoodien"
00:38:49 "L'âge d'or hollywoodien"
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00:43:57 "L'âge d'or hollywoodien"
00:43:59 Alors qui a dit ça ?
00:44:01 Avec une pointe peut-être de perfidie
00:44:03 Une autre qui aurait pu
00:44:05 parmi les innombrables actrices autrices
00:44:07 figurer ici
00:44:09 Louise Brooks
00:44:11 C'est exactement ça
00:44:13 et on ne le note jamais assez
00:44:15 l'extrême mobilité de Garbo
00:44:17 à tous les sens
00:44:19 sa force de métamorphose, de liberté de mouvement
00:44:21 de grimaces et de gestes incessants
00:44:23 de déplacements étudiés
00:44:25 on ne se lasse pas de ce spectacle qu'elle donne
00:44:27 de cette mise en scène qu'elle met au diapason
00:44:29 de cette mobilité qu'elle impose à tous les films
00:44:31 où elle a joué
00:44:33 Dans un document
00:44:35 que Kevin Bronlow consacre à Greta Garbo
00:44:37 en 2005, intitulé
00:44:39 "Garbo" on voit un document
00:44:41 de Cukor qui date de 1978
00:44:43 dire ceci de la comédienne
00:44:45 avec laquelle il travaillait
00:44:47 deux fois
00:44:49 la femme du visage qu'on vient de voir
00:44:51 "L'équipe technique"
00:44:53 donc il dit ça
00:44:55 "Qui a laissé sa liberté de mouvement à une actrice pareille
00:44:57 quand elle répétait
00:44:59 elle trouvait certaines pauses
00:45:01 et si vous étiez intelligent
00:45:03 or l'équipe dont elle s'entourait la connaissait bien
00:45:05 vous deviez la suivre
00:45:07 comme lorsque dans une soudaine improvisation
00:45:09 elle tombait à genoux
00:45:11 dans Camille, le roman de Marguerite Gautier
00:45:13 et qu'elle se raccrochait à la table
00:45:15 dans la scène avec son père
00:45:17 personne ne se serait permis de lui dire
00:45:19 chérie, ce serait mieux si tu jouais comme ça
00:45:21 parce que c'était elle
00:45:23 qui créait les choses"
00:45:25 Voilà ce que disait Cukor de Garbo
00:45:27 "Strike the pose"
00:45:29 comme chantait l'autre, ça peut être la formule
00:45:31 la devise du Garbo film
00:45:33 Alors le premier extrait
00:45:35 que j'aurais laissé durer si le temps
00:45:37 ne nous était compté parce que toute l'ouverture
00:45:39 du film est très belle et qu'en plus
00:45:41 le film offre une expérience assez unique
00:45:43 de montrer Garbo
00:45:45 actrice, autrice idéale
00:45:47 face à Eric Von Stroheim
00:45:49 un autre acteur, auteur-acteur comme il y en a
00:45:51 c'est une petite tradition dans le cinéma
00:45:53 et c'est très intéressant de les voir
00:45:55 s'affronter et jouer ensemble dans un Garbo film
00:45:57 donc le premier extrait
00:45:59 c'était une adaptation d'une pièce
00:46:01 de Pirandello "As you desire me
00:46:03 comme tu me veux" réalisé par
00:46:05 Georges Fitzmorris
00:46:07 un de ces yes-man dont Moulet parlait
00:46:09 qui est vraiment encore le début
00:46:11 de la période talkie
00:46:13 parlante de Garbo
00:46:15 ça date de 1932 et d'ailleurs il est à noter
00:46:17 que le film est l'exact contemporain
00:46:19 de la pièce de Pirandello qui fut créée deux ans avant
00:46:21 en 1930 à Milan
00:46:23 c'est l'entrée en scène
00:46:25 dont on voit chez Garbo
00:46:27 que c'est toujours une sortie de scène
00:46:29 elle entre par l'autre côté du rideau
00:46:31 en coulisse
00:46:33 cette immense actrice-autrice
00:46:35 du renversement et du monde comme quête
00:46:37 d'une retraite, battre en retraite
00:46:39 autant que trouver un abri ou se retirer
00:46:41 dans son monde, loin de l'autre
00:46:43 monde, le mondain
00:46:45 en ça l'extrait est parfait
00:46:47 et on voit en quelques plans
00:46:49 même si pas assez long
00:46:51 comment c'est elle qui dirige
00:46:53 comme Théron dirigeait comme une chef d'orchestre
00:46:55 la mise en scène qui est à l'unisson
00:46:57 de ses déplacements, mouvements, les cadrages
00:46:59 et les angles de vue, sans parler du champagne
00:47:01 plus encore que l'espace
00:47:03 qui s'organise autour d'elle, c'est elle
00:47:05 qui préside à l'ensemble, rythme,
00:47:07 mise en scène, déplacement
00:47:09 allonguissement et bien sûr métamorphose
00:47:11 du film qui ne sont que les siennes
00:47:13 parce que le film sinon est plutôt fade
00:47:15 mais elle change elle littéralement
00:47:17 de tête, d'aspect, trois fois
00:47:19 dans le film, ce sont les trois coups
00:47:21 et actes du théâtre
00:47:23 elle fait les raccords, elle anime
00:47:25 le film comme une marionnette
00:47:27 qui tirerait ses propres fils
00:47:29 à la fois la figure, l'automate et la
00:47:31 montreuse de marionnette
00:47:33 ou mieux, Garbo c'est
00:47:35 une montreuse d'ombre car
00:47:37 que fait une actrice autrice ? Elle jette
00:47:39 une ombre, une ombre sur le monde
00:47:41 et sur l'écran et sur le cinéma
00:47:43 qui lui survivra.
00:47:45 L'ombre de Garbo jetée sur le cinéma
00:47:47 est immense, il y a beaucoup d'échos
00:47:49 sa descendance
00:47:51 suit une ligne d'inspiration de traits
00:47:53 extrêmement mouvant et toujours équivoque
00:47:55 soit les drama queens sculpturales
00:47:57 soit les garçons manqués transformistes
00:47:59 elle a un visage étonnamment
00:48:01 meuble qui est sans cesse en mouvement
00:48:03 change d'expression constamment
00:48:05 la persona
00:48:07 qui est pour l'actrice autrice l'autre nom du style
00:48:09 ou de la forme d'expression qui lui appartient
00:48:11 propre, la persona
00:48:13 créée par Garbo disséminent
00:48:15 dans toute la suite du cinéma, ombre
00:48:17 étendue à commencer par Catherine Hepburn
00:48:19 Garbo a imposé
00:48:21 ce physique sculptural qui
00:48:23 se fendille et se fissure comme on voit
00:48:25 dans Philadelphia Story
00:48:27 un autre film de Cukor où il y a toute une
00:48:29 séquence où il s'agit
00:48:31 d'une sculpture qui se
00:48:33 fendille, Catherine Hepburn
00:48:35 sa fesse littéralement et aussi
00:48:37 de l'androgyne
00:48:39 qui a été
00:48:41 inspirée par la modernité
00:48:43 des années folles, des garçons
00:48:45 des années 20 et qui a
00:48:47 contaminé la décennie suivante, les années 30
00:48:49 que Garbo a poursuivi dans
00:48:51 une oeuvre qui clairement la faisait
00:48:53 aller vers la comédie, la screwball
00:48:55 certainement, la forme donc la plus
00:48:57 transformiste pour sa façon de tout renverser
00:48:59 qui lui allait comme un gant
00:49:01 donc Ninochka de Lubitsch
00:49:03 ou comme ici la femme aux deux visages de Cukor
00:49:07 cette ombre drama queen s'étend
00:49:09 dans le cinéma
00:49:11 jusqu'à bien sûr Fassbinder
00:49:13 avec Margit Karsensen
00:49:15 par exemple dans Les Larmes Samères de Petra Van Kant
00:49:17 où Garbo est cité et puis aussi
00:49:19 diversement Madonna, Charlize Theron
00:49:21 où même si
00:49:23 là en termes de mobilité sorcière
00:49:25 celle-ci serait plus proche de Dietrich
00:49:27 Huppert, Isabelle Huppert
00:49:29 ou Cat Blanchett qui aussi
00:49:31 diversement
00:49:33 ont transmis
00:49:35 quelque chose
00:49:37 de cette façon toujours altière de changer de tête
00:49:39 et d'avoir toujours quand même la main
00:49:41 sur l'oeuvre en cours
00:49:43 et donc le second extrait c'est une autre sortie
00:49:45 de scène sur une scène
00:49:47 de danse qu'elle conduit
00:49:49 mais c'est aussi la sortie définitive
00:49:51 de Garbo parce que c'est son dernier film
00:49:53 de 1941
00:49:55 qui est réalisé non pas par
00:49:57 Georges Fitzmorris mais un autre Georges
00:49:59 qui lui est un auteur, un vrai
00:50:01 à qui il faudrait
00:50:03 consacrer un cours entier, Cukor
00:50:05 Cukor qui m'a toujours
00:50:07 semblé sous-évalué et dont on peut dire
00:50:09 ici et ce soir que parmi les cinéastes
00:50:11 qui ont compris tout ce que le cinéma pouvait
00:50:13 créer de décuplé de grand
00:50:15 en laissant la voix et la voix
00:50:17 ce soir, j'en ai pas beaucoup, aux actrices
00:50:19 autrices, lui c'est vraiment le plus grand
00:50:21 suivi de près
00:50:23 par peut-être Hawks et Minnelli
00:50:25 La femme aux deux visages
00:50:27 l'autre film qu'elle fit
00:50:29 sous sa direction
00:50:31 il faudrait dire en collaboration avec
00:50:33 le premier c'était Camille, le roman de Marguerite Gautier
00:50:37 d'après la Dame aux Camélias en 1936
00:50:39 et c'est le troisième
00:50:41 film où elle a Melvin Douglas
00:50:43 pour partenaire
00:50:45 il y a eu donc Ninochka
00:50:47 en 1939 qui est l'avant-dernier Garbo
00:50:49 film et
00:50:51 qui lui est déjà son partenaire sentimentale
00:50:53 dans Comme tu me veux dont on a vu
00:50:55 le premier extrait
00:50:57 d'ailleurs il y a beaucoup, il faudrait
00:50:59 parier, mais c'est beaucoup d'écho entre les
00:51:01 deux films, comme ce truc d'allumer
00:51:03 sa cigarette à celle de l'autre
00:51:05 en une sorte de flirte langoureux et comme toujours
00:51:07 gorge renversée
00:51:09 et bien sûr avec cette idée aussi du double
00:51:11 avec Garbo et du trouble
00:51:13 de l'identité pyrondélienne
00:51:15 d'un côté et dans La femme aux deux visages
00:51:17 Garbo joue un rôle
00:51:19 qui joue un rôle, deux soeurs jumelles
00:51:21 mais c'est un leurre en fait
00:51:23 c'est le personnage de Karine
00:51:25 une européenne monitrice de ski
00:51:27 femme rustique et sincère recluse
00:51:29 dans ses montagnes qui décide de voler
00:51:31 à New York, surprendre son mari volage
00:51:33 en se faisant passer pour sa soeur jumelle
00:51:35 donc Catherine
00:51:37 elle une ultra mondaine comme on vient de voir
00:51:39 mangeuse d'hommes, sans morale
00:51:41 affeinte, dans un stratagème il faut dire
00:51:43 assez alambiqué mais vertigineux
00:51:45 et on n'est pas très loin de Victor
00:51:47 Victoria dans un sens
00:51:49 elle essaie de reconquérir son mari
00:51:51 en le jetant dans les bras de sa soeur
00:51:53 c'est à dire elle même
00:51:55 tout en misant qu'il la repousse
00:51:57 pour rejoindre son épouse légitime
00:51:59 c'est à dire toujours elle même
00:52:01 dans une morale qui sera toujours sauve
00:52:03 de rude montagnarde
00:52:05 comme la suédoise qu'elle était
00:52:07 dans ce boréalisme
00:52:09 pour parler comme Corine François de Neve
00:52:11 dans un article passionnant qu'elle a consacré
00:52:13 en 2020 à l'actrice
00:52:15 intitulé Greta Garbo au prisme du boréalisme
00:52:17 fabrication scripturale
00:52:19 d'une star du nord
00:52:21 donc de cette rudesse montagnarde
00:52:23 suédoise, boréale
00:52:25 très progressivement Garbo devient
00:52:27 en changeant son identité
00:52:29 en se dédoublant donc en citadine
00:52:31 sophistiquée, drôle
00:52:33 comme le film qui d'ailleurs
00:52:35 est très sous-estimé du reste
00:52:37 ayant une mauvaise réputation parce que Garbo
00:52:39 a arrêté le cinéma après
00:52:41 donc c'est un film qu'elle conduit
00:52:43 on voit ici, elle conduit la danse
00:52:45 danse qu'elle va jusqu'à créer
00:52:47 en l'improvisant sur place
00:52:49 dans une chorégraphie sur l'instant
00:52:51 faite de gestes maladroits tournés en pas
00:52:53 et en rythme
00:52:55 et à cette occasion se jouant donc avec
00:52:57 une grande autodérision de ce qu'est Garbo
00:52:59 elle-même en tant qu'étrangère
00:53:01 à Hollywood, curieusement
00:53:03 a été destinée à des rôles soit
00:53:05 de femme nordique pleine de sang froid
00:53:07 soit, rien à voir
00:53:09 mais c'est comme ça, de femme latine
00:53:11 au sang chaud, la chica choca
00:53:13 dans sa façon
00:53:15 de se tenir donc, en décrivant
00:53:17 selon l'humeur presque deux arcs de cercles
00:53:19 sur elle-même comme un bambou
00:53:21 Garbo ce serait le bambou
00:53:23 Liliane Guiche ce serait le roseau
00:53:25 partant de cette courbure
00:53:27 d'épaule tombante qui la penche en avant
00:53:29 comme une forme suprêmement élégante
00:53:31 de lassitude et d'allonguissement
00:53:33 à cette courbure en arrière incroyable
00:53:35 surtout dès qu'elle se trouve trop près
00:53:37 d'un partenaire, à gorge déployée
00:53:39 tête rejetée en arrière comme elle le fit
00:53:41 constamment, en contorsionniste
00:53:43 hyper cambré, Garbo a
00:53:45 inventé en quelque sorte le plan renversé
00:53:47 à tête renversée
00:53:49 elle retourne l'écran à sa suite
00:53:51 elle fait basculer le monde à sa suite
00:53:53 et les hommes s'en foutent d'elle
00:53:55 elle moins des hommes, comme on sait
00:53:57 mais vraiment, on voit toujours
00:53:59 chez Garbo qu'il y a ces plans comme ça
00:54:01 où elle renverse la tête et il faudrait
00:54:03 presque comme on fait avec les téléphones portables
00:54:05 aujourd'hui, tourner l'écran pour avoir un profil
00:54:07 droit de Garbo
00:54:09 c'est assez fou
00:54:11 et disons qu'à la limite on se fout de savoir si tel ou tel film
00:54:13 de Garbo est bon ou pas
00:54:15 du point de vue du cinéaste technicien
00:54:17 importe ce que
00:54:19 le film révèle d'elle, à leur nom de bon
00:54:21 mais de vrai, ce qu'elle y fait
00:54:23 et à quoi l'oeuvre
00:54:25 dut dedans, de l'intérieur, en dépit quelquefois
00:54:27 de ce qu'on peut appeler la qualité technique du film
00:54:29 il faut étudier chez Garbo
00:54:31 autrice ce sens contrarié
00:54:33 de la transparence et du double
00:54:35 de la courbure et du renversement
00:54:37 de posture, ce dédoublement
00:54:39 d'étrangère à l'oeuvre
00:54:41 puisque c'est, comme le sujet de "Comme tu me veux"
00:54:43 ou de "La femme au deux visages"
00:54:45 toujours des histoires de doubles, de métamorphoses
00:54:47 et de paradoxes de la comédienne
00:54:49 c'est cet accès immédiat
00:54:51 que le public a à la star
00:54:53 qui elle, joue des personnages en quête d'autrice
00:54:55 pour paraphraser
00:54:57 Pierre Andelot, qui exprime quelque chose d'elle
00:54:59 elle
00:55:01 c'est Garbo la femme très privée
00:55:03 comme la femme trop publique
00:55:05 qui se montre, monstre sacré
00:55:07 en se montrant
00:55:09 elle nous adresse son meilleur souvenir
00:55:11 si l'on veut, souvenir du nombre
00:55:13 dans ce niveau franchi instantanément entre le personnage
00:55:15 et l'actrice, parce que Garbo
00:55:17 elle joue toujours Garbo et les films sont toujours
00:55:19 montés autour d'elle
00:55:21 et elle se met en scène dans ce doublement
00:55:23 en toute transparence
00:55:25 la fameuse transparence du cinéma
00:55:27 théorisée par Bazin et Rivette
00:55:29 je veux moi l'appliquer aux actrices autrices
00:55:31 en un sens un tout petit peu repris
00:55:33 la transparence d'une actrice autrice
00:55:35 c'est l'accès immédiat et sur le même plan
00:55:37 au jeu et au non-jeu
00:55:39 c'est pour dire autrement
00:55:41 qu'on accède à tout un sous-texte
00:55:43 de l'actrice autrice, de sa vie
00:55:45 qui se situe sur le même plan
00:55:47 que le propos évident du rôle
00:55:49 du personnage, la fiction
00:55:51 en une espèce de chambre d'écho
00:55:53 où le privé et le représenté
00:55:55 se répondent entre eux
00:55:57 donc où le personnage
00:55:59 se nourrit de l'actrice
00:56:01 qui elle-même se légende, pour ainsi dire
00:56:03 dans le rôle, par son interprétation
00:56:05 la transparence de l'actrice autrice
00:56:07 c'est donc l'empreinte
00:56:09 lumineuse laissée dans l'oeuvre
00:56:11 qui témoigne simultanément d'un monde
00:56:13 englouti et d'une présence toujours là
00:56:15 d'une femme qui fut et de sa persona
00:56:17 éternelle, c'est ça aussi
00:56:19 le méta, c'est cette transparence
00:56:21 où tous les niveaux de sens sont sur le même
00:56:23 plan instantanément
00:56:25 Marlène Dietrich
00:56:27 selon les canons de l'oeuvre d'un auteur-cinéaste
00:56:29 a une carrière plus talentueuse
00:56:31 et passionnante et aboutie
00:56:33 et sans parler de longue, que Garbo
00:56:35 son oeuvre est pleine de grands auteurs
00:56:37 à commencer par Joseph Steinberg
00:56:39 Lang, Walsh
00:56:41 Wilder, etc
00:56:43 mais en tant qu'auto-engendrement
00:56:45 et auto-création par les films
00:56:47 en tant que conspiration de soi
00:56:49 l'oeuvre de Garbo pour moi est plus émouvante
00:56:51 dans sa sculpturalité
00:56:53 qu'elle se façonne et donc surtout
00:56:55 sa mobilité malgré tout
00:56:57 Garbo grimace tout le temps
00:56:59 sourit, éboude et réfléchit
00:57:01 et tout passe sur son visage
00:57:03 Dietrich c'est elle au contraire
00:57:05 qui a porté l'explosante fixe à son maximum
00:57:07 ce visage tout docile
00:57:09 et d'arête osseuse
00:57:11 Dietrich est le regard par en dessous
00:57:13 par excellence, immobilisé par une
00:57:15 intensité ironique des yeux
00:57:17 le regard qui tue
00:57:19 Garbo c'est le contraire, c'est le visage
00:57:21 et la gorge renversés, les yeux amusés
00:57:23 ou troublés, ne fixant jamais les yeux
00:57:25 du partenaire tout proche, mais sa bouche
00:57:27 en réagissant
00:57:29 mobilement sans cesse aux assauts
00:57:31 et donc cette façon de battre en retrait
00:57:33 constante dans un amusement
00:57:35 insaisissable, pommettes
00:57:37 arcades sourcilières, éclairage par le haut
00:57:39 c'est quasiment le visage
00:57:41 ultra mobile d'un mime
00:57:43 Garbo c'est un masque blanc en ombre changeante
00:57:45 des plis des lèvres et du foncement
00:57:47 du sourcil, elle est à la fois
00:57:49 très muette et très parlante
00:57:51 elle existe
00:57:53 à côté des films qu'elle a interprétés
00:57:55 pas en dehors mais à la marge
00:57:57 elle s'en extrait pour former une image
00:57:59 qui est Garbo
00:58:01 et qui est ce qu'elle est devenue, pas seulement
00:58:03 par la MGM de Louis Beyer
00:58:05 ou de Raphine Tellberg
00:58:07 qui l'ont bien sûr créée aussi
00:58:09 autrement dit on peut parfaitement avancer
00:58:11 qu'elle a, via ce studio
00:58:13 de la MGM, fabriqué sa propre
00:58:15 persona, telle qu'elle voulait être
00:58:17 telle qu'en définitive elle se vivait
00:58:19 désirait apparaître
00:58:21 jusqu'au jour où ce qu'elle était
00:58:23 n'a plus chez elle correspondu avec ce qu'Hollywood
00:58:25 devenait, et La femme aux deux visages
00:58:27 parle de ça aussi, d'un monde dans lequel
00:58:29 elle ne se reconnaît plus
00:58:31 Garbo est donc à cheval sur deux époques
00:58:33 aux origines du cinéma
00:58:35 elle est très muette et très parlante
00:58:37 elle parvient à bouger
00:58:39 et exprimer de tous ses traits comme un être
00:58:41 du muet et à parler en accentuant
00:58:43 les mots comme dans la comédie
00:58:45 elle allait donc vraiment décidément vers
00:58:47 ça, la comédie avec
00:58:49 Ninochka et La femme aux deux visages, ces deux derniers films
00:58:51 elle semblait bien aimer
00:58:53 l'idée, elle semblait aimer rire
00:58:55 Garbo aurait donc pu être
00:58:57 une screwball girl car
00:58:59 oui elle était très drôle, sans doute
00:59:01 était-elle dans son oeuvre d'autrice
00:59:03 tentatrice, titre d'un de ses
00:59:05 nombreux films, trop seule et arrivée
00:59:07 trop tôt, star
00:59:09 pour participer à ce grand moment collectiviste
00:59:11 des actrices autrices que fut
00:59:13 la screwball comédie
00:59:15 ce qui nous mène au prochain film
00:59:17 [extrait du film]
00:59:19 [extrait du film]
00:59:21 [extrait du film]
00:59:23 Je suis sortie de cette fenêtre il y a longtemps.
00:59:26 Oh, je peux en prendre une ?
00:59:31 Ouais.
00:59:33 Et le match.
00:59:37 Merci.
00:59:40 Alors, alors...
00:59:45 Combien de temps ?
00:59:46 Combien de temps ? - Tu sais quoi ?
00:59:48 Combien de temps depuis qu'on s'est vus ?
00:59:52 Oh, bien, voyons.
00:59:54 J'ai passé 6 semaines à Reno, puis à Bermuda.
00:59:56 Environ 4 mois, je suppose.
00:59:58 Ça me ressemble à hier.
01:00:00 Peut-être que c'était hier, Hildy.
01:00:02 Tu m'as vue dans tes rêves ?
01:00:04 Non, maman ne rêve plus de toi, Waller.
01:00:07 Tu ne connaîtrais pas l'ancienne fille.
01:00:08 Oui, je le savais. Je te connaissais à tout moment,
01:00:10 - à tout endroit. - A tout endroit.
01:00:12 Tu répètes, Waller.
01:00:14 C'est le discours que tu as fait la nuit que tu as proposé.
01:00:16 Je sais que tu te souviens.
01:00:17 Bien sûr que je me souviens.
01:00:18 Si je ne me souviens pas, je ne t'aurais pas divorcé.
01:00:20 J'aurais aimé que tu n'aies pas fait ça.
01:00:22 - Fait quoi ? - Divorcé.
01:00:24 Ça fait que son père perd tout confiance en lui.
01:00:26 Ça lui donne presque la sensation de ne pas être aimé.
01:00:29 Regarde, Junior, c'est pour ça que le divorce existe.
01:00:31 Bêtise. Tu as une idée vieille.
01:00:33 Le divorce est quelque chose qui va durer pour toujours.
01:00:35 Jusqu'à la mort, on fait partie.
01:00:36 Le divorce ne signifie rien, Hildy.
01:00:38 Un moment de parole, et tu seras juge.
01:00:41 On a quelque chose entre nous. Rien ne peut changer.
01:00:44 Je suppose que tu as raison, Waller.
01:00:47 Bien sûr que je suis raion.
01:00:48 Je suis fière de toi, tu sais.
01:00:50 Et de la fille.
01:00:51 J'aimerais souvent que tu n'étais pas si dégueulasse.
01:00:53 En latin, je suppose.
01:00:56 Tu dois venir me voir.
01:00:57 Pourquoi as-tu promis de ne pas lutter contre le divorce
01:01:00 et de faire tout ce que tu pourrais pour faire le travail ?
01:01:03 Je voulais te laisser partir, mais tu sais comment c'est.
01:01:05 Tu n'as jamais manqué de l'eau jusqu'à ce que le bain s'écoule.
01:01:08 Un grand, fat, léopard comme toi,
01:01:09 envoyant un avion pour écrire,
01:01:11 "Hildy, ne sois pas timide,
01:01:12 "rappelle-toi de mon dimple, Walter."
01:01:15 On a dépassé le divorce en 20 minutes
01:01:16 pendant que le juge est allé le voir.
01:01:17 Je ne veux pas me moquer,
01:01:19 mais j'ai toujours le dimple dans le même endroit.
01:01:22 Je n'ai fait que comme un mari
01:01:24 qui ne voulait pas voir son mariage brisé.
01:01:25 Quel mariage ?
01:01:26 Quel mariage ? Tu te souviens de celui que je t'ai promis ?
01:01:28 Bien sûr que je le sais.
01:01:29 C'était celui qu'on allait avoir juste après le dimanche.
01:01:32 Ce dimanche.
01:01:33 C'était de ma faute.
01:01:34 Je savais que la mine de coale allait avoir un autre trou.
01:01:37 J'ai voulu être avec toi sur notre dimanche, Hildy.
01:01:39 Honnêtement, je l'ai fait.
01:01:40 Tout ce que je sais, c'est que au lieu de passer deux semaines
01:01:42 à l'Atlantique avec ma chambre de fille,
01:01:44 j'ai passé deux semaines dans une mine de coale
01:01:45 avec John Krupsky.
01:01:47 Tu ne le dénonces pas, Walder ?
01:01:48 Je suis fier de ça.
01:01:49 On a battu tout le pays pour cette histoire.
01:01:51 Je suppose que c'est ce que j'ai été mariée pour.
01:01:54 Oh, quel est le bon...
01:01:55 Regarde, Walder.
01:01:57 Je suis venue te dire
01:01:59 que tu dois arrêter de me téléphoner un certain nombre de fois par jour,
01:02:01 de me envoyer 20 télégrammes.
01:02:02 Je m'envoie des belles télégrammes, n'est-ce pas ?
01:02:04 Tout le monde me le dit.
01:02:05 Tu vas écouter ce que je dois dire ?
01:02:06 Regarde, regarde.
01:02:07 Qu'est-ce que c'est que cette histoire de combat, Hildy ?
01:02:08 Je vais te dire ce que tu vas faire.
01:02:09 Tu reviendras travailler sur le papier.
01:02:11 Si on ne peut plus se faire amuser de façon amicale,
01:02:13 on se mariera de nouveau.
01:02:14 Quoi ?
01:02:15 Je n'ai pas de sentiments difficiles.
01:02:17 Oh, Walder, tu es merveilleux
01:02:20 dans un sens décevant.
01:02:21 S'il te plaît, sois calme
01:02:22 pour que je te dise ce que je suis venu te dire.
01:02:24 Tu vas te faire un déjeuner.
01:02:25 J'ai déjà un déjeuner.
01:02:26 Je vais te le dire, je vais te le briser.
01:02:27 Je ne peux pas le briser.
01:02:28 Tu vas me prendre les mains.
01:02:29 Tu joues à l'ostéopathe ?
01:02:30 T'es un témis.
01:02:31 Ecoute, Walder.
01:02:33 Tu n'es plus mon mari
01:02:34 et plus mon boss.
01:02:36 Et tu ne seras plus mon boss.
01:02:37 Qu'est-ce que ça veut dire ?
01:02:39 C'est ce que je dis.
01:02:40 Tu veux dire que tu ne reviendras pas
01:02:41 travailler sur le papier ?
01:02:42 Tu as raison, Mr. Burns,
01:02:43 pour la première fois aujourd'hui.
01:02:44 Ah, tu as une meilleure offre.
01:02:46 Tu as une meilleure offre.
01:02:47 Allez, prends le travail
01:02:49 pour quelqu'un d'autre.
01:02:49 C'est la gratitude que je reçois.
01:02:50 Je voudrais que tu arrêtes, Haley.
01:02:52 Quand tu es venue ici il y a cinq ans,
01:02:53 une petite collègue
01:02:53 de journalisme à l'école,
01:02:54 j'ai pris un déjeuner.
01:02:56 Tu ne m'aurais pas pris
01:02:57 si je n'avais pas été déjeunée.
01:02:58 Pourquoi ? Je t'ai dit que tu étais une novelette.
01:02:59 Tu ne devrais pas avoir une tête ici,
01:03:00 un homme qui regarde sans s'échapper.
01:03:01 Écoute, Walter.
01:03:02 Écoute, j'ai fait un bon journaliste
01:03:03 avec toi, Haley,
01:03:03 mais ce qu'on a est mieux
01:03:04 que tout autre papier.
01:03:05 Tu le sais, on est une équipe,
01:03:06 c'est ce que nous sommes.
01:03:07 Tu as besoin de moi, je te dois,
01:03:08 et le papier, il est à nous tous.
01:03:09 C'est l'Amérique.
01:03:10 Oh, mon Dieu.
01:03:11 Écoute, Walter, s'il te plaît.
01:03:13 Le papier va devoir
01:03:14 s'amuser sans moi.
01:03:15 Tu le fais aussi.
01:03:17 Ça ne s'est pas bien passé, Walter.
01:03:18 Ça aurait bien fonctionné
01:03:19 si tu étais satisfaite
01:03:20 de juste être éditeur et journaliste,
01:03:22 mais pas toi.
01:03:23 Tu me maries, tu dégâtes tout.
01:03:24 Je n'étais pas édite.
01:03:26 Je suppose que je t'ai proposé.
01:03:27 Tu as fait de la pratique,
01:03:28 tu m'as fait des yeux de gogo
01:03:29 pendant deux ans,
01:03:30 jusqu'à ce que je me suis cassé.
01:03:31 Oh, Walter.
01:03:32 Et je dis toujours que j'étais serré
01:03:33 la nuit où je t'ai proposé.
01:03:34 Si tu avais été un homme,
01:03:35 tu aurais oublié tout,
01:03:36 mais pas toi.
01:03:36 Pourquoi tu...
01:03:38 Tu perds ton oeil.
01:03:38 Tu avais un peu mieux
01:03:39 que ça.
01:03:40 Bonjour.
01:03:40 Oui, quoi ?
01:03:42 Sweeney ?
01:03:43 Alors, que peux-je faire pour toi ?
01:03:44 Quoi ?
01:03:45 Attends une minute.
01:03:45 Je ne suis pas Sweeney, je suis Duffy.
01:03:47 Voilà, c'est le film dont je parlais tout à l'heure,
01:03:49 où il a fallu tout revoir en fonction du fait
01:03:52 que c'était une femme qui s'est mise à prendre
01:03:54 la place d'un homme.
01:03:55 C'était deux hommes au départ.
01:03:57 Et il y a un film de Billy Wilder,
01:03:58 de Fran Page,
01:03:59 qui reprend les deux acteurs masculins.
01:04:02 Donc, après la star, si l'on veut,
01:04:05 l'autrice-actrice comme grande femme,
01:04:07 comme on dit, d'un grand homme.
01:04:09 Hégarbo était très grande,
01:04:10 Rosaline Russell aussi, du reste.
01:04:12 Alors, voici le collectivisme
01:04:14 sans aucune star de reine absolue.
01:04:16 Voici le moment unique, démocratique et libre
01:04:19 et fraternel, comme ce royal,
01:04:22 de la communauté des actrices-autrices.
01:04:25 Donc, les "Screwball Girls",
01:04:27 les filles de la comédie loufoque des années 30
01:04:30 et de la première moitié des années 40.
01:04:33 "La Dame du Vendredi",
01:04:34 dont on vient de voir un extrait au début,
01:04:37 en 1940,
01:04:39 est une forme achevée de la "screwball" comédie.
01:04:42 Il y est atteint une forme de plénitude
01:04:44 de ce cinéma unique, classique,
01:04:47 à mon sens, un des plus beaux du monde,
01:04:49 en tant que genre de cinéma.
01:04:51 Une pointe de vitesse
01:04:52 et une pointe de mise en scène de l'actrice-autrice,
01:04:55 en tant que la vitesse finit par tout précipiter
01:04:57 et renverser du genre,
01:04:59 où on ne sait plus qui est l'homme, qui est la femme,
01:05:01 selon les canons et les conformismes admis.
01:05:04 Tout est réversible dans la "screwball" comédie.
01:05:06 Parfois, comme au cours de cette scène,
01:05:08 s'écarigrante la femme et Russell l'homme,
01:05:11 quand il s'agit, par exemple, de la demande en mariage,
01:05:14 où c'est elle qui lui aurait demandé et lui fait la femme.
01:05:18 Dans la "screwball" comédie, née en 1933,
01:05:21 on s'accorde à dire que c'est la première...
01:05:25 C'est "New York, Miami", de Frank Capra,
01:05:28 ou de Claudette Colbert, ou de Clark Gable.
01:05:30 Dans la "screwball" comédie, tout est moderne,
01:05:33 à commencer par la femme qui met sans dessus-dessous l'univers.
01:05:37 Qu'elle choisisse de divorcer, de prendre un amant,
01:05:40 de se remarier, de téléphoner.
01:05:43 Rosalind Russell passe beaucoup de temps au téléphone.
01:05:46 De faire des métiers d'homme, ou d'être une aventurière
01:05:49 et d'escroquer les hommes pour sa survie.
01:05:51 Elles n'ont pas accès à certains métiers,
01:05:53 il faut qu'elles survivent si elles partent de la maison.
01:05:57 Exemple parfait de la femme moderne,
01:05:59 Rosalind Russell est journaliste.
01:06:02 À une époque où très peu de femmes journalistes existaient.
01:06:05 Quand j'ai découvert le film,
01:06:07 je croyais que toutes les femmes des années 30
01:06:09 étaient vêtues comme ça et faisaient des reportages.
01:06:14 Le genre féminin est autrice du genre comédie,
01:06:17 avant tout et sous toutes ses formes.
01:06:19 C'est très important.
01:06:21 Pour moi, le genre féminin a fait ce genre,
01:06:24 la comédie burlesque, pour commencer,
01:06:26 la "screwball" comédie, la comédie musicale,
01:06:29 la comédie romantique et la comédie sentimentale.
01:06:32 C'est le genre où les femmes prennent l'ascendant
01:06:35 et où elles se moulent et s'incorporent
01:06:37 comme si elles étaient chez elles.
01:06:38 Les drames, les tragédies sont davantage des récits de victimes,
01:06:42 de soumissions à un ordre social, politique, patriarcal ou familial,
01:06:46 ainsi des films du précode ou le "woman's movie",
01:06:49 indépendamment de leur qualité.
01:06:52 "Screwball Girls", à mon sens,
01:06:55 c'est le seul mouvement de sororité avéré du cinéma.
01:06:58 Inconsciente peut-être,
01:07:00 mais a considéré l'ensemble des films produits ô combien réels.
01:07:03 Où toutes les actrices participaient à un mouvement moderne
01:07:07 de féminité au cinéma, de monstration en acte,
01:07:10 via les costumes, la langue, les postures, les accents, les manières,
01:07:14 la façon de fumer.
01:07:16 De ce que la minorité à l'époque, la femme en pantalon,
01:07:19 travaillant à des postes d'habitude destinés aux hommes,
01:07:22 les journalistes, psys ou hors-la-loi,
01:07:24 pouvaient se donner comme droit en s'affranchissant des lois,
01:07:28 et d'abord les lois du mariage ou même celles du divorce.
01:07:31 Et là, je me cite.
01:07:33 "La comédie parlante hollywoodienne est née sous le signe du féminin
01:07:37 et de la screwball-comédie.
01:07:39 C'est-à-dire cette forme bavarde et braque qui tient davantage
01:07:42 de la pure expérimentation métrique, de la secousse sismique
01:07:46 que du colloque sentimental.
01:07:48 Un marivaudage sans fausse coquetterie,
01:07:50 ou une comédie shakespearienne dont on aurait accéléré le débit,
01:07:53 les images, arraché les masques et la féerie,
01:07:56 tout en prenant soin d'en conserver la séduction travestie
01:08:00 et l'échappée pastorale, ou variante, le chalet à la montagne,
01:08:03 l'escapade pour aller coucher ailleurs.
01:08:05 Une comédie autant peuplée de femmes que d'hommes,
01:08:09 pour la première fois, à égalité.
01:08:11 Elles ont même eu tendance à prendre l'ascendant,
01:08:13 à occuper plus de place à l'écran que leurs partenaires en dinguerie,
01:08:16 ces Amazones des années 30 et 40, qui menèrent la bataille
01:08:20 sans effusion de sang de la modernité féminine.
01:08:23 Et dont l'arme et la provocation majeure se résumaient à cela,
01:08:26 être drôle.
01:08:27 Peuplade éparpillée de personnages féminins irrésistibles
01:08:31 au gré des films, créatures émancipées sorties d'on ne sait trop où,
01:08:35 si bien que l'on pût croire à une génération spontanée."
01:08:38 Même si c'est plus compliqué, ça vient vraiment du cinéma précode,
01:08:42 etc.
01:08:43 Tout ça n'est pas évident.
01:08:46 Et ce qui n'est pas évident, c'est que si le rire est le propre de l'homme,
01:08:50 il est moins certain qu'il soit celui de la femme.
01:08:52 C'est même douteux.
01:08:53 "On n'attend pas d'une femme qu'elle fasse rire et de surcroît s'il s'agit
01:08:57 de la sienne.
01:08:58 L'humour d'une femme est jugé toujours un peu déplacé.
01:09:01 Ça l'était et ça le reste dans une moindre mesure.
01:09:04 Gênant, dévergondé, ainsi en va-t-il de tout ou trans féminine.
01:09:08 Qui est-elle ? Cette drôlesse qui rit et aussi surtout qui fait rire.
01:09:12 Une furie, une excentrique, une aventurière, une suffragette,
01:09:15 une androgyne ou une folle.
01:09:17 Quoi qu'il en soit, certainement pas une épouse.
01:09:19 Aux femmes de mauvaise vie du cinéma précode, précode A's,
01:09:24 le fameux code A's, ligue de vertu.
01:09:26 Aux femmes de mauvaise vie du précode au tournant des années 1930 et de
01:09:31 ces films très bruts, très beaux et immoraux qui restituaient la
01:09:34 débrouille de femmes célibataires en pleine dépression.
01:09:38 Dépression de 1929, succédèrent alors les mêmes femmes mais en
01:09:42 pire, c'est-à-dire en drôle.
01:09:44 Les femmes de grande vie n'ont plus de mauvaise vie telles que le
01:09:49 chanteur Léo Ferré.
01:09:50 Les filles perdues, les femmes fatales, les vampes, firent place
01:09:53 à des filles en fugue, exaltées et autonomes.
01:09:56 Elles fuirent un père, un mariage ou même un divorce.
01:09:59 Un destin tracé d'ennuis pour aller au devant de la providence ingénieuse
01:10:03 toujours et donc de la grande vie qui mène grand train.
01:10:07 Leur modernité est comme elle, dans cette vivacité divertie qui prend
01:10:10 le monde entier de vitesse.
01:10:12 Au plus fort de ces comédies loufoques, "Screwball Comedy",
01:10:15 il y a cette double tension spéciale, prodige d'illusions comiques,
01:10:19 entre d'une part l'intensité impétueuse du jeu, des gestes et des
01:10:23 gags et d'autre part le sentiment que la comédienne accorde une attention
01:10:27 distanciée au numéro auquel elle se livre.
01:10:30 Elle est le spectacle et simultanément elle est au spectacle.
01:10:34 L'actrice dédoublée, encore une fois, est sa première spectatrice et elle
01:10:39 a l'œil critique que ce talent contorsionniste implique.
01:10:41 S'amuser, s'en amuser, jouer, s'en jouer et la griserie et la grâce
01:10:46 qui parvenir en traînent.
01:10:48 C'est une espèce d'apesanteur de grande classe.
01:10:51 Avec cette collectivité d'actrices autrices où même les hommes étaient
01:10:56 des femmes et vice versa, selon le moment, l'occasion, la blague,
01:11:00 le bon plaisir ou le mauvais désir.
01:11:03 On a la "Screwball utopie" d'une communauté interchangeable,
01:11:06 travestie et transformiste où l'amitié amoureuse détrône le mythe
01:11:09 du grand amour et des passions sinistres.
01:11:12 Ce sont des films où le matérialisme, un sens aigu du réalisme,
01:11:16 comment dans cette société gagner sa vie, assorti du sentimentalisme
01:11:20 le plus enfantin, tient pour une forme absolue d'anti-romantisme.
01:11:24 C'est dans une revue à présent disparue, "Carbonne", que j'avais
01:11:28 écrit ces lignes, extraites d'un article consacré aux "Screwball girls"
01:11:32 que j'avais appelé "Material girls", comme je le nommais déjà,
01:11:35 et paru à l'automne 2018 consacré au thème des Amazones.
01:11:39 On voit ici comme tout y est.
01:11:41 Et voici, dans un extrait à venir,
01:11:44 revoilà Clucor, le grand partenaire des actrices autrices.
01:11:50 (Applaudissements)
01:11:52 (...)
01:11:55 (...)
01:11:58 (...)
01:12:00 (Rires)
01:12:25 (...)
01:12:28 (...)
01:12:30 (...)
01:12:32 (...)
01:12:58 (...)
01:13:01 (Rires)
01:13:04 (...)
01:13:07 (...)
01:13:10 (...)
01:13:13 (...)
01:13:40 (...)
01:13:43 (...)
01:13:46 (...)
01:13:49 (...)
01:13:51 (...)
01:13:54 (...)
01:13:57 (...)
01:14:00 (...)
01:14:27 (Cris)
01:14:30 (...)
01:14:33 (...)
01:14:36 (...)
01:14:38 (Musique douce)
01:15:04 (...)
01:15:06 (...)
01:15:08 Donc, voilà, on change un peu d'ambiance.
01:15:12 On est dans les années 50, vers la fin du grand Hollywood.
01:15:17 Judy Garland, j'ai appelé ça "Judy Garland ou la contradiction du reflet".
01:15:22 Son chant, sa voix et son contre-chant.
01:15:26 Parce qu'elle n'était pas ce qu'on a beaucoup vu dans les comédies musicales.
01:15:32 Le star is born, "Une étoile est née".
01:15:35 Judy Garland, c'est le clown intoxiqué, la chanteuse addict,
01:15:40 dans un monde pastel et un pays de cocagne.
01:15:43 Le film est entièrement bicéphale, construit sur le chant et le contre-chant,
01:15:49 sur "maisonne" et "elle" comme reflet l'un de l'autre.
01:15:52 L'enfant star que Judy Garland fut, fait d'elle une actrice-autrice de fête.
01:15:57 Son oeuvre est sa vie, brève et précocement interrompue
01:16:01 par ce que Hollywood a fait d'elle, une toxico, incontrôlable et autodestructrice.
01:16:06 Même si à l'époque, beaucoup des acteurs étaient comme ça,
01:16:10 parce qu'on pensait que c'était des médicaments qui les empêchaient de grossir ou des déprimer.
01:16:14 Mais bon, ça les rendait addicts.
01:16:16 Et Hollywood a abusé de Judy Garland.
01:16:18 Louis Behmeyer a abusé de Judy Garland, la petite du magicien d'oze.
01:16:23 Lui qui avait déjà rebaptisé Greta Gustafsson en Garbo,
01:16:27 a rebaptisé Francis Gumm en Garland.
01:16:30 C'est un truc peut-être avec les stars en gar.
01:16:33 Et quand Garland fait le remake d'"Une étoile est née",
01:16:36 parce que c'est un film qui a connu plusieurs versions,
01:16:39 qui a été co-écrit par une autrice déjà et pas des moindres, Dorothy Parker.
01:16:44 Judy Garland à ce moment-là a quitté la MGM en 1950,
01:16:48 la MGM de son mentor, E. Bourreau.
01:16:52 Et elle initie et coproduit le film elle-même,
01:16:55 avec son époux producteur assez fallot, dont j'ai oublié le nom d'ailleurs,
01:16:59 Sarah Warner. C'est bien Garland qui, 4 ans après s'être retrouvée sans boulot,
01:17:04 comme on entend Mason le dire, parce que jugée trop instable,
01:17:08 devient l'autrice du film qui raconte sa vie,
01:17:11 mais en donnant son rôle au personnage masculin,
01:17:14 qu'elle regarde s'enfoncer comme une spectatrice d'elle-même.
01:17:17 C'est une sorte de biopic d'elle-même par ricochet.
01:17:21 Je reviens sur l'exemple de Q Corp, qui mérite qu'on s'y arrête encore un petit instant,
01:17:26 mais chez lui, il y a cet effet de miroir et de ricochet passionnant toujours.
01:17:30 Lui-même se portraiture à travers les actrices.
01:17:33 C'est pour ça que j'avais beaucoup entendu que c'était un cinéaste misogyne.
01:17:38 Mais bon, je n'aime pas tous ses films, je n'aime pas "Women" par exemple,
01:17:42 mais si c'est lui en femme, comme il se voit toujours chez les femmes,
01:17:46 je ne vois pas en quoi il est misogyne, puisque c'est lui.
01:17:49 Au pire, il est dans la haine de soi, mais ce n'est vraiment pas un cinéaste misogyne.
01:17:53 Il se portraiture à travers des actrices tout en leur laissant jouer quelque chose
01:17:57 de leur création à elle en tant qu'elle-même.
01:17:59 Et en dernier recours, comme dans "Une étoile est née",
01:18:02 dont la dernière séquence est un vertige, une mise en abîme
01:18:05 portée à une sorte de pointe d'émotion extrême.
01:18:09 Je vais répéter la dernière phrase du film que je pense que tout le monde connaît.
01:18:14 "Hello everybody, this is Julie Garland, this is Mrs. Norman Maine."
01:18:19 Ce qui fait que Garland, parlant du personnage de Mason qui vient de mourir,
01:18:24 affirme dans un des plus célèbres sous-entendus de l'histoire du cinéma,
01:18:29 ce méta que chacun a assez discerné, que c'est son histoire
01:18:33 qui a été contée à travers celle de l'homme, de Mason,
01:18:37 qu'elle a suivi à la fois en acolyte et en spectatrice,
01:18:41 que le film est une sorte de création monstre à partir de sa vie à elle,
01:18:44 ses démons à elle, son talent et son génie.
01:18:47 Donc, dans un déplacement méta assez époustouflant,
01:18:51 Garland est à la place de James Mason et elle se regarde faire pendant tout le film.
01:18:56 Elle le regarde comme elle-même se regarde en train de se tirer le portrait en direct.
01:19:01 Le trouble dans le genre, je répète, est là depuis longtemps au cinéma,
01:19:06 et cela via le corps et l'œuvre des actrices, où les hommes sont à la place des femmes
01:19:10 et inversement, et ainsi James Mason en Norman Maine est finalement un personnage féminin.
01:19:16 Beaucoup d'acteurs ont d'ailleurs décliné le rôle par crainte de jouer le has-been
01:19:22 ou le faible et que ça leur porte la poisse, en gros.
01:19:25 Ainsi, Marlon Brando a refusé, et c'est d'ailleurs lui, enfin,
01:19:29 de ce que j'en sais, qui, sur le tournage de Jules César de Mankiewicz,
01:19:33 qui aurait désigné James Mason pour le rôle, où différemment,
01:19:37 quelqu'un comme Montgomery Clift a refusé parce qu'il se sentait trop proche de Norman Maine.
01:19:43 Et c'est pourquoi il fallait un acteur qui sache ce qu'il faisait,
01:19:47 à savoir ne pas faire d'ombre à Garland.
01:19:50 Elle, qui était en train de devenir l'ombre d'elle-même,
01:19:53 elle n'a presque plus tourné ensuite, à part "Jugement à Nuremberg"
01:19:56 et "A Child is Waiting", le film de Cassavetes,
01:19:59 ne pas lui faire d'ombre car, sachant que c'était son film à elle,
01:20:03 d'elle qu'il s'agissait, et le génie, et je pèse mon mot,
01:20:07 le génie de James Mason, qui n'avait rien à voir avec le personnage d'alcoolique,
01:20:12 c'était quelqu'un d'absolument posé, là, pour le coup, ce n'est pas sa vie,
01:20:16 c'est cette intelligence permanente de jouer ça,
01:20:19 cette bouleversante attention de tous les instants,
01:20:22 pour celle qui est censée, dans la fiction, lui accorder une attention constante.
01:20:26 Et pourtant, qu'il personnifie, lui, cette actrice, cette femme, Judy Garland,
01:20:31 dans la comédie musicale la moins comédie qu'on ait vue.
01:20:35 Et c'est vraiment magnifique, ce que James Mason fait.
01:20:39 Et d'ailleurs, ils se sont montrés bien entendus.
01:20:42 Dans ce monde du spectacle, encore classique, mais plus pour longtemps, 1954,
01:20:46 puisque si on s'en tient à ce que Jacques Lourcel dit, c'est jusqu'à 1958,
01:20:51 et après on passe à autre chose, au classicisme.
01:20:55 Donc, dans ce monde du spectacle encore classique,
01:20:58 Garland nous permet de suivre le passage du temps,
01:21:02 d'une époque bientôt révolue, les derniers feux,
01:21:05 et la conscience mélancolique de ça, avec les diverses stratégies de retrait
01:21:10 de l'actrice, Garbo, dans "La femme aux deux visages", puis Garland,
01:21:13 via ce drame affleurant tout le temps dans la comédie.
01:21:16 Or, curieusement, et ça j'y tiens, malgré tout ça, tout ce que je vous dis,
01:21:20 et qui est clair dans le film,
01:21:23 tout le monde savait que c'était l'histoire de Judy Garland,
01:21:26 les films des actrices autrices apparaissent comme le contraire de films théoriques,
01:21:30 qui auraient une espèce de haute idée d'eux-mêmes,
01:21:33 de façon de post-modernité un peu toque, dont peut abuser le méta.
01:21:38 Ce sont des films qui restent dans l'évidence émotive,
01:21:40 à cause de cette épaisseur que donne la littéralité réaliste de l'actrice,
01:21:45 sa présence même, et sa transparence même.
01:21:48 Je reprends donc ce que je disais plus tôt,
01:21:50 tout beau film d'actrices autrices est un document et un documentaire
01:21:54 de l'actrice sur elle-même, même et y compris si c'est un homme appelé Norman Maine.
01:21:59 Donc ce sont des façons de voir, de montrer, qui nous épargnent aussi
01:22:04 des anecdotes ennuyeuses de nos existences, des existences des gazettes,
01:22:09 des galas, des vedettes.
01:22:12 On est en phase esthétique avec la vie, avec l'expression de soi,
01:22:16 le récit d'une femme actrice qui met dans cette faculté de se voir en se montrant,
01:22:20 dans cette art de l'apparition, cette part autrice qui fait que le film
01:22:24 en est éclairé de façon très particulière, individuelle et sombrement métaphorique.
01:22:30 Garland, ça a toujours été l'idée d'un autre monde,
01:22:33 meilleur et du recommencement, du starting over, over the rainbow,
01:22:38 monde nouveau, comme une des chansons d'une étoile aînée s'intitule, New World,
01:22:42 dont on ne cesse jamais de faire le voyage aller et retour entre l'art et le cauchemar.
01:22:48 À la fin du film, un peu à la façon de l'antienne de Gaddagarbo,
01:22:53 en sanglots, Garland crie "leave me alone", comme les actrices qui nous déclarent
01:22:59 qu'elles veulent qu'on les laisse tranquilles, "leave alone".
01:23:01 Ce n'est pas forcément subir que de souhaiter ça, qu'on ne les importe une pas,
01:23:06 c'est même le contraire, c'est une force et un pas de retrait, c'est comme Wanda.
01:23:13 - Let's go. - Where?
01:23:17 - Anywhere. - Let's go.
01:23:22 Happy New Year!
01:23:26 Hey, come on!
01:23:30 - Hey, come on!
01:23:34 - Ah!
01:23:35 - Leave me alone.
01:24:01 Leave me alone. I'm dizzy.
01:24:04 No.
01:24:10 - Did you see where I went with the... - You stood up, gang?
01:24:16 - It looks like it. Would you be an angel?
01:24:20 - Oh, yeah. - I love you for the rest of my life.
01:24:24 - Hey!
01:24:26 - Hey!
01:24:28 - Hey!
01:24:30 - Hey!
01:24:32 - Hey!
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01:26:00 - Je suis là. - Je suis là.
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01:26:20 - Je suis là. - Je suis là.
01:26:22 - Je suis là. - Je suis là.
01:26:24 - Je suis là. - Je suis là.
01:26:26 Qu'est-ce qui sache.
01:26:27 Tu peux me reposer.
01:26:28 Tu peux m'emmener.
01:26:30 Prende tes pieds.
01:26:34 C'est bon.
01:26:35 Prends contre la main.
01:26:45 Lâche-moi.
01:26:46 Laisse-moi.
01:26:48 Laisse-la.
01:26:50 Dehors.
01:26:51 C'est au bon endroit.
01:26:52 Probablement.
01:26:53 - Tu as mon Buy 행복.
01:26:54 - Oui.
01:26:56 - C'est bon.
01:26:57, - Oui.
01:26:58 - Je t'en prie.
01:26:59 - Je t'en prie.
01:27:00 - Je t'en prie.
01:27:01 - Je t'en prie.
01:27:02 - Je t'en prie.
01:27:03 - Je t'en prie.
01:27:04 - Je t'en prie.
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01:28:30 - Je t'en prie.
01:28:40 - Donc c'était d'abord Splendor in the Grasse, La fureur dans le sang d'Elia Kazan avec Barbara
01:28:46 Loudon et Wanda, deux et avec Barbara Loudon.
01:28:50 Wanda est seule au monde.
01:28:51 Est-ce qu'elle est heureuse ou malheureuse ? Elle flotte.
01:28:54 Elle est dans un état constant de flottement.
01:28:57 Dans le Kazan, elle est ivre et c'est typiquement la mauvaise femme, la femme de mauvaise vie.
01:29:03 Elle se fait violer et même si le personnage est beau, c'est même ce qu'il y a de plus
01:29:08 beau dans ce film, à mon avis, très surévalué comme Kazan.
01:29:12 C'est aussi un peu qu'elle l'avait cherché et il ne faut rien moins que son frère, son
01:29:17 gentil frère Warren Beatty pour venir à sa rescousse et la sauver.
01:29:20 Elle sort ensuite comme ça, par la droite du plan, en voiture et on ne la reverra jamais
01:29:25 plus dans le film.
01:29:26 Bien plus tard, au détour d'une discussion, on apprendra qu'elle est morte précisément
01:29:30 dans un accident de voiture, quelques temps plus tard.
01:29:33 Mais enfin, vu la vie qu'elle menait, ce n'est pas très étonnant.
01:29:37 La misogynie du traitement de Jeannie, le nom du personnage dans le film, même intéressante
01:29:43 en ce que Loudon en fait son affaire en rendant le personnage déchirant.
01:29:46 La misogynie est là, dans cette façon ne serait-ce que de la laisser partir et de rester
01:29:51 sur la baston, de préférer filmer les hommes qui se cognent bien virilement et avec un
01:29:56 joli filet de sang qui bave d'un coup sur la bouche plutôt que d'accompagner Jeannie
01:30:01 et de la consoler en filmant son visage dévasté ou agarre ou fermé.
01:30:05 On ne le saura jamais.
01:30:06 De la part d'un auteur qui filmait vulgairement la vulgarité, voilà ce qu'on a.
01:30:12 Rien de plus.
01:30:13 C'est dire l'attention de Kazan aux femmes.
01:30:16 Un point, c'est tout.
01:30:17 Alors pour ceux qui ne le savent pas, Kazan, c'était le compagnon de Loudon et il en
01:30:23 devint le mari, comme chacun sait ou pas.
01:30:26 Bon, bref.
01:30:27 Alors, quand on voit Wanda, quand on voit Barbara Loudon dans Wanda, cette autre scène
01:30:33 de viol, la seconde tournée neuf ans plus tard, le premier film de 61 et Wanda de 70,
01:30:39 on sait alors que ce n'est pas du chiqué.
01:30:42 En revoyant le film, c'est la première fois que ça m'a explosé à la figure.
01:30:47 C'est comme on dit de cette expression, je déteste, c'est horrible, du vécu.
01:30:52 C'est son vécu.
01:30:53 Ça semble soudain évident, d'autant que la scène est détachée du reste du film.
01:30:56 Adrien comme ça, juste avant la fin, sans crier gare et cependant, précisément, on
01:31:01 pressent qu'il se joue là quelque chose de fondamental pour Loudon, de mettre en scène
01:31:04 une tentative de viol et très différemment de la manière ellipsée qu'avait filmé Kazan.
01:31:10 Et dans le livre de Nathalie Léger qui s'intitule "Suppléments à la vie de Barbara Loudon"
01:31:15 qui est arrivé en 2012 chez POL, c'est écrit, je l'ai découvert il y a quelques jours.
01:31:20 "Enfant, Barbara Loudon a été abusée par un de ses oncles.
01:31:25 Seulement voilà, une actrice autrice rend compte de ça, mais aussi le surmonte.
01:31:30 Dans Wanda, Barbara Loudon se dégage.
01:31:33 Elle réagit et c'est même la seule fois du film où elle réagit.
01:31:36 C'est la seule fois où elle dit non, où elle hurle et où elle parvient à fuir sans
01:31:41 se retourner.
01:31:42 Elle n'a pas besoin d'un gentil frère avec ses points pour une partie de bagarre entre
01:31:45 hommes et un filet de sang."
01:31:47 Donc on est dans l'année 70, 15 ans après "Une étoile est née".
01:31:54 Et en cette année, Barbara Loudon ouvre la marche à ce que je n'ai donc pas traité
01:31:58 en tant que telle ici, les actrices autrices cinéastes et non plus anonymes.
01:32:03 Avant elle, c'est fou parce que la même année en 70, il y a aussi Hélène May qui
01:32:09 est une actrice qui a fait un film qui s'appelle "A New Leaf" avec Walter Matto, "Un nouveau
01:32:14 départ".
01:32:15 Mais bon, ce n'était pas du tout dans le cinéma vérité tel que Loudon a fait avec
01:32:19 Honda dans un film totalement indépendant.
01:32:21 Donc avant Loudon, il y en eut très peu.
01:32:24 Il y eut surtout et d'abord bien sûr Ida Lupino qui a fait six films entre 1949 et
01:32:30 1953 en ayant fondé sa société de production "The Film Makers" avec son mari de l'époque
01:32:36 Collier Young.
01:32:37 Et c'est à partir de Lupino, une longue histoire de l'indépendance, parce que c'est
01:32:41 toujours par des productions indépendantes, de l'actrice autrice cinéaste qui nous est
01:32:46 contée mais qu'on ne racontera pas aujourd'hui, faute de temps.
01:32:49 Une chose quand même sur Lupino, une anecdote.
01:32:53 Avant Loudon, puisque si Loudon fut la première à être de la sorte intégralement des deux
01:32:58 côtés de la caméra, cela arriva à Lupino une seule fois.
01:33:01 Dans ses films, elle ne joue pas, sauf une fois et pas la moindre.
01:33:04 C'est dans "The Big Amist" qui raconte quelque chose de très proche de la vraie
01:33:09 biographie de l'actrice autrice, son mari Collier Young menait une double vie comme
01:33:14 le personnage du film qu'elle a fait bien après en connaissance de cause.
01:33:18 Et mieux encore, c'est John Fontaine qui joue l'autre femme.
01:33:21 Or c'est bien pour Fontaine que le mari de Lupino l'avait quitté.
01:33:24 Autrement dit, l'actrice Fontaine est devenue la vraie nouvelle compagne de l'époux de
01:33:29 l'actrice autrice Lupino, laquelle pour corser la chose, joue pour la seule fois dans un
01:33:33 de ses films et non l'épouse mais la maîtresse.
01:33:36 Et c'est John Fontaine qui joue la femme légitime.
01:33:38 Je ne sais pas si Lupino s'est amusé non pas par vengeance, parce que je crois qu'elles
01:33:44 se sont bien entendues, mais je trouve ça assez classe d'avoir fait ce film comme ça.
01:33:48 Ce n'est pas une comédie du tout, mais c'est un beau film.
01:33:51 Avant Lupino, pour dire rapidement, il y a eu la grande effervescence du muet, les débuts
01:33:55 d'Hollywood, quand les femmes avaient encore la voie libre, parce que tout le monde se
01:34:00 foutait du cinéma, ce n'était pas intéressant et pas lucratif.
01:34:03 Donc les femmes avaient la voie libre pour s'emparer de ce nouveau divertissement, le
01:34:08 cinéma, avant que ça ne devienne, et grâce à elle en partie, ainsi un fructueux business
01:34:13 florissant au point que les hommes le reprirent en main et fondèrent les Majors, les studios,
01:34:18 toutes bien entendu dirigées par des hommes, Maier, Cohn, Selznick, Warner, Zanuck, etc.
01:34:23 Et vite fait, je cite Alice Guy qui maintenant est un tout petit peu reconnue, qui elle avait
01:34:30 fondé sa société de production quand elle était partie aux Etats-Unis, indépendante
01:34:35 et qui fut vite faillite par exemple.
01:34:36 Et aussi, il ne faut pas oublier qu'un des premiers studios hollywoodiens, la United
01:34:42 Artists, fut fondée par trois comédiens et un cinéaste, Griffiths, et parmi ces trois
01:34:47 comédiens, une femme, la petite fiancée de l'Amérique, dont on mesure mal aujourd'hui
01:34:51 la gloire et qui pourrait très bien être rangée parmi les actrices autrices tant elle
01:34:55 eut de pouvoir dans le Hollywood naissant, Marie Pickford, et les deux autres comédiens,
01:35:00 c'était son compagnon Douglas Fairbanks et un certain cinéaste comédien, Shirley
01:35:05 Chaplin.
01:35:06 J'ai précisé aussi que Lillian Gish a réalisé un film intitulé Remodeling Her Husband,
01:35:11 l'arène conjugale, avec sa soeur Dorothy dans le rôle principal mais qui s'est perdu.
01:35:15 Par ailleurs, Gish, c'est une actrice autrice anonyme très grande, moi je pense que son
01:35:22 apport au cinéma équivaut pratiquement à celui de Griffiths qu'elle a conseillé et
01:35:26 qu'elle inspira pour les bases jetées du cinéma.
01:35:28 Il l'admirait beaucoup, Griffiths l'admirait beaucoup, Lillian Gish.
01:35:32 Mais à quelques autres exceptions près, vraiment, c'est à partir des années 70
01:35:36 qu'enfin les femmes, et dans ce qui ici nous intéresse, les actrices, se mirent
01:35:41 réellement à faire des films en nombre et un peu partout.
01:35:43 Et j'ai cité un bon nombre de noms en introduction.
01:35:48 Loden, Barbara Loden, donc la première, elle a fait ce seul long métrage en 1970,
01:35:55 morte dix ans après, précocement, à 48 ans d'un cancer du sein, alors qu'elle
01:35:59 avait d'autres projets qu'elle n'a pas eu le temps de monter.
01:36:02 Et pour elle, c'est clair, tout de suite, dans son film, il s'agit d'imposer son
01:36:07 rythme, son temps, sa lenteur.
01:36:10 Au début du film, on entend "you're too slow", c'est son employeur au début qui
01:36:15 ne veut plus d'elle parmi les couturières parce qu'elle est trop lente.
01:36:17 C'est un enjeu aussi pour l'actrice autrice.
01:36:20 C'est bien de cela, depuis le début qu'il s'agit.
01:36:22 Une actrice autrice impose son mouvement, son temps, un déplacement et un rythme à
01:36:27 elle qui en impose au film et fait la mise en scène.
01:36:30 Elle fait le film, elle fait un film.
01:36:32 C'est une manière de marcher, d'avancer, de se déplacer, d'être synchrone entre
01:36:38 l'apparition et l'être.
01:36:40 C'est un principe d'apparition qui est Wanda, car qui est-elle au début ? Rien
01:36:46 et personne.
01:36:47 On suit donc une pensée.
01:36:49 Et alors, pourquoi pas celle de l'actrice ?
01:36:50 On peut très bien voir un film dans sa pensée à elle, d'actrice autrice, c'est-à-dire
01:36:55 aux prises avec sa représentation.
01:36:57 Parce que qui conduit et qui mène la danse ?
01:36:59 Par exemple, il y a plutôt dans le film, cette scène de la voiture où elle est assise
01:37:03 sur le capot et elle parle d'elle à Mr Higgins, son partenaire en dérive criminelle.
01:37:11 Et elle a le soleil dans les yeux.
01:37:13 Le méta, c'est aussi le moment de ce réalisme supplémentaire qui s'ajoute à l'enregistrement
01:37:19 instantané de ce qu'on a sous les yeux, qui peut aveugler comme le soleil.
01:37:22 Cet autre réalisme existentiel de l'être qui joue et qui témoigne de sa présence
01:37:27 d'un "j'ai été là et j'ai été celle-là".
01:37:30 Alors oui, il y a ce moment magnifique où Wanda laisse tomber au détour du dialogue
01:37:35 à Mr Higgins "So I guess I'm dead".
01:37:38 Il y a un silence.
01:37:39 Donc j'imagine que je suis morte.
01:37:43 Et on voit l'Oden vivante qui plisse les yeux parce qu'elle est face au soleil qui se couche
01:37:47 et qu'il faut vite tourner avant qu'il y ait, tant qu'il y ait encore de la lumière.
01:37:50 C'est très simplement sublime, beau et triste de voir l'Oden vivante.
01:37:55 Ah, et le film, pour ne rien gâcher par ailleurs, est très drôle en plein d'endroits.
01:38:00 On ne le note jamais assez, mais Wanda dans sa gaucherie, son côté lent donc et empêché
01:38:04 tout le temps, est aussi avec ses bigoudis ou sa sauce tomate affamée, un corps burlesque.
01:38:10 Il ne se passe donc pas grand chose dans Wanda, Wanda the Wanderer, sinon ce principe d'errance
01:38:17 de dérive, de lenteur d'un être qui va.
01:38:19 Il ne se passe rien, sinon une femme qui passe, Wanda passe.
01:38:24 Il y a donc deux femmes qui ont ressuscité le film en deux temps en se passant le relais,
01:38:28 parce que c'est un film qui est passé assez inaperçu à l'époque, malgré son mari.
01:38:34 C'est Duras et Huppert.
01:38:36 Ça suffit à poser les choses.
01:38:38 Malgré Duras d'un côté, ils avaient l'Huppert de l'autre, deux femmes qui se mettent en
01:38:42 scène différemment.
01:38:43 L'importance de l'apparition de Lauden par Lauden et l'importance qu'elle a eu pour
01:38:49 plein de cinéphiles depuis.
01:38:50 D'ailleurs, qu'est ce qu'on peut dire de Wanda ? Que c'est un film d'actrice qui se met en
01:38:55 scène ou un film d'une autrice qui se filme ? C'est indémêlable.
01:38:59 Actrice, autrice d'un film seul pour une femme seule.
01:39:02 Et alors, et on va passer à tout autre chose, quand une actrice autrice transforme son art
01:39:09 dans sa vie et y consacre tout d'elle-même, ça devient quelque chose.
01:39:13 Un art total de femme en vogue.
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