Evelyn & Claude Askolovitch sont les invités de Léa Salamé. Mère et fils publient "Se souvenir ensemble" (Grasset), un récit où ils évoquent la déportation de la première à l'âge de 4 ans. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-mercredi-11-octobre-2023-8148273
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00:00 Et à ce matin, vous recevez une mère et son fils.
00:02 Bonjour Evelyne et bonjour Claude Ascolovitch.
00:05 Bonjour à tous les deux et merci d'être là ce matin.
00:08 Bonjour.
00:09 Si vous deviez qualifier votre relation à tous les deux en un adjectif, un seul, vous
00:14 diriez quoi Evelyne ?
00:15 Passionnelle.
00:16 Intense.
00:17 C'est elle qui a commencé.
00:19 Quelle est la principale qualité et le principal défaut de votre fils Evelyne ?
00:24 Le principal défaut d'être un peu bordélique est gentillesse et à l'écoute des autres.
00:33 Ça c'est la qualité.
00:34 Et vous Claude ?
00:35 Elle m'aime trop.
00:36 Je ne suis pas du tout à l'écoute des autres.
00:37 Ça faisait partie des bugs de notre relation.
00:39 Le principal défaut d'Evelyne c'est qu'elle arrive chez vous, elle reste au milieu du
00:43 salon, elle garde son manteau, elle ne bouge pas au milieu de la pièce mais elle dit que
00:46 ce n'est pas pour vous déranger.
00:47 Par extension, elle a été déportée à l'âge de 4 ans, elle a habité avec des cauchemars
00:53 toute sa vie mais elle ne nous en parlait pas, juste on avait le rayonnement, elle
00:56 ne voulait pas nous déranger.
00:57 Et le défaut ?
00:58 Le défaut c'est qu'elle ne veut pas déranger les gens.
01:00 Evelyne, vous êtes donc une rescapée de la Shoah.
01:02 Claude, les auditeurs d'Inter vous connaissent bien.
01:04 Votre voix résonne tous les matins dans leurs oreilles à 8h48 pour la revue de presse.
01:08 Dans ce souvenir ensemble, votre livre écrit à quatre mains et qui sort aujourd'hui
01:12 chez Grasset, vous essayez de comprendre, Claude Askelovitch, ce que votre mère a
01:17 vécu, ce qu'elle a ressenti, ce qu'elle a traversé dans les camps.
01:20 Et vous Evelyne, vous essayez de vous souvenir.
01:23 Mais est-ce seulement possible ? Ce livre est une histoire de transmission, de mémoire
01:28 impossible mais aussi un échange unique et généreux et aimant mais aussi complexe et
01:33 tourmenté entre une mère et son fils.
01:35 Claude Askelovitch, Albert Cohen disait « Tout ce que j'ai de bon, c'est à ma mère
01:39 que je le dois ». Et vous ?
01:41 Tout ce que j'ai de moins mal, je l'ai peut-être récupéré en réussissant à
01:45 parler à ma mère.
01:46 Evelyne, c'est marrant d'ailleurs, c'est maman dans l'intimité mais dans le bouquin
01:51 c'est Evelyne forcément quand je parle d'elle, a été déportée très jeune,
01:55 a décidé après, elle n'avait pas eu le choix parce qu'elle avait très peu de
01:58 souvenirs, de laisser ça derrière elle.
02:00 Mais ça dégageait un rayonnement, d'une intensité.
02:02 Ma soeur et moi savions que maman avait été déportée mais elle ne nous en parlait pas
02:06 et elle était habitée par ça.
02:07 Et un jour, après plein de tragédies familiales, quand elle n'en a plus eu le choix, elle
02:11 s'est mise à témoigner devant les enfants des écoles, non pas pour transmettre, elle
02:15 dit qu'elle veut transmettre, mais moi je sais que c'était pour se retrouver elle-même
02:19 tant elle avait oublié.
02:20 Et je l'ai vue se transformer du tout au tout et j'ai détesté cette transformation.
02:24 Pendant des années j'ai détesté ma mère en témoin et je suis allé la chercher enfin.
02:29 Voilà, pourquoi vous avez détesté votre mère en témoin et c'est ça qui est très
02:32 fort dans le livre où vous dites tous les sentiments qui vous ont traversés dans cette
02:36 transformation mais pour situer à nos auditeurs, vous êtes née Evelyne il y a 85 ans à Amsterdam,
02:42 c'est pour ça qu'on entend le très léger accent hollandais dans une famille juive,
02:47 vous avez été déportée avec vos parents et vos grands-parents dans les camps, d'abord
02:50 dans plusieurs camps en Hollande puis à Bergen-Belsen en Allemagne, vous aviez 4 ans quand les
02:55 Allemands sont venus vous chercher.
02:56 Votre histoire, vous la racontez aujourd'hui et depuis des années dans les écoles, les
03:00 collèges, les prisons, parfois plusieurs fois par semaine, mais pendant longtemps,
03:04 comme le dit Claude, vous n'avez pas parlé.
03:06 Pourquoi vous vous êtes tuée ? Était-ce par pudeur ? Et était-ce pour ne pas infliger
03:11 à vos proches, à vos enfants de la tristesse ? Ou tout simplement parce que vous vouliez
03:15 oublier et passer à autre chose ?
03:17 C'est encore pire.
03:18 C'est parce que pour moi, ce n'était pas arrivé.
03:21 Ce n'était pas moi.
03:23 Moi, je n'avais pas été une victime de guerre, c'était mes parents, on n'en
03:28 parlait pas.
03:29 Toute ma génération n'en a jamais parlé et puis un jour, c'est sorti.
03:34 Mais jusqu'à l'âge de très avancé, je n'avais aucune envie d'en parler parce
03:42 que je ne pensais pas que c'était important, ce que moi j'avais vécu.
03:46 Vous ne pensiez pas que c'était important ?
03:47 C'est Simone Veil qui m'a la première fois, c'est la première qui m'a fait
03:53 remarquer que j'avais été petite.
03:55 Simone Veil, je la voyais pour qu'elle intervienne pour les juifs de l'Union Soviétique
04:02 parce que je suis allée cinq fois en Union Soviétique.
04:04 Simone Veil était à l'époque présidente du Parlement européen.
04:08 Elle était présidente du Parlement européen.
04:10 Elle vous regarde et elle vous dit quoi ?
04:11 Elle me disait "je ne peux rien faire pour vous, le Parlement européen n'est pas
04:16 politique".
04:17 Et puis, je suis retournée chez elle et je ne sais pas pourquoi, elle m'a énervée.
04:22 J'étais avec deux personnes qui avaient de la famille dans le goulag.
04:26 Elle m'a profondément énervée avec son "je ne peux rien faire".
04:31 Je suis revenue sur mes pas et je lui ai dit "je venais de rentrer de Moscou".
04:36 Je lui ai dit "vous savez, moi j'étais à Moscou et je ne montais pas, mais je me
04:40 suis sentie comme dans un camp".
04:42 Et là, elle a levé la tête, elle a dit "vous ? Mais vous étiez toute petite".
04:49 Et là, j'ai rétro-pédalé, j'ai dit "oui, oui, j'étais dans les camps, mais
04:55 je n'étais pas comme vous à Auschwitz, je n'étais qu'à Bergen-Belsen".
04:58 Et elle a dit "mais vous étiez toute petite".
05:02 Et c'est là, pour la première fois, que j'étais toute petite en effet.
05:06 - Et elle vous a répété cette phrase à plusieurs reprises "mais vous étiez toute
05:10 petite, déjà vous étiez dans les camps".
05:13 Pourquoi est-ce que ça vous heurte ? Pourquoi est-ce que ça va vous heurter ?
05:17 Claudia Skolevich, vous dites "dans nos vies, la Shoah n'a pas joué de rôle majeur,
05:21 sauf à y penser mieux".
05:22 Alors pourquoi, à un moment, quand plus tard, quand à 50 ans, votre mère va avoir d'abord
05:27 des insomnies, puis des flashs, puis revivre cette Shoah qu'elle a vécue dans son corps
05:32 et dans sa chair, pourquoi ça va vous bloquer ? Vous dites même "ce livre que j'ai
05:36 créé avec ma mère me bloque, Evelyn elle-même en fait me bloquait, je ne supportais pas
05:40 sa transformation.
05:41 J'avais eu une mère, mes enfants une grand-mère, nous subissions désormais une survivante
05:45 professionnelle, témoin à perpétuité, elle se comportait dans sa passion mémorielle
05:49 comme si la majeure partie de son existence n'avait pas eu de sens".
05:52 Pourquoi vous avez détesté votre mère en témoin de la mémoire, comme on dit aujourd'hui ?
05:57 Par jalousie de vieux petits garçons, par sentiment de dépossession, par sentiment
06:01 aussi qu'Evelyn ne disait pas tout.
06:04 Je voyais sa souffrance, ça lui fait du bien de témoigner, mais en même temps je voyais
06:08 sa souffrance.
06:09 Evelyn a fermé, c'est le titre d'un texte qu'elle a écrit, le point de départ de
06:14 son livre, la porte de sa mémoire quand elle avait 4 ans parce que les souffrances étaient
06:17 trop dures.
06:18 Elle a quelques souvenirs dont elle faisait des cauchemars, qu'elle nous a transmis,
06:22 mais ça n'allait pas au-delà.
06:23 Je la voyais avancer devant les gosses, parler très bien, elle a une force incroyable ma
06:28 mère, c'est impressionnant.
06:29 On le voit puisqu'elle s'engueule avec Simone Veil quand même.
06:33 Il fallait le faire, s'engueuler avec Simone.
06:34 Avec moi aussi, même si c'est plus facile, on s'engueule beaucoup dans le livre et dans
06:37 la vie.
06:38 Mais je la voyais souffrir parce qu'elle témoignait sans souvenir et rebondissait
06:42 sur ce mur.
06:43 Je trouvais qu'elle ne se faisait pas du bien.
06:44 Elle avait été plein de choses, c'est une mère des qualités, des défauts.
06:49 Elle n'avait jamais été une déportée professionnelle, il y a des gens qui ont fait
06:53 profession, métier, passion de transmettre.
06:56 Elle, ce n'était pas le cas.
06:57 Et comme c'est quelqu'un d'entier, du jour au lendemain, elle bascule.
06:59 Elle ne parle plus que de ça.
07:00 Et ce qu'on avait été, une famille juive, française, de gauche, plus ou moins parfaite,
07:06 n'y était plus.
07:07 Et ça touchait certainement.
07:09 Je m'en suis rendu compte quand enfin j'ai accepté de travailler avec elle, j'ai surmonté
07:13 mes préjugés.
07:15 Elle touchait ma culpabilité.
07:16 J'ai eu deux grands-parents déportés.
07:18 J'avais ma grand-mère qui était une femme très puissante, qui avait sauvé sa famille
07:22 pendant la guerre, après avoir essayé de se suicider quand même, quand les Allemands
07:25 étaient entrés aux Pays-Bas, mais qui avait accaparé toute la mémoire.
07:28 J'avais un grand-père qui a été brisé, toute son existence après la guerre, parce
07:32 qu'il avait dû amener sa mère à lui dans un train qui l'emmenait à Solibor.
07:35 Je n'avais jamais parlé à mes grands-parents, je n'avais jamais questionné ma mère, je
07:38 n'avais jamais même questionné mon père sur ce que ça représentait d'avoir été
07:43 un petit juif français plus ou moins caché et de vivre avec une déportée.
07:46 Et brusquement, on s'est tous retrouvés confrontés à la déportation d'Evelyne
07:50 et on ne savait pas quoi en faire, moi le premier, jusqu'au moment où on a écrit.
07:53 - Evelyne, vos grands-parents sont morts dans les camps, vos parents ont pu survivre à
08:01 Bergen-Belsen et sont des rescapés, mais Claude le disait, votre père, il y a cette
08:06 scène déchirante que vous racontez où à un moment, ils mettent sa mère, donc votre
08:11 grand-mère, dans le train qui va à Solibor, c'est-à-dire là où on gazait les juifs,
08:17 et là il dit aux nazis, il dit "non, non, prenez-moi, moi, laissez ma mère".
08:21 Et c'est sa femme, votre mère, qui lui dit "stop, arrête, arrête, laisse-la partir".
08:26 - Elle, c'était plus compliqué, elle a dit à mon père "tu ne vas pas nous laisser,
08:31 Evelyne et moi, parce que le capot avait dit "vous pouvez prendre sa place, vous pouvez
08:36 même amener votre femme et votre petite-fille".
08:38 Et elle dit "tu ne peux pas".
08:41 Donc il ne le fait pas.
08:42 Mais moi, je n'ai pas assisté à la scène, mais je sais que j'ai eu un père qui n'était
08:50 pas comme il avait été avant, mais je ne le savais pas.
08:53 Mon père, je l'adorais, c'était vraiment un amour, j'ai toujours eu peur qu'il lui
08:59 arrive quelque chose, mais c'est la soeur de ma mère qui m'avait décrit l'homme
09:03 qu'il avait été avant.
09:04 - Et combien ça a duré ?
09:05 - J'ai tiré les conclusions que son cœur s'est brisé.
09:09 - Son cœur s'est brisé au moment où il ne voit pas sa mère partir.
09:12 - A tout jamais.
09:13 - A tout jamais.
09:14 A tout jamais.
09:15 Claude, la difficulté du souvenir, elle vient choquer à chaque page du livre.
09:21 Vous êtes trop petite pour vous souvenir.
09:23 Et alors parfois, vous lui en voulez à votre mère de peut-être réécrire des souvenirs.
09:28 Par exemple, le sac à dos, c'est quoi le sac à dos ?
09:30 - Le sac à dos, je le découvre totalement par hasard.
09:34 L'été dernier, l'été de l'année dernière, ma mère me dit « tu sais, quand j'étais
09:39 petite, je n'avais pas le droit d'avoir un sac à dos parce que le sac à dos, ma
09:42 grand-mère, quand elle était dans les camps, quand elle portait ma mère dans les bras
09:45 pour sortir d'un camp, elle avait failli mourir, avait un sac à dos.
09:48 Jamais de mon existence, j'avais des sacs à dos au lycée comme tout le monde, il y
09:51 avait marqué « ACDC » dessus, on ne m'avait empêché de faire des sacs à dos.
09:55 Ma mère est un bouillonnement, elle est très joyeuse, il y a des choses qui sont à l'intérieur
09:59 et brusquement ça sort.
10:00 Donc le sac à dos, c'était un tabou érigé par ma grand-mère dont je n'avais pas la
10:04 moindre idée.
10:05 Moi, quasi sexagénaire, sexagénaire maintenant.
10:07 - Et vous lui reprochez, vous lui dites « mais c'est quoi cette histoire de sac à dos ?
10:11 Tu m'as laissé avoir des sacs à dos toute ma vie ! » et vous, vous dites « non, je
10:14 ne veux plus avoir de sacs à dos ».
10:15 - Ce qui n'est pas vrai, les rabais ont des sacs à dos.
10:17 - Moi, je n'aimais pas de sacs à dos.
10:18 Que lui, il avait un sac à dos, je ne me rappelle même pas.
10:21 C'était tellement enfui, c'est en lisant que j'ai compris le pourquoi.
10:26 - Autre dispute, vous écrivez dans le livre que votre mère, Evelyne, votre grand-mère
10:32 Claude a couché avec un Allemand.
10:35 Je mets « a couché » mais vous vous contestez.
10:38 Aurait couché avec un Allemand.
10:40 - Ou un paysan hollandais.
10:41 - Ou un paysan hollandais pour avoir du lait et sauver sa famille.
10:44 Votre mère vous dit « tu n'écris pas ça dans le livre, on va penser que ma mère
10:49 est une traînée ». Et vous le mettez quand même.
10:51 - Parce qu'elle avait besoin de le dire.
10:53 Ma grand-mère… - Je ne crois pas.
10:54 - Elle ne y croit pas.
10:55 Ma grand-mère a dit ça à ma mère il y a quelques années, déjà deux vieilles
11:00 dames même si Evelyne était éternellement jeune.
11:02 Toi tu penses, maman, que ta mère faisait ça pour te culpabiliser, pour réclamer ton
11:10 amour ? - Oui, elle savait que j'avais un amour
11:15 immense pour mon père, que je ne lui donnais pas apparemment.
11:19 Et pour moi j'ai pris ça parce qu'elle me l'a dit entre la poire et le fromage,
11:26 je t'ai sauvé la vie.
11:27 Et j'ai pris ça comme une agression ou une volonté d'avoir mon amour.
11:33 Et comme elle a raconté la même histoire, mais pas pour moi, mais pour mon père à
11:38 mon frère, j'en ai déduit que… - C'était pas vrai.
11:42 Vous ne croyez pas.
11:43 - Je ne crois pas parce que j'ai vu la configuration de Furt, il n'y avait pas
11:48 des endroits où on pouvait aller coucher.
11:50 Et à Bergen-Belsen, je pense qu'elle avait envie d'avoir notre amour.
11:55 - Je pense que ce qui est important c'est qu'elle l'ait dit.
11:58 Je pense que la mémoire, ce livre n'est pas un livre sur la Shoah, c'est un livre
12:01 sur les mémoires éclatées et impossibles d'une famille.
12:05 Je pense que la mémoire fait partie aussi des choses qu'on a besoin de raconter même
12:08 si elles ne sont pas arrivées.
12:09 Ce qui est vrai c'est que ma grand-mère a voulu mourir quand les Allemands sont arrivés
12:12 aux Pays-Bas et donc Evelyne s'est sentie toute sa vie abandonnée par cette femme,
12:16 qui pourtant l'a sauvée, qui a brutalisé, a violenté son mari pour qu'il se lève,
12:20 pour qu'il monte dans un convoi de la Croix-Rouge, pour qu'ils les évacuent de Bergen-Belsen,
12:23 ils avaient des faux papiers.
12:24 Et elle avait tout, tout, tout, tout pris ma grand-mère et réclamait encore plus.
12:28 Il y avait une tragédie chez cette femme aussi.
12:30 - C'est l'abandon aussi qu'on voit et qu'on lit dans le plâtre de l'abandon
12:33 que vous avez Evelyne, que vous avez sans doute eu toute votre vie.
12:36 Cette relation qu'on entend ce matin entre vous deux, qui est complexe et belle, qui
12:41 est compliquée quand même, vous vous êtes engueulé pendant tout le livre pour le faire,
12:44 c'est votre compagne, la romancière Nelven Le Blevenec, dans un podcast que vous avez
12:48 fait cet été qui en parle le mieux.
12:50 - C'est une relation qui est très agitée.
12:55 Elle dit quelque chose, il dit non c'est faux, elle dit si c'est vrai.
13:00 Finalement, elle se lève, elle prend son manteau puisqu'elle dérange et puisqu'elle
13:04 a tort et là il lui dit mais non, assieds-toi, reste, tu ne vas pas partir comme ça.
13:09 Donc elle s'assoit et elle redit quelque chose et il dit non, elle dit si, il dit non, elle
13:15 reprend son manteau, elle va partir, il la retient, il s'aime beaucoup.
13:19 Il s'est tendu quoi, entre eux, toujours.
13:22 - Oui, il s'est tendu toujours entre eux.
13:26 Nous nous disputons.
13:27 Je me demande ce que je cherche avec ce livre.
13:28 Vous avez trouvé ce que vous cherchiez avec ce livre avec votre mère, Clodas Kolović ?
13:31 - J'ai compris ce que je ne voulais pas faire.
13:33 Je ne voulais pas écrire un livre sur la Shoah, d'abord parce qu'Evelyne n'a pas assez de
13:36 souvenirs et je ne suis pas un grand écrivain de la Shoah.
13:39 Il y a eu Kertesz, il y a eu Primo Levi, on ne vient pas après.
13:41 J'ai voulu faire comprendre à quel point, j'ai compris qu'un jour je ne pouvais pas
13:45 jouer au journaliste avec ma mère.
13:46 Qu'est-ce qui t'est arrivé ? Quand est-ce que tu en as parlé à papa ? Elle répondait
13:49 ça n'avait aucune importance, je devenais dingue.
13:51 Et quand j'ai compris qu'il fallait dans ce livre organiser nos paroles, à elle et
13:55 moi, mais aussi une lettre qu'avait écrite mon grand-père au sortir des camps, mais
13:58 aussi la mémoire de mon père et tout ce qui a été fracassé par ces choses impossibles
14:02 à raconter, alors c'est devenu un livre et Evelyne qui l'a co-écrit y a souscrit.
14:06 J'ai compris cela, que tous nos discours et tous nos trous, tous nos oublis se valent
14:11 et fabriquent une famille.
14:12 Evelyne, moi je veux également qu'on sache comment la Hollande s'est comportée.
14:17 J'ai presque une mission, qu'il faut qu'on sache que la Hollande a accepté que trois
14:22 quarts de sa population ne sont pas revenus, ont été assassinés, personne ne le sait
14:27 et que la Hollande continue, les Pays-Bas continuent de cacher ces pages noires et n'en
14:33 parlent pas.
14:34 Et ça je veux qu'on le sache.
14:35 Vous l'écrivez dans le livre et vous dites qu'aujourd'hui vous détestez votre pays
14:38 d'enfance, vous détestez la Hollande.
14:41 Alors qu'elle nous a élevés dans l'amour absolu de la Hollande.
14:44 Ça, ça faisait partie des choses que je ne comprenais pas.
14:47 C'est ça, la mémoire qui revient.
14:48 On a été élevés aux harangs dans les petits pains.
14:50 Et là, je veux, c'est presque une mission, je veux qu'on sache que la Hollande s'est
14:55 comportée comme la Pologne et qu'elle a assassiné ses Juifs.
14:59 Evelyne, vous vous racontez dans ce livre avec votre fils, vous, Claudia Skolevitz,
15:03 vous avez déjà écrit sur vous-même, sur votre première femme décédée, sur votre
15:07 compagne actuelle.
15:08 Votre fils raconte son manque de mère dans un spectacle sur scène.
15:10 Votre compagne se raconte aussi dans ses livres.
15:12 Il y a une question qui me turlupine depuis des années, Claude Skolevitz.
15:15 Y a-t-il une petite névrose exhibitionniste dans la famille Skolevitz ?
15:19 Ou alors il y a au contraire une volonté de mettre à distance son écrivant.
15:23 On s'engueule beaucoup avec Evelyne mais on s'engueule moins.
15:27 Il répond à une question par une autre question.
15:28 Ou nos gzonguelades sont de meilleure qualité depuis qu'on a écrit.
15:31 Pourquoi pas ?
15:32 Question de fin, vous terminez très rapidement.
15:35 Claude et Evelyne, votre réseau social préféré ?
15:38 Facebook, vous.
15:39 Facebook.
15:40 Et vous ?
15:41 Facebook, une extension de ma mère.
15:44 Et Twitter, maintenant X, et mon cauchemar est la plus mauvaise part de moi.
15:48 Parfois c'est moins mal.
15:49 Claude Skolevitz, La promesse de l'aube de Gary ou le livre de ma mère d'Albert
15:53 Cohen ?
15:54 Le livre de ma mère.
15:55 Ashkenaz ou Sepharad ?
15:56 Ashkenaz, de culture Sepharad.
15:58 Ils sont plus rigolos.
16:00 Vous allez toujours tous les deux chez votre psy ?
16:02 Non, moi pas du tout.
16:04 Moi non plus, ma psy est devenue ma meilleure amie.
16:06 Elle m'a dit "fous la paix à ta mère, elle n'a pas besoin de faire ce livre avec
16:09 toi".
16:10 Je ne t'ai pas écoutée Catherine.
16:11 Et vous Evelyne, vous avez fait votre psychanalyse dans ce livre-là ?
16:13 Vous n'avez plus besoin ?
16:14 Oui, en quelque sorte.
16:16 Merci en tout cas à tous les deux pour ce livre très beau, très touchant.
16:22 Se souvenir ensemble parce que c'est difficile de se souvenir en général et encore plus
16:26 ensemble.
16:27 et Claude Askelovitch, une mère et son fils.
16:29 Sèchez, grassez, belle journée à vous !