Que fait une femme qui vieillit ? Elle se regarde dans le miroir. Et qu’est-ce qu’elle voit dans le miroir ? La seconde femme. Qu’est-ce que la « seconde femme » ?
Nous verrons ce qu’en dit John Cassavetes.
Cours de cinéma par Murielle Joudet, critique de cinéma.
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00:00:00 [Applaudissements]
00:00:12 Merci Zina, merci aux formes des images de m'inviter pour parler de la seconde femme.
00:00:18 Je reviendrai sur ce concept. J'ai beaucoup d'extraits.
00:00:22 Je vais peut-être déjà vous dire quelques mots sur ma méthodologie
00:00:26 et surtout sur ce que c'est d'essayer d'écrire sur la vieillesse au cinéma
00:00:32 et ce que j'ai découvert en travaillant sur ce sujet.
00:00:36 Évidemment, il y a des préjugés qui sont tombés au fur et à mesure que j'avançais dans ce sujet.
00:00:44 Déjà, peut-être commencer par dire que je me suis rendu compte...
00:00:50 Évidemment, quand on se dit "je vais écrire un livre sur la vieillesse",
00:00:53 on commence à chercher des films qui parlent de la vieillesse et du vieillissement,
00:00:59 des films que vous devez sans doute connaître et dont je vais vous montrer aussi des extraits.
00:01:03 Mais c'est un corpus qui est quand même très restreint.
00:01:06 Il y a quand même assez peu de films.
00:01:09 Et surtout, je me suis rendu compte très vite que la vieillesse au cinéma
00:01:16 est un sujet qui est concerné à peu près tous les films et était intimement lié à la question de l'acteur et de l'actrice.
00:01:24 Finalement, on pourrait dire qu'un acteur, c'est deux choses.
00:01:27 C'est jouer et puis aussi vieillir à l'écran, vieillir devant le public, vieillir face à la caméra.
00:01:34 Et que la question du...
00:01:37 C'est une banalité de le dire, mais comme disait Godard, le cinéma, c'est la mort au travail.
00:01:42 C'est la vie et c'est la mort au travail.
00:01:44 Et donc, à partir du moment où c'est la mort au travail, c'est aussi la question du vieillissement s'intègre
00:01:49 et intégrer au dispositif même du cinéma.
00:01:54 Alors, on verra à la fin comment, évidemment, le numérique va changer les coordonnées de ce vieillissement
00:02:01 et peut-être même annuler le vieillissement.
00:02:04 Donc, la question de l'acteur est indissociable de celle du vieillissement.
00:02:07 Et puis, je me suis évidemment penchée sur des grands textes qui avaient été écrits sur le vieillissement.
00:02:14 Donc, il y a le livre de Simone de Beauvoir "La vieillesse".
00:02:17 Il y a aussi des parties consacrées à ce sujet dans "Le deuxième sexe".
00:02:21 Il y a aussi des livres...
00:02:26 Là, je ne retrouve plus le titre, de Betty Fredin, qui est une grande féministe américaine,
00:02:30 "The Fountain of Age", qui a été traduit en français, mais qui n'a jamais été réédité,
00:02:35 qui a été traduit dans les années 80, qui est une grande analyse sociologique sur la vieillesse.
00:02:42 Il y a un texte que j'utilise beaucoup dans mon livre qui s'appelle "Le double standard du vieillissement"
00:02:47 de Suzanne Sondrat, qui est peut-être le texte que, en tout cas, moi, je préfère,
00:02:51 parce qu'il fait 20 pages et que dans ces 20 pages, il y a à peu près tout.
00:02:54 En tout cas, il y a une grosse boîte à outils pour aborder le sujet.
00:02:58 On lit ces textes et très vite, on se rend compte que mon métier de critique cinéma
00:03:07 ne consiste pas à regarder les films depuis un texte qui lui serait extérieur,
00:03:12 depuis une matière extracinématographique.
00:03:14 De regarder les films avec Nicole Kidman depuis un texte de Simone de Beauvoir,
00:03:17 moi, ça ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse, c'est précisément de dire
00:03:20 qu'il y a un texte enfoui dans tel ou tel film et il y a un savoir et de la théorie
00:03:25 qui sont déjà présents à l'intérieur même des films et que le film n'a pas besoin
00:03:30 d'être informé d'autre chose que de lui-même, qui a une richesse théorique à déterrer.
00:03:37 J'essaie, je tente en tout cas du mieux que je peux, de déterrer ce texte et ce savoir
00:03:44 qui est produit... Alors, tous les films ne produisent pas du savoir,
00:03:47 il faut le dire, c'est les grands films et les bons films qui en produisent,
00:03:50 mais en tout cas, ce savoir est produit évidemment par le scénario,
00:03:55 par la qualité de la mise en scène et puis aussi par l'actrice elle-même.
00:03:59 Et ça, c'est quelque chose, c'est pour ça que j'ai inversé la proposition
00:04:02 dans le sous-titre de mon livre, "Ce que les actrices font à la vieillesse".
00:04:05 Je voulais en tout cas m'éloigner d'une exception qui considérait le métier d'actrice
00:04:13 comme quelque chose de passif, comme quelque chose, il s'agirait de se laisser regarder
00:04:21 par des grands cinéastes, c'est quelque chose qui, je crois, en tout cas,
00:04:25 ne correspondait pas à l'expérience que j'ai du cinéma et à ma cinéphilie.
00:04:29 Je n'ai jamais... Alors, évidemment, on pourrait...
00:04:33 Disons qu'il y a plusieurs façons d'être devant la caméra,
00:04:36 qu'il y a évidemment des actrices qui sont réifiées, mais qu'en face,
00:04:39 il y a quand même, si vous voulez, un rapport de force qui s'installe
00:04:42 entre une caméra, un metteur en scène et une actrice,
00:04:46 même chez quelqu'un comme Marie Edmond-Rowe, qui pourrait être le cas extrême
00:04:50 de réification d'un corps par une industrie et par un regard.
00:04:56 Donc, réinvestir l'actrice de sa puissance, de la puissance qu'elle a,
00:05:01 de ce qu'ont été aussi les stratégies d'actrices, leur rendre aussi leur faculté,
00:05:07 leur puissance d'action. Une actrice, c'est quelqu'un qui fait des choix de films,
00:05:12 qui fait des choix de metteurs en scène, qui pense à l'avenir,
00:05:16 qui pense à ce que sera sa carrière, qui contrôle tout ça.
00:05:22 En tout cas, quand elle est arrivée à un certain degré de notoriété.
00:05:26 C'est vrai que quand on commence, on peut être beaucoup plus malmenée
00:05:30 que quand on s'appelle Elisabeth Luper.
00:05:33 Dans cette conférence, j'ai des extraits que de films américains,
00:05:37 car c'était plus simple pour moi de me concentrer sur une industrie,
00:05:43 parce qu'il y a des différences entre toutes les industries,
00:05:46 entre aussi la manière qu'ont les actrices de vieillir.
00:05:49 Une actrice britannique ne vieillit pas de la même manière qu'une actrice française.
00:05:53 Ce ne sont pas les mêmes canons de beauté. Par exemple, la charge esthétique
00:05:56 est évidemment très répandue à Hollywood, alors qu'elle est très mal vue en Angleterre.
00:06:02 En France, on est entre les deux, c'est-à-dire dans quelque chose
00:06:06 où on peut faire de la chirurgie esthétique.
00:06:09 D'ailleurs, on dit chirurgie, mais il n'y a pas d'acte chirurgical.
00:06:12 Il faut parler plutôt de médecine cosmétique.
00:06:15 C'est des petites injections, le plus souvent.
00:06:18 En France, on est entre les deux. On peut faire de la chirurgie esthétique,
00:06:22 de la médecine cosmétique, mais il ne faut pas trop que ça se voit.
00:06:25 Bref, en tout cas, tous ces canons ne seront pas vraiment le sujet.
00:06:29 La différence nationale par rapport à toutes ces questions,
00:06:34 j'en parle un peu dans le livre, mais je vais la mettre de côté.
00:06:37 On va vraiment s'intéresser au cinéma américain, quasiment qu'à Hollywood.
00:06:42 Il y a un extrait d'"Opening Night", c'est du cinéma indépendant,
00:06:47 parce qu'aussi Hollywood règne sur nos imaginaires,
00:06:50 parce que Hollywood donne le ton. Ce qui se passe à Hollywood
00:06:53 finit par rejaillir sur nous et sur notre industrie du cinéma.
00:07:00 Je n'estime pas que le travail de sociologie, de dénonciation,
00:07:08 des canons qui pèsent sur les femmes, sur l'interdiction qui est faite aux femmes
00:07:15 de vieillir, tout ça, je vais en parler un tout petit peu,
00:07:19 mais d'autres l'ont fait beaucoup mieux que moi,
00:07:23 beaucoup d'historiennes, d'anthropologues, de sociologues, de féministes
00:07:27 qui se sont emparés du sujet très vite.
00:07:31 Ma question, c'est celle du cinéma.
00:07:35 Qu'est-ce que la vieillesse produit comme forme, comme récit,
00:07:39 comme image aussi, comme visage ?
00:07:42 Qu'est-ce que les actrices inventent comme stratégie, en dévitement ?
00:07:47 Qu'est-ce que ça produit cette interdiction comme créativité ?
00:07:51 Je me suis rendue compte qu'on ne pouvait pas écrire à partir d'un postulat
00:07:55 qui consisterait à dire "écrire sur la vieillesse, c'est forcément déplorer des choses".
00:08:00 Donc il me fallait trouver, si vous voulez, quelque part,
00:08:03 où se trouvait la joie dans mon sujet.
00:08:05 Et en fait, on s'amuse beaucoup quand on réfléchit, quand on regarde des films,
00:08:09 quand on regarde comment se sont débrouillées les actrices,
00:08:12 parce qu'elles ont souvent des idées géniales.
00:08:17 Et puis forcément, je me suis rendue compte,
00:08:22 ça c'est quelque chose...
00:08:25 Mon livre est structuré en chapitres, et à chaque chapitre correspond une actrice.
00:08:30 Et très vite je me suis dit "mais je ne vais pas trouver..."
00:08:33 Et l'idée c'est que chaque actrice recouvre une stratégie particulière,
00:08:37 et différente de la voisine.
00:08:40 Et je me suis rendue compte, je m'attendais à ce que ce soit un peu monotone,
00:08:45 je m'attendais à parler beaucoup de déni, de peur, d'angoisse de vieillir,
00:08:49 et en fait à chaque chapitre je me rendais compte qu'il y avait encore une nouvelle stratégie
00:08:53 que je découvrais, et que c'était à peu près infini.
00:08:57 J'ai fait huit chapitres, un jour peut-être que je ferai le volume 2,
00:09:01 je vais attendre que d'autres actrices vieillissent.
00:09:04 Mais la question évidemment, il faut peut-être poser les termes,
00:09:07 à quel âge est-on vieille, à quel âge une actrice est vieille ?
00:09:12 C'est une question... alors on peut répondre plus ou moins objectivement,
00:09:16 mais on va vite se rendre compte que ce n'est pas très satisfaisant.
00:09:20 Globalement on pourrait se dire, après 35 ans,
00:09:24 une actrice commence à regarder si elle n'a pas des rides sur le visage,
00:09:31 mais on se rend bien compte que même à 25 ans,
00:09:33 elle peut déjà être angoissée à l'idée de vieillir,
00:09:36 que sa "jeunesse", sa "fraîcheur", je vais utiliser beaucoup de guillemets
00:09:40 pendant cette conférence, est hantée par l'horizon de la vieillesse,
00:09:49 et que même une actrice qui commence forcément pense déjà à ce moment.
00:09:53 Ce qu'on peut dire c'est que plus le temps avance,
00:09:59 dans les années 40, on estimait qu'à 40 ans,
00:10:05 ça consistait à avoir 60 ans aujourd'hui.
00:10:09 Donc il y a un recul de l'âge de la vieillesse dans les imaginaires,
00:10:14 et qu'on peut avoir 50 ans.
00:10:17 Aujourd'hui j'ai l'impression qu'une actrice de 50 ans
00:10:19 se débrouille mieux qu'une actrice de 50 ans dans les années 40,
00:10:24 même s'il y a quelques exceptions.
00:10:26 C'est toujours un peu compliqué de fixer un âge,
00:10:30 c'est quelque chose d'extrêmement subjectif,
00:10:33 qu'on demande à des actrices françaises,
00:10:36 à Virginie Effira ou Adèle Exarchopoulos,
00:10:39 elles ne répondront pas à la même chose,
00:10:40 peut-être qu'elles se sentent déjà vieilles,
00:10:41 peut-être que ce n'est pas du tout une question.
00:10:43 Cette réponse objective est très difficile à...
00:10:47 C'est très difficile de poser un âge,
00:10:52 tant et si bien qu'on va peut-être se rentrer dans une réponse
00:10:56 beaucoup plus subjective.
00:10:58 Et là je vais m'appuyer sur Suzanne Sontag,
00:11:02 une grande théoricienne, philosophe, critique,
00:11:06 qui a écrit ce texte,
00:11:08 "Le double standard du vieillissement",
00:11:10 qui je crois, il me semble qu'il n'a pas été...
00:11:14 J'ai du mal à...
00:11:15 Je ne l'ai pas trouvé en français.
00:11:16 Vous pouvez le trouver en anglais,
00:11:18 disponible sur Internet,
00:11:19 ce texte de 20 pages magnifique,
00:11:21 où elle fait vraiment la distinction
00:11:23 entre le vieillissement chez les hommes et chez les femmes.
00:11:27 C'est implacable et c'est toujours aussi pertinent.
00:11:30 C'est un texte qui date des années 70.
00:11:32 Et elle dit cette chose très puissante,
00:11:35 qu'en fait, le vieillissement, la vieillesse,
00:11:38 c'est une crise de l'imagination.
00:11:40 Je la cite, "Le vieillissement est un destin mobile.
00:11:43 C'est une crise qui ne s'épuise jamais,
00:11:45 car l'angoisse ne s'épuise jamais.
00:11:47 Crise de l'imaginaire plutôt que de la vraie vie.
00:11:50 Elle a pour particularité de se répéter encore et encore.
00:11:53 Le territoire du vieillissement,
00:11:55 par opposition à la vieillesse à proprement parler,
00:11:57 n'a pas de frontières fixes."
00:11:59 Donc, ce n'est pas une date fixe dans le calendrier,
00:12:03 mais déjà, c'est quelque chose, une sorte de choc
00:12:06 qui peut se produire plusieurs fois, d'orage,
00:12:09 comme ça, qui peut se produire à plusieurs reprises
00:12:12 dans la vie, devant le miroir.
00:12:16 Donc ça, je trouve que c'est déjà très intéressant
00:12:19 et même passionnant, parce que cette idée
00:12:21 de crise de l'imaginaire, vous voyez comment,
00:12:23 tout de suite, c'est déjà une idée de cinéma
00:12:25 et que ça peut être déjà perçu par des cinéastes,
00:12:28 enfin, ça peut être investi par les cinéastes
00:12:31 et ça peut, et d'ailleurs, certains l'ont fait,
00:12:34 c'est comme si Kaz Abetz avait lu le texte de Susan Sontag
00:12:37 quand il a fait "Opening Night".
00:12:40 Et l'idée, finalement, que par-dessus le corps réel,
00:12:45 objectif, venait se superposer un autre corps,
00:12:49 qui est une sorte de corps imaginaire,
00:12:52 ce que j'appelle le corps dans la tête,
00:12:55 qui remue les hantises, les injonctions,
00:12:58 les normes sociales, les complexes,
00:13:01 ce qui produit parfois une sorte de dysmorphophobie,
00:13:08 c'est-à-dire le fait de se percevoir soi-même,
00:13:13 d'avoir une perception complètement tordue
00:13:16 de notre propre corps,
00:13:19 ce qui conduit à l'anorexie, à plein de maladies.
00:13:23 Et donc, ça veut bien dire qu'en fait, il y a déjà deux corps,
00:13:26 il y a le corps réel et le corps dans la tête.
00:13:29 Et ce corps dans la tête est évidemment un sujet de cinéma absolument parfait.
00:13:39 On se demande pourquoi si peu de films délirent cette question-là
00:13:46 de la disjonction entre ce qu'on perce voit de soi-même
00:13:50 et ce qu'on est vraiment.
00:13:53 Donc, crise de l'imagination, c'est quelque chose qu'on va retrouver dans beaucoup de films.
00:13:58 Ensuite, une autre question.
00:14:01 Alors, évidemment, à quel âge est-on vieux ?
00:14:04 La société aussi répond à cette question
00:14:07 et elle a une date plutôt fixe, mais qui est plus ou moins mouvante.
00:14:11 Là, vraiment, je parle, disons, de ce qui se passe de manière subjective
00:14:17 pour une femme ou pour une actrice.
00:14:20 Et évidemment, peut-être la manière d'engager cette question,
00:14:25 la manière la plus intéressante, c'est de parler de la différence entre homme et femme,
00:14:29 où là, vraiment, on va sentir une vraie différence,
00:14:32 c'est-à-dire que selon Suzanne Sontag, par exemple,
00:14:35 les hommes sont autorisés à vieillir.
00:14:38 Et selon Simone de Beauvoir, tandis que l'homme vieillit continuellement,
00:14:42 la femme est brusquement dépouillée de sa féminité.
00:14:45 C'est encore jeune qu'elle perd la trait érotique
00:14:48 d'où elle tirait, aux yeux de la société et de ses propres yeux,
00:14:51 la justification de son existence.
00:14:54 Alors, l'idée, en fait, c'est... Beauvoir rejoint son tac sur cette idée,
00:14:58 c'est-à-dire que, finalement, ce n'est pas un continuum
00:15:01 qui a quelque chose de doux, de progressif.
00:15:04 C'est-à-dire que, quand on parle de droite, ça va être une série de saccades,
00:15:07 de crises, de chocs.
00:15:10 Et ça, c'est quelque chose... En tout cas, Sontag et Beauvoir sont d'accord
00:15:14 pour en parler comme quelque chose qui se fait
00:15:17 d'un coup, de plusieurs coups brusques,
00:15:20 et pas quelque chose qui serait à la manière des hommes.
00:15:23 Évidemment, vous pouvez avoir des...
00:15:26 C'est toujours compliqué de parler de ces questions-là,
00:15:29 parce qu'évidemment, on peut avoir des objections,
00:15:32 des ennemis. Vous pourrez me poser des questions après.
00:15:35 Et donc, forcément,
00:15:38 il y a une sorte d'urgence
00:15:41 qui naît, même si on n'est pas...
00:15:44 Même si on s'estime comme jeunes, on sait que c'est un horizon
00:15:47 qui arrive vers nous progressivement.
00:15:51 Il y a une sorte de scénario, ce que j'appelle
00:15:54 le scénario femme, avec lequel on doit
00:15:57 tout négocier, et qui est scandée par
00:16:00 plusieurs grands moments, virginité,
00:16:03 fécondité, maternité, ménopause,
00:16:06 tous ces moments-là, qui sont ensuite des moments
00:16:09 biologiques, qui ont été évidemment transformés en normes
00:16:12 et même en valeurs morales.
00:16:15 Mais on va voir que... Et moi, c'est ça qui m'intéresse beaucoup chez les actrices,
00:16:18 c'est qu'à partir de ce scénario, qui est toujours le même
00:16:21 pour toutes les actrices, on pourrait croire que c'est quelque chose d'un peu triste,
00:16:24 mais en fait, c'est beaucoup plus intéressant de se poser la question
00:16:27 de comment on négocie avec une norme,
00:16:30 une injonction ou une interdiction.
00:16:33 Donc moi, je suis beaucoup plus intéressée par les actrices,
00:16:36 que les acteurs, parce que l'interdiction produit
00:16:39 de la créativité, du génie,
00:16:42 des stratégies, et la manière dont
00:16:45 certaines ont modulé tout ce scénario
00:16:48 femme, toutes ces étapes et ces passages
00:16:51 obligés, j'ai l'impression que
00:16:54 leur génie s'appuie
00:16:57 sur ces interdictions
00:17:00 et sur ces injonctions.
00:17:03 Et surtout, évidemment, qui dit vieillesse dit
00:17:06 pour les femmes le fait que le pouvoir
00:17:09 érotique décline. Tout ça est
00:17:12 intriqué, c'est-à-dire que le pouvoir érotique
00:17:15 est synonyme de beauté, la beauté est synonyme de jeunesse,
00:17:18 la jeunesse, au final, c'est le pouvoir érotique, tout ça, c'est pareil.
00:17:21 Et donc, la vieillesse, finalement,
00:17:24 ça voudrait juste simplement dire
00:17:27 qu'on arrête d'être érotisé.
00:17:30 Et donc,
00:17:33 évidemment, pour une actrice,
00:17:36 ce pouvoir érotique qui s'en va
00:17:39 progressivement, il est
00:17:42 complètement décuplé, il est vécu beaucoup plus
00:17:45 violemment que pour une femme qui n'est pas actrice.
00:17:48 Parce que, évidemment, son métier,
00:17:51 son gagne-pain, la manière dont sa carrière,
00:17:54 tout s'appuie et se repose
00:17:57 sur ce pouvoir érotique. Et donc, moi, c'est quelque chose
00:18:00 que j'ai découvert lorsque j'ai écrit
00:18:03 ce livre, quand je me suis intéressée notamment au cas de
00:18:06 Frances McDormand, c'est que je me suis rendue
00:18:09 compte que les actrices qui n'étaient pas considérées
00:18:12 comme belles, notamment par exemple Betty Davis,
00:18:15 qui elle-même se considère, se range dans les pas belles
00:18:18 et était considérée comme telle,
00:18:21 avaient beaucoup plus de liberté
00:18:24 que les actrices, de liberté
00:18:27 et étaient beaucoup mieux loties dans leur carrière
00:18:30 que les actrices extrêmement belles. Parce qu'une actrice
00:18:33 extrêmement belle, on lui demande beaucoup plus de choses,
00:18:36 on lui exhorte beaucoup plus de choses.
00:18:39 C'est comme si, plus vous étiez belle, plus vous apparteniez
00:18:42 au public. Et surtout, on va vous
00:18:45 enfermer dans un canevas,
00:18:48 dans une histoire qui est celle, voilà,
00:18:51 canevas romantique, canevas sexuelle, ce qu'a vécu
00:18:54 Marilyn Monroe. Et on a du mal à
00:18:57 avoir, à vous inventer d'autres histoires.
00:19:00 Il y a une sorte de manque d'imagination
00:19:03 en lieu et place, pour les actrices très belles.
00:19:06 Donc ça, c'est vraiment tout ce que raconte la filmographie
00:19:09 de Marilyn Monroe. Et d'autres actrices
00:19:12 qui n'étaient pas considérées comme elles, ont dû jouer
00:19:15 sur autre chose, forcément, ont dû inventer
00:19:18 autre chose. Et les histoires aussi, les films, ont dû
00:19:21 raconter autre chose que
00:19:24 leur conférer une sorte de fonction romantique.
00:19:27 Et c'est ce qu'on voit dans la filmographie de
00:19:30 Betty Davis, qui est peut-être, qui pour moi est la plus
00:19:33 grande actrice au monde, parce qu'elle a une filmo absolument
00:19:36 éblouissante, qui précisément passe son temps
00:19:39 à ruminer la question
00:19:42 de qu'est-ce que ce serait la possibilité de vivre
00:19:45 sans un homme, de vivre sans enfant,
00:19:48 de rater sa vie, toutes ces questions-là,
00:19:51 il me semble qu'elles sont intimement liées au fait que
00:19:54 Betty Davis n'était pas considérée comme une belle
00:19:57 femme. Alors,
00:20:00 pour la différence
00:20:03 très rapide entre hommes et femmes, l'idée
00:20:06 d'un continuum du côté des hommes, l'idée
00:20:09 de saccades du côté des femmes
00:20:12 et d'une sorte de scénario avec lequel il faut déjouer,
00:20:15 les hommes, en gros, ont le temps de
00:20:18 voir venir. Et puis surtout, on sait très bien,
00:20:21 voilà, ça c'est des choses que vous savez, la différence d'âge
00:20:24 entre partenaires de jeu
00:20:27 dans les films, et très souvent maintenant, pointé du doigt
00:20:30 quand il y a 20 ans, entre un acteur
00:20:33 et sa compagne, et l'actrice qui joue sa compagne
00:20:36 dans le film, c'est des choses
00:20:39 déjà que le public ne tolère plus vraiment et qui
00:20:42 du coup sont, il me semble, vouées
00:20:45 à changer progressivement.
00:20:48 Et peut-être, alors finir cette partie sur une
00:20:51 phrase de Molly Haskell, "en un sens
00:20:54 l'actrice ne fait qu'étendre la dimension de comédienne de la femme
00:20:57 accentuant ce qu'elle est déjà". Donc quelque part
00:21:00 l'actrice, et c'est ce que dit totalement "Opening Night",
00:21:03 c'est que l'actrice finalement c'est une sorte d'hyper-femme
00:21:06 c'est-à-dire que ce que vit la femme, l'actrice le vit de manière
00:21:09 complètement décuplée. Le vieillissement c'est
00:21:12 parce que tout se fait devant la caméra ou devant les médias
00:21:15 tout est finalement
00:21:18 prend les dimensions d'un spectacle.
00:21:21 Alors, sur la différence homme-femme,
00:21:24 j'ai oublié de le passer, je vais vous passer un extrait pour vous
00:21:27 montrer qu'en tout cas il y a
00:21:30 du savoir, c'est comme ça que vont fonctionner les extraits
00:21:33 pour cette conférence, que les films produisent du savoir.
00:21:36 C'est un extrait de "All About Eve"
00:21:39 d'Yves de Joseph Mankiewicz avec Betty Davis
00:21:42 parce que j'en parlais beaucoup. Film
00:21:45 où elle joue une comédienne
00:21:48 qui est au sommet de sa gloire mais
00:21:51 qui va être progressivement
00:21:54 évincée par une rivale qui se trouve être une très grande
00:21:57 fan d'elle, Eve Harrington et
00:22:00 qui par une suite de
00:22:03 stratégie va progressivement
00:22:06 mettre, éliminer
00:22:09 Margot Channing qui joue par Betty Davis et prendre
00:22:12 sa place. Et dans
00:22:15 le film est absolument magnifique, c'est un des plus beaux films
00:22:18 sur le vieillissement, un des plus beaux films sur les actrices
00:22:21 aussi parce que Mankiewicz est un très grand réalisateur
00:22:24 d'actrices qui a beaucoup réfléchi à la question
00:22:27 de la féminité du métier d'actrice
00:22:30 il voulait d'ailleurs écrire une somme sur les grandes
00:22:33 comédiennes et actrices de l'histoire
00:22:36 et qui
00:22:39 bien sûr est un immense
00:22:42 dialoguiste qui arrive à un degré de précision
00:22:45 dans les affects qu'on a, qui
00:22:48 n'existe plus tout simplement et
00:22:51 surtout qu'il me semble que le film
00:22:54 si vous l'avez en tête, dit déjà
00:22:57 que la vieillesse est une crise
00:23:00 de l'imagination dans la manière dont Betty Davis
00:23:03 est complètement hantée par la figure de
00:23:06 cette groupie rivale et comment
00:23:09 autour d'elle tout le monde la conforte dans le fait que
00:23:12 elle est encore belle, elle est encore jeune et que la seule
00:23:15 pour qui tout ça pose problème c'est Davis
00:23:18 donc cette idée de l'autre femme, celle qui est plus jeune
00:23:21 que vous, celle qui va vous remplacer c'est quelque chose
00:23:24 qui me semble être un thème absolument magnifique au cinéma
00:23:27 et un thème extrêmement important à aborder je pense
00:23:30 pour ce qui est de la question du féminisme, la rivalité
00:23:33 entre femmes et tout se trouve là
00:23:36 déjà dans ce film de 1952
00:23:39 je crois, on regarde un extrait
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