L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 11 Septembre 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
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00:00 « Les Matins de France Culture, Guillaume Erner »
00:06 Jeudi dernier, le Conseil d'Etat a validé l'interdiction du port de la baïa à l'école
00:10 après avoir été saisie en urgence par l'association Action Droit des Musulmans.
00:15 Cette décision s'inscrit dans une longue liste de litiges que l'institution a tranchées
00:20 cette année, comme la dissolution des soulèvements de la terre, l'utilisation de drones par
00:24 les autorités dans le cadre du maintien de l'ordre d'une rentrée.
00:27 Mouvementée alors que la haute juridiction présentait ce même jeudi devant le gouvernement
00:31 un autre dansier sensible, cette fois sur l'état peu rassurant des services publics
00:37 en France.
00:38 Bonjour Didier Tabuteau.
00:39 Bonjour Guillaume Erner.
00:40 Vous êtes le vice-président du Conseil d'Etat.
00:43 Il faut tout d'abord nous dire pourquoi le Conseil d'Etat est présidé par un vice-président.
00:49 C'est une tradition, c'est le fruit de l'histoire.
00:53 Le code de justice administrative précise que c'est bien le vice-président qui préside
00:57 le Conseil d'Etat.
00:58 Mais historiquement, l'Assemblée Générale du Conseil d'Etat, qui examine les projets
01:04 de loi, certains projets de décret, donc les textes importants, a pu être présidée
01:10 autrefois par l'empereur ou le garde des Sceaux.
01:13 Et donc c'est le Premier ministre aujourd'hui qui a cette responsabilité qui ne se produit
01:21 que très rarement, une fois tous les 3-4 ans, lorsqu'il installe le nouveau vice-président.
01:26 Mais ça reste là.
01:27 Et le fonctionnement de l'institution, pour être très précis, c'est bien le fonctionnement
01:31 d'une institution qui est une juridiction suprême de l'ordre administratif et qui
01:35 est présidée par le vice-président.
01:37 Et le titre donc est resté.
01:39 Oui, c'est une juridiction suprême.
01:41 C'est l'une des institutions les plus importantes de la République, peut-être d'ailleurs
01:44 l'une des plus méconnues si vous deviez justement expliquer le rôle du Conseil d'Etat,
01:49 Didier Tabuteau.
01:50 Alors, le rôle du Conseil d'Etat.
01:52 Il y a deux missions constitutionnelles qui sont des missions éminentes évidemment,
01:57 qui sont le cœur de notre activité.
01:59 Et puis deux missions qui viennent compléter ce travail puisque la particularité de l'institution,
02:07 c'est vraiment d'avoir une approche à 360 degrés sur les politiques publiques.
02:12 Et c'est très important et on aura sans doute l'occasion d'y revenir.
02:14 Alors, les deux missions constitutionnelles.
02:16 La première, c'est évidemment celle que j'évoquais très rapidement en disant,
02:20 c'est le juge suprême, c'est l'équivalent pour l'ordre administratif de la Cour de
02:25 Cassation pour l'ordre judiciaire.
02:27 C'est-à-dire que quand on a un conflit avec l'administration, un permis de construire,
02:31 un refus de manifestation, etc.
02:37 On va devant le tribunal administratif le plus souvent, en appel devant une cour administrative
02:41 d'appel et puis on peut venir en cassation dans le Conseil d'Etat.
02:45 Mais pour les décisions de l'État les plus importantes, c'est le Conseil d'État
02:50 qui est saisi directement.
02:51 Donc on peut avoir des recours, comme on dit, en premier et dernier ressort.
02:56 D'où la question par exemple de la baïa qui a été portée devant votre juridiction.
02:59 Donc ça, c'est la mission de juge qui est la mission fondamentale.
03:04 C'est les trois quarts de l'activité du Conseil d'État.
03:06 La deuxième mission constitutionnelle, c'est le fait d'aider le gouvernement de façon
03:12 totalement indépendante, j'y insiste, dans l'élaboration de ces réformes, c'est-à-dire
03:18 dans des projets de loi ou des projets d'ordonnances, il y en a beaucoup, ou des projets de décret.
03:22 Et c'est presque 1000 textes par an, dans lesquels nous travaillons pour essayer d'avoir
03:29 la meilleure formule possible dans le texte qui est proposé.
03:32 Ça c'est les deux missions constitutionnelles, elles sont évidemment au cœur de l'institution.
03:35 Et puis il y a deux autres missions, l'une que j'évoque rapidement mais qui est très
03:39 très importante, c'est la gestion de la juridiction administrative, des 42 tribunaux
03:44 administratifs, des 9 cours administratifs d'appel, de la Cour nationale du droit d'asile,
03:47 donc la gestion de l'organisation, du bon fonctionnement.
03:50 Et puis l'autre, c'est celle à laquelle vous faites référence quand vous parlez
03:53 de notre étude annuelle que l'on a présentée la semaine dernière, c'est une mission de
04:00 prospective sur le fonctionnement de l'État, des pouvoirs publics, donc on fait des propositions,
04:06 on analyse certaines politiques et c'est dans ce cadre qu'on a fait cette étude.
04:09 Didier, t'as plutôt justement la question de l'indépendance parce qu'on voit bien
04:12 que les dossiers que vous traitez sont des dossiers éminemment politiques, la Baïa,
04:16 elle a été au cœur du débat politique français, elle l'est toujours d'ailleurs,
04:21 la décision du gouvernement de dissoudre l'association de soulèvement de la terre qui a été retoquée,
04:27 je le dis avec mes mots, par votre institution.
04:30 Deux cas assez exemplaires d'une décision que vous avez prise, qui est, je dis vous
04:35 collectivement, qui est assez emblématique de la manière dont le Conseil d'État pèse
04:41 sur la politique du pays.
04:42 Alors comment garantir l'indépendance ? Vous vous êtes nommé, est-ce que le gouvernement
04:47 peut décider par exemple de révoquer votre manga d'art ? Comment les choses se passent-elles ?
04:52 Absolument pas.
04:53 On est dans une situation de garantie totale d'indépendance, notre avancement est à
04:57 l'ancienneté, une fois qu'on est nommé on ne peut plus nous demander quoi que ce
05:03 soit, donc c'est vraiment un statut qui est indispensable pour protéger notre indépendance
05:07 dans les fonctions juridictionnelles.
05:08 Je dirais que ça va de soi, c'est la base, le juge est par construction indépendant
05:14 et notre statut nous protège, on doit garantir l'impartialité parce que c'est quand même
05:20 le juge qui va, quelle que soit la juridiction, qui va dire le droit.
05:24 Et quand même c'est une fonction absolument majeure dans une démocratie et dans un état
05:30 de droit.
05:31 Mais il y a également l'indépendance quand on donne un avis au gouvernement ou quand
05:35 on rédige une étude, on le fait avec la même indépendance.
05:38 C'est-à-dire que ce sont les membres du conseil d'état qui réfléchissent collectivement
05:42 parce que tout ce que nous faisons est collectif, collégial, on parle de collégialité parce
05:46 qu'elle est vraiment très très forte dans l'institution et c'est cette collégialité
05:50 qui est également une garantie de l'indépendance, ce n'est pas quelqu'un qui a une position
05:54 ou une autre.
05:55 Mais il y a quand même le surmoi du pays si j'ose dire, lorsque vous prenez une décision
05:59 par exemple sur l'Abaya ou lorsque vous considérez que le soulèvement de la terre ne peut pas
06:06 être dissous, il y a une sorte d'atmosphère qu'on ressent, il y a parfois des sondages,
06:10 bref, vous avez un certain nombre d'idées sur la manière dont la population française
06:15 pense, comment cela se fait-il que cela ne pèse pas sur vous ?
06:18 Il y a plusieurs choses.
06:20 L'indépendance, si on veut revenir à cette notion qui est à la fois fondamentale et
06:24 délicate, c'est l'indépendance évidemment par rapport au pouvoir public, par rapport
06:28 au lobby, ça, ça va de soi.
06:30 C'est l'indépendance également par rapport aux effets de mode, ou à la pression publique,
06:37 sociale qui peut s'exercer.
06:38 C'est également l'indépendance par rapport à ses propres convictions.
06:40 Nous devons nous détacher de nos...
06:42 On a tous une perception, mais on doit s'en détacher pour faire notre travail de la façon
06:48 la plus impartiale possible.
06:50 Alors, quel est le fil conducteur ?
06:51 Le fil conducteur, il est très simple, c'est la loi, c'est l'application de la règle.
06:56 Notre métier, ce n'est pas d'émettre une opinion, c'est de dire comment le droit doit
07:01 s'appliquer, c'est-à-dire quelle est l'interprétation de la loi au vu de ce qu'a voulu, soit le
07:07 Parlement si c'est la loi, soit le gouvernement si c'est un décret.
07:08 Et c'est ça qui est le fil conducteur majeur et que, collégialement, on essaie de déterminer.
07:12 Ça, c'est très clair.
07:13 Mais aussi bien on peut dire que la loi est effectivement claire et univoque, disons,
07:20 pour faire vite, dit Didier Tabuteau, mais ce que l'on remarque, c'est que par exemple
07:23 la baïa ne l'est pas et donc la question qu'on se pose, c'est finalement comment
07:28 statuer sur un vêtement dont on peut dire qu'il est religieux ou pas, politique ou
07:33 pas, qu'il relève de la mode ou pas, bref.
07:35 Comment avez-vous fait ? Comment le Conseil d'État a-t-il fait pour statuer sur la baïa ?
07:39 Alors, je ne participais pas à la formation de jugement, ce sont les juges qui ont décidé,
07:44 qui étaient réunis, ce qui est bien normal.
07:46 Non, la logique de notre fonctionnement, c'est que les partis qui viennent devant le juge,
07:53 que ce soit pour demander l'annulation d'une décision ou pour au contraire la défendre,
07:59 apportent tous les éléments qu'ils veulent mettre dans la balance.
08:03 Et c'est le juge qui apprécie, au vu des éléments des partis, quelle est la décision
08:09 à prendre.
08:10 Et évidemment, il faut à un moment interpréter la loi.
08:14 Et là, pour l'interpréter, on regarde ce qu'a voulu faire, parce que souvent c'est
08:17 très explicite, celui qui, le Parlement qui a voté la loi ou le gouvernement qui a pris
08:22 le décret.
08:23 Et ensuite, on a une appréciation qui est celle du juge, parce que le juge doit trancher,
08:27 par exemple, dans ce qui concerne la baïa, la question de la logique d'affirmation religieuse,
08:33 qui était l'enjeu du débat.
08:36 Le juge a tranché dans le sens que vous donnez.
08:38 Et voilà, c'est une appréciation qui se fait au vu de ce qui est présenté devant
08:43 lui.
08:44 - Justement, sur quelle base prendre une telle décision, sachant que, comme vous l'avez
08:49 dit pour le juge, ce vêtement s'inscrit dans une logique d'affirmation religieuse,
08:56 ce que ni à tort, à raison, chacun tranchera.
08:59 Mais vous, vous avez dû trancher, justement, Didier Tabuteau.
09:02 Est-ce que ni certaines personnes qui portent la baïa, le camis ? Alors, comment faire ?
09:08 - C'est ce que les juges ont apprécié.
09:09 Je ne peux pas aller plus loin.
09:10 Je ne commande pas la décision de justice.
09:12 Elle a été rendue, elle exprime ce que vous avez dit.
09:14 C'est ce que les juges ont décidé en termes d'interprétation du texte au vu des éléments
09:19 qui étaient apportés.
09:20 - Mais alors, là aussi, parce que je sais bien que vous ne voudrez pas commenter la
09:26 décision.
09:27 En revanche, j'ai bon espoir de vous faire commenter la méthode.
09:29 Votre institution avait été saisie par le collectif des hijabeuses, disons, dans une
09:36 question qui est voisine, puisqu'il s'agit là aussi de savoir s'il y a un vêtement
09:40 à une signification religieuse et peut être porté dans un contexte.
09:43 Vous faites la grimace, les termes que j'emploie.
09:45 - Non, non, du tout.
09:46 Simplement, là, l'enjeu, c'était un petit peu est-ce que le règlement de la fédération
09:49 était protecteur de l'ordre public, permettait de garantir que les manifestations, les matchs
09:57 passent dans de bonnes conditions.
09:58 Et c'est ce qu'a apprécié le Conseil.
09:59 - Voilà, parce que, en fait, dans ces décisions, s'il y a un point commun entre ces différentes
10:04 décisions, c'est que vous heurtez à un texte qui est, disons, clair et la subjectivité
10:10 des acteurs qui revendiquent parce qu'ils y croient ou parce qu'ils ont une stratégie,
10:16 disons, qui dénie, par exemple, la signification religieuse d'un vêtement.
10:21 Bref, vous devez trancher entre un discours et une règle.
10:26 - Oui, mais n'oubliez pas, vous parlez de la méthode, que le juge prend en compte les
10:30 éléments qui sont apportés, donc les éléments de fait.
10:33 Voilà comment ça se passe, voilà comment c'est repris, voilà comment c'est interprété,
10:37 voilà les différentes thèses en présence.
10:38 Et c'est au vu de l'ensemble de ces éléments qui sont portés à sa connaissance qu'il
10:42 peut trancher.
10:43 Ça, c'est vraiment le...
10:44 Il faut bien comprendre que ce travail, ce n'est pas quelque chose qui sort du chapeau
10:47 du juge, c'est ce qui vient de la société à travers les partis qui présentent les
10:52 arguments devant lui.
10:53 - Mais lorsqu'il y a une telle pression sociale, de part et d'autre d'ailleurs, comment fait-on
10:57 pour s'en abstraire ? Comment fait-on pour considérer, par exemple, la question du trouble
11:03 à l'ordre public ? Parce que même pour une question comme les abayas, avant que la loi
11:07 ne soit prise, il y avait beaucoup de commentateurs qui expliquaient que si cette décision était
11:14 prise, elle allait provoquer un certain nombre de réactions importantes en France.
11:18 Didier Tabuteau.
11:19 - Après, il y a une décision qui est prise.
11:21 Le juge est amené à apprécier la façon dont les éléments, au moment où ils statuent,
11:28 pas un an avant et évidemment pas un an après, sont suffisamment convaincants pour qu'ils
11:35 puissent prendre cette décision.
11:36 - C'est difficile de s'abstraire du pays, de s'abstraire de ce que l'on entend ?
11:41 - Je crois qu'on ne s'abstrait pas du pays.
11:43 C'est là où je ne vous suis pas.
11:45 Les arguments qui sont présentés devant le juge sont les arguments qui sont l'expression
11:50 des différentes sensibilités, des différentes opinions, des différentes visions des choses.
11:55 Et le juge, simplement parce que c'est son métier, doit trancher.
11:57 La première chose qu'on apprend quand on rentre au Conseil d'État, c'est qu'on ne
12:02 peut pas s'abstenir dans un délibéré.
12:04 On doit se prononcer.
12:06 Parce que le juge, sa mission, c'est de rendre une décision.
12:09 Et cette décision, pourquoi est-elle fondamentale ? Parce que quand il y a un doute, quand il
12:14 y a un conflit entre des partis dans une société, il faut que la règle de droit s'applique.
12:18 La règle de droit, ce n'est pas une contrainte.
12:20 C'est elle qui détermine la protection des libertés et c'est elle qui garantit
12:25 la paix entre les personnes.
12:27 Et donc, se prononcer, décider, même quand vous le dites.
12:30 Les éléments ne sont pas simples.
12:32 On prend l'ensemble, on prend la distance, mais on n'est pas du tout en retrait de la
12:38 société.
12:39 Au contraire, on est en prise directe avec la société.
12:41 On la connaît du mieux possible et on essaie de la connaître du mieux possible.
12:43 C'est ça le rôle du juge.
12:45 Didier Tabuteau, vous êtes vice-président du Conseil d'État.
12:48 Dans une vingtaine de minutes, on se retrouvera pour évoquer les propositions que vous avez
12:51 faites pour ce que vous appelez le dernier kilomètre de l'action publique, donc dans
12:56 un autre rôle du Conseil d'État.
12:58 Voir l'efficacité des politiques publiques.
13:02 7h55 sur France Culture et nous retrouvons nos grandes voix avec aujourd'hui l'économiste
13:07 Esther Duflo.
13:08 6h39, les matins de France Culture.
13:15 Guillaume Erner.
13:16 Vous parlez des prix Nobel d'économie et vous l'entendez chaque lundi dans les
13:19 matins.
13:20 Bonjour Esther Duflo.
13:21 Aujourd'hui, vous vouliez nous proposer une nouvelle perspective sur l'inflation.
13:25 Bonjour Guillaume Erner.
13:27 Effectivement, on entend beaucoup parler d'inflation en ce moment, mais si on parle beaucoup de
13:31 prix, le dernier chiffre est que les prix ont augmenté de 4,8% en août sur une base
13:35 annuelle, on parle un peu moins de salaire.
13:38 Or, les salaires montent également, même s'ils montent un peu moins que les prix.
13:42 Donc, le pouvoir d'achat baisse, mais pas moins que l'inflation.
13:45 Entre le premier trimestre 2022 et le premier trimestre 2023, les salaires réels, c'est-à-dire
13:50 les salaires corrigés par l'inflation, ont baissé de 1,8% en moyenne.
13:54 Et du fait de l'indexation du SMIC sur l'inflation, les salaires les plus bas ont
13:58 plutôt mieux résisté.
13:59 Sans vouloir minimiser cette baisse du pouvoir d'achat en France, elle est donc moins catastrophique
14:05 que la représentation qu'en font certains médias.
14:07 Pourtant, d'après les enquêtes de consommateurs de l'INSEE, près de la moitié des Français
14:11 ont changé leurs habitudes de consommation alimentaire pour s'adapter à l'inflation.
14:15 Soit en consommant moins, soit en diversifiant les magasins où ils font leurs courses, soit
14:20 en achetant des produits différents.
14:21 Les Français prennent donc l'inflation très au sérieux, peut-être même trop au sérieux
14:25 pour beaucoup d'entre eux.
14:26 D'où vient ce décalage et ce terre du flot entre la perception d'une chute importante
14:31 du niveau de vie et la réalité qui, si je vous suis, est plus modérée ?
14:35 Nos perceptions sont sans doute biaisées par le fait que les prix alimentaires, qui
14:39 sont particulièrement visibles par tous ceux qui font leurs courses, ont augmenté plus
14:42 que l'indice total d'inflation.
14:44 L'INSEE prévoit une inflation moyenne de 11% pour 2023 pour les prix alimentaires.
14:49 Elles le sont aussi par le fait que les hausses de salaire sont moins apparentes que les hausses
14:52 des prix.
14:53 Et finalement, bien sûr, il y a tous ceux dont les revenus sont fixes ou mal indexés
14:57 sur l'inflation, ou ceux qui n'ont pas de revenus du tout, comme les étudiants en
15:00 bourse par exemple.
15:01 Pour ces personnes-là, l'inflation peut avoir un effet beaucoup plus grave.
15:04 Bien sûr, tout ceci est encore vu de la perspective d'une Française ou d'un Français.
15:10 Oui, nous débattons surtout des effets de l'inflation sur la population française
15:13 ou au mieux européenne.
15:14 Et c'est bien naturel.
15:16 Mais il est bon de se rappeler que la lutte contre l'inflation dans les pays riches
15:20 a des effets pervers très sévères dans les pays pauvres.
15:22 Et ceci est parce que l'outil dont se servent la Banque Centrale Européenne et son homologue
15:27 aux Etats-Unis, la Fed, pour lutter contre l'inflation, est la hausse des taux d'intérêt.
15:31 En augmentant les taux d'intérêt, elles visent à réduire l'activité économique
15:35 dans leur zone pour faire baisser la demande et donc les prix.
15:37 Mais si elles essaient de trouver un point d'équilibre entre inflation et chômage
15:41 dans leur pays, elles ne prennent absolument pas en compte l'effet de ces hausses des
15:45 taux d'intérêt sur le reste du monde.
15:47 Or, quand les taux d'intérêt et le cours du dollar augmentent, cela devient de plus
15:52 en plus cher pour les pays pauvres de rembourser leurs dettes.
15:54 Le résultat est qu'aujourd'hui, 39 pays à bas revenu, soit 60% des pays pauvres,
16:00 sont soit dans une situation où ils ne peuvent plus rembourser, soit très proche de cette
16:05 situation.
16:06 Or, les crises d'endettement ont des effets dramatiques sur les populations que les gouvernements
16:10 ne peuvent plus aider et conduisent parfois aussi à des crises politiques comme celle
16:14 qu'a connue le Sri Lanka.
16:16 Et même quand les pays peuvent encore rembourser, le service de la dette pèse énormément
16:20 sur leur budget, ce qui les force à couper radicalement leur budget pour la santé, l'éducation,
16:24 les dépenses sociales, etc.
16:26 En 2010, en moyenne, les pays africains dépensaient 70% de plus pour la santé de leur population
16:32 que pour rembourser la dette.
16:33 Et aujourd'hui, c'est le contraire.
16:35 Ils dépensent 30% de plus pour rembourser leur dette que pour la santé.
16:39 Ces coupes pourraient remettre en cause les progrès considérables que ces pays ont réalisés
16:43 dans la lutte contre la pauvreté depuis 30 ans.
16:45 Et ce n'est pas de leur faute.
16:47 Ne l'oublions pas à l'heure des négociations.
16:50 Esther Duflo, prix Nobel d'économie, nous vous retrouvons tous les lundis dans les matins
16:56 de France Culture.
16:57 Dans quelques instants, nous retrouverons notre invité Didier Tabuteau.
17:01 Il est vice-président du Conseil d'État, une institution excessivement importante pour
17:07 notre démocratie.
17:08 Il s'exprime peu et il reviendra sur les propositions formulées par le Conseil d'État
17:15 sur ce qu'il appelle le dernier kilomètre de l'action publique avec des choses très
17:18 concrètes sur la manière dont une piscine peut être ouverte, sur la manière dont on
17:25 doit rédiger un contrat de cession d'un véhicule.
17:28 Nous verrons tout cela avec lui.
17:29 En attendant, il est 8h sur France Culture.
17:31 8h21, nous sommes avec vous Didier Tabuteau.
17:41 Vous êtes vice-président du Conseil d'État, lequel a publié une étude consacrée aux
17:47 12 propositions pour réussir le dernier kilomètre de l'action publique.
17:51 Mais auparavant, expliquez-nous pourquoi le Conseil d'État s'intéresse à l'action
17:56 publique ?
17:57 Je dirais que l'action publique, c'est le cœur de la mission du Conseil d'État.
18:02 Que ce soit dans nos fonctions de juge qu'on évoquait précédemment, que ce soit dans
18:06 les fonctions d'accompagnement des projets de loi ou des projets de décret, notre rôle
18:11 c'est d'essayer d'apprécier, bien sûr si c'est conforme à la Constitution, si c'est
18:16 égal, mais également si c'est efficace, si c'est efficient, si l'action publique
18:21 atteindra ses destinataires.
18:23 Ça on le fait au quotidien quand on examine un texte.
18:25 Ce qu'on a voulu faire à travers l'étude, c'est faire une espèce de revue, d'inventorier
18:30 à 360 degrés les politiques publiques, sans les examiner toutes parce que c'était une
18:35 mission impossible, mais en regardant ce qui marchait et ce qui ne marchait pas concrètement.
18:39 Alors ça veut dire quoi le dernier kilomètre de l'action publique ?
18:41 Le dernier kilomètre c'est un clin d'œil à la logistique.
18:45 C'est une image qui a été souvent reprise au cours des dernières années et d'ailleurs
18:48 elle a été reprise parce que pendant la crise sanitaire que nous avons connue, l'épidémie
18:55 de Covid-19, la question de l'efficacité, de l'arrivée dans chacun des lieux où le
19:02 service public est délivré, dans chacune des actions, était évidemment encore plus
19:05 cruciale que ce n'est le cas d'habitude.
19:07 Et donc l'idée de ce dernier kilomètre, est-ce qu'on livre le colis pour la logistique,
19:12 est-ce qu'on livre le colis au bon moment, à la bonne personne, à la bonne adresse ?
19:16 Ce qu'on a voulu voir, c'est si quand on décide une action publique, une politique
19:20 publique, est-ce qu'on atteint au bon moment les bonnes personnes et de façon satisfaisante.
19:25 Mais alors, ça va jusque dans des détails qui sont assez précis, puisqu'on a évoqué
19:30 tout à l'heure les grands principes de la République, mais là, dans ce rapport,
19:35 dans vos propositions, on trouve des exemples qui sont extrêmement concrets, j'en prends
19:41 celui du formulaire de cession de véhicules entre particuliers, puisque ce formulaire,
19:46 il est valide sur 15 jours, il faut donc lorsqu'on cède son véhicule, enregistrer cela dans
19:54 ce laps de temps, mais dans l'intervalle, il peut y avoir des amendes, et ces amendes,
19:59 et bien semble-t-il, comme on ne sait pas trop à qui les imputer, puisque c'est dans
20:02 la période intercalaire, elles donnent lieu à de nombreux contentieux.
20:06 Alors c'est ça votre rôle aussi ? Savoir par exemple comment lorsqu'un véhicule est
20:11 cédé entre deux particuliers, on peut faire en sorte que les amendes soient attribuées
20:15 à leur hauteur ?
20:16 Oui, le rôle de l'action publique, c'est de répondre aux besoins de la vie en société.
20:23 C'est de l'organiser.
20:24 La règle, elle est là pour ça.
20:25 Alors si on fait une réglementation qui est tellement compliquée, ou qui est tellement
20:31 distante des réalités concrètes que vivent chacun, et bien dans ce cas-là, on n'atteint
20:37 pas l'objectif.
20:38 Et nous, notre rôle, c'est de faire en sorte que, dans toute la mesure du possible,
20:42 et compte tenu des choix qui sont faits par les pouvoirs publics, et sur lesquels nous
20:45 n'avons pas évidemment à nous prononcer, des choix qui résultent d'autorités, qui
20:52 ont des fonctions législatives, ou qui ont des fonctions gouvernementales, à l'issue
20:57 d'un processus démocratique fondé sur des élections.
20:59 Donc ça, les choix, c'est pas notre sujet.
21:01 En revanche, voir si quand on a fait un choix, quand on veut atteindre telle personne, quand
21:06 on veut apporter tel service, est-ce qu'effectivement on l'atteint, et est-ce qu'on l'atteint
21:10 bien et dans de bonnes conditions, ça c'est notre mission, parce que le Conseil d'État,
21:14 fondamentalement, est au service des citoyens.
21:16 D'ailleurs, nos décisions de justice, elles sont au nom du peuple français.
21:19 Donc se prononcer sur la réalité de la vie quotidienne, à travers les différentes politiques
21:26 publiques qu'on a pu examiner, c'est notre rôle, et on s'est même attaché à le faire
21:29 de façon très concrète, en allant sur place, en allant sur le terrain, en testant les formulaires,
21:33 en testant les appels téléphoniques, par exemple pour obtenir des titres d'identité,
21:37 etc.
21:38 C'est-à-dire être dans le véritable dernier kilomètre, le dernier mètre de l'action
21:42 publique.
21:43 Oui, on peut même parler, alors, dernier kilomètre, je ne sais pas, mais là aussi,
21:47 chose étonnante, on découvre dans ce rapport que vous êtes penché sur la question de
21:51 la nouvelle piscine de Béthune-Bruay-Artois, tout simplement parce que l'idée, c'est
21:57 de la localiser dans un lieu où elle serait à équidistance de la plupart des habitants
22:04 donc qui sont censés aller dans cette piscine.
22:07 C'est une idée frappée au coin du bon sens, mais là aussi, en quoi le Conseil d'État
22:12 peut-il s'intéresser à la localisation d'une piscine ?
22:15 Parce que c'est notre réflexion, c'est de regarder à travers de nombreux exemples,
22:21 il y a 26 encadrés qui essaient de prendre des exemples, avec des exemples qui fonctionnent
22:26 bien et des exemples qui fonctionnent mal.
22:28 On n'a pas cherché ce qui ne fonctionnait mal, on a regardé comment ça fonctionnait
22:32 en général.
22:33 Et pourquoi le faire ? Parce que nous, notre rôle, c'est d'essayer d'aider à ce
22:37 que l'action publique soit meilleure.
22:39 Et donc, on a essayé de voir dans chacun des exemples, y compris dans la localisation
22:44 d'une piscine, comment fonctionnait.
22:45 Et qu'est-ce qu'on voit ? On voit que si on prend en compte, si on prend le temps
22:49 d'écouter les gens, les acteurs de terrain, les associations, les collectivités territoriales,
22:55 les syndicats, quand on se pose la question de savoir comment organiser une action publique,
23:01 on s'aperçoit que ça marche beaucoup mieux.
23:02 Et que par ailleurs, il y a plein d'initiatives dans notre société qui peuvent être reprises,
23:07 qui peuvent être accompagnées, qui peuvent être développées par les pouvoirs publics.
23:10 C'est ça la méthode que l'on veut essayer de faire prévaloir.
23:15 - Jean-Libari ?
23:16 - Guillaume, il fait référence à l'instant, la disparition, le départ parfois, l'affaissement
23:22 des services publics, c'est devenu un sujet politique majeur, vraiment majeur.
23:25 Je citais tout à l'heure Marine Le Pen qui en fait un thème très important pour le
23:29 Rassemblement National, mais c'est vrai ailleurs également.
23:31 Faites-vous globalement, dans le dernier kilomètre, pour reprendre ce terme logistique, un constat
23:37 aussi sombre aujourd'hui ?
23:38 - Alors, moi je me place sur un terrain exclusivement administratif.
23:42 Je regarde et qu'est-ce que l'on voit ? On voit des actions publiques qui réussissent,
23:47 des actions publiques qui n'atteignent pas leurs objectifs.
23:50 Et c'est pas un constat global, on donne pas un label général.
23:54 Quand vous prenez une réforme, beaucoup de gens connaissent, la retenue à la source
23:58 de l'impôt sur le revenu, c'est intéressant.
24:00 C'est une réforme extraordinairement complexe, qui touche beaucoup de monde, qui suppose
24:05 de prendre en compte un très grand nombre de situations.
24:09 Qu'est-ce qui a été fait ? Ça a été organisé, ça a pris plusieurs années, on
24:13 a écouté, on a testé, et il y a même eu à la fin une décision de reporter d'un
24:17 an la mise en oeuvre parce qu'il y avait quelques ajustements à faire.
24:20 Le résultat, c'est que c'est une réforme qui a marché.
24:23 - C'est réussi ça pour vous ?
24:24 - Qui a simplifié la vie de beaucoup de gens.
24:26 Il reste sans doute des situations moins faciles, mais enfin, dans l'ensemble, ça a marché.
24:31 Si vous prenez en revanche la numérisation d'un certain nombre de démarches, on s'aperçoit
24:36 que là, l'administration a développé la numérisation, et c'est une bonne chose.
24:41 - Le fameux site ANTS.
24:42 - Oui, il y en a d'autres.
24:44 Mais a développé ces procédures qui sont très commodes pour une immense majorité
24:49 de la population, qui permet de ne pas faire deux heures à la queue devant un nichet.
24:53 - Qui pour d'autres, demande une dizaine d'années de formation pour pouvoir l'exprimer.
24:55 - J'y viens.
24:56 Mais pour beaucoup de gens, ça permet de faire la démarche à 10h du soir chez soi,
25:00 dans son ordinateur, si on maîtrise à peu près correctement l'outil, etc.
25:03 Non mais en pratique, on le voit.
25:04 Et puis, il y a une part de la population qui est en situation, comme le dit la défenseur
25:10 des droits, d'électronisme, en tout cas qui a du mal à accéder à ces outils, ou
25:14 qui n'a pas les moyens d'y accéder, parce que les conditions de vie font qu'on n'a
25:18 pas cet accès.
25:19 Et dans ce cas-là, ou qui est trop âgé, ou qui a des situations...
25:23 Enfin, on connaît ces situations.
25:24 Et dans ce cas-là, il faut absolument, et c'est ça l'enjeu de nos propositions, c'est
25:30 que dans tous ces cas, il y ait une porte humaine, qu'il y ait un moment où on puisse
25:34 adresser à quelqu'un, quand on n'est pas dans le flux de ceux qui savent faire.
25:39 - Alors, pour ces personnes qui souhaiteraient voir un humain répondre à leurs questions
25:44 dans le domaine des services publics, il y a eu la création des Maisons France Service,
25:48 il y a environ 2500 espaces France Service.
25:52 Quelques mots sur le rôle de ces espaces France Service, à quoi sont-ils censés servir,
25:59 et quel regard portez-vous sur leur efficacité ?
26:02 - Alors, ce sont des espaces qui doivent permettre justement d'accéder à des personnes qui
26:07 aident, qui accompagnent, pour les différentes démarches que l'on peut avoir dans la vie
26:10 civile ou dans la vie administrative.
26:12 Ce qu'on constate, c'est que, y compris par des déplacements, et surtout par l'écoute
26:17 de ceux qui en sont les bénéficiaires, on constate que ça marche.
26:21 - Donc c'est situé principalement dans des communes rurales ?
26:24 - Notamment.
26:25 Et qui permet d'avoir quand même un lieu où il y a quelqu'un avec qui parler, il
26:31 y a quelqu'un qui peut aider quand il y a une démarche à faire par voie numérique,
26:34 qui peut aider à le faire, etc.
26:35 Donc ça, ça fait partie des initiatives qui ont été relancées et qui sont maintenant
26:40 bien ancrées et qui fonctionnent bien.
26:42 Et je vous disais, on a d'autres exemples dans lesquels on constate que c'est beaucoup
26:47 plus difficile.
26:48 - Par exemple ?
26:49 - Dans les exemples, le chèque énergie qui est intéressant, c'est une aide au pouvoir
26:53 d'achat, c'est quelque chose de très concret, très direct.
26:55 On s'aperçoit que dans un cas sur cinq, ça n'a pas été utilisé parce que ça n'a
26:59 pas été compris, c'était éventuellement un petit peu complexe d'application, donc
27:05 ça a été un peu difficile.
27:06 Mais je peux rendre un autre exemple, qui est intéressant parce qu'il y a une actualité
27:10 internationale.
27:11 Les tarifs des trains régionaux.
27:15 Variables, d'une région à l'autre, avec des cartes d'avantages qui ne sont pas les
27:22 mêmes d'une région à l'autre.
27:23 Une complexité pour la personne qui circule en France.
27:26 Les Allemands viennent de mettre un ticket en dehors des lignes TGV unique sur le territoire.
27:32 Ce type de simplification est fondamental.
27:34 - Mais Emmanuel Macron, est-ce qu'il sait ?
27:39 - C'est une question qui est débattue aujourd'hui, mais on s'y est intéressé parce que c'est
27:42 une vraie complexité.
27:44 Or, l'un des enseignements majeurs, si vous me permettez de le dire, c'est que nous sommes
27:49 convaincus que le métier de l'administration, c'est de transformer la complexité de la
27:55 société, ce qui est inévitable.
27:56 Il y a plein de situations, les gens n'ont pas les mêmes parcours de travail, les mêmes
27:59 parcours de vie, etc.
28:01 Donc c'est normal dans une société moderne d'avoir ces éléments.
28:04 Et le métier de l'administration, c'est de transformer cette complexité en chose
28:08 simple, de gommer la complexité.
28:10 Le travail interne, c'est à faire.
28:12 Et c'est pour ça que je prenais l'exemple de la retenue à la source.
28:14 - Mais alors, si on reprend l'exemple des trains express régionaux, et bien la proposition
28:20 d'Emmanuel Macron, elle a été accueillie fraîchement par les présidents de région
28:23 parce que la question n'est pas tant, et on le sait bien, Didier Tabuteau, une question
28:29 de simplification administrative, c'est une question de budget et d'argent, tout simplement,
28:34 parce que ce sont les régions qui contribuent aux trains express régionaux.
28:38 Et il voit mal comment on peut avoir à faire une décision nationale s'agissant de budgets
28:44 régionaux.
28:45 Comment le Conseil d'Etat voit-il les choses ?
28:47 - Non mais, nous on dit simplement, il y a un problème.
28:49 On regarde où les réformes apportent des simplifications et des choses qui sont efficaces,
28:55 efficientes, et puis les domaines dans lesquels il y a un problème.
28:57 On ne dit pas, il faut faire comme ça.
28:59 Ça, ce n'est pas notre rôle et notre mission.
29:01 Nous, on n'a pas cette légitimité.
29:02 Nous, simplement, on dit, attention, là, il y a une difficulté, il faut la résoudre.
29:07 Et toutes les voies pour la résoudre, elles appartiennent au pouvoir public, aux collectivités
29:11 territoriales, à l'État.
29:12 Là, on ne se prononce pas.
29:13 Et encore une fois, dans toutes les politiques qu'on a examinées, à aucun moment, on a
29:16 dit, ça, il fallait le faire ou ça, il ne fallait pas le faire.
29:19 On a dit, ça, ça marche ou ça, ça ne marche pas.
29:21 - Et là aussi, lorsqu'on voit les différentes tentatives de simplifier le langage de l'État,
29:28 parce que ça, ça fait partie des reproches récurrents.
29:32 Bien souvent, les choses ne sont pas comprises par l'usager, dit Dier Tabuteau.
29:37 C'est même devenu une sorte d'ancienne tarte à la crème.
29:41 On l'entend souvent, la simplification.
29:43 Et cette simplification, elle ne vient pas.
29:45 - Dans le vocabulaire ou l'expression, nous avons aussi à balayer devant notre porte.
29:50 On a à travailler à la simplification de l'expression des textes.
29:54 Et je dirais qu'on fait tout ce que l'on peut.
29:57 On le fait souvent.
29:58 Je ne suis pas sûr qu'on y arrive toujours, le Conseil d'État, dans son rôle d'aide
30:02 au gouvernement.
30:03 Il faut bien le reconnaître.
30:04 Mais de manière générale, et au-delà de ces textes nationaux, il y a des efforts
30:09 qui ont une véritable efficacité.
30:12 Prenez par exemple l'utilisation du facile à lire et à comprendre, le FALC, qui est
30:16 un langage qui a été imaginé par les associations.
30:19 C'est l'UNAPI qui a conçu ça il y a quelques années.
30:22 On voit l'administration, et je crois que c'est une très bonne chose, qui commence
30:27 à l'utiliser pour faciliter l'accès à certains services, à certaines prestations.
30:31 Dans les documents électoraux qu'on envoie aux personnes, il y a aussi des déclarations
30:34 qui sont en FALC, facile à lire et à comprendre.
30:37 Ce sont les efforts qui permettent d'améliorer l'accès.
30:40 Mais pour le reste, je vous rejoins, il y a encore beaucoup de travail à faire.
30:44 Ça veut dire que finalement, dans un monde idéal, il faudrait imaginer une action publique
30:50 construite, co-construite entre l'administration et les usagers ?
30:54 Je crois que ce n'est pas dans un monde idéal, c'est dans un monde réel.
30:58 Je dis dans un monde idéal parce que c'est ça qui devrait aujourd'hui être visible.
31:02 Ça n'est pas toujours… Souvent on se dit qui a imaginé ce genre de choses ?
31:07 Permettez une touche d'optimisme.
31:08 Non, je crois vraiment que l'idée, parce qu'il y a beaucoup de réflexions qui sont
31:12 engagées sur le thème, dans les administrations, les services, dans les collectivités territoriales,
31:15 l'idée de partir des usagers, du public, des citoyens, de ceux qui sont confrontés
31:20 à l'action publique, pour la construire et pour la rendre la plus efficace possible,
31:26 c'est quand même une idée qui commence à s'imposer, peut-être pas, mais qui commence
31:30 à être très présente et ce que j'espère très modestement pour notre étude, c'est
31:34 qu'elle va être de plus en plus présente.
31:36 Et d'ailleurs nous allons présenter notre étude devant tous ceux qui le souhaitent,
31:40 que ce soit dans les administrations, dans les écoles du service public, parce qu'il
31:42 faut apprendre aux jeunes fonctionnaires comment mettre en œuvre cette méthode.
31:47 On ira devant le défenseur des droits et ses équipes, on ira devant le conseil économique,
31:51 social et environnemental parce que c'est l'instance de représentation des corps
31:53 intermédiaires.
31:54 Voilà, on va faire ce travail d'accompagnement.
31:56 Alors, y compris dans des domaines, par exemple dans le domaine de la justice, les usagers
32:02 du service public de la justice considèrent bien souvent que c'est un monde incroyablement
32:08 compliqué.
32:09 Qu'est-ce que le Conseil d'État préconise pour que la justice soit un monde peut-être
32:15 plus familier ou en tout cas moins opaque ?
32:18 Alors, dans l'étude, dans le travail que nous avons fait pendant un an, on a associé,
32:24 on a interrogé notamment les représentants des conseils, des avocats qui sont évidemment
32:31 les utilisateurs directs du service public de la justice pour connaître ce qui pouvait
32:37 être amélioré.
32:38 Et nous allons, par exemple, mais ce n'est qu'un exemple, mettre en place une plateforme
32:42 pour recueillir les réactions de ceux qui auront rencontré des difficultés dans l'accès
32:47 à la juridiction administrative.
32:48 Nous, notre sujet en termes de gestion de services, c'est la juridiction administrative.
32:52 On va mettre en place cette plateforme pour avoir des retours au-delà des lettres qu'on
32:56 peut recevoir, etc. pour toujours essayer d'adapter autant que faire se peut, ce qui
33:00 n'est pas toujours facile en matière juridictionnelle parce qu'évidemment l'exactitude et la
33:06 rigueur du droit imposent une expression et des procédures souvent assez strictes, mais
33:12 c'est indispensable pour garantir les droits des justiciables.
33:16 Mais dans toute la mesure du possible, il ne sert à rien de le faire.
33:18 Et on l'a fait il y a quelques années.
33:20 Quand on a changé la rédaction des décisions des juges administratifs, qui ne sont plus
33:24 des considérants comme il y avait auparavant, mais qui sont en style direct.
33:27 Donc voilà, il y a une adaptation permanente, mais on peut encore aller plus loin.
33:30 Nous sommes avec vous Didier Tabuteau, vous êtes vice-président du Conseil d'État.
33:34 Jean Lémarie veut vous poser une question.
33:35 Vous vous êtes penché avec des détails sur la manière dont ceux qu'on appelait à une
33:39 époque les usagers, je ne sais pas si on les appelle toujours les usagers, les citoyens
33:42 en tout cas, reçoivent...
33:43 Dans le rapport du Conseil d'État, ce sont des usagers.
33:48 Ils reçoivent les mesures elles-mêmes dans leur vie quotidienne.
33:53 Encore une fois, c'est extrêmement concret.
33:54 Vous avez donné quelques exemples.
33:55 Mais il y a aussi tout l'amont.
33:56 Il y a tout l'arsenal législatif, réglementaire qui est à l'origine de ce à quoi nous sommes
34:01 confrontés dans notre vie quotidienne.
34:03 Est-ce que là aussi, il faut faire un grand ménage ?
34:05 Je reviens sur le terme des usagers.
34:08 Je réponds tout de suite à votre question.
34:09 Les usagers, pourquoi ? Parce que c'est difficile de trouver un terme.
34:12 C'est toutes les personnes à qui l'action publique est utile ou doit être utile.
34:15 Et donc c'est pour ça qu'on retient ce terme usager qui parfois paraît un petit peu vieillot,
34:20 un peu dépassé.
34:21 Administratif pour le coup.
34:22 Administratif.
34:23 Mais au moins, il répond à la demande.
34:25 C'est-à-dire que ce n'est pas simplement un utilisateur.
34:27 Ça va au-delà.
34:28 Alors sur les politiques publiques au niveau national, je crois que la même démarche
34:34 s'impose.
34:35 Quand je prenais l'exemple de l'artenuation de l'impôt sur revenu, c'est exactement
34:37 ça.
34:38 C'est une politique nationale au plus haut niveau qui est développée.
34:40 Et nous, notre rôle dans l'accompagnement du gouvernement ou du Parlement, quand on
34:44 est saisi d'une proposition de loi et on souhaite l'être le plus souvent possible,
34:48 et bien c'est dans ce travail itératif que l'on fait avec l'autorité publique qui
34:53 propose, soit le gouvernement ou le Parlement, d'avoir un échange non seulement sur les
34:58 grands principes, parce que c'est notre métier de garantir la conscionalité de la
35:01 loi, la légalité du décret, évidemment, mais également sur l'opportunité administrative,
35:08 la façon dont ce que l'on veut faire, et sur lequel encore une fois on ne se prononce
35:12 pas, va être mis en œuvre.
35:14 Est-ce que le texte est trop compliqué ? Est-ce qu'il va fonctionner ? Est-ce qu'il
35:17 va tourner ? Mais je peux vous assurer que ce dialogue exigeant, on l'a tous les jours
35:22 lorsqu'on examine un projet de texte.
35:24 Alors, je ne dis pas pour autant que c'est réussi à chaque fois.
35:27 On fait ce qu'on peut, on est comme tout le monde, on est pris par des contraintes
35:30 de temps, on peut ne pas voir parfaitement une question, ça c'est tout à fait clair.
35:34 Mais en revanche, c'est une préoccupation permanente.
35:37 Simplifier, réduire les textes, les raccourcir.
35:39 Donc, ce n'est pas le grand ménage.
35:41 C'est de faire à chaque fois, au quotidien, du mieux possible ce que nous est proposé.
35:45 Il y a la question de la simplification, il y a la question aussi de la dotation, tout
35:50 simplement parce que ces services publics, ils sont bien souvent considérés comme étant
35:54 paupérisés.
35:55 Il y a beaucoup de propositions qui sont formulées sur la justice, sur l'hôpital aussi dans
36:00 ce rapport, de services qui sont considérés comme ayant aujourd'hui des moyens insuffisants.
36:05 Et là, que peut le Conseil d'État, Didier Tabuteau ?
36:08 Dans la logique de notre étude, et je n'en sortirai pas, vous le comprendrez bien, la
36:15 question des moyens, nous la soulignons comme étant fondamentale.
36:17 Et on ose même dire que l'intendance, la façon de mettre en œuvre, c'est-à-dire
36:23 les moyens humains, les personnels qualifiés, les systèmes informatiques, l'interopérabilité
36:27 des systèmes d'information, c'est fondamental pour la mise en œuvre d'une réforme.
36:30 Nous, ce que nous disons simplement, c'est que quand on fait une réforme, on doit prévoir
36:35 les moyens dans toutes ces composantes qui sont suffisants.
36:38 Après, la question de savoir si on fait beaucoup de réformes avec beaucoup de moyens ou moins
36:42 de réformes avec les moyens, c'est une question d'arbitrage des finances publiques.
36:46 Ça relève du pouvoir politique, des pouvoirs publics.
36:48 Et nous, on ne se prononce pas sur ce sujet.
36:50 Vous ne vous prononcez pas sur ce sujet, mais vous considérez quand même qu'il faut
36:55 des moyens, les moyens nécessaires au fonctionnement de l'action publique.
37:00 C'est donc que vous sous-entendez que ces moyens nécessaires manquent dans certains
37:04 lieux, Didier Tabuteau ?
37:05 Que dans certains cas, ils ont été insuffisamment évalués ou dotés.
37:09 Et donc, ce que l'on dit, c'est quand on construit une réforme, il faut bien identifier
37:14 et bien prévoir les moyens qui sont nécessaires à sa réussite.
37:18 Le pire, c'est quand on annonce ou quand on avance sur une réforme, une proposition,
37:23 une modification de la vie quotidienne et qu'elle ne vient pas, que ce soit parce
37:27 qu'elle était mal conçue ou parce que les moyens manquent.
37:29 Donc, on dit simplement, il faut adapter les moyens aux objectifs.
37:32 Après, la question de savoir quel est le montant de la somme des moyens, ça c'est
37:37 une question qui ne relève pas du Conseil d'État.
37:39 Mais alors, quand même, vous y touchez, puisque vous évoquez par exemple, question très
37:44 concrète, la problématique de l'entretien des ponts et des ouvrages d'art.
37:48 Et vous dites que 20% de ces ouvrages sont aujourd'hui en mauvais état.
37:53 C'est à quel point cela pourrait avoir des conséquences catastrophiques ?
37:58 Ça veut dire que le Conseil d'État a un regard et un discours sur l'état des moyens
38:04 insuffisants dont sont dotés certains services publics.
38:08 Mais nous travaillons à partir des constats qui ont été faits, des expertises.
38:11 Ce n'est pas nous qui avons fait l'expertise sur le chiffre que vous venez de citer.
38:14 Et sur les auditions, on a auditionné 250 personnes, on a eu des rencontres avec les
38:20 inspections générales, etc.
38:21 Donc, c'est au vu de tout cela que l'on se permet de faire cette remarque.
38:25 Didier Tabuteau, on l'a vu avec vous, avec votre discours, le Conseil d'État a un rôle
38:31 essentiel pour le maintien de la démocratie.
38:33 Êtes-vous inquiet ? Vous qui présidez l'une des institutions les plus importantes de la
38:39 démocratie française, on voit qu'il y a une tendance à l'étranger de certains gouvernements
38:45 de malmener les institutions qui sont garantes du droit.
38:49 Est-ce que vous avez ce type d'inquiétude en France ?
38:52 Non, l'inquiétude que j'ai, c'est des expressions mettant en cause les juges, y compris des
39:03 attaques personnelles, y compris des menaces, des intimidations.
39:06 Nous en avons connu pour des juges administratifs, du tribunal administratif, du Conseil d'État.
39:12 Et je crois qu'il faut faire très attention à cela.
39:15 Remettre en cause l'indépendance, discuter de l'impartialité de décision, contester
39:22 une décision, ne pas être d'accord avec la décision de justice, ça c'est normal.
39:26 Les voies de droit sont d'ailleurs là pour les contester et tout ça est absolument indispensable.
39:30 En revanche, laisser entendre que ces décisions ont été prises sur autre chose qu'une base
39:34 d'indépendance des gens qui l'ont pris et que tel ou tel juge a telle ou telle opinion,
39:40 ça c'est menacer l'état de droit, c'est menacer ce qui fait la garantie des libertés
39:44 et des droits dans un pays et ça c'est extrêmement grave.
39:47 Et ce sont des agissements individuels qu'on retrouve, disons, sur la place publique,
39:53 dans les réseaux sociaux et là nous avons effectivement, lors de la séance de rentrée,
39:57 un petit peu tiré la sonnette d'alarme parce que ça se multiplie et il faut y faire très
40:02 attention parce que ça c'est grave.
40:03 Merci Didier Tabuteau de nous avoir accompagné.
40:06 Je rappelle que vous êtes vice-président du Conseil d'État à 8h44.
40:10 Merci à vous.
40:11 Mes camarades qui vont s'élancer dans quelques minutes, François Saltiel et Lucille Comot.
40:18 Bonjour à tous les deux.
40:20 François, de quoi allez-vous nous parler ?
40:22 Eh bien d'un homme qui ne respecte ni les règles ni les conseils d'un état, c'est
40:26 Elon Musk dont la biographie sort demain.
40:28 Il n'est pas au Conseil d'État, Lucille Comot.
40:30 Sans aucun rapport, je vais vous parler d'un documentaire sur le sexisme au cinéma qui
40:33 m'a beaucoup agacée.
40:34 Ça sera dans quelques minutes, juste après le point sur l'actualité.